• — S’il est un spectacle auquel chacun de nous aurait aimé assister, c’est bien celui, où dans un immense frisson des océans, un beau jour, émergea la terre. Ce matin là, à n’en pas douter, la lumière devait être différente d’autres matins. Sans doute même que le ciel s’en vint frôler l’onde mouvante afin de la marquer de son empreinte et d’y graver à tout jamais ses couleurs et probablement, par un arc-en-ciel lumineux et coloré, telle une passerelle descendant de l’univers, y glissa-t-il le reflet de son esprit.

    C’est que de l’évènement qui se préparait, le ciel qui parcourt sans relâche l’univers savait parfaitement que toute créature a besoin d’une âme pour s’élever au rang de chose vivante et durable. Durant des jours, l’arc en ciel plongea donc son chemin dans les profondeurs de l’océan, afin que les éléments sous-marins accèdent à sa surface.

    Oh ! Ce ne fut pas simple, croyez-moi ! Il dut y avoir des douleurs et encore des souffrances avant que n’apparaissent dans un dernier effort les sommets des premiers monts. C’est qu’il n’y a guère de naissances qui se fassent en dehors de la douleur, sans doute pour confirmer que la vie n’est jamais une chose acquise, mais qu’elle se gagne. Ainsi donc, dans un grand fracas et d’interminables remous, la terre osa se montrer au grand jour. Depuis, elle n’a jamais cessé d’inscrire au fond de nos yeux et de nos cœurs les images qui en nos mémoires, gravent tant de beaux souvenirs.

    Ce premier matin, il me plait de l’imaginer comme la première d’une représentation. Tout ce qui vivait déjà se pressait au premier rang afin de ne rien perdre du spectacle qu’on leur avait promis. Les vents, qui d’ordinaire, agencent les nuages avant de les disperser, s’étaient donné le mot pour suspendre leurs activités.

    À la surface de la Terre, les végétaux donnèrent le meilleur de ce qu’ils possédaient pour gonfler les premiers bourgeons. Dans un ensemble parfait, ils laissèrent éclater leur joie. Ce fut les tout premiers bruits que l’on put entendre, auxquels se joignirent les fragrances des fleurs pour expliquer, en séductrices expertes, que la vie est parfumée et qu’elle est douce à respirer.

    Soudain, tel le rideau découvrant la plus grande scène jamais imaginée, la brume se lève pour dévoiler l’ensemble du décor. À la vue de ce voile léger qui se love autour de chaque élément, les spectateurs n’en croient pas leurs yeux. On croirait que chaque lambeau de brouillard enserre les végétaux pour leur insuffler la vie et leur inscrire définitivement la mémoire de l’univers.

    Les souffles se retiennent alors que les arbres s’alignent comme les élèves dans la cour de l’école, pour la photo de la classe. Devant, les petits cherchent leur place, il en est même qui rampent, timide, n’osant regarder l’objectif. Les moyens ne se font pas prier, sachant qu’ils ne feront pas d’ombre aux plus grands, déjà orgueilleux, essayant de flirter avec le ciel.

    La brume, se sachant regardée, traîne encore entre chaque acteur, s’enroule autour des ramures, balaie le sol pour le débarrasser des dernières impuretés et dépose une goutte de rosée dans les cœurs des jeunes fleurs, tel un diamant attendant la lumière pour le faire briller.

    L’océan en premier maître de toutes choses n’a pas besoin d’en rajouter. Pareil à un vieux sage, il attend patiemment l’instant où le souffle irisera sa surface pour donner l’ordre au monde de se mettre en marche.

    Le ciel est toujours suspendu et n’ose traverser l’espace afin de ne rien déranger de ce qui s’y prépare. Le soleil sachant qu’il sera indispensable, s’octroie encore du bon temps sur le fil mince de l’horizon, attendant son heure pour mêler ses rayons aux beautés qui se développent dans un dernier effort.

    La tenue vaporeuse, comme une robe de mariée rejoint maintenant le firmament pour leur annoncer l’union de la terre et du ciel. La vie désormais peut commencer. Déjà, les premiers îlots se détachent et s’aventurent à la surface de l’eau à la recherche du meilleur emplacement, emportant dans ses bagages l’amour destiné aux hommes qui se le partageront.

    D’aucuns regretteront qu’il soit regrettable d’avoir posé des hommes dans ce décor ; car la suite nous laisse deviner ce qu’il adviendra de notre si belle planète, suspendue dans l’espace, telle la plus gracieuse des danseuses, à la recherche d’un second acte afin de poursuivre le spectacle pour qu’il dure encore des millénaires.

    On ne peut se lasser des choses lorsqu’elles sont belles, tout comme on ne refuse pas la vie lorsqu’elle se transforme en la plus belle fée, frappant à notre porte pour y trouver refuge.

     

    Amazone. Solitude

     

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  • — À l’heure où l’on dénonce la mondialisation, ses vertus et ses vices cachés, il reste autour du monde des zones qui échappent encore à l’uniformisation. Elles sont des régions privilégiées qui abritent des villages dont nous pourrions croire qu’ils ont traversé le temps sans qu’il y imprime sa marque. Ils vivent au rythme d’un jour qui n’en finit pas d’être exaltant et on peut l’imaginer, aime à se tenir à la disposition des habitants. Chaque matin qui s’éveille ressemble à un cadeau envoyé par le ciel et les hommes ne nourrissent aucune impatience en guettant le facteur. S’il y a des bureaux de poste devant lesquels les queues s’allongent et grondent, devant celle-ci, on n’a jamais vu ni entendu la moindre manifestation.

    Le plus souvent, le courrier n’est même pas distribué. Ce sont les destinataires qui se déplacent, faisant une occasion supplémentaire pour se raconter les derniers potins de la forêt.

    S’ils se connaissent ? Bien sûr ! Ils sont nés dans le village, ont grandi dans celui-ci et ont fréquenté la même école.

    Souvent, ils épousent les voisins ou les voisines ; ainsi l’âme des lieux ne quitte-t-elle jamais la région et les traditions ne redoutent-elles pas la hantise ni l’anxiété de l’oubli. Le village où se trouve l’agence postale est sans doute moins peuplé que dans le temps. Cependant, il possède toujours son école, son église et son restaurant. Il est adossé à la forêt et se mire dans le marécage qui l’encercle. Il est sans aucun doute le mieux gardé de la région. Les célèbres caïmans noirs et leurs cousins dits à lunettes ainsi que ceux appelés rouges, en sont les gardiens. Ils sont toujours à épier les mouvements, des uns ou des autres résidants, qu’ils soient humains ou animaux.

    Votre courrier arriverait-il, si vous deviez m’écrire ?

    En douteriez-vous ?

    Combien de temps mettra votre missive ?

    Cela dépendra de l’avion qu’elle aura pris.

    Dès son arrivée dans notre pays, elle sera dirigée vers le bureau principal de la capitale. Les jours suivants, elle sera triée et acheminée dans une commune d’où elle sera triée à nouveau avant de prendre la route qui la conduira jusqu’au débarcadère. Elle empruntera alors la pirogue, traversera le marais avant de rejoindre l’agence. En somme, vous le constatez, rien d’extraordinaire ne s’est passé. Un jour ou l’autre, votre courrier finira bien par me parvenir.

    Pourquoi une telle réflexion ?

    Oh ! Pour la bonne raison que de l’autre côté de l’océan, quelque employé pressé ou distrait, dirigera votre courrier vers une destination africaine ou Sud-Américaine autre que la nôtre. Il lui faudra donc attendre qu’une main délicate et attentionnée la remette dans la bonne direction pour qu’elle continue son voyage. Elle s’enrichira de quelques tampons supplémentaires et de noms de pays que peut-être vous aurez déjà traversé des années au paravent.

    Vous comprenez pourquoi nous sommes heureux de vous lire après avoir découvert sur l’enveloppe les destinations successives qu’elle a connues avant d’arriver entre nos mains qui la tourne et la retourne avec un sourire non dissimulé éclairant le visage. On nous l’avait bien dit ; tout finit par arriver, il faut savoir être patient, voilà tout !

    C’est alors que l’on félicite l’expéditeur pour avoir presque calligraphié nos noms et adresses de lettres que l’on jurerait sorties tout droit du meilleur bureau d’architectes. Grâce à ces lettres solidement imprimées sur l’enveloppe fragile, elles ont transformé le mince papier en une maison si solide, qu’elles ne profitèrent d’aucune occasion pour tenter de s’évader, afin de nous rejoindre au plus vite dans notre forêt lointaine et mystérieuse.

    Je ne sais pas où en sont les discussions ; il fut un temps où l’on parlait de privatisation de l’administration postale.

    Privée ou non, notre agence postale fera toujours le nécessaire pour que notre courrier nous parvienne, dans le temps ou hors délais.

    Je ne vous cache pas qu’en ce qui concerne les factures, comme tout un chacun, nous ne sommes jamais pressés de les recevoir. Nous savons bien qu’une fois les chiffres disposés sur leurs lignes et dans leurs cadres, ils ne risquent plus de se multiplier. Privé ou d’état, peu importe la vitesse du courrier. Il n’a aucune raison d’être rapide ou non, car depuis toujours nous avons admis que les mauvaises nouvelles n’ont pas de prétexte particulier de se dépêcher à nous parvenir.

    Entre l’instant où elles sont couchées sur le papier et celui où nous les lirons, nous considèrerons que ce laps de temps se nomme l’espérance.

    Par contre, concernant le courrier réservé à l’amitié, même si nous sommes impatients de recevoir l’enveloppe parfois parfumée aux herbes du terroir, nous ne sommes pas sans savoir que plus longtemps durera son voyage, plus grande elle sera. Elle profitera de chaque arrêt pour grandir, tandis que les baisers se multiplieront, chemin faisant.

     

    Amazone Solitude


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    — La nature qui accompagne notre existence se montre parfois un peu égoïste, lorsqu’elle garde pour elle nos meilleurs souvenirs.

    Cependant, nos yeux ont vu se construire le monde autour d’eux, mais n’en retiennent qu’une infime partie, pour nous laisser supposer le moment venu que nous venons d’inventer une situation alors que c’est notre mémoire qui l’avait soigneusement mis de côté.

    Nous aurions tant aimé revoir le jour où les pieds éprouvèrent le besoin d’emmener notre corps encore faible et chancelant à la conquête de la maison !

    Jusqu’à ce fameux matin où les jambes surent qu’elles étaient assez fortes pour supporter la frêle charpente, notre esprit fut heureux de regarder ailleurs que le plafond dont pas un centimètre carré ne nous avait échappé.

    C’est sans doute pour ces raisons qui font défaut à notre mémoire, que la mère se trouve auprès de nous, discrète, mais ne perdant pas une bribe de nos agissements. Ainsi, à l’heure qu’elle aura choisie elle-même, complètera-t-elle notre grand livre des souvenirs par des mots et des images merveilleuses.

    Nous sourirons certainement lorsqu’elle tournera la page sur lequel les premiers pas ont fait leur apparition. Nous fermerons les yeux et nous la laisserons parler :

    — Au prix d’un effort qui te parut surhumain, qui l’eut cru alors que pour faire tes premiers pas, c’est de ma main que tu eus besoin ?

    Tu la fixais comme le capitaine d’un navire pris dans la tempête ne quittant pas du regard le phare qui le guide à coup sûr vers le port où il s’abritera ; sauf que pour toi, l’ouragan n’était autre que celui de tes jambes incertaines qui escaladaient les premières marches invisibles de la vie.

    Comme tu étais pressé d’aller par le jour !

    Le premier pied n’était pas encore posé que déjà le second voulait lui aussi aller de l’avant. Inévitablement, c’est au creux de la vague que tu disparaissais.

    Qu’à cela ne tienne ! La hargne qui t’accompagnait ce jour te fit comprendre qu’il fallait recommencer toujours, jusqu’à trouver l’assurance qui fait trouver l’équilibre. La main était la bienvenue pour assurer un nouvel essai.

    Afin de te faire avancer, celle-ci reculait.

    Oh ! Elle n’allait jamais bien loin afin que tu la visses toujours et que l’enjambée s’allongea afin que la tienne, minuscule, se porte à sa hauteur sans pour autant chercher à la serrer. Il suffit alors de quelques pas rassurés pour que tu ne voies plus ma main.

    Ce jour, là, fut vraiment le premier grand évènement de ta vie.

    J’en déduisis que pour tous les hommes, le premier horizon qu’ils fixèrent fut les précieuses mains maternelles. Il est vrai que tu les oublias bien vite, fier, installé sur tes pieds qui auraient fait pâlir de jalousie tous les marins du monde, tant ils laissaient croire que tu étais né sur une chaloupe.

    Pourtant, celles dont tu fis mine de pouvoir te passer, n’ont-elles pas recueilli les premières larmes générées par les cauchemars et caressé ta joue jusqu’à faire disparaître l’angoisse qui t’oppressait dans les ténèbres ?

    Je reconnais qu’elles ne furent sans doute pas toujours aussi douces que tu l’aurais souhaité. Pour s’excuser, elles te faisaient comprendre qu’elles devaient fouiller la terre afin d’y enfouir les graines qui devinrent froment pour te construire en laissant à l’existence le temps d’imprimer ses marques.

    Je crois que les lins cousus par mes mains n’étaient sans doute pas aux couleurs de la mode, mais sans orgueil, ils virent le temps se rendre devant leurs robustesses.

    Depuis longtemps, tu as oublié les paroles des chansons qui faisaient tourner mes mains dans d’infinis manèges, jusqu’au jour où tu découvris, rayonnant, que les tiennes savaient aussi faire de même, dès l’instant où l’esprit est assez fort pour convaincre.

    Rugueuses, mes mains ?

    Pardon, c’est vrai qu’elles le furent, car il leur fallait bien souffrir pour fabriquer les fagots dans les bois. Leurs flammes faisaient chanter l’âtre devant lequel s’impatientait la marmite. Elles surent quand même se faire douces pour que le trayon libère le lait que tu aimais tiède. Je reconnais qu’elles n’ont pas eu la douceur ni le grain de celles des grandes dames, mais de la vie, elles n’ignorent rien.

    De l’eau glacée du lavoir aux braises du foyer, du lien des gerbes qui parfois les entaillaient, jusqu’aux morsures des ronces des buissons, pourvoyeurs de baies savoureuses pour fabriquer tes confitures préférées. Tu vois, mes mains ne cessèrent d’inventer pour toi, le meilleur de la vie.

    Les ans nous séparèrent et même si je suis triste en revoyant passer ce temps d’alors, je suis bien aise que tu n’aies plus besoin des miennes, noueuses comme des ceps de vignes taillés et vendangés. Je sais que ce sont d’autres mains dont tu as maintenant besoin ; celles qui, lorsqu’elles se serrent, laissent sourdre un sentiment qui se nomme l’amour.

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    Quand l'émotion nous gagne

    — Je me doute que notre comportement laisse supposer que la fête fut belle, alors qu’en réalité, elle cache plus de la tristesse que la joie. La dernière fois que nous avions permis à l’émotion de nous gagner, c’était pour la fin des moissons.

    La journée avait été longue et pénible. Ce n’est jamais un jour tout à fait comme les autres, celui qui voit les sacs de grains prendre le chemin des greniers où il va dormir paisiblement, jusqu’à connaître le meunier pour une partie, alors qu’une autre part sera triée et sélectionnée pour la semence prochaine.

    En fait, ce que beaucoup qualifient de fête, désignant le repas pantagruélique qui clôt les efforts, n’est qu’une juste récompense des efforts fournis, alors que l’influx nerveux annonce à son propriétaire qu’il était tant que la journée se termine, car les gestes devenaient imprécis, et la sueur, mêlée à la poussière, coulait dans les yeux avant de ruisseler sur tout le corps.

    Hommes et femmes semblaient avoir calqué leurs gestes sur le bruit du moteur du tracteur qui entraînait par l’intermédiaire d’une longue courroie, la batteuse qui chantait sans jamais marquer le moindre signe d’épuisement.

    Les gerbes voltigeaient d’un gerbier à un autre, avant de tomber sur le tablier de la machine. Le lien tranché, le pousseur les guidait vers le mécanisme qui l’entraînait vers le tarare et les trémies avant de laisser le grain tomber dans la goulotte où un sac l’attendait. Alors que le bruit avait cessé dans la cour de la ferme, la nuit s’était déjà installée et pouvait commencer le festin.

    Mais ce temps-là était déjà loin derrière nous. Il nous restait les vendanges et les labours d’automne avant de remiser pour l’hiver les outils sous les hangars pendant que les attelages goûtaient eux aussi un repos bien mérité dans les prairies où le regain n’était pas avare de sa fraîcheur.

    Ce jour, où vous nous trouvez plus émus plus que de raison, est celui qui vit partir loin de nous notre dernier enfant.

    Oh ! N’allez pas croire que jusqu’à son départ nous n’étions pas dignes !

    Pourquoi lui aurions-nous montré que c’était un peu de nous qui partait à l’aventure ? Il est parfaitement inutile de rajouter des larmes à d’autres larmes, même si elles ne sont pas tout à fait identiques.

    Toutefois, il est dans l’ordre des choses que nos enfants tentent leur chance à travers le monde. Ne dit-on pas justement que la fortune sourit aux audacieux ?

    Nous savons aussi qu’il est inutile de rallier à nous les enfants pour leur servir de jour en jour à chaque repas, un plat dans lequel se reflète la misère, pas plus qu’il serait judicieux de les parquer derrière d’illusoires clôtures, alors que la production de la ferme est devenue trop maigre pour nourrir toutes les bouches.

    Par leur présence, les enfants ont ensoleillé les jours gris ; par leur amour ils ont confirmé leur attachement à la famille et grâce à leurs sourires, ils ont apporté du baume au vieux corps courbé à cause des tâches.

    Il est donc bien naturel que nous leur rendions ces sentiments qui font les hommes heureux. Et puis, a-t-on vu l’oiseau retenir dans le nid plus de temps qu’il en faut, l’oisillon qui a perdu le duvet, lancé ses premiers trilles et affermit ses ailes, indiquant que plus rien ne pouvait lui être transmis qu’il n’aille lui-même le découvrir par la nature ?

     

    Certes, la peine est immense et la petite ferme va devenir infiniment trop grande. Mais je sais bien que le bonheur ne se mesure pas de la même façon que les surfaces, même si un petit nid douillet vaut mille châteaux où résonnent les voix, les pas et souvent les pleurs.

    Avant que ma douce épouse pose la tête sur la table, j’ai eu le temps de lui dire que ce soir nous serons seuls et tristes et qu’il nous faudra nous habituer à employer d’autres mots pour compenser l’amour que nous mettions dans les musettes des petits afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés.

    Quand nous allons nous réveiller, pour nous commencera une autre vie qui dessinera à notre intention un chemin plus étroit.

    Lorsque nous poserons le pied dans le jour suivant, nous découvrirons que la table où se perdent nos deux couverts est devenue trop grande.

    Sur la tonnelle, les feuilles de vigne tentent bien de se serrer davantage pour empêcher que les souvenirs ne soient eux aussi tentés de partir à l’aventure, en espérant que l’automne sera assez généreux pour conserver le feuillage jusqu’au réveil de ceux qui espèrent dormir longtemps.

    Le temps a deviné qu’il leur serait agréable d’ouvrir les yeux à l’instant où la vie aura fini d’installer son nouveau décor.

     

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    Parmi les passions des hommes, il y a en bonne place l’étude du ciel qui garde par-devers lui et pour de nombreuses années encore, ses mystères et ses caprices. Des clichés de ciels, il nous suffit d’une recherche rapide sur le net pour en découvrir des centaines. Mais qu’ils soient de lever du jour, de coucher de soleil, d’orages ou d’été, aucun n’égale ceux que nos propres yeux enregistrent en y rajoutant son pesant d’émotions.

    J’ai eu le privilège de grandir sous des ciels changeants.

    Parfois, ils étaient si loin que je les pensais partis à la poursuite du temps, par delà notre planète. En d’autres saisons, ils étaient si bas qu’ils semblaient vouloir traîner sur les herbages en prenant le temps nécessaire à humer les fragrances de la terre qui embaument la vie. En montagne, ils étaient le plus souvent imprévisibles. D’un instant à l’autre, ils pouvaient être rieurs ou devenir coléreux comme un enfant à qui on refuse son jouet préféré.

    J’en ai même vu qui me laissaient croire que nous étions au-dessus d’eux, et ravi du bon tour qu’ils venaient de nous jouer, nous offrait une mer de nuages sur laquelle nous aurions pu naviguer. Il nous suffisait alors de tendre le bras pour du bout des doigts effleurer le paradis.

    J’ai traversé des déserts qui en voulaient à leur ciel de laisser à penser aux hommes qu’ils ne pouvaient que représenter l’enfer sur la Terre.

    Alors, pour se faire pardonner d’avoir été si dur avec le jour, la nuit, ils inventaient des ciels si hauts, que l’on aurait pu croire que les étoiles y étaient suspendues au bout de fils invisibles et qu’elles se balançaient dans la clarté de la lune complice, qui consentait en cet instant à nous révéler quelques secrets. Les ténèbres étaient si belles que je me désolais qu’elles ne fussent pas plus longues, estimant n’avoir pas eu le temps suffisant pour compter les astres scintillants dont certains se plaisaient à traverser le ciel à des allures si vives, que j’étais certain qu’ils faisaient la course vers le sud.

    Plus loin à l’Est, j’ai eu du mal à supporter des ciels de mousson à bout de bras afin qu’ils ne nous écrasent pas. Quand le ciel se déchaîne, il prend alors des allures d’océans et l’on se prend à imaginer que le monde vient soudainement de se retourner. Dans la furie des eaux tourbillonnantes en tous sens, on s’attend toujours à entendre claquer les voiles des navires en perdition. Après avoir parcouru de nombreuses régions qui s’ennuyaient sous des ciels trop sages, je filais à l’ouest, vers où faisait mine de s’enfuir le temps qui nous disait perdre le sien de l’autre côté de la planète.

    Là, je compris ce que pouvait représenter le désespoir des peintres, quand il s’agit d’une fleur. Il n’était pas question d’un végétal, mais j’ai eu le sentiment que leur désespoir serait encore plus grand si l’envie leur prenait de vouloir fixer à tout jamais le ciel d’Amazonie sur une toile.

    Il n’est rien d’autre que l’incarnation du changement. Il sait se montrer calme, et passer à l’instant suivant aussi fougueux qu’un cheval sauvage dévalant la prairie. Il ne se renouvelle pas, il est en perpétuelle construction. C’est sans doute à cause de ces changements d’humeurs intempestifs que le continent voulut s’abriter sous une épaisse forêt.

    C’était la réponse de la Terre aux agressions du ciel. Sous son couvert, pour avoir une chance de le découvrir, il faut s’en remettre au bon vouloir des chablis. Ici, on est presque certain que les arbres ont grandi dans le seul but de maintenir le ciel à bonne distance afin qu’il ne se mêle pas aux petites affaires de Dame nature.

    Pour exprimer son mécontentement, celui-ci, sans vergogne, se pose sur la canopée dont il semble faire comme un immense chapiteau, tendu sur les fûts les plus hauts, sous lequel bêtes et gens suffoquent à longueur de temps.

    Les plus heureuses sont les orchidées qui déposent ici et là des notes de couleurs en diffusant des parfums envoûtants pour faire oublier l’odeur acide de l’humus en formation.

    En notre belle forêt, n’espérez pas avoir la chance de recevoir la visite de la lune ni même avoir un jour la tête dans les étoiles. Notre pays est le seul dans le monde qui possède pour ciel un camaïeu de verts et où les épineux laissent traîner intentionnellement leurs griffes et leurs épines afin de retenir un autre ciel qui s’élève avec l’ouverture du jour, mais qui part en lambeaux à l’instant où ses brumes émettent le désir de vouloir rejoindre celui qui se désole au-dessus des hommes, fâché de n’être jamais cité dans aucun vers ni aucune rime.

     

    Amazone Solitude


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