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    Peuples premiers mais peuples oubliés— Au rang des peuples oubliés, il en est un pour qui j’ai toujours eu le plus profond respect. Je veux parler des Amérindiens, ces hommes venus de si loin que l’on a même perdu de vue les sentiers qu’ils fréquentèrent dès l’aube des jours nouveaux.

    Derrière eux, les layons s’étaient aussitôt refermés ; sans doute, dame nature l’avait-elle voulu ainsi, afin que nul autre peuple ne puisse suivre le chemin des hommes heureux.

    Certains d’entre eux s’étaient installés sur le plateau des Guyanes. Ils étaient les Arawaks, peuple tranquille et sédentaire, non violent, venu probablement des Antilles.

    Emboîtant leurs pas, vinrent les Caraïbes, descendus du bassin de l’Orénoque, tandis que les Wayanas, pêcheurs, s’établirent sur les rives du fleuve Maroni, de part et d’autre de l’embouchure. 

    Les Kalinas demeurèrent près de l’océan, le long de plages si belles que la mer venait y déverser ses vagues afin de bercer le bonheur des hommes.

    C’était il y a bien longtemps, environ dix mille ans avant l’ère chrétienne. Certains peuples premiers étaient des semi-nomades, pratiquant une agriculture sur brûlis. La pauvreté du sol de l’Amazonie ne date pas d’hier, arrosé et lessivé en permanence, s’épuisant rapidement dès l’instant où il est bousculé.

    Il n’est que l’humus recouvrant la surface du sol forestier qui permet aux arbres de s’élever, nous laissant croire qu’ils se tiennent par les ramures, bras dessus bras dessous, comme s’ils partaient en voyage, alors que les racines enchevêtrées maintiennent les géants verts dans la tourmente.

    Nos amis vivaient dans ce havre de paix en parfaite harmonie avec le monde qui les entourait et dont on pouvait prétendre qu’ils en étaient issus tant ils lui ressemblaient.

    Leur société était parfaite. Elle s’articulait autour du savoir du parlement des anciens, de celui des chamans, des sorciers et autres savants.

    Leur richesse première était la connaissance sans faille du milieu, à la feuille près, comme peut l’être le religieux de sa bible, à la virgule proche.

    L’observation du système dans lequel ils évoluaient, leur permis de découvrir jusqu’au moindre secret de dame nature, prenant garde de ne jamais rien détruire du trésor, qu’ils savaient être fragile.

    Nous ne sommes jamais obligés de dévaliser le magasin qui nous offre si généreusement ses produits indispensables à notre survie ! Ils prenaient donc, sans excès, pourvoyant seulement à leurs besoins immédiats. La pêche, la chasse et la cueillette se faisaient aussi parcimonieusement que si elle devait être la dernière.

    C’était l’époque où l’on ne parlait pas de survie, seulement de vivre l’instant, le jour, la saison ou les lunes. Ils connurent des siècles d’un bonheur intense, qui se voulait presque parfait, très proche de celui dont les individus de nos jours frôlent lorsqu’ils marchent leurs rêves. Les peuples premiers étaient si heureux, qu’ils ne songèrent même pas à inventer des mots pour décrire la béatitude.

    Ils estimaient que la vivre suffisait grandement à leurs émotions et qu’il n’était nul besoin de chercher des phrases pour exprimer ce qu’était le nirvana. Ils le possédaient ; mieux, il était en chacun d’eux !

    Jusqu’à ce triste matin où l’irréparable se produisit.

    Ce fut une aube que beaucoup auraient préféré qu’elle ne se levât jamais. Alors qu’elle aurait dû être enrichissante pour les uns et pour les autres, la rencontre des peuples venus du Nord fut un véritable désastre.

    Si les conquérants qualifiaient les pays nouvellement découverts de terres vierges, c’était bien la preuve que depuis la nuit des temps, les primohabitants n’avaient rien bousculé de l’ordre établi depuis toujours ! Après des siècles de quiétude, la fièvre s’était emparée de la forêt. Nous n’étions qu’au début du cauchemar. Du grand livre de la vie que représentait la cathédrale verte, chaque jour voyait la perte d’une nouvelle page. De la fécondation permanente de la vie, on en venait à la disparition de la mémoire. La lumière des esprits s’éteignit comme on le fait d’une chandelle, en pinçant la flamme entre deux doigts. Le bien enfanta alors du mal dans d’infinies douleurs.

    Peuples premiers ; aujourd’hui, peuples oubliés ; trouvez à travers ces modestes lignes toute mon amitié et mon respect. Je voudrais que vous sachiez que tout comme vous, je redoute le jour où pourrait se tourner la dernière page de votre fabuleuse histoire.

    Alors, en silence, je prie afin que l’irréparable ne se produise, et que l’un de vos éminents représentants s’empresse d’écrire un nouvel ouvrage à travers lequel vous pourrez enfin crier à la face du monde la vérité à longueur de lignes, cette réalité empreinte de sagesse que tant de peuples ignorent, errant à travers le monde à son éternelle recherche.

     

     

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    — Le jour qui se levait, s’il avait pu s’exprimer à voix haute, m’aurait sans aucune hésitation, dit qu’il serait plus long et plus triste que ceux déjà remisés dans la case à souvenirs. Il y a des signes qui ne trompent pas en ce qui concerne la vie des hommes, ainsi que tous les éléments qui gravitent autour de lui.

    Le premier message délivré fut cette aurore que l’on devina incertaine. Elle s’attardait plus que de raison de l’autre côté de la forêt, comme si elle avait de la difficulté à s’extirper des ramures emmêlées, peut-être même retenue par quelques épineux belliqueux et revanchards. Le soleil nous donnait l’impression d’être sans entrain, voir même déprimé, se demandant s’il parviendrait au milieu du jour à son zénith.

    Vaquant à mes occupations, peu pressé d’aller rejoindre les rizières, je m’attardais plus qu’il n’en fut besoin autour du zébu qui allait tirer la maigre charrue tout le jour durant.

    Était-ce l’intuition qui me commandait de tourner en rond encore une fois avant de partir rejoindre les miens qui avaient déjà dépoussiéré la piste de leurs pieds nus ?

    Je ne le sus pas et ne me posais pas la question, mais à l’instant où je me décidais, un homme essoufflé pénétra dans le village, demanda si j’étais bien celui à qui il devait remettre un message.

    L’un de mes parents venait d’être rattrapé par la maladie, et il réclamait ma présence avant qu’il parte pour le grand voyage.

    Il avait été plus qu’un parent pour moi qui m’étais retrouvé seul, à l’heure où dans la vie, les parents sont indispensables. Je ne refuserais donc pas un ultime regard de reconnaissance à celui qui m’avait tant appris avant que je décide de voler de mes propres ailes.

    Je réunis quelques effets dans un sac enfilé sur un bâton. Mon maigre balluchon représentant ma fortune sur l’épaule, sabre en main, je partis dans l’instant vers la côte.

    Je compris que le voyage serait long de plusieurs jours, par des pistes peu sûres et épuisantes. J’espérais sur les pensées en vers celui pour qui je nourrissais une grande reconnaissance, pour me donner du courage.

    N’avait-il pas lui aussi parcouru ces pistes incertaines avant de trouver l’âme sœur qui devint sa compagne pour toujours ?

    Il avait été l’exemple qui illuminait ma vie, éclairait mon chemin et à sa manière il s’était fait maître d’école pour m’enseigner la vie.

    Il m’avait tout appris, employant des mots simples. Il aimait à me rappeler que dans le monde qui nous entoure, rien n’est vraiment compliqué pour qui veut bien se donner la peine de regarder. Je l’entends encore me dire :

    — Approche-toi, petit, afin de mieux regarder les gestes qui donnent la vie à toutes choses. Je vieillis et je ne suis pas certain de connaître les mots justes pour expliquer. Regarde bien les mains, ce sont elles qui savent ce qui est bien !

    Ce que tu vois, tu dois le ranger précieusement dans la tête, jamais bien loin pour le jour où tu auras besoin de ressortir ta leçon, pour à ton tour, transformer la chose en un être vivant.

    Marchant en regardant plus souvent le sol que les cieux, je me souvenais des mots mesurés qu’il employait pour imager l’instant où je devais installer ma halte pour la nuit, à l’abri des grands arbres.

    J’imitais ses gestes pour écorcher le bois en minces copeaux qui ne tarderaient pas à se transformer en flammes dansantes. Elles allaient éclairer la nuit, réchauffant le repas frugal, et surtout, tiendraient éloignés tous les hôtes de la forêt, les curieux et les envieux.

    — Ton espace doit être propre et ta tête devra être à l’abri sous les palmes. On n’a jamais vu un corps trempé se donner la peine de rêver !

    — Je marchais donc, ajoutant des jours et des nuits à mon voyage.

    C’est au début de la soirée, en sortant de la forêt, que je vis, planté devant moi un établissement qui invitait à y faire une halte.

    Oh ! Il n’était pas de grand luxe, mais après des jours dans les bois, il était vraiment le bienvenu, même si le banc pour se reposer nous invitait à le faire rapidement tant il penchait dangereusement. Lui aussi était fatigué et avait hâte de retrouver des planches plus anciennes couchées sur le sol.

    Face à lui, la table n’attendait qu’un signe de son vis-à-vis pour rejoindre la terre sans doute gorgée de sauces débordantes d’assiettes bien remplies.

    Quant au sakafo (repas), il ne serait sans doute pas différent de ceux pris les jours précédents.

    Peu m’importe, mes pieds me commandaient de rester pour la nuit, mon ventre habitué aux rigueurs me fit comprendre qu’il ne s’y opposait pas et ma tête hocha tout seule quand elle s’éprit de la véritable construction.

    Je me rangeais donc à l’avis de mon corps et rentrais dérouler ma natte.

    Oubliés, les fatigues, les pieds écorchés et le ventre affamé. À peine allongé, le rêve me visita.

    J’y découvris des étoiles qui n’étaient pas celles de l’hôtel, mais le sourire des miens, laissés au village.

    Je compris que demain serait vite éveillé, car mon corps reposé, s’apprêtait déjà à écouter le vieil homme qui devait espérer me retrouver enfin à ses côtés.

     

     

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    La légende de la lumière


    — Dans notre coin de forêt, il se murmure une légende que l’on ne peut entendre que lorsque l’alizé suspend son souffle à la cime de l’angélique, afin d’y prendre un repos bien mérité. Il n’y a guère que les initiés qui peuvent surprendre les chuchotements qui se transmettent de rameau en rameau. Mais écoutons ces murmures que nous relatent les sages, dans l’intimité des ténèbres.

    — Alors que notre terre n’était que des poussières malmenées par les vents solaires, une nuit profonde régnait dans l’univers où les constellations se heurtaient, projetant les unes et les autres, toujours plus loin vers la périphérie de l’espace, dont nul érudit ne savait où il commençait et où il finissait.

    C’est le moment que choisit le créateur pour réunir les éléments les plus résistants pour les élever au rang de planète à part entière. Il y faisait sombre et froid. La nuit vint trouver celui qui avait tant de puissance et se lamenta auprès de lui afin qu’il éclaire cette surface nue sur laquelle se désolaient de ne pouvoir naître les premières graines tombées d’autres planètes.

    Conscient que l’œuvre réalisée n’était qu’à ses premières ébauches, il demanda aux vents célestes de la pousser hors de l’univers de la nuit. Il ne fallut guère de temps à la lumière pour devenir d’abord un rayon, puis, dans un ultime effort, il plaça le soleil dans l’axe de celle qui n’allait pas tarder à devenir la plus belle du système solaire : celle, que plus tard on nommerait « la planète bleue ».

    Après un repos bien mérité, le créateur comprit qu’il ne pouvait laisser un tel espace sans ornement. Les premières semailles terminées, suivirent les plantations et le partage de la surface en jardins merveilleux dans lesquels se firent entendre les premiers oiseaux.

    Contemplant longuement le travail accompli, le promoteur de tant de beauté se dit qu’il manquait dans ce décor un élément essentiel. À quoi pourrait bien servir la richesse si personne ne peut l’admirer ni même la partager ?

    Il créa la femme et la couvrit de fleurs délicates qu’il présenta à l’homme qui vint immédiatement après. Constatant que les deux nouveaux arrivants semblaient s’entendre, le créateur se dit qu’il pouvait se retirer, car la terre était maintenant entre de bonnes mains. Effectivement, ils vécurent heureux des années qui leur parurent une éternité, s’entourant d’une nombreuse famille.

    C’est alors que les choses commencèrent à se gâter. D’abord, ce fut la lassitude de l’environnement trop parfait qui les incommoda. Les disputes étaient fréquentes et ils décidèrent que le temps de se séparer était venu. Ils devaient aller plus loin, explorer les jardins et à leur tour inventer quelque chose de nouveau.

    Les uns créèrent les sentiments, mais ils ne leur suffisaient pas. Ils se réunirent donc et réfléchirent quelque temps. Hélas ! De ces réflexions naquit le malheur, qu’ils s’empressèrent d’aller distribuer aux quatre coins de ce qu’ils appelaient leur royaume.

    Pendant que les uns semaient les calamités, les autres donnèrent forme et vie à un sentiment beaucoup plus noble. Ils l’appelèrent le bonheur. Ils partirent rapidement par les chemins qui s’élargissaient sur leur passage, car il fallait sans tarder l’installer dans les cœurs des nouveaux occupants. Ce ne fut pas une mince affaire, car s’il est facile de répandre le désastre et la méchanceté, il est plus difficile de persuader les hommes d’accueillir la félicité.

    Il fallut du temps et de la patience pour convaincre ceux qui étaient devenus méfiants après le passage des semeurs de discordes. Chaque matin, il fallait les réunir sur le rivage de l’océan avant que le soleil vienne de ses rayons chasser les ténèbres et réchauffer les esprits.

    Depuis ce temps lointain, rien n’a vraiment changé. Nous devons sans cesse persuader ceux qui nous entourent que la lumière nous est indispensable. Elle seule pénètre au fond de nos cœurs et nous protège des mauvais esprits qui fomentent la terreur dans la noirceur des ténèbres.

    Aujourd’hui, c’est à nous que revient le privilège de faire lever le jour dans les cœurs de ceux chez qui elle tarde à paraître ou qui trouvent refuge dans l’ombre de la solitude, car si nous devons trouver des réponses à nos difficultés, c’est dans la lumière qu’elles résident, attendant notre venue. 

    Amazone. Solitude.  

     

     


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  • Quand le songe n'est point mensonge— Vous dirai-je mère, les rêves qui s’installent en mon esprit, à l’instant où dans la nuit tiède mes yeux se referment sur nos mornes journées ?

    Las de vous regarder vous épuiser du matin au soir pour nous offrir quelques menues choses dont les reliefs nous aident tout juste à survivre, chaque nuit, comme un désir qui ne demande qu’à vivre, le songe se fait de plus en plus insistant, comme s’il me pressait de grandir afin que je mette à exécution ses commandements. J’essaie de lui résister, mais sans cesse il me répète, tel un commandement, que je ne puis rester en ce pays qui perd son âme et que déjà, il me faut me mettre en chemin, quoi que puissent coûter les larmes qu’elles généreront. En mon esprit résonnent toujours les mêmes paroles : connais-tu un oiseau qui rejoigne le pays du bonheur sans donner un seul coup d’aile ? Chaque nuit, il en va des mêmes angoisses et finalement, je finis toujours par partir à l’heure où les ténèbres cernent encore notre case. Discrètement, je pousse le canot dans le fil de l’eau et me hisse en silence à son bord, décidé à partir vers le bonheur.

    Oh ! Rassurez-vous mère, pas dans l’espoir de le garder pour moi seul ; non, pour vous le ramener afin qu’un jour dans votre vie vous puissiez à votre tour en découvrir la saveur. Vous le méritez tant, vous, dont les autres membres de la famille ont abandonné dans les moments où vous aviez besoin de sentir leur présence à vos côtés ! Me retournant une dernière fois vers le village endormi, c’est alors que je vous vois soudain accourir. Sur la berge vous m’adressez de grands gestes et vous vous lamentez, me criant, que notre famille est maudite, puisqu’un autre de ses enfants la quitte sans espoir de retour, car des nouvelles de ceux qui m’ont précédé, vous n’en eûtes jamais.

    Cependant, vous aviez raison, lorsque vous leur disiez qu’il n’est aucun pays où le sourire remplace le soleil dès les brumes matinales dissoutes. Ils ne voulurent pas entendre raison et ils s’en sont allés vers ces contrées que ne fréquentent que les chimères et où les lendemains sont toujours incertains.  

    Alors, pour vous rassurer et ne pas ajouter à votre peine, je vous crie que je ne suis pas de ceux qui s’enfuient en tournant le dos à celle qui les avait nourris. Conscient de votre chagrin, j’essaie de vous convaincre en vous disant que j’allais pour vous, chercher un peu de réconfort, afin qu’il chasse de sous notre toit la misère qui tente chaque matin de nous jeter dans la brousse, à la merci des mauvais esprits.

    Pour vous consoler, je vous disais encore qu’aux abords de notre savane, nous n’avions encore jamais vu un arbre ne gardant pas auprès de lui une seule de ses nombreuses graines. Germant puis grandissant, elle sera sa garantie pour le remplacer lorsqu’il déciderait de s’en aller.

    Je vous disais, alors que la pirogue avait pris le courant, que chaque village me voyant passer, me prêterait ses berges pour m’y amarrer, et que j’y trouverais toujours la case pour l’homme de passage avec en bonne place la calebasse remplie de millet ou de manioc. C’est qu’au long des fleuves qui arrosent notre pays, la solidarité et la générosité n’ont jamais disparu et qu’il s’y trouve toujours des âmes pour aider le voyageur et montrer le meilleur chemin aux audacieux aventuriers.  

    Mon voyage, vous dis-je encore, fera de moi un homme, celui qui dès son retour sera les bras sur lesquels vous pourrez vous reposer. À votre place, ils retourneront la terre avant de l’ensemencer en gardant un œil sur le troupeau pâturant dans la savane. À peine serai-je revenu qu’autour de notre village et de notre amour retrouvé, j’élèverai des haies si hautes que plus aucun membre de nos familles n’osera les franchir.  

    Mais ce n’est pas tout. Écoutez plutôt mère : à mon bras s’accrochera celle que j’aurai choisie pour compagne. Je devine déjà votre étonnement quand vous découvrirez qu’elle vous ressemble, car c’est ainsi que je la désire. Belle, aimante et forte, avec des yeux qui ressemblent à des caresses dans lesquels ne s’attardent jamais le brouillard des larmes autres que celles de la joie.

    Voilà, mère, le songe qui hante mes nuits et rôde autour de mes journées.  

    C’est vrai ; je suis sans aucun doute bien jeune encore pour habiter ce rêve à l’instant qu’il choisira pour devenir réalité ; mais pareil à la graine de l’arbre, voici que les pensées grandissent en mon esprit où l’aventure réclame à vivre. Je sais qu’un jour, sur les branches devenues hautes et fortes, je finirai par grimper pour de là-haut, m’envoler vers l’inconnue.

    Mais ne soyez pas triste mère ; en mes rêves, vous dis-je, j’ai aussi vu mon retour ; il sera comme je vous le confie, car il n’est pas de songe qui insiste tant pour vivre, qui saurait être mensonge.

       

     

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  • — Nous voici donc à la fin d’une époque que beaucoup d’entre nous aimeraient qu’elle ne nous quittât jamais. Il aura fallu si longtemps pour poser le pied dans cette saison, tant d’espoir et de rêves, mais aussi tant de sacrifices !

    Il est juste que dans les esprits les vacances soient forcément synonymes de soleil, de douceur et d’abandon.

    Alors pour nous punir d’avoir de telles pensées, souvent le temps n’en fait qu’à sa tête, histoire de dresser sur notre route des obstacles en cascades.

    C’est que ce mois, qui en fait, au regard du temps se résume à quelques jours seulement, nous aimerions tant qu’ils s’écoulent dans une ambiance qui ressemblerait à celle que l’on doit rencontrer sur d’autres planètes !

    Comme nulle autre personne que nous-mêmes ne détient notre destin entre ses mains, nous décidons longtemps avant le jour fatal de la longueur du chemin à parcourir qui nous permettra d’abandonner pour un temps notre personnalité, que nous jugeons parfois trop conciliante avec les évènements ou les vicissitudes de l’existence.  

    Non pas que nous ayons besoin de suivre une thérapie qui nous préparerait à retrouver le personnage qui est en nous et qui prend trop souvent l’habitude de se faire discret ; cependant, on devrait nous obliger de suspendre à un vieux clou, l’enveloppe qui nous isole faisant mine de nous protéger de la vie trépidante, alors que sournoisement, elle nous mêle à ses tourments.  

    Il nous sera facile de nous rendre compte du changement, à l’instant même où nous allons rencontrer des inconnus avec lesquels nous allons nous lier d’amitié, alors qu’en d’autres temps, pris dans la spirale de l’existence, nous ignorons ceux qui nous entourent et qui parfois sont si proches qu’il nous suffirait de tendre la main pour les effleurer.  

    Mais il en va ainsi de l’esprit lorsqu’il est libre, qu’il se tient à la disposition de notre cœur enfin libéré. Les paysages sont soudain aussi beaux que ceux offerts sur les cartes postales, la mer est d’un bleu qui la fait confondre avec le ciel et le sable fin est plus doux à nos pieds. Nous ne voyons pas seulement les gens, mais nous les entendons s’exclamer joyeusement même pour de petits riens que nous trouverions futiles en d’autres circonstances. Nous aimons croiser les regards qui scintillent du même éclat que celui qui retrouve soudain la couleur du jour, après en avoir été privé trop longtemps.

     

    Il nous arrive parfois de succomber au charme des yeux qui nous invitent à nous plonger dans leur profondeur, à la découverte d’une merveilleuse histoire.

    Qu’une main vienne à frôler la nôtre, que de longs frissons s’emparent de nous, nous invitant à la serrer et à la suivre pour une aventure qui se dessine d’un pas à l’autre, sans qu’il ne soit besoin d’en tracer les lignes ni les contours.

    La montagne est si belle en cette saison, qu’il est difficile de résister à son appel. Nous mêlant aux troupeaux pâturant paisiblement sur les estives, nous avons alors l’impression d’être au cœur d’un extraordinaire concert où s’unissent les sons des différentes cloches tintant au cou des bestiaux qui prêtent leurs mélodies au vent, qui les emporte dans la vallée après que les montagnes les aient répétés en d’infinis échos ressemblants à l’avènement du renouveau.

    Dans le courant de la vie ordinaire, à ceux qui sont proches de nous, bien souvent nous tenons nos peines secrètes afin de ne pas ajouter aux leurs, alors que dans l’enchantement de la liberté retrouvée, les confidences des états d’âme ne tardent pas à s’échanger avec ceux que l’on aurait qualifiés d’étrangers en d’autres occasions.  

    Le temps des vacances est donc bien celui des miracles. La parole est libre ; le sourire prend l’habitude de rester accroché sur les visages d’où les marques soulignant les soucis se font discrètes avant de disparaître complètement.

    C’est le temps où les interdits sont repoussés si loin qu’ils s’égarent dans les gouffres et les ravins. Les corps libérés s’essaient à des amours interdits en d’autres circonstances et les promesses de toutes sortes s’enchaînent les unes après les autres.

    La vie nous fait signe qu’elle ne connait aucun répit en nous montrant ostensiblement le chemin du retour.

    Les nuits s’allongent et fraîchissent et le ciel qui ne veut pas être en reste se charge de nuages aussi gris que l’horizon qui semble nous faire des signes. Les sourires s’effacent, les yeux s’humidifient alors que les souvenirs se bousculent pour occuper les meilleures places en nos pensées.

    Les dernières étreintes marquent des traces sur les corps et les esprits, tandis que les calepins se remplissent d’adresses nouvelles en même temps que des photos changent d’albums. Afin de ne rien oublier de chaque instant de bonheur volé au destin, on se recueille une ultime journée dans l’antre de la douceur ; on se regarde sans dire un mot et les gestes d’adieu sont moins enthousiastes que ceux qui nous souhaitaient la bienvenue.

    L’été s’enfuit même si dans son grand sablier il lui reste encore de beaux jours à vivre. C’est sans doute sa façon de nous montrer qu’il ne fut pas indifférent à nos émotions et qu’il met tout en œuvre pour que ne disparaisse pas trop vite la saison qui rend les cœurs joyeux.

     

     

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