• — Au détour d’un chemin conduisant aux pâturages, des vaches et un chien semblaient mener une grande discussion. Après tout, pourquoi les uns et les autres ne pourraient-ils pas échanger des pensées ? Le pouvoir de s’exprimer serait-il le propre de l’humain ? C’est mal connaître ce qui se passe dans la nature si l’on pense qu’elle ne peut pas avoir des sentiments, et mieux encore, de pouvoir les partager avec ses congénères. Oh ! Je ne prétends pas que les uns ou les autres s’adonnent à de longs échanges philosophiques ; je n’ai pas cette prétention, sachant que le milieu naturel se contente du minimum vital, le reste étant jugé comme superflu.

    D’ailleurs, à ce sujet, nous serions sans doute bien inspirés, si nous calquions notre mode de vie sur les éléments naturels, plutôt que de vouloir toujours tout, ainsi que son contraire parfois. Mais revenons aux évènements qu’il me plaît de mettre en scène.

    Le chien, qui n’est pas plus mauvais qu’un autre, s’enquiert auprès des vaches afin d’avoir leur sentiment sur leur nouvelle vie.

    — Alors, les nouvelles, demande-t-il avec un accent de sincérité dans la voix : que pensez-vous de vos nouvelles prairies ? Vous semblent-elles plus belles et mieux orientées que les précédentes ?

    La vache qui paraissait être la meneuse du troupeau répondit sur un ton qui se voulait volontairement calme :

    — il n’y a rien à redire. L’herbe est abondante et grasse.

    — Vous ne regrettez donc pas vos anciennes pâtures ?

    — Si tu avais quelque instruction, cabot ignare, tu comprendrais qu’il y a des questions que l’on ne pose pas, en certaines situations. Es-tu dans cette ferme depuis longtemps ?

    — Depuis toujours ! J’y suis même né, pour tout vous dire.

    — Tu ne sais donc pas si la gamelle est meilleure chez les autres. Ne te posant pas de questions inutiles, tu acceptes ta vie telle qu’elle se présente, et tu te complais dans tes habitudes qui gouvernent ton quotidien. Pour nous, il en allait de même. Depuis des années, il nous importait peu de savoir si le monde se prolongeait au-delà des clôtures et de la ferme. Notre fermier était probablement le meilleur de la région. Il nous avait en grande estime et pour nous l’essentiel résidait en ces échanges de sentiments qui prédisposaient à un bon équilibre. Pour nous, il avait les meilleures attentions. Rien n’était de trop concernant notre étable, qui, disait-il, doit être confortable. Quant aux prairies, il en prenait le plus grand soin. Il disait invariablement que le lait et la crème passent d’abord par la qualité de l’herbe avant d’arriver jusqu’aux pis, et qu’une bête heureuse enrichit son lait avec une pointe de bonheur qui fait la différence avec celui des élevages intensifs. Tu vois, l’homme chez qui nous étions n’était pas un simple fermier. Pour tous les animaux résidant sous son toit, il était comme un guide.

    — Ce qui est bon pour moi, prétendait-il, l’est forcément pour eux !

    La vie chez lui ressemblait à une fête qui se renouvelait chaque jour. Nous aimions une autre de ses pensées : il disait toujours que lorsque l’abondance s’installe chez quelqu’un, elle doit être partagée avec tous. Si par malheur la misère venait à jeter son dévolu sur la propriété, il n’y a aucune raison pour qu’elle s’installe d’abord dans les étables. Je peux t’affirmer que lorsque notre patron nous a cédées au tien, ce fut pour lui le mal le plus aigu qu’il n’avait jamais éprouvé jusqu’à lors. C’est comme si on l’obligeait à signer son constat d’échec ! C’est un déshonneur pour un paysan, que d’abandonner ses bêtes et ses terres. Quand il n’y a plus personne pour reprendre le manche de la charrue, c’est comme si nous laissions des intrus s’emparer de notre trésor, pleurait-il parfois.

    Tout comme toi, un homme né sur une ferme, il s’y enracine à ce point, que plus jamais il ne la quitte. A-t-on déjà vu un vieux chêne partir de sa forêt pour aller mourir ailleurs ? Non, jamais pareille chose ne se verra. Il reste jusqu’au dernier jour au milieu des siens et il attendra une nuit sans lune pour s’effondrer dans la plus grande discrétion. 

    Je vais te révéler un secret : nous, les animaux, n’avons pas l’habitude de parler pour ne rien dire. Nous nous contentons de deviner le contenu des jours. Avant ce matin, nous pouvons t’assurer qu’ils furent heureux.

    Aujourd’hui, si tu nous trouves belles et fringantes, c’est parce qu’un homme a sacrifié sa vie pour nous.

    Néanmoins, une chose est certaine. Pour nous, savoir que notre étable a fermé sa porte pour toujours est un fait que nous ne pouvons oublier, de même que le départ de notre guide vers un sillon plus profond qu’il n’aura pas lui-même ouvert. Nous le devinons que c’est le chagrin qui eut raison de lui. Il s’accusait de n’avoir pas su garder le trésor de la famille.

    Alors, chien qui ne voit pas plus loin que le bout de sa truffe ; à l’avenir, évite de poser des questions qui dérangent et profite du bonheur qui semble s’être arrêté chez ceux qui remplissent ta gamelle.

     

     

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  • Le prix de la liberté

    Première diffusion 26 Avril 2008

     

    — De toutes les créatures peuplant notre vaste monde, il en est une qui ne cesse de me surprendre. Elle fut classée au rang des animaux jusqu’au jour où elle décida de se mettre à l’écart de sa nombreuse famille.

    En effet, ne s’estimait-elle pas investie de pouvoirs supérieurs ?

    Elle pouvait s’exprimer, penser, fantasmer et mettre en pratique tous ses rêves.

    Immédiatement, les animaux reculèrent devant tant d’orgueil déployé, car ils étaient les seuls à comprendre que si leurs voisins s’étaient redressés et pouvaient échanger autrement que par gestes et autres parades nuptiales pour conquérir une compagne, ils perdaient le bien le plus précieux dont la nature les avait dotés ; l’instinct qui permet à une espèce de survivre et de s’adapter.

    Vous l’aurez compris ; c’est de l’homme qu’il est question au fil de ces modestes lignes. Bien sûr, qu’il progressât, sa marche en avant fut telle, qu’il se dépassa dans son empressement à conquérir la planète afin de la réduire à ses fins personnelles et en devenir le maître incontesté. L’intelligence qui se fit jour en lui en lieu et place de l’instinct, le desservit plus qu’elle lui vint en aide si l’on en juge le résultat obtenu. Certes, l’homme bâtit beaucoup, il inventa tout autant, mais toutes ces prouesses grandirent sur les échecs successifs de la capacité à respecter son voisinage. La majorité de ses inventions se retournent contre lui, car il n’en maîtrise pas le destin.

    L’environnement s’épuise, les terres refusent de produire, les fleuves et rivières se transforment en poison au lieu d’apporter la vie et les populations fuient devant ce fléau qui les pousse au désespoir.

    Je sais bien que l’on ne peut pas mettre tous les évènements négatifs sur le compte des hommes ; mais bien souvent, l’ignorance et le mépris ont précipité notre chute vers ce que l’on qualifiera bientôt d’enfer. Ironie du sort ! Pour fuir cet enfer qui se dessine sur l’horizon, chaque jour par le monde des gens meurent parce qu’ils avaient eu la naïveté de croire que la vie pouvait être la petite sœur de l’éternité.

    Il s’est même trouvé des charlatans pour leur expliquer que la liberté leur tendait les bras et que la misère ne saurait être un sentiment qui résiderait au sein des familles et que l’on pouvait l’exorciser au même titre que les maléfices déposés malicieusement sur le seuil des demeures convoitées par les marchands d’illusions.

    Ils ont cru les beaux parleurs, les négociants en tous genres qui n’avaient qu’un objectif : dépouiller les innocents de leurs maigres richesses. Ils ont acheté l’espoir et la liberté au prix fort, celui de leur existence ! Chaque jour, les colonnes d’hommes trompés s’allongent, parfois abandonnées dans le désert tandis que d’autres s’embarquent sur de frêles esquifs en guise de paquebots.

    De nombreux voyageurs désespérés ne connaîtront d’autres destinations que le creux des vagues où trop souvent ils disparaissent. Pour tout linceul, la vague suivante les recouvrira si vite que le ciel lui-même n’aura pas le temps de s’attarder sur leur misère.

    Séparés de tous, livrés à l’indifférence des autres peuples, les exilés de tous pays n’en finissent plus de connaître les exodes, refoulés de tous côtés.

    Des peuples s’éteignent dans d’atroces souffrances, laissant derrière eux de profonds sillons creusés par leurs mains. Ils ont fui l’oppression, le viol, l’esclavage et s’en sont allés par les pistes à la rencontre d’autres infortunes.

    L’homme aurait donc, gravé dans le cœur, les lettres de la méchanceté ? Pareille aux braises qui attendent un souffle pour se ranimer, la malveillance guette l’instant opportun pour se manifester. Les atrocités commises ici et là transforment les pistes et les savanes jadis accueillantes, en dernière demeure et les hyènes et les charognards se disputent les rêves des cadavres jonchant le sol, avant qu’ils ne rejoignent un paradis qu’on leur avait promis. Parfois au détour d’une piste, nos pas butent sur un modeste pagne ; tel un lien, il réunit à jamais le corps de l’enfant à celui de sa mère.

    Bourreaux de tous pays, n’avez-vous pas appris de vos pères que les chasseurs d’un jour seront les gibiers d’un autre temps et que pour devenir plus fort, il est inutile de dévorer le cœur et l’âme de son prochain, car la vie des uns et des autres n’est jamais supérieure à la nôtre à celle des autres ?

    Il est vrai qu’au fil de l’évolution, bien des générations humaines, animales ou végétales ont disparu. Mais l’installation progressive de notre planète en était alors la seule responsable. De tous les hommes qui disparaissent aujourd’hui de la surface de cette Terre qu’ils ont tant aimée, ensemble ils peuvent désigner les coupables : leurs frères ; ces gens avides de pouvoir qui se prétendent des héros !

    Hélas ! Depuis longtemps, nous savons tous où reposent les héros !

     

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  •  

    — Parfois, il y a des histoires qui paraissent irréelles à qui ne les a pas vécues ou n’en a pas été le témoin direct. Ainsi, les lignes qui suivent pourraient sembler sortir tout droit d’un roman ou d’une légende. Et pourtant…

    Le destin n’est pas toujours notre meilleur ennemi, tant s’en faut. Écouter plutôt ce qu’il sait faire quand le temps ne le presse pas et qu’il jette son dévolu sur des êtres qui ignorent que quelque part sur la Terre, un personnage inconnu pénètre dans l’aura d’un autre, attendant, telle la graine, pour germer à la belle saison.

    Sous l’ombre des tropiques résidait un homme qui avait déjà parcouru un long chemin dans la vie. Il venait de prendre quelque repos bien mérité et c’est à cet instant que la providence se mêla de nos affaires.

    Oh ! Je vous le dis tout net : il n’était pas que l’époque qui nous séparait ;   les éléments de l’existence avaient fabriqué une trame qui ne pouvait que nous opposer. Jugez plutôt :

    Il était un homme puissant (comprenez physiquement) ; j’étais malingre et encore faible. Il lui arrivait de prendre la mer sur laquelle il laissait ses pensées épouser les vagues, alors que moi, je m’essayais à glisser sur les airs en parachute.

    Il était sur la grande et belle île de Madagascar posée par une main inconnue sur l’océan Indien ; je me trouvais très loin en face, de l’autre côté de l’Afrique, proche de l’océan Atlantique. Il était arrivé à ce tournant de l’existence qui voit l’homme s’apaiser. En moi, la fièvre de la vie était grandissante ; j’avais besoin non pas de prouver aux autres, car tout le monde ne comprend pas toujours les caractères différents, mais d’assurer mes pas avec hargne et détermination.

    À ces moments perdus, il s’enfonçait sous la forêt à la recherche de gibier, et au soir, il en ressortait les bras chargés de pintades sauvages.

    En d’autres bois, avec mes amis, nous essayions de contenir une rébellion avant de la maîtriser.

    Cet homme était très riche.

    Pas de ce que vous pourriez imaginer, car l’argent ne lui avait jamais déformé les poches. Non, ses richesses étaient soigneusement rangées dans sa mémoire. Il avait réalisé presque tous ses rêves et il lui suffisait de fermer les yeux pour choisir celui dans lequel il aurait plaisir à revisiter les plus beaux souvenirs.

    Sur le continent voisin, j’allais et je venais ; je cherchais toujours la voie qui me conduirait vers une destination que je souhaitais plus calme.

    Son histoire s’enrichissait au fil des pages et les images qui l’accompagnaient semblaient des aires de repos où il faisait bon faire une halte.

    De mon côté, je n’avais pas le moindre cahier sur les lignes duquel j’aurais pu coucher les premiers mots. En mon esprit, les lettres tournaient sans arrêt à la recherche des mots qu’elles auraient dû écrire.

    Il avait tracé tant de pistes et de routes qu’il devenait difficile d’en tenir un compte juste. Moi, j’allais sur des chemins sans chercher à savoir qui les avait ouverts pour rendre les voyages plus confortables à des gens me ressemblant.

    Il était l’héritier d’une ancienne et valeureuse famille. Il connaissait tout d’elle, depuis ce jour où certains membres quittèrent le port de Saint-Malo dans les brumes d’automne d’un autre siècle.

    Me concernant, je n’étais qu’un modeste oisillon tombé d’un nid que l’on ne retrouva jamais. Qu’importe, j’avais quand même appris à voler.

    Il avait pris femme et ensemble ils eurent sept beaux enfants. J’étais un célibataire lambda, godillant dans la vie. Le grand monsieur avait un cœur énorme, alors que le mien était indifférent. Sa dernière fille était charmante et jamais loin de sa vue, depuis que les autres avaient fondé leur propre famille.

    Du haut de mes envies, j’en vins à désirer cette jeune fille qui s’ennuyait à Mahazoarivo, territoire si retiré qu’aucun prince charmant ne le visitait. Mais le destin veillait. Contre le cours de l’histoire, il fit se rencontrer des êtres qui étaient faits pour vivre chacun à un bout du monde, sur des chemins qui ne devaient jamais se croiser.

    Voilà donc que l’insouciant, le hargneux et l’audacieux enleva aux parents, leur ultime trésor. Malgré tout ce qui les opposait, l’aîné et le cadet devinrent les meilleurs amis du monde et le plus jeune écouta avec attention les recommandations de l’ancien.

    Je compris donc que dans la vie il y avait des émotions qui naissent en silence, des victoires et autant de défaites qui font apprécier les jours qui se lèvent à leur suite. Si le bonheur habite bien à l’étage de la vie, nous ne devons jamais oublier que dans son ombre s’y trouvent greffés des moments d’égarement et aussi de douleur qui nous obligent à modérer notre enthousiasme. 

    Merci, mon cher ami, qui devint « beau papa », de m’avoir tant appris en si peu de temps !

     

     

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