• L'étale

    — J’étais assis sur la terrasse, face à la forêt, quand soudain un calme absolu me tira de mes rêves, qui m’avaient entraîné à plus de mille lieues de notre demeure.

    Même les oiseaux caciques culs rouges d’ordinaire si bruyant, s’étaient tus. Aucun autre volatile n’avait le cœur à chanter ni à récolter les brins d’herbe qui servent à la confection des nids. À cette heure de la journée, aucun parfum ne vient flatter nos narines, la chaleur étant trop pesante. D’ailleurs, aucun insecte n’est en quête d’un quelconque nectar, pas plus que les colibris ne visitent aucun cœur des fleurs cependant largement offert. J’observe avec attention les arbres, l’herbe ou les fragiles végétaux.

    Aucune feuille ne tremble ; même celles des palmiers, portant souples et très longues et sensibles au moindre souffle. Je réalise que nous sommes à l’étale, instant exceptionnel où la nature marque une pause dans sa conquête de l’espace.

    Isolé derrière le haut mur de la forêt, je ne puis deviner la présence de l’océan qui borde l’est et le nord de la région, mais je pense qu’il s’est retiré très loin, emportant avec lui son armée de vagues, à laquelle il doit être en train de donner de nouvelles recommandations avant de les lancer à nouveau à l’assaut de la mangrove qui lui interdit l’accès au continent.   Le ciel prouve sa solidarité avec sa cousine, la Terre. Il a figé les nuages qui forment une masse compacte n’ayant pas la force ou le cœur de dessiner des visages et les soumettre à notre appréciation, comme s’ils nous posaient des devinettes.

    En cet instant précisément, le ciel est à mi-parcours entre l’univers et notre planète. Il a resserré ses nuages au point de ne laisser paraître qu’une couleur uniformément grise. J’essaye de trouver en endroit moins épais, mais je ne distingue pas la moindre déchirure par laquelle je pourrai entrevoir, pareil à l’espoir, une bande bleue dont je penserai qu’avant le soir nous pourrions être caressés par un rayon de soleil.   L’étale est ainsi, qu’il nous laisse un moment supposer que le monde lui-même vient d’arrêter sa longue promenade dans l’univers.

    Et s’il repartait dans le sens inverse, me suis-je alors demandé ? Quelles en seraient les conséquences ?

    Verrions-nous notre vie se rembobiner tel un film dont le mot fin est affiché ?

    Marcherions-nous dans le temps d’avant ? Comme des acteurs sur un écran jauni, pourrions-nous nous retrouver flânant dans les chemins de notre enfance en compagnie de notre belle innocence, nous extasiant devant chaque événement, cueillant chaque fleur épanouie parmi les herbes folles ondulant sous les caresses d’une brise d’été ?   Irions-nous à la rencontre de notre premier amour ? Trouverions-nous les mots qui ont le pouvoir de faire s’écouler les larmes et d’autres encore qui les sécheraient à tout jamais ?

    Au fur et à mesure que nous reculerions dans notre histoire, à chaque chapitre nous serions sans doute tentés d’en vérifier l’écriture et la ponctuation. Nous pourrions alors imaginer notre vie identique à celle des saisons. Elles naissent, vivent, trébuchent et finissent par s’endormir avant de s’éveiller un beau matin, distribuant à nouveau l’espoir à la façon que l’on a d’offrir des cadeaux.  

    Il nous fallut beaucoup de temps pour nous accouder jusqu’au balcon de notre existence où nous marquons une pause, heureux de ne pas encore deviner le bout de notre route. En revanche, nous sommes songeurs de la rapidité avec laquelle notre merveilleuse histoire se rembobine. Nous sommes déjà arrivés aux plus belles années de notre enfance, cette époque durant laquelle prendre la main des grandes personnes signifiait que nous avions confiance en eux, comme dans les décisions qu’ils choisissaient à notre égard, n’imaginant pas un seul instant qu’ils pouvaient se tromper, ou nous conduire vers des erreurs.  

    L’espace d’un moment, nous retrouvons les sourires des plus anciens, ces aînés qui ont tout donné pour que la famille soit solidement ancrée sur des bases qu’aucun séisme ne détruisit jamais. Elles s’appelaient la sagesse, le savoir et la tolérance.

    Quel bel héritage en vérité, qui s’est réfugié au fond de nous et qui y demeura jusqu’au jour où dans notre quotidien ces bases vinrent à manquer ! C’est alors qu’elles se révélèrent comme le rayon de soleil parvient à percer un ciel nuageux, pour nous indiquer que ce n’est pas parce que nous ne le voyons pas qu’il n’existe pas.

    Alors que je suis à rêver, soudain la vie se remet en mouvement. Le païpayo, oiseau de nos forêts et concierge à ces heures, lance son chant puissant. Il a dû deviner que l’océan venait de reprendre sa marche vers nous et qu’à l’autre bout de la terre, une main inconnue et invisible libère le souffle des alizés. Dans un instant, ils seront chez nous et nous prodiguerons autant de caresses douces, comme celle que la mère dépose à son enfant lorsqu’elle le devine anxieux.  

    Par chance, la planète reprend sa ronde dans le bon sens. Notre histoire peut continuer son cours, car nous ne voyons pas encore le mot « fin » s’afficher ; seulement les sourires des éléments qui nous disent qu’ils furent heureux de nous offrir cet interlude.

    Je me réserve alors le droit d’interroger le prochain étale, afin de savoir si en nous, ces moments de total abandon existent également ou s’ils sont des instants de douce béatitude.

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  • — De toute évidence, le plus beau cadeau que l’on ait pu nous faire fut celui de la vie. D’aucuns ont prétendu qu’elle ressemblait à un long fleuve tranquille ; même si au cours de la leur, ils en ont emprunté qui aurait pu leur démontrer qu’ils ne furent pas toujours les plus calmes. En vérité, il y a peu d’éléments qui le sont, et surtout pas les fleuves. Pour nous faire comprendre que la vie était belle et séduisante et qu’elle était notre propriété, on s’empressa de nous faire le ventre plus petit que les yeux, afin de modérer nos envies et nos pulsions.

    Nous devons bien le reconnaître. Notre vue ne connaît pas le sentiment de satiété. Elle n’est jamais lasse de contempler. Afin de domestiquer notre belle impatience, une main divine emballa notre précieux cadeau dans mille feuilles aux couleurs variées, même si la verte revenait le plus souvent, comme pour nous faire comprendre que nous ne devrons jamais la dédaigner. Elle nous explique en silence qu’elle sera la petite lueur qui brillera toujours discrètement en notre esprit pour nous guider, si par malheur, nous venions à faiblir ou nous égarer sur le sentier de notre destinée. 

    Occupés à la découverte de notre précieux cadeau, les emballages successifs nous laissent entrevoir les secrets et les conseils qu’ils nous distillent les uns à la suite des autres. Sans surprise, nous constatons qu’un dessin en forme de satyre nous montre le bonheur et le malheur marchant de concert, paisiblement, comme s’ils étaient de vieux amis. Ils se donnent même la main, l’un soutenant son voisin, au cas où il faiblirait, alors que nous savons bien que le malheur n’attend qu’une chose, que le bonheur s’écroule pour lui voler sa place.  

    Sur un autre papier que nous venons de déplier, nous devinons l’esquisse de plusieurs routes. À première vue, il n’en est pas qui sont vraiment planes et rectilignes. Certaines gravissent l’échelle du temps, comme pour nous faire comprendre que nous devons économiser nos forces si nous voulons, un jour, arriver à leurs sommets. D’autres nous indiquent qu’après une longue route droite sans histoire, brusquement elles descendent vertigineusement vers des gouffres les bordant malicieusement. Elles nous recommandent d’être toujours vigilants, et d’éviter les faux pas qui pourraient nous être fatals. Parmi toutes ces voies, il y en a qui se veulent discrètes, presque hors du temps et où il fait bon flâner. Regardant de plus près, on en distingue qui s’éloignent dans la même direction après s’être croisé quelques virages auparavant. Nous pouvons donc en déduire que sur leurs cours, nous ferons des rencontres heureuses qui sèmeront le bonheur tout au long de notre voyage.  

    C’est alors que le papier dissimulant notre cadeau devient d’un blanc éclatant ! Il ressemble à une magnifique robe de mariée ! Lui succèdent plusieurs empaquetages presque entremêlés et tout aussi lumineux. Ce sont les roses et les bleus, symbolisant les fruits de l’amour. À la découverte des enveloppes suivantes, nous en trouvons quelques-unes qui sont le reflet de la tristesse. Elles sont noires. Elles nous indiquent avec sagesse que si la vie est sans conteste la plus belle chose qu’il nous soit possible d’apprécier ici bas, elle demeure néanmoins aussi fragile que tous les éléments qui la constituent et qui gravitent autour d’elle. Ainsi, nous devrons nous habituer, même si cela nous est douloureux de l’accepter que sur nos chemins, les fleurs aussi, finissent par faner, alors que des amitiés s’écartent de notre direction pour rejoindre un autre paradis.

    Nous ne serons pas surpris en découvrant que certains papiers entourant jalousement notre trésor soient du plus beau rouge vif, imitant celui de notre sang qui coule dans nos veines, comme si elles étaient des milliers de fleuves, rivières et ruisseaux. Devant les dangers de toutes natures, nous devrons marquer le pas si nous ne voulons pas disparaître dans les flots impétueux de la vie. C’est la couleur par excellence qui nous montre que nous devons toujours rester vigilants et surtout ne pas brûler les étapes.  

    C’est alors que nous redécouvrons la belle teinte verte que nous avions déjà oubliée. Elle resplendit comme une note de rappel. Elle nous dit qu’il n’y a qu’une porte à pousser pour que nous la rencontrions à n’importe quel endroit de notre parcours et que l’espoir n’est jamais éloigné de nous. Il nous suffit de tendre la main pour le saisir.   Nous retirons les papiers entourant notre cadeau à la manière que l’on a de tourner les pages d’un livre dont l’histoire nous entraîne dans une merveilleuse aventure.

    Bientôt, les papiers délicatement enlevés sont plus nombreux que ceux qui nous restent à découvrir. C’est alors que notre cœur bat plus fort qu’à l’ordinaire. Devant nos yeux se déroule une succession d’emballages aux couleurs de l’arc-en-ciel. Sommes-nous donc arrivés au zénith de l’existence ?

    Sur l’un des papiers sont dessinés des oiseaux, sur un autre des dizaines de soleils, et sur d’autres encore des milliers de fleurs. Nous venons d’atteindre l’été de notre vie. Nous sommes à la belle époque des caprices et des surprises. Les sourires ne quittent plus nos visages, car dans le ciel, les nuages ont disparu. Sans modération aucune, nous festoyons à la grande table de l’existence qui nous offre un gigantesque banquet. Tous ceux que nous aimons sont près de nous, ainsi que d’autres avec qui nous avons partagé tant d’émotions. Nous ne devrons pas être surpris, si, non loin de nous, ceux dont les idées avaient divergé des nôtres se sont rapprochés. Le temps nous indique avec clairvoyance que celui de la réconciliation est enfin venu. Nous comprenons alors que la véritable richesse est née des différences.  

    Puis une enveloppe aux couleurs d’automne se dresse soudain sous nos yeux. Elles sont les prémices d’une saison longue et ingrate, qui a pour habitude d’oublier quelques-uns d’entre nous derrière elle. C’est alors que la lumière baisse, nous privant du plaisir de la découverte des couleurs restantes.

    Qu’importe ! Laissons-les où elles sont. Si les derniers emballages nous brûlaient les doigts, c’est que des flammes les ornaient. Ils nous faisaient comprendre que la vie a elle aussi des secrets qu’il nous faut ignorer. Résignés, nous reprenons les premiers petits papiers et nous les regardons comme si nous les découvrions à l’instant. Machinalement, nous les examinons, afin de vérifier si nous ne nous sommes pas égarés sur les chemins ou si nous ne nous sommes pas trompés en interprétant les messages qu’ils désiraient que nous sachions.  

    Pardon, mes amis (es), d’avoir été si long. Vous comprendrez que la vie ne souffre pas que nous l’interrompions, ne serait-ce que d’une modeste ponctuation.

    Photo glanée sur le net.

     

     

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  • — Je vous disais, il n’y a pas si longtemps que l’amour n’était pas un sentiment ordinaire et qu’il fallait nous montrer patients et n’utiliser aucun artifice particulier pour l’attirer. Nous n’allons pas à la recherche de l’amitié comme on va à la chasse ni comme on choisit ses produits préférés dans un grand magasin.

    Parfois, même si cela peut paraître impensable, Cupidon fait se réunir des gens qui, a priori, n’ont rien en commun. Il lui arrive aussi, selon son humeur, d’aller dénicher l’un ou l’autre à l’opposé du globe, comme s’il aimait s’amuser avec les cœurs.

    Il essaye de nous expliquer que nous devons nous montrer patients avant de rencontrer l’âme sœur. Afin d’en déguster le meilleur, nous ne cueillons aucun fruit qui n’ait pas fini de mûrir ! Alors, nous allons par les chemins, nous penchant sur les belles fleurs qui l’ornent, respirant leurs parfums en laissant nos pensées gambader dans la nature. Il arrive forcément le temps où les questions abondent en notre esprit.

    Comment elle ou lui sera-t-il ? Quels seront ses goûts, la couleur de ses yeux ?

    Aura-t-il des ambitions, et dans quel monde a-t-elle fait ses premiers pas ou est-il de la ville ou de la campagne ? Comment dirigerons-nous notre couple ? Peu importe en fait, car souvent il est indispensable qu’il y ait un pilote et un copilote dans les épreuves les plus difficiles. Il ne faut pas en déduire que dès la première rencontre les choses apparaîtront claires et que les questions auront trouvé toutes leurs réponses. L’amour demande un long apprentissage s’il veut être conduit à bon port. L’océan sur lequel il navigue n’étant pas toujours calme, il faudra se montrer prudent et démontrer que l’on a eu raison de choisir une route plutôt qu’une autre. Un cœur ne se conquiert pas avec quelques mots, fussent-ils des plus romantiques.

    Il est gourmand et insatiable de longues déclarations. Estimant que la vie ressemble à un banquet, il aime à reprendre de chaque plat lorsqu’ils passent devant lui. Il ne craint pas de s’enivrer de quelques formules qui ont le pouvoir de le transporter dans un monde irréel. Les risques ne l’effraient pas, car il est conscient que les routes ne sont pas qu’un long ruban plat et rectiligne. Mais lorsque l’amour vient à votre rencontre, la plus grande prudence vous sera recommandée. Il adore jouer et vous souffrirez si vous ne savez pas interpréter ses plaisirs.

    Il teste vos capacités à le comprendre et il affectionne particulièrement les situations qui poussent le candidat dans ses derniers retranchements. C’est alors que se montre le véritable caractère d’une personne quand elle se trouve dans une position instable. Les sens en éveil, l’amour inspecte chaque réaction, analyse le comportement de l’individu ainsi que son pouvoir à masquer ou non son caractère. Attention ! Cela ne signifie pas que l’on sera reçu à l’examen s’il n’a rien décelé d’anormal en nous. Très souvent, certaines attitudes ne se révèlent qu’à l’issue de nombreuses années ! C’est pour cette raison que l’amour se montre prudent durant les premières rencontres.

    Avant de nous lancer dans la grande aventure les yeux fermés, nous avons presque tous succombé aux charmes de Cupidon lorsqu’il comprit qu’en nous, les éléments indispensables se mettaient en place. Attablés à notre banquet, nous devinions qu’il ne s’agissait pas d’une affection véritable, seulement d’une faiblesse qui nous fit succomber à quelques désirs malsains. Qu’importe, nous disions-nous ; en toute chose, il y a un début et cela me servira de leçon pour la prochaine fois.

    Hélas ! C’est alors que nous nous éloignions de la vérité. Accaparés par notre fougue passagère, nous oubliions l’essentiel.

    L’amour est un poison !

    Comme toutes les substances toxiques, nous devons en user avec la plus grande prudence, presque avec parcimonie, tant que nous n’avons pas trouvé l’antidote qui nous sauvera de la maladie. Ce n’est qu’après être parvenu à l’équilibre parfait dans le mélange des ingrédients que nous pourrons reprendre notre marche triomphale vers l’amour. Mais les épreuves ne sont pas terminées pour autant.

    De nombreuses autres surprises nous attendent. Nous étions volages, nous nous comparions aux abeilles qui visitent les cœurs des belles fleurs qui s’offraient sans pudeur et nous pensions alors que l’amour était le sentiment qui s’échangeait le plus facilement.

    Quelle erreur de jugement !

    C’est seulement lorsque nous sommes en présence de la personne qui nous est réservée que nous comprenons que nous avons fait fausse route ! Il nous était aisé d’aller d’un cœur offert à un autre sans nous poser de question, jusqu’au matin où celui que nous ne voyions qu’en rêve se présenta devant nous. Nous restons soudain sans voix, car nous comprenons qu’occupés que nous étions à courir le guilledou jour et nuit, nous avions oublié l’essentiel. Apprendre à maîtriser notre impatiente ! Conquérir un cœur n’est pas chose facile, à moins que nous soyons l’héritier d’une longue lignée de dompteurs de fauves.

    L’amour, tel que nous le concevions, n’est jamais à portée de toutes les mains. Il est en cage et nous devrons déployer des sommes extraordinaires d’imaginations pour l’en faire sortir ; à moins que dès l’huis ouvert ce ne soit lui qui vous tend le bras et vous invite à le rejoindre.

    Le doute ne sera plus possible. Il est bien l’amour que vous attendiez, puisqu’aussitôt entré dans la cage, la porte se referme derrière vous, afin qu’une vie durant vous ne soyez pas tenté de vous enfuir.

     

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  • — Il y a des jours comme celui-ci, dont on aime qu’il arrive à son terme, tant il fut éprouvant pour les organismes. C’est que par chez nous, si nous redoutons les pluies diluviennes de la saison humide, nous craignons tout autant les premiers jours de celle qui s’annonce sèche, malmenant bêtes et gens.

    Alors que le travail à l’extérieur vous paraît être une tâche insurmontable, que les questions se fassent jour en votre esprit, il nous faut donc ruser avec notre ego qui nous fait des signes de détresse, quand ce ne sont pas tout simplement ceux de l’abandon. Je ne sais pas comment vous réagissez lorsque le découragement vient vous rendre visite. Pour moi, j’essaie toujours de me dominer par des pensées qui n’ont pas forcément pignon sur rue.

    Je me souviens par exemple de ces longues marches dans le désert, qui s’amusait presque de voir abandonner les uns ou les autres alors que l’arrivée était encore loin. Afin de ne pas faire partie de la cohorte des éclopés, je me transcendais en me disant que les armées de Napoléon avaient bien marché jusqu’à Moscou (j’entends déjà des voix pour me crier qu’ils avaient eu une bonne retraite),

    cela me réconfortait et je continuais mon chemin.

    Mais de cela, il y a bien longtemps. De nos jours, c’est d’un tout autre soutien auquel je me raccroche lorsque je sens monter en moi la lassitude et étrangement, je n’éprouve pas le besoin de me fustiger pour trouver le réconfort qui me remet en selle et m’assène le coup de fouet qui maintient la mule sur la route.

    Quel est donc ce remède miracle ?

    Ne cherchez pas, vous êtes à cent lieues d’imaginer la bonne réponse.

    C’est de l’amitié dont il s’agit. Oui, la belle, la vraie, la sincère, celle dont on prétend parfois qu’elle n’a pas de visage.

    Certes, elle sait se faire particulièrement discrète, se montrant rarement sous véritable aspect. Elle a tellement d’attraits, de désirs et même de charme, qu’elle hésite toujours avant de revêtir l’habit qui lui va le mieux. Si elle ne se découvre pas au premier venu, c’est tout simplement qu’elle est timide. En fait, elle a autant de visages qu’il existe d’individus chez qui elle aime à établir son nid.

    Parfois, elle attire notre attention en usurpant le reflet et les expressions des hôtes chez qui elle réside, nous dévoilant en toute discrétion se réfugiant dans leurs ombres, les personnages qui eux aussi se cachent derrière elle. L’amitié a de nombreux points communs avec son voisin l’amour.

    Elle est parfois longue à avouer les mots les plus doux, ceux que l’on ose à peine prononcer, sinon du bout des paupières, lorsque notre regard se pose dans celui de l’être aimé. En ces temps où la modernité a investi les lieux les plus reculés, l’amitié s’est emparée de chemins nouveaux. Elle a su s’accrocher très vite à ces fils que les hommes ont tissés, jusqu’à en faire une toile immense. À travers elle, elle naît, grandit, séduit et court sans jamais se lasser sur ces fils merveilleux qu’il nous faut chaque jour consolider en leur rajoutant sans cesse des liens nouveaux.

    Vous avouerai-je, combien j’aime cette trame qui se réfugie dans un coin secret du cœur de chacun de nous, et qui emprunte ensuite le chemin de la pensée, se laissant glisser avec une douceur infinie sur le fil d’autres âmes ?

    Oh ! De grandes démonstrations ne sont pas toujours nécessaires pour faire vivre l’amitié. Elle aime aussi deux mots timides ou encore quatre paroles trébuchantes. Mais elle est indispensable pour nous permettre d’affronter les difficultés quotidiennes. Il m’arrive de la deviner le soir, quand elle se dirige vers le sommet des grands arbres de notre forêt où sur les plus hautes branches elle attend la sagesse des âmes des ancêtres, venues se poser à ses côtés pour l’aider à prospérer et ne jamais fuir l’épaule sur laquelle elle a trouvé refuge.

    L’amitié, en ce soir qui voit les ténèbres investir notre joli monde, c’est aussi ce petit clin d’œil que je vous fais en ces temps où ma présence se fait modeste, le travail me tirant par la main dès le jour installé.

    À vous toutes et tous qui me faites l’amitié de venir déposer vos sourires sur mes pages, j’adresse mes plus douces pensées. Je souhaite que les fils de la précieuse toile ne viennent jamais à se rompre, afin que nos paroles se retrouvent chaque jour à tout le moins le plus souvent possible.

     

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  • — Ne vous a-t-on jamais dit que vous étiez un peu fou, lorsque vous décidez d’entreprendre quelque chose que les autres n’osent pas faire ? Ne vous a-t-on jamais demandé ce que vous alliez faire en un lieu dont peu de gens ne parviennent pas à imaginer, même dans leurs rêves les plus fous ?

    Chaque fois que nous envisagions un nouveau voyage, avant d’avoir bouclé les valises, ce furent toujours ces paroles qui nous étaient adressées, comme des mises en garde, en quelque sorte.  

    Bien entendu, tels les enfants indisciplinés, nous ne tenions compte d’aucune recommandation, fut-elle déguisée en conseils. À l’instant où le mot voyage avait posé un premier pas en nos esprits, nous étions déjà sur la route, impatients d’aller voir ailleurs. Mais pas comme de simples touristes parfois déçus et souvent critiques. Non ; seulement désireux d’aller à la rencontre de notre nouvelle patrie. Quant à la qualité de la vie dans ce pays, cela, nous en avions déjà une idée précise, puisqu’en tous points du globe on y vit bien, et qu’il appartient aux nouveaux arrivants de s’adapter. Si des peuples sont heureux sous leur climat, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas en faire de même.

    Je vous laisse imaginer les réflexions des uns et des autres lorsqu’ils apprirent que c’était vers le continent sud-américain que nous avions jeté notre dévolu. Tant de choses, réelles ou non, avaient été dites et écrites, qu’il semblait logique que jamais nous ne puissions nous y rendre, encore moins avec l’idée d’y poser définitivement nos valises. Au nombre des frayeurs énumérées, il y avait le côté mystérieux de la forêt immense, dont chacun s’accordait à dire qu’elle était grande comme l’Europe et que toutes les peuplades y résidant n’étaient, à ce jour pas encore découvert. Et pourtant, nous étions bien au vingtième siècle et il était difficilement imaginable qu’il y ait en quelques points du monde des hommes dont on ne sut rien.  

    On nous parlait également de ces tribus dont on ignorait les origines, mais dont on était certains qu’elles étaient constituées des coupeurs de tête. Les gens frissonnaient lorsqu’ils prononçaient des noms d’araignées, de fourmis, d’abeilles tueuses et autres plantes carnivores et de scorpions géants. On citait fréquemment les explorateurs disparus sans que l’on ne retrouvât jamais la moindre trace. Parmi les amis qui vous fréquentent, il y a toujours ceux qui savent mieux que les autres, même s’ils ne sont jamais allés plus loin que la pancarte indiquant que nous sortons de leur village.  

    Cependant, ils se montrent prolixes sur tous les sujets ayant un rapport avec le milieu vers lequel vous envisagez de vous établir. Il ne leur faut qu’un instant pour glacer l’auditoire à l’instant où ils évoquent des lianes étrangleuses. Le plus naturellement du monde, ils vous énumèrent, alors que personne ne le leur demande, tous les renseignements de celles qui renferment un poison violent dont on enduit les flèches destinées aux voyageurs trop curieux.  

    Les arbres, disent-ils, sont pareils à des crayons géants dont on ne distingue pas la ramure. Dans celle-ci se cachent tous les serpents que la Terre a imaginé. Ils se laissent tomber sur l’aventurier imprudent. Je ne sais pas si vous l’avez déjà remarqué, mais il se trouve toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un qui est revenu in extremis de ces contrées inhospitalières. Pour vous impressionner, à grand renfort de gestes, ils vous montrent des caïmans si longs, qu’ils ne doivent jamais apercevoir le bout de leur queue ! Et les poissons ? Avez-vous entendu parler de ces redoutables dévoreurs de zébus ? Malheur à celui qui tombe dans les criques ou les rivières.

    Au rayon des maladies, il en allait de même. Toutes les affections tropicales étaient passées en revue, sans omettre de citer certaines fièvres dont on ignorait tout quant à leurs apparitions subites. Elles frappent les gens de certaines contrées et on les désigne sous la lettre « Q ». Pour vous empêcher de partir, certains étaient prêts à vous faire croire que des moustiques étaient aussi gros que les frelons de certaines régions européennes !  

    Qu’importe les histoires réelles ou imaginaires ; rien ne pourrait décourager les futurs voyageurs, qui déjà, n’écoutent que d’une oreille distraite les propos alarmistes des uns ou des autres.

    L’inconnu ? Les candidats au départ y étaient rompus depuis longtemps. Lorsque vous avez goûté une fois à la vie dans les grands espaces, on ne peut plus s’en passer. C’est aussi bon qu’une goutte d’eau humidifiant une bouche desséchée après des heures à marcher dans le désert. À peine la première gorgée est-elle avalée, que soudain, la gourde entière vous semble trop petite pour étancher la soif qui vous tenaille.  

    Je puis bien vous l’avouer.

    L’aventure ne commence pas au soir d’une quelconque décision hasardeuse.

    La vraie, celle qui vous donne envie de la continuer quoiqu’il puisse en coûter, débute au matin de notre arrivée parmi les hommes. Elle a pour nom la vie et nous n’échappons pas à ses désirs ni aux rêves qu’elle installe en nos esprits.  

    La grande aventure commence avec nos premiers pas et ne s’achève qu’au soir de notre dernier automne. Ce n’est que notre façon d’avancer dans cette vie qui la rend si différente d’un individu à un autre. La suite du premier chemin où nous nous sommes aventurés prend la forme d’un livre merveilleux pour ceux qui aiment à découvrir les secrets de chaque page. C’est alors que sans vous en apercevoir, vous voilà embarqués sur une ligne, à la suite des mots qui prennent un immense plaisir à vous entraîner vers un monde que vous pensiez imaginaire.

    Le livre est tout juste avalé qu’il vous en faut un autre, jusqu’au jour où vous décidez qu’il est temps d’écrire le vôtre.

       

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