• — Il est un phénomène étrange qui réside en notre belle planète. Certes, on penserait que les éléments qui la peuplent sont complémentaires, mais qu’aucun lien de parenté ne les unit vraiment. Et pourtant, les existences des uns se confondent bien avec celles des autres.

    Ils résident au sud ou au nord, évoluent à l’est ou à l’ouest. Ils vivent en des pays ou des régions riches ou pauvres, sur des sols fertiles ou stériles. Vous l’aviez deviné, je veux parler des hommes et des arbres.

    N’avez-vous jamais relevé quelques singularités qui laisseraient à supposer que ce ne soit pas tout à fait par hasard que les uns sont proches des autres, pour ne pas dire que les deux familles cohabitent, les uns ne pouvant se passer des autres ?

    Inévitablement, comme tout ce qui évolue dans la nature et qui doit penser à survivre, il se développe un phénomène de mimétisme fort prononcé. Ainsi, chez l’homme comme chez le végétal il n’est pas rare de constater que certaines qualités font mille efforts pour mieux nous camoufler leurs défauts et parfois même leurs vices. Mais sans doute tout cela est-il nécessaire pour assurer à l’ensemble de l’humanité un certain équilibre créant ainsi une incontestable harmonie. Comme chez les êtres humains, pour être heureux, la majorité des arbres ont besoin de se réunir en groupes et le plus souvent en d’immenses forêts, évoluant sur des racines qui s’agrippent aux entrailles de la Terre, réunissant leurs réseaux radiculaires comme des amis se donnant le bras pour assurer une plus grande sécurité à l’amitié.

    Au-dessus du sol se dresse un tronc puissant qui se prolonge par une ramure cultivant des formes géométriques savantes qui la rendent harmonieuse, protectrice et séduisante. La vie, chez le végétal, ne saurait exister si des milliers de feuilles ne venaient garnir les houppiers, et devenir les intermédiaires entre l’ombre du sous-sol et la lumière céleste.

    Un jour, les rameaux se couvriront de bourgeons qui en secret prépareront des fleurs qui embaumeront les soirs des hommes et enivreront les abeilles. Au cœur des jours chauds de l’été et les fruits succulents rafraîchiront les bêtes et les gens.

    N’en déplaise aux puristes et autres perfectionnistes, chez les végétaux comme chez les hommes, il existe de nombreuses imperfections. Il s’en trouve de beaux et de laids, des forts et des faibles toujours prêts à courber les branches au moindre souffle. Il y a les puissants qui dominent les fragiles de leur orgueil, les généreux qui offrent leurs fruits sur les branches basses alors que les égoïstes les gardent jalousement hors de portée.

    Étrangement, il est des arbres qui attirent l’oiseau qui installe son nid à tous les étages et dans chaque fourche, alors que d’autres n’entendront jamais l’oisillon réclamer la becquée sur aucune de leurs branches.

    Il ne faut pas s’imaginer que les états d’âme sont le propre des hommes. Beaucoup d’arbres passent de la douceur de la verte feuille à l’exaltation de la fleur puis à l’extase de la fructification, avant de sombrer dans les tourments des automnes qui leur annoncent des époques encore plus difficiles avant que n’apparaisse le renouveau.

    Si l’homme subit les dures lois des systèmes en craignant le formatage des personnalités et en développant le sentiment de solitude alors qu’il évolue au cœur même de la foule qui l’ignore, l’arbre sait bien qu’il ne saurait rester à l’écart des manipulations génétiques artificielles ou naturelles. Au sein du monde végétal, le métissage a commencé depuis si longtemps que certaines familles n’ont même plus en mémoire la silhouette originale de leurs ancêtres.

    Je crois que nous ne pouvons plus le nier. L’homme et le végétal se ressemblent. Ils naissent, grandissent, fructifient et un jour, pour certains, dans l’indifférence des leurs, ils s’en vont, laissant la place à d’autres individus qui n’attendaient que cet instant pour occuper l’espace dans le souvenir du prédécesseur.

    Ne soyez pas surpris, si au détour de l’une de vos pérégrinations vous rencontrez

    un arbre qui attire votre regard plus qu’un autre. À la différence de l’oiseau, qui ferait tout pour se faire remarquer, allant jusqu’à vous entraîner hors de votre sentier afin de vous éloigner du lieu où se tient sa nichée, aucun arbre ne cherche à cacher la forêt. Cependant, si votre œil s’arrête sur un sujet plus qu’un autre, c’est sans nul doute que vous venez de reconnaître en lui une ressemblance étrange. Si vous pensez que le tronc dessine les formes d’un corps de femme, vous ne vous trompez pas. C’est certainement celui de la fée qui ne voulut pas quitter les lieux où elle déposa sa progéniture. Si elle lève ses énormes charpentières vers le ciel, n’allez pas vous imaginer que c’est pour vous faire reculer. Elle tient seulement à vous dire qu’elle tient sa forêt à bout de bras, pour la protéger de la folie des hommes.

    Amazone. Solitude

     

     


    votre commentaire