• REFLETS DE MÉMOIRE

     

    – Une fois de plus, alors que je ne les sollicite d’aucune manière, les images d’antan reviennent se poser sur le balcon de ma mémoire. Je me demande pourquoi elles se pressent tant, à moins qu’elles craignent des jours plus sombres dans lesquels elles tomberaient pour toujours dans l’oubli. Cependant, il est étrange, se dit le vieil homme, comme c’est souvent quand les aurores sont hésitantes et fébriles, que certaines époques de l’existence nous apostrophent à leur bon souvenir, comme les piqûres de rappel signifient aux maladies que notre corps est prêt à les repousser à la première tentative.

    Ce matin-là, face à la forêt qu’il n’avait jamais cessé d’admirer, et avec laquelle il partageait son café, pour une raison qui lui échappa, il fut soudainement  projeté dans une année qui avait été riche en déconvenues de toutes sortes.

    – Quand on a été mal aimé un jour, le serions-nous donc pour toujours, se demanda-t-il ?

    Sans qu’il eût besoin de les chercher, les souvenirs se présentèrent rapidement à lui, à la manière qu’a le jour de glisser sur la canopée.  

    – Il avait quitté la ville alors qu’elle était encore endormie. Les volets étaient clos et seules quelques lampes demeuraient allumées, faisant un trait de lumière à la base des portes. Sans doute avait-on oublié de l’éteindre à moins qu’on l’ait laissée volontairement pour chasser quelques mauvais esprits. Cela arrive parfois dans certaines contrées, où l’on redoute l’âme d’anciens locataires ayant inscrit leur passage sur les murs. La voiture qui devait le conduire loin d’ici avait été à l’heure au rendez-vous. Sans un mot le jeune homme était monté dans le véhicule qui prit rapidement de la vitesse, comme si les occupants tenaient à tourner le dos à cette cité que le bonheur avait toujours contournée, peut-être par crainte d’être enlevé et d’être obligé de rester coincé entre quatre murs. Depuis ce matin qui ressemblait à une fuite, la vie s’était précipitée pour l’adolescent, un peu à la façon d’un fleuve trop longtemps retenu derrière un barrage et goûtant enfin à la joie de la liberté retrouvée et de la course folle. Les années comme les évènements s’étaient enchaînés. Sur une vieille carte du monde sur laquelle dormaient les continents, il avait noirci bon nombre de pays. Des pointillés coupaient les mers et les océans traversés. Il s’attarda sur le dernier trait qui prenait l’allure d’un chemin de retour.

    Oh ! Il n’avait pas la nostalgie des lieux, non, n’allez pas croire cela, mais ces affaires le conduisaient vers la ville où il résida ; et il se dit que c’était à n’en pas douter l’ultime occasion qu’il aurait de revoir quelques visages connus. Il avait été informé que la famille avait éclaté et que certains de ses membres étaient installés aux quatre coins du territoire. Il avait prévenu de sa visite le jour même où il sut qu’il devait repasser par « la case départ. » Il est vrai qu’il s’était posé la question ; « vais-je reconnaître les anciens et si eux allaient se souvenir de lui ?

    La première surprise vint des changements de la ville, tant à ses abords qu’en son centre. Il eut presque honte d’être obligé de demander son chemin. Mais, pensa-t-il, il est normal de ne rien se rappeler tandis que l’on a fermé la fenêtre de sa maison et que le lierre en a profité pour masquer l’ouverture et ainsi cacher le paysage, puisque plus personne n’était là pour l’admirer. Il en était à ce point de ses réflexions quand il arriva devant la porte métallique. Il tira sur une poignée qui activa une clochette dans le jardin intérieur. Sur le mur qui séparait la propriété de la rue, une vieille glycine montrait clairement qu’elle n’en pouvait plus de vivre, se laissant tomber essayant de s’accrocher désespérément entre les pierres disjointes. Il tendit l’oreille, mais ne surprit aucun pas trahissant quelques signes de vie.

    Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas revus ? Il tira à nouveau et la clochette sembla heureuse de crier qu’elle était encore gaillarde et carillonna sa joie de n’avoir perdu aucun son de son répertoire. Il entendit une voix qui pouvait venir du fond d’une forêt tant elle paraissait étouffée. L’instant d’après, une jeune fille ouvrit la porte, qui émit quelques doutes sur la robustesse de ses gonds. L’homme ressentit un pincement du côté du cœur quand il comprit qu’on ne le reconnaissait pas, alors que le visage de la personne présente lui était demeuré familier.

    – Bonjour, dit-elle sans façon. C’est vous qui faites tout ce raffut ?

    Il trouva là l’occasion de sourire, car, se disait-il, en poser un sur ses lèvres est sans nul doute la plus belle carte de visite.

    – Je suis Robert, je vous ai prévenu de mon passage il y a déjà quelque temps.

    – Ah ! C’est toi ! Excuse-moi, je ne te reconnais pas. C’est que nous n’étions encore que des enfants, la dernière fois que nous nous sommes vus ! J’appelle la mère, suis moi, dit-elle en prenant le chemin de la maison.

    La maman, comme elle la nommait n’était en fait que la nourrice chez qui il avait vécu les premières années de sa modeste existence. (À suivre)

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