• Sans doute ai-je mal commencé ma très modeste carrière de blogueur ; aussi, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Il est vrai que, retiré comme je le suis dans ma forêt guyanaise depuis si longtemps, je crains d’avoir oublié les convenances. En mon esprit, le blogue devait ressembler à une rue comme celles qui existent dans toutes les villes et les villages, à savoir que le passant a tout loisir à admirer les façades des maisons, sans pour autant savoir ce qui se cache derrière. Nous flânons donc, ignorant que derrière les frontons et autres volutes, des drames se jouent, des enfants naissent, des parents se laissent emporter pour un monde qu’ils espèrent meilleur, ainsi que des rêves et des espérances en cohortes. Toutefois, je ne saurais oublier que parfois des volets clos ne signifient pas que le malheur s’est établi en ces lieux, mais que l’on préfère y garder le bonheur rien que pour soi.

    Cependant, une page de blogue ne saurait demeurer très longtemps des mots sans suite, dissimulés derrière une personnalité aux contours flous. Nous ne pouvons éternellement refuser une main tendue, le sourire d’un visage rayonnant, un regard si brillant qu’il nous redonne le goût à la vie. Certes, je suis parvenu à un âge où le cœur s’est endurci, alors que les souvenirs entremêlent leurs histoires dans les tiroirs de ma mémoire. Je comprends que le temps est venu pour que je doive partager quelques émotions avant que ces dernières lassées par l’indifférence ne décident à s’endormir définitivement, m’entraînant à leur suite, tandis que mes yeux demeurent entrouverts.

    Figurez-vous qu’hier, musardant sur internet, à quelque huit mille kilomètres de mon refuge, j’ai découvert un village dans lequel j’ai vécu il y a très longtemps et où se déroulait une fête. Oh ! N’allez pas imaginer que tout de suite je suis allé à la recherche de visages connus ! Pas du tout. J’ai assez de conscience, pour comprendre qu’après un demi-siècle, quelqu’un a passé la brosse sur le tableau noir et que les visages d’enfants ont désormais des barbes blanches, que les corps fatigués à force de travailler la terre ont des allures courbées, un pas traînant et incertain. Non, tout cela, je le sais, car mon miroir ne m’a jamais menti. C’est alors que je me suis dit : serait-ce qu’à l’instant, je devienne comme ces pauvres gens dont la mémoire s’est enfuie ? Je regardais les gens sans savoir ni chercher qu’ils étaient. J’écoutais la musique qui n’avait pas changé et les danses avaient conservé les mêmes pas. Soudain, je ne pensais plus à rien. Je regardais, indifférent à ce qui se disait, aux sons et aux images. Par les fenêtres, une caméra volait les images de la montagne voisine, et celle que j’avais tant aimée à l’époque, elle non plus ne produisit en moi aucune émotion particulière. Alors, j’ai fermé les yeux et j’ai écouté le monde dans lequel je vivais au présent. J’eus besoin d’un moment pour retrouver les sensations de l’existence qui m’étreint en cette forêt dont on croirait qu’elle est celle des premiers jours de la création. Ce n’est qu’à l’instant où j’ai entendu la nature respirer que je pris conscience que je vivais à l’unisson des éléments et des alizés qui prenaient plaisir à jouer leur musique métisse en s’aidant des feuilles des arbres précieux.

    En quelques mots, voici donc qui je suis et à quoi je ressemble. Je suis Monsieur tout le monde, avec ses états d’âme, ses émotions, ses éclats de rire ainsi qu’un désir très intense de vivre des jours et des ans, autant que le ciel voudra bien m’en offrir. Si vous le désirez, je vous parlerai de la forêt qui nous environne. Elle est si dense, que sous son couvert, le soleil lui-même n’ose déranger l’humus dans lequel se mitonne la vie et les plus belles fleurs.

     

     

    A Bas Les Masques


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  • — Ô ! Mon gentil masque ; pourquoi cette larme sur un si joli visage de rêves ? Ne te plut-il pas d’être tout à la fois le roi, la reine, le fou et tous les sujets de ta vaste cour ? Cependant, tu le savais que lorsque l’on parvient à franchir la porte de l’imaginaire, nous ne puissions prétendre rester plus qu’il ne le faut dans le monde des carnavaliers ! Certes, on t’y a admiré, aimé et même encenser, avant de te critiquer ! Tu fis tourner les têtes, s’abandonner dans tes bras les corps enivrés et les promesses voler vers tes espoirs. De ton pas alerte qu’accompagnaient fifres et tambours, tu arpentas les rues et les places, les dancings et autres soirées parées masquées où les belles tombaient en pâmoison dans tes bras robustes. Combien d’entre elles t’ont-elles avoué leur amour ? Combien de folies te demanda-t-on et combien de fois te prie-t-on de sortir pour t’étourdir du parfum de l’amour sous les ramures dépouillées ?

    — Je sais, autre masque fidèle ; ma vie est à l’image des papillons qui virevoltent dans le cortège, éphémère et tourmentée. Je sais encore que ce soir je serai brûlé vif pour me punir de tous les péchés dont le peuple m’accuse, étourdi et lassé par les valses et autres mazurkas. Mais, mon frère l’autre masque : je tiens néanmoins ma vengeance, car je sais que bientôt dans les esprits naîtra un autre carnaval, d’autres désirs et des rondes infernales qui feront pâlir les étoiles de jalousie et la lune s’enfermer dans un nuage de brumes.

    — Certes, l’espoir ne t’abandonne pas, mais qu’en est-il de la souffrance lorsque les flammes te raviront ton déguisement ainsi que tes parures ?

    — Mon cher ami, tu as besoin de vivre quantité d’autres carnavals pour habituer ton esprit aux choses de la vie dans un autre monde. La souffrance n’est qu’une étape pour accéder aux cendres desquelles je renaîtrai encore plus beau et toujours plus fort !

    — Comment peux-tu prétendre ces choses affreuses, alors que j’entends le cortège avancer à grands pas, entraîné par les trompettes et les tambourins ?

    — Lorsqu’ils auront allumé le grand feu, je te demande d’écouter ce que les flammes diront à ce peuple innocent et tu comprendras alors que je ne fus pas ce que l’on prétend.

    — Sans doute que personne ne comprit ce qui se passait, car au milieu du crépitement rageur des flammes qui dévorait le roi, un puissant rire s’éleva au-dessus de la foule.

     

     Le Temps Du Carnaval


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  • —… Alors, les éléments cherchèrent des alliés qu’ils poussèrent vers la forteresse désirée. Ils semèrent le long des murailles, des graines de plantes grimpantes et d’autres parasites. Le temps sourit en voyant les plantules devenir vigoureuses, s’enhardissant vers les pierres qui ne tardèrent pas à se lézarder. Sous l’effet conjugué du vent et de la pluie, les premières pierres ne tardèrent pas à se laisser tomber.

    — La forteresse rendit l’âme, mon ami ?

    — Pas encore ma chère ; pas encore. Des jours et des ans il fallut pour que la construction frémisse à ce point, que la toiture se laissât emporter par une bourrasque. Dès lors, ce fut un jeu d’enfant aux vents accourus de partout autour du monde pour tourbillonner si fort, que des pans entiers de murs s’écroulèrent.

    — Il est difficile d’admettre que la nature réussit là où naguère, tant d’hommes n’y sont jamais parvenus !

    — Oui, rien n’est plus fort que les éléments lorsqu’ils se déchaînent. Cependant, chaque partie qui rejoignait le sol dans les plus grands tourments prit soin de ne pas s’éloigner des fondations. À leur façon, ils firent comprendre au maître du temps que s’ils avaient vaincu la forteresse, ils n’auraient jamais le plaisir de découvrir ni de ravir son bien le plus précieux, je veux dire, son âme et son cœur, puisque je les garde précieusement dans le creux de ma main.

    — Tu les protégeras toujours ? Ne crains-tu pas que l’on finisse par te les dérober ?

     

    — Cela ne se produira pas, car je serre si fort la main que pareille à notre amour d’antan, ils pénètrent au plus profond de mon être. Ainsi, lorsque nous nous retrouverons dans le grand jardin, pourrons-nous recommencer une nouvelle vie.


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  • —… Dis-moi la vérité, mon ami au grand cœur. À l’instant, je viens d’évoquer une porte ouverte par laquelle se précipitent mes souvenirs. Est-ce réellement la vérité ?

    — Qu’est-ce que la vérité, ma chère amie ? Ne sont-ce pas ces mots, précisément, que l’on prononce et qui ont pour vocation d’être aussitôt oubliés à l’instant où les lèvres en forment les lettres ? À ces paroles, je leur préfère les images. Elles n’ont besoin d’aucun artifice. Elles sont ce que nos yeux voient et c’est très bien ainsi.

    — Oui, cependant, qu’en est-il de ma personne ? Elle n’est pas une image ! J’existe, je marche, j’ai un cœur même s’il est faible, dans un corps qui, je le sens bien, devient chaque jour plus vacillant !

    — Tu désires vraiment que je te traduise l’image qui se dégage de toi et que tu m’offres sans même prendre le temps de l’emballer dans un papier scintillant ?

    — Bien sûr que je le désire ! Et si l’image est belle, je te demanderai à l’avenir de m’offrir des tas d’autres belles images. Dis, tu le veux bien ?

     

    — Alors, ma mie, ferme les yeux et écoute attentivement. Si je dois qualifier l’être que tu fus pour nous, je ne trouve aucun autre exemple que la superbe construction comme il en existe par-ci par-là, campées sur des monts dominant les vallées. Tu fus cette forteresse que les ans assaillirent, mais n’ébranlèrent jamais. Les éléments durent s’associer pour causer quelques brèches que le temps utilisa pour affaiblir tes défenses. Ce furent d’abord quelques tuiles qui cédèrent aux tempêtes, puis une fenêtre qui choisit de s’éventrer plutôt que de se rendre. Mais la porte était encore solide, malgré la puissance de l’ouragan. Cent fois, il fit le tour de la forteresse, hélas ! pour lui ; elle demeurait toujours debout…


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  • ... — Mon cher petit cœur ; ainsi tu demeuras là à m’attendre depuis tout ce temps ! Et si je n’étais pas revenu ?

    — Tu le vois ; je me laissais mourir. Sans toi, la vie a-t-elle du sens ?

    — Cesse, mon cher amour de dire des sottises. Allez, donne-moi ce qui te reste de force pour que nous cheminions encore l’un proche de l’autre. Tiens, je te propose même quelque chose de plus agréable et d’inédit. Veux-tu qu’à partir de cet instant nous essayions de remonter le temps afin d’y ramasser telles les feuilles mortes celles qui ont embelli notre vie ?

    — Ô ! Oui, mon ami, récoltons-les avant que les messages bordant les limbes défraîchis ne s’effacent !

    — Alors, ne tardons plus, ma très douce amie. Il y a tant d’années à retrouver ! Te souviens-tu de leur nombre ?

    — Par la porte ouverte de ma mémoire, je crains que de nombreux souvenirs aient déjà retrouvé leur liberté.

    — C’est parce que tu étais égarée dans ta solitude que tu dis cela, mon amour. Ne suis-je pas là pour te guider à nouveau ?

    — Et si le destin voulait que tu disparaisses à nouveau, que deviendrai-je sur ton chemin ? J’ai tant besoin d’une main pour me rassurer !

    — Petit cœur, pour l’instant, saute dans le creux de celle que je te tends et demeure sur ma poitrine à l’écoute du mien qui s’est remis à battre. Use de sa chaleur comme on le fait devant la cheminée, alors que nos membres sont engourdis…

      


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