• — Mère, ne relèveras-tu donc jamais la tête de ton ouvrage, afin de voir qu’autour de toi la vie existe et même poursuit son chemin au-delà de nos murs ? Te rends-tu compte que je ne suis plus une petite fille, mais que celle-ci est devenue une grande et belle demoiselle ?

    — Contrairement à ce que tu imagines, ma chère enfant, je ne suis pas sans m’apercevoir que le temps qui fréquente nos contrées a déposé sur toi comme il le fait sur nous tous son empreinte, comme s’il lui plaisait de grimer chaque visage qui s’offre à lui.

    Jolie demoiselle, dis-tu ? Aurais-tu rencontré un prince charmant ou un poète qui t’aurait confié ses états d’âme ? Ce ne sont pas tes regards dans le miroir qui t’ont chuchoté de telles paroles. Il est si rare qu’une femme qui s’observe par le biais d’une glace s’estime belle. Crois en mon expérience, jamais elle ne se trouve à son goût !  

    — Sans aller jusqu’à se plaire, elle peut cependant avoir un avis sur ses propres traits, ne penses-tu pas, mère ? Pourquoi es-tu certaine que de temps en temps elle ne pourrait pas s’adresser un clin d’œil pour manifester sa satisfaction ?

    — Malgré tes affirmations, ma fille, sans doute n’as-tu pas encore fini de grandir. Tu n’es pas une femme accomplie pour comprendre que le miroir est rarement ton ami. Je peux même te prédire qu’il t’arrivera souvent de le maudire chaque fois qu’il rendra au trait près ton reflet alors qu’attendra le portrait de celle qu’il te plairait d’être. Cela te laisse supposer ce que représente le fard dont usent les grandes dames. Il ne sert pas seulement à rehausser leur teint. Il est aussi utile à dissimuler leurs angoisses ainsi que les marques du temps qui se complaît à nous rappeler qu’il ne demeure jamais immobile. S’il nous arrive de penser que parfois il fait une pause afin de nous permettre de souffler, c’est que nous sommes encore endormies.  

    — Mère, dis-moi avec toute la sincérité qui te caractérise pourquoi de temps en temps tu ne songes pas à te pommader un peu ? Est-ce pour respecter la mémoire de père, ou est-ce précisément par crainte de rencontrer cet autre personnage qui se prétend être notre double ? À moins que tu sois effrayée à l’idée qu’un étranger puisse poser son regard dans le tien ? Ah ! Voilà donc la vraie raison pour laquelle tes yeux sont fixés en permanence sur ta machine ! Ils fuient la réalité. Lorsqu’ils se relèvent, ils n’ont guère le temps de contempler la vie qui s’agite jusque sur le seuil de notre maison, car il est l’heure où ils se referment afin que la nuit imprime en eux, aucune autre image que ton esprit n’aurait pas sélectionnée !  

    — Est-ce l’effet de ton nouvel aspect qui t’entraîne dans de sombres délires, ou as-tu décidé d’être méchante avec moi ? De son vivant, ton père ne m’a jamais interdit quoi que ce soit. Il me répétait toujours que pour lui, je serais la plus belle et qu’aucun artifice n’est utile à l’aspect naturel. Je peux même t’avouer aujourd’hui qu’il disait que la pêche est certainement le fruit le plus délicieux, mais que ce n’est pas le velouté de sa peau qui rend sa chair savoureuse. Concernant sa mémoire, en effet, il ne me viendrait jamais à l’idée de la trahir. Il fit tant pour nous ! Je n’étais même pas une petite ouvrière lorsque nous nous sommes rencontrés. J’allais derrière les vaches, d’une pâture à une autre. Avec les membres de la famille, nous mettions nos forces en commun pour que survive une ferme qui s’essoufflait à nourrir tant de bouches. Nous étions persuadés que notre avenir était suspendu à nos clôtures et qu’aucune tempête ne lui ferait lâcher prise. Jusqu’au jour où ton père passa si près de nos fenêtres que j’ai entendu les pensées qui trottaient en son esprit :  

    — Je te sortirai de là ma belle et nous irons si loin, qu’hier et à sa suite les temps anciens finiront par s’égarer dans les brumes !

     

    — Pardonne-moi, mère, si mes propos te semblent déplacés. Mais je ne puis m’empêcher d’imaginer qu’entre les pâturages d’antan et les quatre murs d’aujourd’hui, la différence est si fine qu’elle n’apparaît pas au grand jour ! À la ferme au moins, en levant la tête, tu pouvais contempler le ciel ! Ici, il n’est que quelques poutres vieillies et des papiers peints jaunis pour égayer nos pensées.

    — Je suis triste, ma fille, de constater que ton âge ingrat t’a déjà fait oublier le temps où nous vécûmes heureuses avec l’homme de ma vie qui, je te le rappelle, fut aussi le tien puisqu’il fût ton père ! Il est sans doute naturel qu’il te manque en ces temps où tu aimerais l’avoir près de toi. Nous avons tous besoin à un moment ou à un autre de notre existence, de sentir une présence, une protection et un regard attendri se posant sur nos incertitudes. À l’instant, tu me reprochais presque qu’au soir venu, mes yeux soient clos sur les choses de la vie. C’est vrai ; ils sont les fenêtres de mon âme qui se ferment, non pour ignorer le monde autour de moi, mais pour retrouver cet homme qui fut le seul qui compta pour moi ! Chaque nuit, il honore notre demeure, même si tu ne le vois pas. Et puis ma fille, je voudrais te confier un secret. L’amour et la fidélité ne se sont jamais contentés d’une vie pour exister.

    Le passé, le présent et le futur ont eu besoin de ces sentiments pour ne jamais faiblir sur les routes qu’ils fréquentent. Ainsi les cœurs qui cheminaient vers une même direction, reçurent-ils la part dont ils ne se séparèrent jamais.

     

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  • Ensemble, suivons la même route

    — Alors, le père, je te trouve bien songeur ! Quelles sont donc ces raisons qui harcèlent ton esprit, pour qu’il veuille fuir si loin par delà la forêt ?

    — Je suis surpris par ton arrivée, ma chérie ; mon ouïe m’aurait-elle joué un tour, que je ne t’entendis point te glisser jusque-là, mentit le vieil homme pour faire plaisir à sa fille dernière-née ? Il lui dirait sans doute une autre fois que lorsque l’on est attentif à ce qui se passe autour de soi, aucun indice nous indiquant qu’un proche évènement s’apprête à nous rendre visite ne devrait échapper à l’observateur.

    Il y a d’abord les oiseaux qui changent brusquement de comportement, fuyant, maugréant d’avoir été dérangés dans leur moment de repos. Les insectes qui ne demandent jamais leur reste, criquets et autres sauterelles en tête, suivent la débandade des volatiles dont cependant ils se méfient. Les abeilles, guêpes et mouches à feu s’empressent de prendre la position de défense afin de ne perdre aucun instant en cas de dérangement volontaire ou non.  

    — Pour être honnête, le père jugeait qu’il n’était pas utile de dévoiler tous les secrets de la nature le même jour. Il en est pour eux comme de la vie, un peu chaque jour est suffisant pour entraîner l’homme à sa suite. De toute façon, l’ancien ne connaissait qu’une horloge qui donne l’heure précise pour lever le voile sur certains évènements ; celle du soleil.

    La jeune femme, qui venait de s’installer contre son père, posa sa tête sur son épaule comme elle aimait le faire, lorsqu’elle avait quelque chose d’important à lui à confier.

    Le temps s’écoulant inexorablement, personne ne vit qu’il avait déplacé les pièces sur l’échiquier et que les rôles avaient été redistribués. La jeune femme avait elle aussi une famille à présent, et les questions s’étaient enrichies en passant par des lignes d’horizon qui avaient laissé entrevoir d’autres paysages.

    De ce fait, les visites se faisaient moins nombreuses, car l’amour refuse d’être partagé et il ne supporte pas les comparaisons.

    — Tu ne me dis rien, hasarda la jeune enfant devenue femme puis à son tour mère de famille ! Quelque chose de si pénible t’arriverait-il que tu choisisses de prolonger ta solitude ?

    — Pas vraiment, ma fille, rassure-toi. Seulement, de temps à autre il est recommandé de faire une petite pause sur le chemin de l’existence.

    C’est à cette occasion que tu apprécies pleinement celui que tu as déjà parcouru. Toutefois, les instants durant lesquels tu te reposes ne doivent être ni trop longs ni trop fréquents. Le temps, qui lui n’arrête pas sa marche, en profiterait pour te dépasser et s’enfuir si loin, qu’il te serait impossible de le rattraper. Pour être en parfaite harmonie avec l’évolution naturelle, il nous faut aménager quelques moments de répit pour nous remettre en cause. Mais ne te crois pas obligée de le faire très souvent, au risque de te perdre.

    Cela ne saurait être que de courtes pauses pour permettre quelques simples réglages amplement suffisants, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’enlever quelques pierres à tes fondations pour les remplacer par d’autres.   Toute bâtisse a pour but de s’élever et non de rester à son niveau le plus bas. C’est au fur et à mesure que ta demeure gagnera en hauteur que les autres hommes prennent conscience de ton existence.

    — Dirais-tu, le père, que ta construction soit à son étage définitif aujourd’hui ? Tires-tu une fierté de tes réalisations ?  

    — Garde toujours présent à l’esprit, mon enfant que ton édifice ne doit pas être le lit de l’orgueil. Il ne doit jamais faire de l’ombre à ton proche voisinage. Enfin, c’est le choix le plus important pour ta construction, elle doit comporter de nombreuses ouvertures. Elles traduiront ton état d’esprit à l’égard de la société, pour lui faire comprendre que tu ne la rejettes pas. Elles prouveront aussi que tu n’es pas indifférente au bonheur des autres et que tu sais être attentive à leurs soucis. À travers tes fenêtres, ils verront que la lumière reste allumée aux heures sombres et qu’en cette demeure ils comptent une amie de plus à l’écoute de leur douleur. Cette lumière, pour certains, sera comme un phare dans la nuit qui les guide dans la passe afin de leur faire éviter les rochers sournois.  

    Suis-je fier de ce que j’ai accompli ? Ce n’est pas ainsi que je formulerais la question si j’étais amené à me la poser. Je me demanderais si ce que j’ai fait est suffisant.

    Mon œuvre achevée, je retournerais m’assurer si j’ai bien disposé une lampe dans chaque pièce et si je n’ai pas omis de les relier au réseau.

    Ce que nous faisons dans notre vie ne doit pas être la source de sentiments de satisfaction autres que ceux comportant beaucoup de modestie et nous devons rejeter au loin ceux qui s’apparentent à de l’orgueil qui aurait le parfum de l’égoïsme. Nous ne construisons pas que pour nous. Ce que nous édifions doit être aussi utile à nos descendants.  

    Tout ce que nous entreprenons doit pouvoir être prolongé par nos enfants sans qu’ils aient à surmonter des difficultés majeures. Si ce dont je suis parvenu à réaliser ressemble, serait-ce un peu à cela, alors oui sans doute oserai-je prétendre que je ne fus pas tout à fait inutile.

    Par contre, si avec la franchise qui a toujours souligné ton caractère tu me dis que ce que nous avons matérialisé ne convient pas à l’espérance de ta route, je comprendrai alors qu’à un moment de ma vie je me serais trompé.

    Nos personnalités sont si différentes les unes des autres, qu’il est parfois difficile de lire dans le paysage pour y dessiner le layon qui convient à chacun.  

    – Père, dit-elle, ce n’est pas par hasard que j’ai grandi à vos côtés. Je n’oublie pas que la route que mes parents ont tracée n’était pas que la leur. Elle était déjà la nôtre, reconnaissable entre mille aux fleurs qui la bordaient, sans omettre qu’elle fut aussi celle qui connut mes premiers pas incertains. De sentier, je le vis se transformer en chemin avant de devenir une voie carrossable, embellie de vos personnalités sous lesquelles je me suis mise à l’ombre.

    Crois-tu vraiment que j’aurai la volonté d’abandonner cette voie pour une autre que je tracerais vers l’inconnu ?

    Je pense qu’il faut beaucoup de courage pour entreprendre la construction de sa propre route, plus encore pour la débroussailler avant que la nature ne décide de l’effacer avec ses herbes folles. Je continuerai, père, car je ne suis pas certaine d’avoir la même force que vous pour recommencer depuis le premier jour. Allonger la vôtre me convient parfaitement.  

    – Ma chère enfant ; la tienne, voilà déjà des années que tu as réalisé les premiers travaux. Ne sous-estime pas tes valeurs ; elles sont grandes. En aménageant ton chemin, ma fille, c’est aussi le nôtre que tu prolonges. Et sais-tu ? Tu me donnes envie de continuer à défricher davantage, pour le plaisir de faire un dernier bout de vie à tes côtés.

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  • — Ils sont nombreux ces jours dont vous devinez avant l’heure qu’ils ne seront pas ordinaires. Contrairement à ce que nous pourrions nous imaginer, ils ne commencent pas à se manifester seulement un instant avant l’aube.

    La vieille pendule qui promène son balancier d’un bord à l’autre de sa cage vient à peine de carillonner l’heure qui entame la nouvelle journée. Sans que vous sachiez pourquoi, ou encore moins comment, vous devinez que cela ne sera pas pour vous un jour radieux.

    Pas du tout ! En vérité, de la fête, si elle a lieu, vous n’en connaîtrez que les coulisses, car il vous faudra pourvoir aux responsabilités qui vont vous échoir en se succédant, parce que les difficultés n’ont jamais grandi dans la solitude. Elles se présentent devant votre porte, toujours accompagnées de plusieurs évènements avec chacun son problème qui ne ressemble à aucun autre. C’est alors que, maussade, vous constatez qu’il se passera de nombreuses heures avant que l’aube transforme la forêt en ombres chinoises.  

    L’éternelle question se présente alors.

    Que vais-je pouvoir faire jusqu’au petit matin ?  

    Afin de tromper le temps, un grand bol de lait chaud est le bienvenu. Il a le mérite de calmer les tiraillements d’estomac et vous vous prenez à espérer que la satisfaction du ventre heureux va vous aider à retrouver le sommeil. Comme toujours, il n’en sera rien. Cela aussi vous l’aviez deviné, car chaque fois, c’est toujours la même chose. Néanmoins, vous pensez que pour une fois, pourquoi il n’en serait pas autrement ? Après un premier essai qui se révélera être un échec, vous décidez de revenir tenir compagnie à la nuit qui paraît s’ennuyer sans votre présence.

    Que faire ? Lire, écrire ?  

    Que peut-on faire, qui ne fera aucun bruit afin de ne pas réveiller la maisonnée ?

    Fort heureusement, la lune est pleine et vous fait signe qu’il serait agréable de faire quelques pas sous la Voie lactée. Pour une fois, le ciel est parfaitement dégagé et les yeux ont l’embarras du choix quant à la reconnaissance des astres luisants et clignotants.

    Des traits fulgurants traversent l’espace, plus au sud. Ce sont des étoiles filantes. Je ne saurai jamais si elles soulignent quelques messages ou si elles sombrent vers le néant afin que je ne découvre pas leurs cachettes.  

    Des ombres s’amusent à suivre les insectes nocturnes. Ce sont les chauves-souris de toutes tailles. Les roussettes, les plus grandes de la famille, s’envolent, effrayées par ma présence à pareille heure de la nuit.

    Je me rends du côté des logements pour animaux. Vous êtes certains de trouver quelques-unes de ces vampires, venues faire le plein d’énergie pour passer une journée tranquille. Même la lumière laissée tout exprès à leur intention ne les incommode plus.

    Soudain, un cri d’une immense douleur déchire la nuit. La lampe frontale balaie les abords de la maison de son rayon puissant sans que vous ayez le souvenir de l’avoir allumée. Il ne me faut qu’un instant pour me rendre compte qu’un chien vient de se faire mordre par un serpent, et pas n’importe lequel ! Le fameux maître de la brousse en personne, plus connu sous le nom de grage grands carreaux. Ses crochets sont puissants. Heureusement, ils traversent la patte du pauvre Dick, ce qui aura pour effet de rendre la quantité de venin inoculé moins importante. Néanmoins, il faut rapidement procéder à l’injection d’un produit pour soutenir le cœur. Ensuite, tout le temps de guérison, il faudra surveiller que les chairs qui, se nécrosant, ne s’infectent pas outre mesure.

    Pour le coup, vous ne vous posez plus de question concernant votre nuit. Le jour à peine entamé, déjà les émotions ont été fortes.  

    C’est alors que vous souriez, car vous savez que dans les villes, il y a des gens qui paient pour voir ce genre de films dans les pièces obscures.

    Chez nous, la salle est immense et il n’y a pas d’ouvreuse vous proposant des friandises alors que la lumière vient déposer un instant de répit dans les yeux et les esprits des spectateurs.

    Il faut mettre le chien en lieu sûr et passer un moment à le rassurer. Sa jeunesse l’avait conduit à l’imprudence. Les adultes depuis longtemps se méfient de ses bêtes rampantes qui traversent parfois leur domaine à la recherche d’une nouvelle victime. Soudain, du côté du poulailler une autre plainte vous invite à accourir. Ouf ! Vous arrivez juste à temps pour mettre un jaguarondi en déroute avant qu’il ne parvienne à éventrer la clôture.

    Jusqu’au petit matin, il ne se passera plus rien. Enfin, rien qui mérite d’être rapporté, car chez nous, oser dire qu’il y a des moments où il ne se produit pas un évènement serait proférer des mensonges.

    C’est allongé dans votre hamac sur la terrasse que le jour vous surprend. La nuit a été courte encore une fois, mais l’animation matinale sous notre ciel a le pouvoir de mettre du baume sur les incidents des ténèbres. Vous êtes encore à contempler l’offrande de la nouvelle journée qu’un concert peu habituel chez les caciques attire votre attention. Il suffit d’un coup d’œil pour vous rendre compte qu’un jeune sans doute un peu trop crâneur s’est essayé à son premier vol. Mal lui en prit, car le voilà au sol. C’est alors que vous partez à la recherche de la branche sur laquelle il pourra passer la journée à l’abri des prédateurs et où les aînés viendront continuer le nourrissage, jusqu’à ce que l’imprudent oiseau puisse enfin se servir de ses ailes. Chez les caciques, il est rare que les parents abandonnent leurs petits.  

    Content de votre bonne action, vous rentrez à la maison.

    Impétueux, le téléphone ne sonne pas, mais vous appelle avec autorité !

    J’arrive, vous entendez vous répondre machinalement !

    C’est une voisine qui crie au secours. Un anaconda s’est attablé dans son pigeonnier !

    En chemin, vous vous demandez quel autre évènement va se produire, car la journée ne vient que de commencer, alors que vous aimeriez entamer la nuit prochaine.

    De sa rencontre avec le serpent, Dick, finalement n’a perdu qu’un doigt de sa patte avant gauche. Effrayé par un homme qu’il n’attendait pas, le jaguarondi s’en est allé dans la forêt. 

    Grâce aux nombreux insectes rapportés par les parents, le jeune cacique en fut quitte pour la peur de sa toute nouvelle vie.

    L’anaconda visiteur du pigeonnier de notre voisine eut droit à un beau voyage vers un autre lieu de la commune.

     

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  • — À cet endroit du rivage, l’océan, depuis toujours, avait passé un accord avec la côte : celui de ne jamais l’agresser. On admit alors qu’il avait compris qu’il était indispensable de respecter le lieu dont certains hommes en d’autres temps avaient choisi pour dernière demeure.

    L’histoire ne devait pas être oubliée, semblait nous faire penser le petit cimetière à mi-chemin entre la terre et l’immense étendue d’eau. On pouvait croire que les vagues venaient offrir aux âmes qui reposait en ce lieu, les nouvelles de leurs pays de naissance. Sans jamais interrompre son mouvement, tantôt la mer traduisait la douceur d’un village oublié, tantôt, elle se déchaînait pour se joindre à la colère des malheureux qui ont eu la vie sauve.

    Il n’eût pas été déplacé d’imaginer que l’endroit était bien dénudé pour le confort des âmes résidant en ce lieu presque négligé.

    Parcourant les discrètes allées dessinant les carrés, on pouvait presque entendre les murmures des locataires.

    — Ne pensez pas que cet endroit est triste. Nous l’avons voulu ainsi, afin qu’il ressemble à ceux qui ont été débarqués à une certaine époque. C’est moi, l’ancien qui choisit cet emplacement, pour rappeler que nos frères étaient aussi nus que le sont les lieux aujourd’hui.

    — Pourquoi cet endroit plutôt qu’un autre ?

    Parce que nous voulions depuis ce promontoire surplombant le flot, dans chaque crépuscule, distinguer les âmes des nôtres, disparus, jetés depuis le bord des bateaux durant les traversées. Naviguer sur ces eaux n’était pas notre volonté, encore moins dans les conditions que se firent les abominables voyages.

    Nous étions des hommes faits pour épouser notre terre et la féconder. De force, on nous embarqua tels des animaux, pour servir en des pays ignorés alors, des maîtres qui possédaient des biens qui s’étendaient d’une rive à l’autre du continent.

    Les propriétaires du Nouveau Monde étaient venus avec dans les flancs de leurs navires le matériel nécessaire pour bâtir des villes qui leur ressemblait et dont ils ne désiraient rien oublier, et s’attachèrent à reconstruire d’une manière identique au pays qu’ils avaient quittés. Ils avaient décidé que même sous d’autres cieux, sous des latitudes différentes, leur vie ne devait pas être interrompue. Elle devait être la continuité de leur existence, ne voulant pas rompre avec le passé ni avec le firmament qui jamais ne se sépare ni ne se déchire.

    Nous, les déracinés, nous n’avions pour tout bagage que notre mémoire et la haine qui s’y était réfugiée. Chaque individu était un livre à lui tout seul. Chacun de nous était porteur d’une ou plusieurs histoires de son village ou de la région qui l’avait vu naître. Pour survivre, il nous fallut réinventer nos modèles d’origine, ceux qui avaient pris racine sur le sol d’Afrique et dont aucune de nos radicelles ne devait être oubliée. Elles nous furent utiles pour créer le terreau dans lequel nous allions semer notre nouvelle existence et que nous écririons plus tard avec de l’encre couleur de sang afin que le temps ne l’oublie jamais en passant.

    Les maîtres avaient amené avec eux de quoi refaire leur vie. Nous, nous avions une seule pincée de terre avalée à la dérobée, afin de ne jamais perdre le goût du bonheur et garder en nous l’âme de notre pays et celles de nos anciens. Ce sont eux qui nous donnèrent le courage et nous permirent de conserver notre foi intacte.

    C’est vrai qu’il nous fallut bien des années pour que la haine s’apaise enfin, alors que nos souvenirs demeuraient omniprésents. Quand ce fut le moment, nous avons compris que nous devions accorder à notre nouvelle patrie notre mémoire toujours vive, même si elle était enfouie depuis trop longtemps ainsi que notre savoir-faire en de nombreux domaines. Nous ne nous en doutions pas encore, mais nous étions plus riches que nous l’avions imaginé. C’est toute notre culture qui nous avait suivis, discrètement accrochée à la moindre parcelle de nos corps souffrants, afin que nul ne puisse se l’approprier.

    Nous étions venus les mains vides et enchaînés, mais depuis ces temps lointains, nous avons donné une âme nouvelle au pays qui nous accueillit et qui connut chacune de nos douleurs. Notre musique a embelli nos jours, nos contes ont apporté un sens à la forêt qui se morfondait dans l’ennui et nos danses ont permis à nos corps fatigués de retrouver la joie de vivre. Certes, pour arriver à ce stade de notre existence, beaucoup de nos frères ont disparu sans même savoir le pourquoi des choses. C’est pour cette raison que nous leur dédions nos pensées,

     

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  • — En parcourant les routes du monde, nous rencontrons souvent des enfants seuls, abandonnés par leurs familles ou orphelins à l’âge où les rêves sont peuplés des plus belles images. Ainsi au hasard des chemins nous comprenons que la misère ne sait le plus souvent que générer une autre, parfois plus grande encore. S’il m’était donné le pouvoir de demander quelque chose en secret à ces parents, je crois que je m’autoriserais à leur adresser quelques mots qui ressembleraient à une prière.

    Aux mères du monde, je dirais avec suffisamment de sincérité dans la voix de ne plus laisser au bord du chemin celui qui fut avant d’être enfant, « le fruit de leurs entrailles ». Il faut avoir conscience que la route qu’il empruntera ne sera en rien différente de la vôtre. Cependant, il aurait tant aimé que des bras se tendent vers lui pour le guider et le rassurer. Il est tellement important pour un chérubin d’avoir sa petite main dans le creux d’une plus douce, une qu’il reconnaît parce qu’il l’a devinée dès les premiers instants alors qu’elle se posait et repassait sur un ventre parfois douloureux.

    Au long des sentiers, à la belle saison alors que les bas côtés se parent de mille fleurs, s’il est seul, il les regardera sans se décider à en cueillir, ne serait-ce qu’une. À qui pourrait-il les offrir, n’ayant à portée de vue aucun cœur aimant pour les recevoir ? C’est qu’à cet instant, les fleurs ne le sont plus. Elles deviennent autant de mères avec leurs sourires et leur délicatesse. Alors après avoir tendu la main vers l’une des corolles, il se ravise et la glisse dans sa poche. Les jours passeront, jusqu’à ce matin où il comprendra que du monde qui l’entoure, il est le seul élément à ne posséder ni racines ni histoire. Il sait, à compter de cet instant qu’il devra ne compter sur personne pour apprécier le bien du mal, faire la distinction entre le sourire et l’indifférence, la passion ou l’amour et le chagrin de la nostalgie. Chaque enfant conserve avec lui un objet qui le rattache à son milieu et qui au fil des jours confirme son identité. C’est aussi en lui qu’il met ses espoirs. Combien de fois plongera-t-il sa main au fond d’une poche à la recherche de ce petit quelque chose qui lui rappellerait la douceur d’un foyer ? À chaque fois qu’il aurait douté, il aurait touché du bout des doigts, l’objet qui lui aurait apporté l’apaisement tant désiré.

    Mais cela lui aurait également procuré un peu de bonheur, car il serait alors persuadé qu’il avait lui aussi des racines et qu’à l’extrémité il y avait des rameaux. Chaque jour, il aurait deviné qu’un bourgeon aurait libéré une nouvelle feuille sur laquelle il aurait écrit des mots naïfs, mais qui auraient suffi à diffuser des parfums aux fragrances d’amour.

    Ces phrases innocentes construites avec les lettres inventées par le cœur, femmes du monde, n’auraient été que pour vous, même si vous vous teniez dans l’ombre.

    Savoir que vous les auriez lues aurait transporté votre enfant de joie, car il vous les offrait comme on le fait d’un premier cadeau. Ô ! mères ! Qui donc, sinon vous, devine que lorsque le cœur est heureux, il ne fait pas semblant ? Même si pour s’épanouir il doit dire « je t’aime », à une inconnue qu’il ne voit que dans ses rêves. Toutes les mamans du monde savent qu’un enfant ne demande rien d’autre pour être heureux qu’un sourire, même modeste, et une main douce pour essuyer les larmes libérées par la souffrance du cœur.

    Il n’a besoin d’aucun repère pour comprendre qu’il grandit.

    Il devine qu’il devient un petit homme à l’instant où ses bras peuvent enfin faire le tour de votre cou et celui de votre taille en vous serrant maladroitement. Peu importe. Il sait alors qu’il lui est permis de déposer sur votre joue ses premiers baisers. Ils seront ceux qui ont le pouvoir de faire oublier les douleurs quotidiennes et qui ont la faculté de donner le sens véritable à l’existence.

    Mères du monde, vous découvrirez à l’instant où les lèvres du chérubin se posent sur votre peau qu’elles sont des magiciennes, car elles transforment les larmes de souffrance en celles plus belles, de la joie.

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