• — Nos « terres lointaines » se rejoignent en ce jour, pour nous faire comprendre que la vie est ainsi faite, qu’elle nous reprend aujourd’hui ce qu’elle nous avait offert hier. Elle se complaît souvent à le faire avec une certaine ingratitude. Pour ajouter à notre souffrance, elle ne se contente pas d’un ciel de circonstance, gris et si bas qu’il semble se poser sur le monde pour en étouffer les plaintes.

    Pour nous soumettre à l’épreuve du chagrin, elle attend que le soleil soit confortablement et durablement installé au-dessus du chemin de notre destinée, dans notre demeure et aussi dans nos cœurs.

    C’est alors qu’elle frappe à notre porte pour nous annoncer le départ d’un être cher. Elle se fait encore plus cruelle quand elle nous ravit celui qui compta tant tout au long de votre existence, je veux dire, le compagnon d’une longue, très longue vie. En effet, cinquante-six ans représentent sans doute le plus beau chemin que deux êtres peuvent parcourir ensemble.  

    Nous ne pouvons oublier celui qui ne fut pas seulement un mari. Il était ton double, qui, lorsque vous marchiez côte à côte, dessinait sur le sol devant vous une même ombre. Le premier sentier que vous ouvrîtes se transforma bientôt en une route merveilleuse, sur laquelle votre futur chemina sans relâche, transportant tour à tour, les éléments nécessaires à la construction de votre existence, afin que vous demeuriez unis dans les épreuves que la vie vous réservait, mais aussi les rumeurs de l’environnement qui vous attendait, ainsi que les esquisses de vos personnalités qui doucement s’installaient en vous.  

    Le temps passa et celui où la maison résonna des cris d’enfants arriva.  

    Qu’elle fût belle, cette époque, qui ressemblait alors à un printemps qui ne se lassait jamais de revenir !

    Chère amie ; voilà que le chemin sur lequel tes pas vous conduisirent ne semble pas las d’être sinueux. Il est vrai que parfois nous avons le sentiment qu’il monte de plus en plus, puis, soudain, descend au-delà d’une limite raisonnable, offrant un jour la joie, le lendemain déposant le chagrin sur le seuil de la maison, réservant pour les heures lointaines les belles promesses.  

    Alors que nous pensions la douceur installée au sein de notre demeure comme dans nos cœurs, c’est l’instant que choisit le destin pour nous enlever celui que tu as tant aimé. Dans ces instants cruels, nous avons quelques fois des doutes sur notre foi. Ne serait-elle pas en train de s’éroder pour laisser place à la douleur qui s’installe en nous ? Nous sommes à deux doigts de baisser les bras et laisser le chagrin nous envahir.  

    Mais je te sais suffisamment forte pour continuer la route alors que ton mari vient de lâcher ta main. J’imagine le vide énorme que cela doit produire, de sentir désormais cette main orpheline.

    Pour un temps, la lumière qui vous guidait sur votre voie royale va s’estomper légèrement, mais afin qu’elle ne s’éteigne pas, nous te proposons de l’éclairer à l’aide de notre amitié.

    Cette main, dis-je, qui va te manquer, nous te tendons les nôtres, ma chère Nicole. Nous savons qu’elles ne remplaceront pas celle d’antan, et nous n’en aurons jamais la prétention. Elles seront là seulement les jours où tu viendrais à douter et te soutenir. Mais quand le besoin s’en fera ressentir, de temps en temps tu pourras poser la tête sur notre épaule. Tu pourras même y laisser couler autant de larmes qui trouveront refuge auprès de nos sentiments cordiaux. Nous sommes conscients qu’elles ne seront pas destinées à effacer le passé, seulement à le mettre en valeur dans les moments douloureux.  

    Ma bien chère amie ; nous savons que nos mots sont peu de choses en regard de ta peine. Ils sont sans prétention et ne doivent servir qu’à alléger ton tourment à l’instant où celui que tu aimais se présente sur le chemin de l’éternel.

    Il n’est sans doute pas innocent que nos routes se soient croisées. C’est pour permettre aux regards de ne pas se détourner en toutes circonstances, et aux larmes des uns d’être aussi les nôtres. Par delà toute douleur, il y a l’espoir ; tu le trouveras dans nos yeux ainsi que dans notre amitié.

    Parce que la vie ignore nos états d’âme, le long de la route qui s’ouvre devant toi, tu découvriras aussi nos sourires discrets et les sentiments de nos cœurs, car nous n’avons qu’eux pour consoler ta peine.

    Reçois ma chère Nicole, ainsi que ta famille, notre profonde et sincère amitié attristée.

     

    Amazone. Solitude.

     

     

     


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  • — Le monde est ainsi fait qu’une vie ne soit jamais suffisante pour en déchiffrer les messages qu’elle affiche parfois ou qu’elle tient secrets en d’autres occasions. Une existence, dis-je, car nous n’aurons pas assez de temps pour saisir toutes les subtilités des hommes, les caractères et les habitudes des animaux et surtout comprendre les signes que nous font les végétaux au sein d’une nature généreuse et dispensatrice de bienfaits.

    Sans doute l’abandonnerons-nous alors que nous ignorerons toujours combien de feuilles offrent le plus beau chêne au vent pour y créer sa musique et comment font les oiseaux pour reconnaître la route qui conduit vers le soleil ni par quelle subtilité fait le saumon pour savoir qu’un jour il fut déposé dans l’intimité des eaux d’une rivière ?   Ce que je retiendrai de mon passage sur la terre, c’est qu’il m’aura fallu du temps pour remarquer combien l’existence aime à nous offrir ses images insolites. Il en est de dissimulées à chaque détour des chemins, dans chaque matin, même s’il se tient caché dans la brume jusqu’à des heures tardives. Certaines de ces images nous impressionneront ou nous serons indifférentes, mais nous n’oublierons jamais le regard et l’allure de celui à qui il faut tout et qui n’est jamais vraiment satisfait malgré l’abondance des biens.

    N’avez-vous jamais croisé cet autre personnage qui voudrait avaler le monde sans partager la moindre bouchée même si des signes d’indisposition se font ressentir au-dessus de son assiette ? Plutôt mourir que donner, est-il inscrit au fond de ses yeux, que nous découvrir si nous prenons le temps de poser notre regard dans le sien.

    Pourtant, il est patent que pour être vraiment heureux, l’expérience nous apprend chaque jour que peu de choses suffisent pour nous faire toucher du doigt cette petite chose discrète qui se nomme le bonheur. Mais il existe hélas ! des personnages malicieux. Ils ne sont pas forcément les plus grands, mais sans aucun doute, les plus audacieux. De tous les combats qu’ils livreront au long de leur existence, ils en sortiront toujours les seuls vainqueurs.

    Ils ont pour devise « qui ose gagne » 

    Il est vrai que lorsque la cruauté s’invite quelque part, il est rare qu’elle reparte les mains vides. D’aucuns prétendent que ce sont le plus souvent les gros qui mangent les plus petits en raison d’un appétit jamais satisfait. Je n’en suis pas si sûr. Leur aspect, à travers notre naïveté, nous les fait apparaître comme appartenant à la classe des géants. Mais en regardant de plus près, nous nous apercevons qu’ils ne sont que des hommes ordinaires comparés au gigantisme des petits monstres qui sont nés le jour de la sainte malice. Ils connaissent toutes nos faiblesses comme si elles avaient été conçues pour qu’ils les remarquent. Il est inutile que nous leur adressions la parole.

    Ils savent aussi lire en nos pensées. Ils nous devinent vulnérables, parce que nous sommes tolérants à cause de la position de notre cœur qui réside dans le creux de notre main et toujours en première ligne pour venir au secours des plus démunis.

    À l’instant où ils prennent le temps de nous observer, nous sommes déjà perdus.

    Le petit l’emportera sur le grand, car il comprend que ce dernier ne sait que faire de sa taille.

    C’est alors que le vice sortira vainqueur de la vertu.

    Pour cette raison, il serait sage de notre part d’apprendre à nos enfants et le plus tôt possible qu’ils doivent être forts pour affronter la vie qui les attend.

    Oh ! Attention, pas pour conquérir à tout prix le monde et le vaincre sans gloire ; seulement pour lutter contre eux-mêmes et faire obstacle aux convoitises des plus envieux. Il nous appartient dès leur plus jeune âge de leur enseigner les méthodes qui les mettront à l’abri des tentations.

    Apprenons-leur à ne pas tomber dans les griffes toujours affûtées des oiseaux de proie, et éviter de succomber à leurs charmes et à leurs discours.

    Si nous ne voulons pas que les chacals et les hyènes s’invitent à notre table, contentons-nous de repas frugaux desquels aucun relief ne saurait se perdre.

    Nous sommes instruits d’ores déjà que les victoires ne sont pas toujours le fait de la puissance, mais bien celle de la ruse et de la stratégie.

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  • — Quand je regarde défiler à longueur de journée les gens qui se pressent à travers les villes, il m’arrive d’imaginer qu’il y a autant de caractères qu’il existe d’individus. Chacun va son chemin, avec sur ses épaules le poids du temps. Pour certains, il est léger, pour d’autres il est infiniment lourd et parfois douloureux.

    Qu’aucun d’entre nous ne se ressemble, c’est normal.

    La nature l’a voulu ainsi afin que l’uniformité n’engendre pas la tristesse ni l’ennui, mais que du plus grand nombre, rayonne la richesse. Quand on a eu le privilège de vivre suffisamment longtemps pour nous permettre de nous arrêter de temps à autre faire le bilan, il arrive que nous soyons surpris par les découvertes qui émanent de la personnalité de quelques-uns de nos amis.  

    Je mets en garde ceux qui imagineraient que je critique une attitude ou un comportement. Loin de moi, de telles pensées ! J’observe seulement, comme tout un chacun pourrait le faire de moi et en tirer les conclusions qui s’imposeraient. Pour oser émettre un avis, faudrait-il soi-même être sans reproche, un homme parfait en somme ! 

    Mais si le mot existe bien, celui qui pourrait se glisser dans son habit n’est pas encore né et cela est plutôt rassurant.   Parmi tous ces gens déambulant dans la vie, il y en avait un qui était au nombre de mes amis. À bien le regarder, rien ne le différenciait des autres passants.

    Il avait une existence sereine, n’empiétait jamais sur les plates-bandes de ses voisins et ne comptait autour de lui que des connaissances dont il avait su se faire apprécier. Un jour, il vint à ma rencontre avec un regard grave, à la limite de la douleur.  

    — Serais-tu malade, que tu affiches un air de mauvais jour, lui demandai-je ?  

    — Pas du tout, me répondit-il. Je voudrais simplement te poser une question. Connais-tu la façon dont je pourrais user pour m’éloigner de cette ville qui m’étouffe ? Je n’y suis plus à l’aise ; les jours semblent filer plus vite entre les murs gris et auprès des tentations et les mille lieux de perdition !  

    – Je le conduisis donc à la campagne où il passa une journée qui ressemblait à une convalescence d’après une longue maladie. La nuit venait juste de tomber lorsqu’il devint du même coup propriétaire et surtout, mon voisin. Oh ! Ce n’était pas par vocation, bien sûr, mais au fond de lui, il avait ressenti le besoin d’aller fouiller la terre à la recherche de ses propres racines. J’ignorais s’il les avait trouvées, étant un homme discret, mais ce dont j’étais certain, c’est qu’il avait découvert le bonheur. Comme tous les gens heureux, il parlait peu, estimant que dans notre belle langue il y avait beaucoup de mots inutiles.

    Il traversait les jours sans leur poser de questions embarrassantes. Il lui importait peu de savoir de quel pays du monde ils arrivaient à l’heure du pipirit chantant. Il n’ignorait pas que c’était l’instant que l’aube avait choisi pour s’annoncer en installant un trait discret sur l’horizon et qu’à sa suite, les perroquets mèneraient un grand tapage pour décider du lieu de nourrissage où ils passeraient la journée. Il devinait aussi que le soleil finirait de prendre ses aises sur les berges du fleuve et qu’il ne tarderait plus à flirter avec la cime des ébènes et des angéliques. À partir de ce constat, mon ami se faisait grognon. Il trouvait l’astre luisant toujours trop pressé d’aller rejoindre son apogée.

    – Le ciel est immense, se lamentait-il. Pourquoi ne se contente-t-il pas d’en faire le tour plutôt que de le couper en deux ?  

    Des jours qui se succédaient, il ignorait s’ils avaient une histoire ou si nous pouvions leur confier la nôtre. Il savait de l’existence qu’il lui fallait en profiter le plus longtemps possible et il aimait en silence les ciels équatoriaux qui sont changeants et imprévisibles.

    Mon ami était philosophe.   Il prétendait que le bruit de l’herbe poussant sous sa fenêtre ne dérangeait pas son sommeil ! Il était l’homme le plus heureux, car depuis toujours il avait compris que les jours remplissaient son bien-être comme le grain de riz le fait du sac.  

    Quel que soit le personnage que nous rencontrons, nous avons le devoir de ne pas lui imposer nos propres idées, mais au contraire de respecter les siennes.

    Comme lui, je suis convaincu que l’herbe pousse en silence et que seules les fleurs s’épanouissant dans la prairie le font dans la joie que procure l’explosion des corolles auxquelles s’accrochent les pétales multicolores qui donnent un sens à notre vie.

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  • — Trop souvent, autour de nous nous entendons parler d’égalité. Mais ce mot n’aurait-il pas été inventé uniquement pour mettre les consciences en paix ? Une sorte de posture faisant détourner nos regards des choses essentielles ? Je ne blâme personne, rassurez-vous. J’ai le privilège d’appartenir à cette génération qui a fait sa part sans que personne se soit posé la question de l’âge à partir duquel nous pouvions faire telle chose ou telle autre. Seulement, depuis ce temps, des voix se sont élevées alors que dans de nombreux pays les enfants continuent de travailler sans que cela pose réellement de problème aux consciences des bien-pensants. Mais il arrive aussi que parfois, le mal attire à lui le bien. Ne nous voilons pas la face. Dans certaines campagnes ou dans les zones reculées, l’école n’est pas toujours présente non plus.

    Les tâches de l’enfant revêtent alors une tout autre signification.

    De la classe traditionnelle, voilà qu’elle se transforme en école de la vie, celle dont ils auraient été de toute façon intimement liés après les quelques années passées à user des fonds de culotte sur des bancs disjoints. Cependant, il n’en reste pas moins qu’il est toujours désolant de voir les plus jeunes effectuer des travaux réservés aux adultes. Alors, fixant cette image, soudain, j’entends la demoiselle m’interpeller.

    — Je sais, me dit-elle en s’excusant presque de ne pouvoir faire monter plus haut le pilon qui en retombant écrase et réduit les grains de millet en farine ; à notre âge, nous pourrions tout aussi bien consacrer notre temps à des jeux d’enfants. Nous pourrions bercer des poupées pleureuses afin de les consoler de souffrances imaginaires ou leur conter l’histoire à laquelle notre peuple est intimement lié, et qui ne nous a jamais oubliés. Seulement, voilà ; nous sommes peut-être encore bien jeunes, mais tout comme vous, nous savons que les poupées n’aiment pas les légendes des grandes personnes. Elles aussi ont besoin d’une part de rêves et chez nous, hélas ! Il n’y a guère de temps et de place pour eux. Je crois même qu’elles n’apprécieraient pas celles que nous pourrions leur raconter, car elles les connaissent déjà. Elles ne pourraient être que celles dont nous sommes les acteurs au quotidien.

    C’est que nos jeux sont devenus beaucoup trop tôt les mêmes que les adultes avec lesquels nous partageons la vie en communauté. Nos chérubins, ne sont pas ceux que l’on rencontre dans d’autres villes et villages, blottis dans les bras protecteurs d’enfants oubliant volontairement de grandir. Les nôtres, ils sont bien réels, faits comme nous, de chair et de sang. Ils savent rire ou pleurer ; ils courent ou marchent d’un pas mal assuré ; ils sont nos frères et sœurs les plus jeunes, apprentis malgré eux, d’une existence qui est notre horizon le plus proche.

    Ils sont les plus heureux, car ils connaissent le bonheur d’avoir une seconde maman qui peut comprendre leurs ressentis, puisqu’à peine plus âgée qu’eux.

    Je tiens à vous rassurer. Nous ne nous plaignions pas de notre condition, puisque nous n’en savons pas de plus agréable. Je vais vous faire une confidence qui vous aidera à mieux saisir notre état d’esprit : les anciens disaient que c’est à travers les larmes que l’on voit la vie se construire autour de nous et l’enfant s’épanouir. C’est donc pour les économiser que nous grandissons un peu plus vite, voilà tout.

    Je crois qu’il n’y a que chez les gens qui sont à la recherche du bonheur que la tristesse ou la mélancolie s’installe, car ils ont le temps de la nourrir.

    Chez nous, nous n’avons pas le loisir de laisser vagabonder notre esprit. Nos secrets innocents sont incrustés dans le bois du mortier.

    De temps en temps, le pilon remonte quelques souvenirs emprisonnés dans la souffrance du grain quand il devient farine, mais bien vite ils retombent dans le fond du mortier où ils disparaissent rapidement. S’il nous arrive d’être amers, nous demandons au fouloir le soin de s’exprimer à notre place. De toute façon, n’est-ce pas aux autres que nous faisons toujours payer nos infortunes passagères ? Vous le constatez, sans même ne les avoir jamais appris, voilà que nous avons les mêmes réflexes ! Ne vous laissez pas envahir par les émotions. Chez nous, rien ne saurait être contraignant puisque chaque instant est une histoire qui nourrit la vie en même temps que la nôtre.

    Notre malheur viendra le jour où il n’y aura plus rien à fouler dans le mortier, mais nous ne pouvons imaginer qu’il n’y ait plus un seul grain qui sera réduit en poudre au rythme des chants des femmes du village. Notre existence ignore les tracas du profit, favorisant ainsi le partage avec ceux dont les bras sont devenus trop faibles ou trop vieux. Ils nous ont tant appris qu’il nous revient alors le privilège de les nourrir à notre tour.

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  • — Vous ne devez pas être surpris quand je dis qu’une grande partie de mon temps je le consacre à mon amie la nature. Comment pourrais-je ne pas lui accorder toute mon attention, elle qui m’aura procuré tant de bonheur ?

    Alors, comme certains vont sur les marchés, les vide-greniers ou les expositions, à la première occasion je file sous la forêt à la recherche de la chose devant laquelle je ne me serai pas arrêté, ou telle autre qui m’aurait échappée. Au contraire de ce que nous faisons sur les étals et les lieux où s’expliquent l’existence et l’histoire des hommes, je n’achète rien. Souvent, j’éprouve même de la difficulté à effleurer une plantule qui s’efforce de gagner la lumière, tant mon respect est grand envers ces choses de la vie qui luttent pour parfois, ne profiter que de quelques heures d’une existence dont le destin est si court qu’il n’est gravé sur aucun parchemin.

    Il nous appartient alors d’en découvrir le sens et aussi d’imaginer leur vie, qui, bien qu’intense se résume à quelques heures, quelques jours ou quelques mois.

    Toujours est-il que je ne reviens jamais déçu d’une ballade sous la forêt. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il s’y passe toujours quelque chose de nouveau et j’ai même le sentiment que parfois il arrive qu’une fleur éclose devant mes yeux ébahis, comme si elle avait attendu ma venue, afin que je puisse prouver au monde qu’elle existe bien et qu’elle est merveilleuse.

    Il y en a de si délicates et de si rayonnantes, que parfois il me vient l’envie de les nommer les sourires de la forêt.

    Au cours de l’une de mes nombreuses escapades, au détour d’un layon que je rafraîchissais en gravissant une colline, un bruit qui ne m’était pas familier en cet endroit attira mon attention. Cela ressemblait à une espèce de gargouillis dans lequel se mêlait un désir de vivre si puissant, qu’il en laissait échapper une intense souffrance de ne pouvoir y parvenir.

    Soudain, la chose fut là, sous mes yeux ! Un filet d’eau suintait d’un éboulis relatif à un chablis et encombrant un maigre boyau.

    Je m’appliquais à dégager la terre et les déchets végétaux et fis une cuvette pour que le précieux liquide retrouve un peu de sérénité avant de dévaler la colline. Je fus ravi d’assister à la naissance d’une nouvelle crique. Pour ne pas déroger à la règle, elle se fit dans la douleur, car c’est semble-t-il la meilleure façon d’apprécier la vie qui va l’ensoleiller l’instant d’après. Devenue claire, je me penchais sur l’eau offerte. Elle était limpide et heureuse d’avoir trouvé la lumière.

    Lorsque je découvris mon visage en son onde, j’ai cru que c’était elle qui me souriait. Recueillant un peu du précieux liquide dans le creux de la main, j’eus d’abord la sensation que mes doigts recevaient une caresse, quelque chose d’aussi doux qu’un baiser. Sans plus tarder, je portais l’eau à mes lèvres qui ne purent se retenir de lui rendre son offrande avant d’en aspirer une gorgée. Elle était délicieusement fraîche dans la moiteur qui plombait la forêt.

    Désaltéré, je me dis qu’une crique qui naît sur le flanc d’un coteau n’est pas qu’un simple filet d’eau transparent. Je pensais immédiatement que c’était, réunie en une même fontaine, la vie à laquelle sont associées l’âme du ciel et celle de la Terre.

    Du firmament, car il détient la clef des songes que les hommes lui confient ainsi que les sourires des anges puisque c’est auprès d’eux qu’elle recueille la pluie qu’elle déverse sur nous. Traversant le sol qui lui prête son intimité, elle en devine ses richesses et ses secrets avant de les réunir dans les entrailles de la planète.

    Un jour, remontant vers la surface, elle prélève encore ce que la Terre sait faire de mieux ; la vie, pour la mettre à notre disposition. Si elle paraît translucide en gagnant l’air libre, c’est que le ciel comme la Terre n’abritent aucun être maléfique. L’âme de l’infini est pure, celle de notre planète est innocente et besogneuse. Quand il y a un mauvais esprit, c’est à la surface de notre monde qu’il réside. Il se nomme : l’homme, qui se montre bien ingrat des offrandes de la nature ! Il me semble, que si les humains avaient eu vraiment soif un seul jour dans leur vie, s’ils avaient su ressentir la douceur de l’eau caressant les doigts et courant sur la peau de leurs corps offerts après un long et pénible voyage, nul doute qu’aujourd’hui ils prendraient plus de soin du précieux liquide. Il ne fut pas un dû, mais le premier miroir dans lequel ils se découvrirent avant de s’y abreuver.

    C’est seulement quand son prix dépassera celui de l’or noir que l’homme prendra conscience qu’il ne sut pas préserver la richesse qui lui apportait tant de bien-être en même temps que la vie.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     

     


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