• Suite et fin.

     

    Sans précipiter les évènements ni provoquer de brusqueries inutiles, le soir nous nous séparions sur quelques mots et autant de caresses, jusqu’au jour où elle décida de m’accompagner. Oh ! Ce ne fut pas sans d’interminables discours, ni invitations préalables ; croyez-moi ! Mais en son esprit, elle a compris qu’en me suivant, elle bénéficierait plus longtemps de ma présence. À ce petit jeu, sans doute conclut-elle qu’elle avait plus à gagner qu’à perdre. Nous avions encore fortifié notre amitié !

    Ce soir-là, je fus heureux de l’avoir à mes côtés, et je ne tarissais pas d’éloges à son égard, afin qu’elle sache qu’elle avait fait le bon choix. Nous marchions côte à côte, l’un calquant son pas sur celui de l’autre. Quand je lui adressais la parole, elle relevait la tête et me faisait comprendre que si elle en éprouvait du plaisir, l’heure n’était pas encore à une entente parfaite ; le sens de certaines réflexions et intentions lui échappant toujours.

    Elle m’accompagnait ainsi environ deux kilomètres. Notre collaboration prenait fin à l’instant où nous arrivions à une voie ferrée qui séparait le massif forestier tel un coup de sabre géant. Elle s’asseyait et me regardait partir avant de retourner auprès de la souche devenue son repère.

    Vous imaginez bien que je ne cessais de me poser des questions quant à la raison qui faisait qu’elle refusait de franchir le passage à niveau. J’essayais calmement de la persuader, mais rien ne la faisait se décider. Je faisais même plusieurs allers et retours pour lui assurer que les lieux ne cachaient aucun piège, mais toujours sans succès.

    Afin de me montrer qu’elle ne céderait à aucun de mes chantages ni de mes démonstrations ridicules, elle refusait même les friandises que je lui offrais à cet endroit qu’elle semblait redouter, voir maudire.

    Plusieurs jours passèrent sans que rien la convainque à me suivre au-delà la ligne de chemin de fer. Pourtant, nos relations s’étaient renforcées et elle en était arrivée à me faire la fête lorsque je la retrouvais au petit matin. Il arriva même que ce fût elle qui vint à ma rencontre comme pour me signifier que j’étais en retard, ou que nos relations avaient gravi un échelon supplémentaire. Serait-il le dernier ? La questionnais-je, en prenant un air si convaincant qu’elle me sauta au visage ?

    Lui manquais-je donc me demandais-je soudain, non sans une certaine arrière-pensée ? Serait-ce que le jour que j’attendais avec impatience se rapprochait ?

    Erreur de jugement. Nous nous quittions toujours au même endroit. Un soir, lassé par ce manège et son comportement, devant les rails je la pris dans mes bras. Elle ne les refusa pas ni ne fit mine de vouloir sauter. Nous traversâmes la voie et je la déposais de l’autre côté. Je me demandais quelle serait alors son attitude.

    J’en fus pour mes frais.

    Elle resta sagement assise. Je la récompensais avec une friandise et après l’avoir flattée une fois encore, nous prîmes la direction de la maison où elle fut accueillie comme une princesse. Lorsque nous pénétrâmes dans la cour de la ferme, à son allure, je compris qu’elle connaissait déjà mes compagnons de vie, car chaque matin elle passait un long moment à décrypter les informations sur et dans mon sac à dos, afin d’y déceler tous les indices indispensables à l’idée qu’elle se faisait de notre famille. La première soirée se déroula sans anicroche, et elle ne me quittait pas des yeux.

    J’avais hâte de retrouver le lendemain à l’heure où nous devions traverser à nouveau les rails.

    Je fus déçu, car on pouvait croire qu’elle avait franchi ce lieu depuis toujours. Tout juste si elle flaira quelques empreintes anciennes, comme pour confirmer que le chemin fut le bon. Je compris alors qu’elle venait de surmonter sa crainte née sans doute à la suite d’un drame. Était-ce sur ce passage à niveau qu’elle fut jetée du train, pensai-je, ou y fut-elle simplement heurtée par la locomotive ? Il m’appartenait d’essayer de le découvrir, mais nos conversations étaient cependant très limitées. Il faut reconnaître que nous échangions davantage avec les gestes et les yeux qu’avec les lèvres, surtout en ce qui la concernait. Mais le pli fut pris, et elle adopta la maison, et m’attendait au bout du chemin, lorsque les chantiers m’éloignaient d’elle.

    Elle nous fut fidèle et probablement reconnaissante de l’avoir tirée de sa solitude. Dans la mesure du possible, elle m’accompagnait partout, et nous étonnait toujours, jusqu’au soir où une maladie mit fin à une si belle histoire.

    J’en déduisis que ceux qui souffrent n’ont sans doute pas droit à la même quantité de bonheur. Mais au moins, durant quelques années fut-elle heureuse, elle qui devait ne plus y croire, jusqu’à notre rencontre.

    Nous fûmes très affectés par sa mort, car nous avons compris qu’il suffit d’un instant pour faire disparaître un attachement qui s’était construit sur une acceptation mutuelle. L’un n’avait rien apporté de plus que l’autre. Les sentiments avaient été partagés en parfaite équité. Au jeu de l’amitié, sans nul doute, notre princesse fut celle qui donna toujours plus qu’elle reçut.

    Mais c’est elle qui avait fixé les règles et nous nous y étions docilement pliés ; jusqu’à l’instant, où elle rejoignit le paradis des animaux, emportant avec elle ses secrets, mais sans nul doute aussi, une part de vie qui lui avait enfin souri.

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                                                                         FIN 


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  •  

     

    — L’histoire que je vous confie ne date pas d’hier. Elle a le mérite d’être des plus simples, ensoleillée de sourires cachés derrière chaque instant et incitant celui qui la vécut comme les lecteurs ensuite, à de nombreuses questions.

    Comme toutes celles qui ponctuent nos chemins, c’est alors que nous nous retournons, que nous nous apercevons que le temps ne s’est jamais reposé.

    Aussi, je le remercie de nous rendre le plus fidèlement possible les meilleures images qu’il disposa de chaque côté de nos routes pour les embellir, à la manière des fleurs qui illuminent nos jours, afin qu’ils soient plus agréables à vivre. Je ne vous cache pas que ce souvenir aurait mérité sa place dans un livre de comptines pour enfants, estimant si fortes les émotions qu’il avait générées au sein de notre petite famille.

    Et puis, pourquoi ne pas vous le dire dès à présent ? Nous aurions tant aimé que ce qui ne fût alors qu’un fait divers parmi tant d’autres, mais qui prît le soin de se transformer en une belle histoire, dure des jours encore, de nombreux jours ! Mais le temps, précisément, se moque des sentiments, et ce qu’il vous offre aujourd’hui, il se plaît à vous le ravir le lendemain. Mais je ne vous fais plus attendre ; écoutons, si vous le désirez, les heures anciennes, nous égrener les jours d’antan.

    Nous vivions en milieu forestier (oui déjà, encore ou toujours, à votre convenance). Mes travaux sylvicoles du moment, consistaient à l’entretien d’un magnifique massif de hêtres. Demeurant sur le chantier, si vous me permettez l’expression, je me rendais et m’en retournais donc à pied. Depuis quelques jours, j’avais remarqué un chien qui semblait m’observer, mais prenant soin de rester toujours entre ombre et lumière. La bête me parut magnifique, à l’instant où un rayon de soleil complice la mit quasiment au plein jour, comme si quelqu’un voulut que je la distingue sans ambiguïté.  

    L’animal se situait à mi-chemin entre le renard et le chien berger allemand. L’allure pouvait être celle du loup, mais avec le masque du renard. Je pris le parti de l’ignorer bien que ne le perdant jamais de vue. J’avais choisi une belle souche pour mes pauses repas, faisant face à l’animal qui ne manquait rien de mes faits et gestes. Un feu était allumé et semblait tenir compagnie à la forêt et à l’heure où je faisais cuire mon lard, une odeur se répandait dans le sous-bois, dont j’étais certain qu’elle devait torturer les papilles de l’animal autant que les miennes.

    Les jours se succédèrent sans que rien d’important arrive. J’avais bien une petite idée sur la façon dont nous pouvions faire connaissance, mais je pris soin de ne rien dévoiler de mes intentions, car les animaux sont pareils aux devins qui préviennent toujours vos pensées, quand ils ne les lisent pas carrément. Les meilleures choses ayant une fin, a-ton l’habitude de dire, vint le temps où je lui lançais quelques morceaux. Fière, la bête attendait que je lui tourne le dos pour se les approprier, usant d’une démarche qui tenait plus du ramper que du marcher.

    Chaque jour, elle avançait un peu plus, jusqu’au moment où elle fut à portée de voix sans que j’eusse besoin de l’élever pour m’adresser à elle. Je prenais soin de lui parler toujours sur un même ton afin qu’elle ne s’effrayât pas. À ma manière, je lui fis comprendre que sa présence ne me gênait pas, et j’allais jusqu’à montrer un semblant d’indifférence, l’interpellant même quand je lui tournais le dos.

    Je ne vous cacherai pas que le jour où elle (c’était une chienne) vint prendre avec une grande prudence le morceau de lard sur le plat de ma main, je sentis une énorme bouffée de chaleur envahir mon visage. Oh ! Je vous rassure tout de suite. Ce que j’ai ressenti alors ne pouvait en aucun cas s’apparenter à une victoire ! Ni l’un ni l’autre, n’avions entrepris un combat à l’issue duquel il ne pouvait y avoir qu’un vainqueur.

    Je réussis à la flatter d’une caresse ou deux avant qu’elle décide de se coucher non loin de la souche me servant de domicile.

    Elle se rapprocha même de mes affaires et de mes outils qu’elle renifla longuement comme si elle prenait des renseignements sur mon compte, lorsque je décidais de continuer mon travail. À ce stade de mes émotions, je vous le répète : en mon esprit, il n’y avait aucune victoire de conquête à fêter. Si nous devions être fiers, ce put être qu’à l’égard de l’animal qui avait vaincu ses craintes.

    Puis ce fut le temps où les aurores la trouvaient à ma place ; sans le vouloir, mais avec sa complicité, je devins en quelque sorte son réveil matin. Je la voyais heureuse de me retrouver (à suivre).

     

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  • — Si en mon âme le besoin d’adresser une prière au créateur se faisait pressant, j’aimerais qu’elle ne soit pas l’une de celles apprises par cœur à force de la rabâcher, mais qu’elle soit le résultat de sentiments sincères qui émaneraient de mon esprit et de mes désirs à l’instant où les émotions se feront ressentir.

    Je comprends que nous ne puissions pas nous adresser au Très-Haut alors que nous ne sommes encore que des innocents ignorant la portée de nos mots ni même leur signification. Mais à tout âge, nos yeux enregistrent les images, nos oreilles écoutent les paroles des uns et des autres et au fond de nous, nous sentons grandir nos sentiments.

    Ainsi, pour avoir été élevé à la campagne qui ne cache guère la vérité à ceux qui ne font rien pour se voiler la face, ai-je retenu les images que la vie mettait à ma disposition sans les modifier dans leur tendresse ni dans leur rigueur.

    Je commencerai ma prière en demandant que l’on m’envoie toujours une grande part d’humilité, mais aussi, que l’on prenne soin de ne pas me transformer en un stupide mouton m’allant bêler avec le troupeau sans même savoir de quoi il s’agit.

    J’exigerai d’être tenu éloigné de ceux qui possèdent un regard aiguisé par l’appât du gain, et qui convoitent le bien de leurs semblables et nourrissent à longueur de temps des désirs de tontes, pour alimenter leurs profits.

    Je solliciterais avec puissance que l’on veille à ce que mon caractère reste fort et objectif pour refuser toute doctrine qui emprisonne les esprits les rendant dépendants et corvéables.

    Je ne veux pas devenir la vague qui sans cesse vient s’allonger sur la plage, mais être celui qui possède toujours la seule personnalité que l’on a rajoutée lors de sa conception, dans un habit jamais rendu trop exsangue.

    Depuis le premier jour, j’aurais insisté pour n’être pas un prince ni un bourgeois. Seulement un homme, qui tout au long de sa vie pourra marcher la tête haute, cherchant le regard des autres afin d’y déceler les souffrances pour les apaiser à défaut de les soigner.

    Si l’on devait me montrer du doigt, j’aimerais que cela ne soit que pour confirmer que j’appartiens bien à ceux qui combattent les démons, afin qu’en toute situation je puisse rester courageux et n’être que moi, au sens le plus profond du mot. Je crois que j’implorerais aussi la force afin que sans orgueil déplacé je puisse être fier de mes actes, même si pour demeurer libre je dois être un rebelle et sans doute un insoumis.

    Je prierais pour que ma prairie reste sans barrière d’aucune sorte afin que les regards n’aient pas à faire d’effort pour me trouver et surtout qu’ils ne s’accrochent ni ne se blessent sur des fils hideux isolant les uns des autres les transformant en prisonniers ! Je ne pourrais sentir en moi aucune oppression dégagée par des murs honteux et tristes et j’aimerais que l’on guide toujours mes pas vers les grands espaces dans lesquels gambade la liberté.

    Comme richesse ou simple cadeau, je n’accepterais rien de mes amis, qui soit autre chose que l’éclat lumineux et heureux de leurs regards, celui qui précède toujours l’amour. À celui qui gouverne l’univers, humblement je demanderais qu’il écarte de moi toute tentation de tendre la main. Si cela devait m’arriver, que cela ne soit pas pour quémander, mais pour offrir et attirer à moi ceux que le troupeau abandonne à la lisière de la vie.

    Si tel est votre désir, ajouterais-je, faites de moi un insurgé qui ne craint pas de marcher à contre-courant quand celui-ci est jugé trop dangereux et plus que toute autre chose, donnez-moi la force pour que chaque matin je puisse embellir mon jardin, afin que les miens s’y sentent en paix. Je revendiquerais aussi que l’on repousse loin de moi toutes les tentations de facilité et de soumission stérile.

    Je crois que je demanderais avec vigueur que mon cœur soit assez grand pour accueillir les malheureux, et que l’on m’aide à trouver les mots qui apaisent les maux, afin que l’espoir leur soit rendu en même temps que la joie de vivre.

    Je terminerais ma prière en disant : s’il reste un peu de foi, que l’on veuille bien me l’accorder pour toujours, car il est probable qu’au long de ma vie, je n’aurais pas souvent la force de la demander.

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  • Amour d'un jour, amour toujours


    — Bien triste est ce constat que nous faisons lorsque dans notre vie la dernière saison se profile sur l’horizon. Trop souvent, nous ne savons pas par quel souvenir commencer la revue de ce temps passé qui nous vit grandir puis nous assurer, dans une existence qui ne nous tendait pas forcément les bras. Nous en venons à compter les erreurs et nous feignons d’être surpris qu’elles fussent si nombreuses. Sommes-nous donc faits d’éléments si légers qu’ils s’envolent au moindre souffle pour que notre mémoire ne retienne qu’une infime partie des mépris ou des jugements incertains que nous portions alors sur le monde qui nous entourait et sur nous-mêmes ?

    Ainsi, il me fallut presque toute une vie pour retrouver et comprendre cette époque où nous étions à l’âge ingrat, à l’intersection de l’innocence, de l’ignorance et du chemin qui conduit vers la réalité. C’était un jour d’été, comme ceux que l’on adore traverser, alors que le ciel et la mer se confondent dans une même couleur. Nous étions proches l’un de l’autre et je me souviens de cette main qui n’osait caresser la mienne, tandis que la vague venait mourir à nos pieds.

    Ô ! Cher amour disparu, tu ne peux imaginer comme ma peine a grandi et pèse sur les jours qui ne supportent plus le poids du temps sans toi ! Je dois l’avouer, il m’arrive d’être las d’assister au combat quotidien entre le jour et la nuit, alors que l’un construit mes rêves et que l’autre les efface. Je souffre toujours de n’avoir pas su te garder près de moi dans ces instants où tu enserrais maladroitement mon corps, déposant sur mes lèvres des baisers si parfumés que j’en ai conservé le goût.

    C’était un jour merveilleux.

    La mer semblait écrire pour nous une extraordinaire histoire. Telles des lignes sur lesquelles courraient les mots, les vagues se succédaient comme si elles nous indiquaient que les pages s’ajoutaient les unes aux autres. De temps à autre, je me permettais une phrase, parfois un chapitre, insistant sur le fait que nous étions bien jeunes pour, d’un seul regard, envelopper l’amour qui était notre complice sur cette plage. À présent, je regrette celle que j’appelais ma petite sirène rayonnante sous le soleil jaloux.

    Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui mon comportement serait tout autre. Sans doute que je t’offrirais mon épaule afin que ton chagrin trouve un refuge. Je devine que ta tête irait vers la mienne et que je recueillerais les larmes venues de tes yeux aussi précieusement que l’on puise l’eau de la source pour la porter à nos lèvres dans la tiédeur des matins d’été. Ton regard essayait alors de me dire les mots que ta bouche n’osait prononcer. Je te disais encore que nous n’étions qu’à l’aube de notre vie en ignorant que l’amour, lorsqu’il a trouvé un doux refuge, n’a que faire de l’âge des cœurs dans lesquels il a élu domicile.

    J’étais impatient d’aller à la rencontre de ces pays où le bonheur, disait-on alors, se décline sur des airs languissants, qui font onduler les corps au même rythme que les jours et où il cultive son inspiration, transformant les lendemains en plus doux et plus beaux que les jours présents.

    Pour te consoler et apaiser tes angoisses, je te disais que je reviendrais t’enlever, perché au sommet d’une vague plus haute et plus puissante que toutes les autres.

    De nous deux, tu fus la plus fidèle. Souvent, tu vins vérifier sur cette plage où le sable s’était mêlé à nos mains serrées et où il entendit des promesses que je ne sus pas tenir.

    Après une vie d’errance à parcourir les rivages, je compris trop tard que c’était sur celui-ci que se trouvait le bonheur qui m’était destiné. Comment ai-je pu l’ignorer, alors qu’il prenait tant de place dans ta vie ? Tu l’avais installé dans nos cœurs avec une extrême douceur, comme le printemps réchauffe la terre pour rendre les hommes heureux.

    Je compris que tu comptais les vagues, attendant la plus belle, espérant me voir caracoler à son sommet. Je devinais aussi que tu laissais tes jambes se faire caresser par la mer qui allait et venait, n’osant avouer que tu ne savais pas si c’était lui qui revenait ou si c’était elle qui déposait son plaisir pour effacer la tristesse qui occupait ton esprit. Fougueux et impatient, je voulais prendre toutes les forteresses du monde, alors que la plus belle citadelle que je désirais conquérir était à mes côtés.

    Aujourd’hui, le désespoir me ramène vers cette plage où tu as disparu, mais où je te vois en rêve, la mer berçant tes mots, alors que le vent, tel un jeune effronté joue dans tes cheveux défaits et ondulants, cascadant sur tes épaules nues.

     

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  • — Dans le grand livre de ma vie, de nombreuses étapes sont consignées. À certaines d’entre elles, ce n’est pas une simple halte que j’aime y faire de temps en temps. C’est plus compliqué qu’il ne semble, car, comme le voyageur qui cherche une auberge quand il arrive dans une nouvelle ville, je regrette que dans nos souvenirs il n’y ait pas de lieux qui pourraient nous héberger plusieurs jours.

    Ainsi, pourrions-nous en compagnie de nos amis faire le tour complet de ce que fut la vie avant notre rencontre afin de mieux faire comprendre les images que nous avions essayé de décrire à grand renfort de gestes et de qualificatifs.

    C’est que dans ces villages que le temps semblait avoir oubliés, l’existence qui s’y déroulait était sans doute la meilleure qu’il m’ait été donné de rencontrer au cours de mes pérégrinations. Elle était belle comme l’aurore même si elle n’était pas toujours comme une nuit d’été. Mais la douceur, ce mot emprunt d’une immense délicatesse, pouvait-elle dire quelque chose de particulier à ces êtres d’un autre temps qui pensaient n’avoir qu’une mission ?

    Ils n’avaient qu’un souci : exister et faire vivre les gens, les bêtes et même les champs. Dans leur esprit, jamais un élément ne serait allé seul, sous les regards amusés des plus jeunes. Pour expliquer les choses, les mots n’étaient pas nombreux, trop souvent méconnus de ces hommes qui ressemblaient étrangement à leur environnement à force d’en être si proches.

    À l’enfant curieux ils disaient en souriant comme s’ils cherchaient à s’excuser de ne pouvoir faire mieux : regarde bien comment je fais les choses. Je ne peux pas les expliquer et c’est tant mieux, car je ne trouverai pas le sens qui conviendrait tandis que toi, à force d’observation, tu finiras par deviner quelle chose se rapporte à ce que je fais et pourquoi on la fait d’une manière et non différemment.

    En fait, les doigts savaient parfaitement où se positionner et reconnaissaient chaque objet qu’ils touchaient et comment s’y prendre pour en faire une amie. Pour ces raisons, ils n’éprouvaient pas le besoin de raconter des tas de discours qui leur aurait fait perdre un temps précieux. Ne croyez pas pour autant que la vie était monotone en ces lieux qui semblaient hors du commun et où cependant, il prenait quelques moments pour venir y respirer. Parfois, il se posait à l’écart du lavoir pour écouter les dames médire un peu sur les habitants des villages voisins, appuyant leurs propos de vigoureux coups de battoirs sur des lins et des coutils innocents, qui avaient habillé plusieurs générations.

    Le lendemain, c’était à la porte d’une étable que le temps se reposait, surtout à l’instant délicat où le vêlage s’annonçait difficile, rendant fébriles les bêtes et les gens.

    Par contre, dans le village, il était un lieu où il aimait à s’attarder.

    C’était près du four communal. Ce bien qui n’appartenait à personne en propre, mais qui était le patrimoine de tous. En cet endroit, c’était d’une autre vie que l’on y parlait. D’abord, on avait longuement comparé les pâtes et les levains qui ne manquaient pas de faire les meilleurs pains. On y vantait les blés venus sur les plus belles parcelles des coteaux les mieux exposés, ceux qui ne craignaient pas de regarder le soleil dans les yeux tout au long de l’année.

    C’était encore auprès du four que la vie secrète s’échangeait à voix basse, pendant qu’à l’intérieur le pain préparait sur des briques brûlantes chauffées au bois des environs, son plus bel aspect qui ferait sourire et s’exclamer l’enfant à peine le grand jour retrouvé. À n’en pas douter, chacun savait alors qu’il devait avoir le cœur aussi tendre que les hommes qui l’avaient pétri tandis que le jour n’avait pas encore choisi son habit.

    Les aînés se regardaient sans rien ajouter aux exclamations. Ils se contentaient d’échanger un coup d’œil discret avec pour l’accompagner, un petit sourire aux coins des lèvres. Ils savaient eux qu’avant de devenir du bon pain, le froment avait connu une autre vie. Il était passé dans les mains rugueuses de ces hommes qui avaient d’abord labouré, puis semé et moissonner, pour enfin être réduit en farine.

    Il était l’heure alors de communiquer au pâton cette part de grandeur et de bonté qui faisait la particularité des gens de ces villages qui entrèrent dans la modernité certes, mais d’abord à reculons afin de ne pas perdre de vue ces heures merveilleuses qui marquaient le début de chaque sillon. Croire que les changements n’eurent pas d’incidences sur les esprits d’alors serait une erreur. Combien de fois, n’avons-nous pas surpris cette phrase, se suspendre aux lèvres des anciens, avant de se laisser glisser dans le fond du sillon, accompagnée d’une larme :

    — Ils vont nous tuer avec leur modernisme, mais le plus grave, c’est qu’avec nous, c’est la terre qu’ils vont anéantir ! Elle aime la douceur et la compréhension, elle redoute la brutalité et ceux qui l’imposent.

    — Depuis, on sait que ces anciens avaient raison, mais qu’il ne se trouva personne pour les écouter.

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