• La plage abandonnée


     — Chaque année, c’est la même histoire. À peine les beaux jours s’installent-ils sur nos côtes, que de partout les touristes débarquent, avec dans leurs bagages, une panoplie particulière de gestes, de paroles et de manies, croirait-on, sorties d’une autre époque.

    Avant leur arrivée, depuis toujours, nous vivons au rythme tranquille de la mer berçant nos rêves. Elle-même suit le cours de la lune pour aller et venir et le vent prend son temps pour s’amuser dans nos palmes en chantant des airs venus d’autres contrées, que quelques-uns transforment en une merveilleuse musique métisse. Vous l’aurez compris, pendant la période estivale, rien ne se passe selon nos habitudes de vie et de dépit, nos cocos se laissent choir sur le sable, comme si, subitement, c’étaient nos espoirs qui s’effondraient.

    Quand les premiers vacanciers arrivent en courant, nous sommes toujours surpris par leurs réactions. Parfois, on se demande ce qu’ils comptaient trouver en lieu et place de la plage et de la mer tant leur étonnement est grand. Ensuite, ils se précipitent dans la première vague comme si elle était la dernière ou sans doute aussi par crainte de quelques indélicats qui viendraient la leur subtiliser.

    De jour en jour, les vacanciers sont plus nombreux, nous mettant au supplice, pauvres cocotiers, condamnés à rester à les écouter jusqu’au dernier jour. Vous devez vous douter que nous n’attendons qu’une chose ! Le matin qui se lèvera sur une plage déserte ! Nous nous regardons et sans même dire un mot ou esquisser le moindre geste, nous nous comprenons. Le dernier estivant n’est pas encore au bout de notre plage que déjà, nous poussons un ouf ! de soulagement.

    En parfaits égoïstes qu’ils sont, ils ne sont pas très respectueux de notre environnement. Ils s’y pressent, s’y vautrent dans des tenues qui parfois frôlent souvent l’indécence et ne se gênent pas pour martyriser nos troncs et nos palmes. Quant à ce qu’ils font dans notre mer, nous préférons ne pas en parler. En tout cas, je puis vous dire que ce ne sont pas leurs ébats qui lui donnent des reflets changeants.

    Parmi tous ces gens qui se prélassent sur notre sable ou qui se jettent dans la mer, qui s’amuse à les rejeter, il en est de surprenants. Voyez plutôt :

    Ils s’en trouvent qui édifient des châteaux comme ceux qu’ils aperçoivent dans leurs songes et pareil à ceux-ci, ils s’écroulent avant même qu’ils n’aient fermé les yeux. Certains sont des poètes. Ils passent leur temps à écrire « je t’aime » sur le sable, qui n’ose mêler son grain de sel. Souvent, ils sont à peine écrits, que la vague se dépêche de les effacer. Elle est la seule qui comprenne que trop souvent ce ne sont que d’horribles mensonges.

    Les peintres, eux, dessinent sur le sable mouillé quand, lassée, la mer s’est retirée comme si elle éprouvait le besoin de respirer un peu. Il ne serait pas surprenant qu’en sa vague intérieure elle se prenne à penser qu’un jour, pour les punir, elle ne reviendra pas ! Il est une habitude qui nous fait sourire. Les hommes dessinent souvent une femme. On croirait presque qu’ils aiment la même, tant les esquisses se ressemblent. Serait-ce leurs maîtresses qu’ils couchent là, à la vue de tous, sous le regard innocent et béat de leurs épouses légitimes ? Une chose est certaine. Ce ne sont que des amours éphémères puisqu’ils disparaîtront avec la prochaine marée.

    Les jours passent sans qu’aucun des visiteurs paraisse fatigué. Pourtant, il y a des signes qui ne trompent pas. Le matin, ils arrivent plus tard et le soir ils s’attardent plus longtemps. C’est l’heure ou chacun regarde une dernière fois la mer qui aura bercé leurs désirs durant un court séjour. Dans leur regard, on devine qu’ils déplorent de n’avoir pas assez de place dans leurs bagages pour emmener un morceau de plage en même temps qu’un peu de cette mer qui les aura lavés des souillures de l’an écoulé.

    Enfin, le jour arrive où nous sommes à nouveau seuls. Nous réinvestissons notre domaine avec plaisir et dans le plus grand respect de la solitude retrouvée. On penserait que la mer roule et déroule des vagues nouvelles à notre intention. Il nous semble qu’elle les avait cachées sur l’horizon, dans l’attente d’un jour nouveau. L’alizé souffle maintenant un air inédit qui ressemble à un hymne à la joie qui fait frémir les folioles de nos palmes.

    Le soleil peut maintenant prendre tout son temps pour mûrir nos noix qui n’osent se dérober à ses rayons. Avec la complicité du vent, nos feuilles balaient le sable pour faire disparaître les derniers pas. Vous l’aurez remarqué, sur la plage nous n’allongeons que nos silhouettes afin de ne pas déranger le nouvel ordre des grains de sable qui s’étaient perdus de vue durant la saison estivale.

    Ainsi la vie va-t-elle s’écouler douce et tranquille jusqu’à la prochaine période des vacances, tandis que résonneront à nouveau les cris et que les plus pressés généreront des bousculades. Mais pour l’heure, écoutons les récits que nous livrent les vagues, finissant leur course à nos pieds, comme si elles étaient heureuses de nous retrouver.

     

    Amazone. Solitude. 


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  • Un bonheur silencieux— Elle marchait au hasard des rues, sans but précis, ignorant même si le soir la verrait revenir auprès des siens. Elle n’était pas sans savoir qu’elle avait déjà traversé une grande partie de sa vie et elle se demandait où cela l’avait menée.

    — Qu’ai-je donc fait de tous ces jours, se dit-elle ? Depuis des années, je suis prise dans un tourbillon qui m’arrache à la réalité. À ce jour, je n’ai toujours rien construit pouvant témoigner de mon passage sur la Terre, aussi humble fut l’édifice.

    J’ai le sentiment qu’à mes pieds ce sont des chaussures de plomb qui m’ont été ajustées, leur poids m’ayant privée de toutes initiatives de partir en un lieu où il m’aurait semblé être enfin quelqu’un.

    Je n’avais pas rêvé de cette vie dans laquelle le destin nous rend anonymes, presque invisibles aux yeux des autres. Le monde marche à nos côtés sans même prendre un instant pour nous regarder ou se retourner afin de se rendre compte si nous suivons. Tel l’océan, les jours jettent à travers la ville ses vagues humaines qui envahissent l’espace avant de disparaître dans l’oubli.

    Sans l’avoir cherchée, elle s’arrêta devant une église dont elle ignorait qu’elle put se trouver à cet endroit de la cité. Hésitante, elle se décida à en pousser la lourde porte. Comme un automate, elle s’avança vers un prie-Dieu et machinalement s’y agenouilla.

    — Pardon Seigneur d’être entré furtivement dans votre maison à l’aspect mystérieux ; mais dehors, soudainement ma vie me sembla miséreuse et parvenue à son terme. Sans doute est-ce la faute à cet univers dans lequel je traîne mes espérances sans jamais leur donner la moindre forme agréable. Je vais vous révéler un secret :

    Je crois que notre société m’effraie. Je m’y sens comme une bouteille à la mer, ballotée par les flots durant des années avant d’être enfin rejetée un jour sur une terre inconnue.

    Votre maison serait-elle cette plage, la fin de mon voyage et celle de mes souffrances ?

    Depuis des jours, c’est la première fois que je ressens du bien-être. Cependant, vous me voyez là, agenouillée, sereine, vous confiant ma peine, alors que j’ignore si vous m’entendez et si vous me voyez.

    Qu’importe ; vous ne craigniez pas de nous laisser avec sagesse poursuivre notre monologue sans jamais nous interrompre. Il est pareil à une longue litanie qui rassemble les mots nécessaires à la guérison des maux. C’est sans doute pour cette raison que vos cathédrales sont si hautes. Elles laissent s’envoler les plaintes et les gémissements afin que l’Esprit saint les entende et les guérisse.

    Chez vous, je comprends que si j’élevais la voix, comme l’écho elle rebondirait de pilier en pilier me faisant comprendre qu’il n’y a pas qu’un seul personnage à mon écoute, mais le ciel tout entier.

    Dehors, c’est l’inverse qui se produit. Nous pouvons demander de l’aide, jamais personne ne s’arrête pour vous tendre la main. Mêlée à la foule, je marche à l’aveugle, me heurtant à l’incompréhension des autres. Je cherche des visages souriants, mais je n’en distingue aucun. Ils sont hostiles, méfiants, craintifs comme un chien qui pense qu’on va lui dérober son os.

    Comme il est difficile de chercher son chemin quand autour de soi il n’est que la misère, la tristesse et la lassitude ! Pourquoi les monts sont-ils si pénibles à escalader pour qu’en leur sommet jamais aucune âme ne vous y accueille ?

    Chez vous, c’est le silence qui ressemble au bien-être. La lumière du jour ne pénètre qu’à peine et pourtant tout y est lumineux. Est-ce cela que l’on nomme la lumière divine ? Celle qui même dans l’obscurité nous éclaire jusqu’au plus profond de nous même ?

    Dans ce havre de paix, je me sens heureuse, car personne ne me tourne le dos lorsque je parle. Les personnages figés sur leur socle semblent me regarder, m’écouter et m’invitent à suivre leur regard alors que je ne les en ai pas sollicités. La paix m’investit alors que personne délicatement ne m’enserre les épaules.

    À l’extérieur, la lutte pour exister simplement est de tous les instants. Nous survivons dans un océan d’hypocrisie. Les gens posent sur vous un regard qui nous laisse à penser qu’à chaque moment ils vont nous dérober quelques secrets.

    En ce lieu où je n’étais pas venue chercher quelque chose de précis, j’ai la conviction que l’on m’a accordée beaucoup alors que rien ne fut demandé en retour et que rien ne m’a été promis concernant l’avenir.

    Je comprends en cet instant que si la vie est pénible sur le seuil de votre porte, à l’intérieur de votre maison règnent la paix et l’espérance suffisantes à mon bonheur.

     

     


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  • Le carrefour des mots— Qui, dans sa vie de nomade autour du monde, n’a pas rencontré pareille situation ?

    La première réflexion qui me vient à l’esprit, c’est que nous pensons qu’il fallait bien tous ces fils pour tenir le poteau. Mais ces situations engendrent parfois des résultats bien plus compliqués et désastreux que de simples coupures intempestives.

    Il y a souvent mort d’homme dans ces carrefours où seuls les initiés retrouvent les lignes que leur compagnie loue à une clientèle désabusée.

    Ce clin d’œil pour vous expliquer que s’il m’arrive parfois d’être en retard quand je ne disparais pas carrément, ce n’est pas forcément dû à de l’ingratitude.

    Vous savez qu’auprès de vous je me sens aussi bien que dans une grande famille, où dès que l’un de ses membres est silencieux, les autres s’inquiètent rapidement.

    Si parfois mes réponses sont longues à arriver, la faute en revient au méli-mélo de fils qui traversent la planète et qui s’égarent de temps à autre sur les chemins mal balisés.

    Souvent, il m’arrive de penser que nos messages se montrent bien audacieux pour affronter de pareilles situations et réussir à se jouer des plus périlleuses.

    Quelques fois, il m’arrive de réceptionner vos sourires que je trouve bien essoufflés. Mais c’est qu’ils empruntent des chemins tellement encombrés qu’ils ont du mal à s’afficher sur mon écran.

    Sur ces croisements où s’embrouillent nos mots, levant la tête en modérant mon impatience, j’ai vu des messages passer de ligne en ligne, aussi légers que l’air. Sans doute ceux d’artistes rompus aux exercices d’équilibre.

    Observant le comportement de certains mots timides qui n’osaient engager la moindre syllabe et même faisant mine de reculer, je les ai aidés à traverser ce carrefour dangereux ou se croisent toutes les langues et dialectes du monde.

    Les indécis m’ont fait sourire quand je les voyais faire demi-tour vers le clavier pour y créer une nouvelle histoire.

    Dans le carrefour de toutes les audaces, j’ai vu des mots qui ne se connaissaient pas essayer de lier une conversation en parlant de tout et de rien, tandis que les amis refusaient de se lâcher par crainte de perdre le fil du dialogue.

    Il me fallut du temps pour comprendre les raisons de la pagaille. C’était des mots amoureux qui ignoraient où ils se trouvaient, mais qui en profitaient pour rajouter des virgules, des points de suspension et même d’exclamation !

    Devant une telle passion, les feux demeuraient rouges, attendant que les émotions retombent pour enfin se remettre au vert.

    D’autres encombrements étaient dus à certaines questions qui attendaient des réponses qui tardaient à venir. Pendant des heures, j’ai admiré les beaux ouvrages des tricoteuses qui mettaient à profit les obstacles pour démêler l’écheveau.

    Les mots nouveaux sont faciles à identifier. Ils sont hésitants, n’osant s’engager dans le labyrinthe des communications.

    Ils envoient les lettres une à une, essayant de reconstruire les phrases sans y parvenir réellement, les virgules se faisant apostropher par les fils tendus comme autant de pièges.

    Les mots les plus beaux sont ceux des poètes. Ils utilisent des quatrains pour brûler la politesse aux autres, marchant sur quatre fils sans se prendre les pieds dans l’enchevêtrement des autres.

    Certains autres clignotent. Ils partent au secours des cœurs souffrants, ils sont prioritaires. Sur ce carrefour, j’ai vu aussi les mots des pépiniéristes qui prenaient racine parce qu’ils ne trouvaient pas le bon embranchement.

    Vous le constatez mes amis ; ce n’est pas de mon fait si parfois mes mots restent hors ligne trop longtemps. Par contre, votre amitié je la vois courir sur les fils ce qui me réconforte pleinement, même si parfois je suis triste de ne pouvoir la retenir.

     

     


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  • Un monde à part— Dès qu’il en avait le temps, le jeune homme courrait vers la maison de sa voisine afin de terminer les tâches commencées la veille. Ce n’était pas parce qu’il voulait en faire un peu plus chaque jour, mais pour avoir le plaisir d’apercevoir et d’écouter maugréer la plus vieille dame, sœur de la première. Dès qu’elle entendait l’adolescent, elle se précipitait à la fenêtre et, la canne à la main, faisait mine de frapper le garçon. 

    Quelques années plus tôt, elle l’effrayait bien un peu quand elle se mettait à hurler en pleine nuit, surtout celle où la lune éclairait le monde de sa rondeur lumineuse. Elle s’en prenait alors à la terre entière invectivant sans relâche les hommes et les bêtes jusqu’à en perdre la voix. 

    Ce jour-là, le jeune homme fut surpris de ne pas la voir se précipiter au balcon de sa chambre qu’elle ne quittait jamais. Il s’en informa auprès de sa sœur. En souriant, celle-ci lui répondit 

    — Serait-ce qu’elle te manque à ce point là ? La connais-tu mieux que je l’imagine ? 

    – N’en croyez rien mademoiselle, mais il est difficile de ne pas l’entendre chaque nuit de pleine lune. Parfois, on dirait qu’elle s’adresse à moi en me laissant penser que si elle le pouvait elle me ferait du mal. 

    — Ne soit pas sot, mon petit. Ma sœur n’est pas méchante. Depuis des années, elle vit dans un monde à part. Il doit être merveilleux sinon parfait, puisque jamais elle ne l’a quitté. C’est sans doute pour cette raison qu’elle ne veut pas que nous nous en approchions. Elle doit redouter que l’on bouscule un ordre sans doute très bien établi. 

    — Ne s’ennuie-t-elle pas, dans ce monde que nous ne pouvons même pas imaginer ? 

    — Pour les gens comme elle, le temps ne compte pas. Il n’est ni un allié ni un ennemi. Ce n’est pas comme nous qui vivons toujours dans l’attente d’une joie, une promesse ou une visite, nous faisant compter les jours avec une certaine impatience. 

    — Peut-on vivre heureux quand on n’a jamais rien à espérer ou à partager ? 

    – Qui te dit qu’elle ne partage pas ses émotions avec ceux qui peuplent son imaginaire ? À voir son sourire et les éclats brillants dans ses yeux, parfois je me demande si elle ne vit pas dans ce pays de l’Eldorado, où il est dit que les lacs sont remplis d’or et où chacun peut s’y baigner. Veux-tu que je te dise, je suis certaine qu’elle est plus heureuse que moi qui subis les contraintes de l’existence ! Regarde la pelouse, quand une fleur l’embellit, c’est comme un sourire. Quand la saison est épuisée, la fleur s’en retourne à la terre, mais l’herbe reste drue et verte. 

    Pour préserver le monde de ma petite sœur, je me suis interdit les plaisirs de la vie ; tous les plaisirs. C’est comme si j’étais restée le nez collé à la vitre d’un magasin sans jamais entrer acheter l’article que mes yeux caressaient de désir. 

    – N’avez-vous donc jamais été mariée ? 

    Avec un sourire qui trahissait sa lassitude, la vieille dame répondit. 

    — Penses-tu que l’on puisse déposer dans la corbeille du mariage, aux côtés du bonheur, toute la misère du monde ? Qui, selon toi aurait voulu partager mon destin auquel s’accrochait une personne qui n’a jamais grandie ? Dans sa tête, les rêves d’un autre temps n’ont jamais disparu. Ils devaient être beaux pour qu’ils refusent de se réaliser ! 

    Et puis, elle était si belle, que je ne pouvais l’ignorer. Pour ma part, j’ai eu la chance d’avoir un meilleur équilibre et la faculté d’apprendre, elle, la vie l’a revêtue de la beauté. Parfois, tu vois que nous ne sommes pas trop de deux pour faire un personnage entier ! 

    En ce qui me concerne, ma vie s’est déroulée au village, allant d’une maison à une autre où mes pas me conduisaient vers mes besognes. Quelques fois, il m’arrive d’imaginer que je fus comme un navire sans capitaine. Je n’aurai pas connu les délices de la vague, le tourment des océans, ni même les tempêtes et ouragans. Personne n’aura levé l’ancre, j’aurais seulement tourné autour d’elle, au gré de la houle. 

    – Aujourd’hui, demanda le jeune garçon, êtes-vous triste à cause de cette vie qui finalement vous aura toujours échappé ? 

    – Non, étrangement je ne le suis pas, car je crois que l’on ne peut pas être malheureux de quelque chose ou d’une situation que l’on n’a pas connue et qui ne nous a jamais appartenu. Tant que l’on n’a pas dégusté la chair juteuse et sucrée de la mangue, on en ignorera toujours le goût. 

    Ce qui est important dans notre vie, c’est que nous ne devons jamais exclure qui que ce soit à cause de sa différence, mais au contraire, nous devons toujours nous efforcer de comprendre ce qui nous sépare. 

    N’oublie jamais qu’en chacun de nous il y a quelque chose de bon, mais que nous avons chacun notre façon de l’exprimer. 

     

     Amazone. Solitude. 


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    Je vous offre une part de mon temps— En ces temps où rien ne semble vouloir marcher correctement, permettez que je vous offre un cadeau. Oh ! N’allez pas imaginer qu’il soit extraordinaire, mes faibles ressources ne permettant pas que je m’écarte du traditionnel.

    À peine ai-je évoqué le mot cadeau que je vous vois, nombreux, chers amis à vous presser vers ma demeure devant laquelle piétinent déjà les impatients et les curieux. Je vous en prie ; puisque vous avez fait tout ce chemin, ne restez pas dehors. Donnez-vous la peine de rentrer et, tenez, je vous dirais mieux : installez-vous confortablement. Allons, les grands, montrez-vous raisonnables ! Laissez les plus petits devant, aux côtés des plus anciens qui, je le comprends bien, ne veulent pas céder leur place ; tant de choses leur ont échappé jusqu’à ce jour, qu’ils ne veulent être absents d’aucun nouvel événement. Entrez donc, et écoutez, car ce que j’ai à vous dire est de la plus haute importance.

    Imaginez que depuis la nuit des temps presque tous ceux qui en ont entendu parler voulaient se l’approprier. J’en ai connu qui ont tout fait pour le détourner pendant que d’autres ont perdu leur santé et leurs richesses pour essayer de le maîtriser. Certains même se sont équipés d’outils aux allures futuristes. Ils prétendaient vouloir le filtrer pour retenir égoïstement les secrets qu’il détenait.

    Je ne voudrais pas vous paraître prétentieux, mais je suis en mesure de vous démontrer que là où tant de gens ont échoué, moi, petit paysan, j’y suis parvenu à le domestiquer. Ne croyez pas que ce fut facile. Des années ont été nécessaires pour arriver à mes fins. Cependant, n’imaginez pas que la force fut utile ; non, c’est même le contraire qui prévalut. Je l’ai suivi des années, souvent à pas de velours. Il me fallut ruser avant de le surprendre et pour une fois, avec un peu d’orgueil, je puis vous le présenter.

    Les badauds écoutaient en ouvrant de grands yeux. D’autres se regardaient en cherchant où l’orateur voulait les mener, n’apercevant rien autour d’eux qui fut l’objet d’une réunion prétendue de la plus haute importante. Les plus malicieux, un sourire ourlant les lèvres, commençaient à comprendre, mais ne firent rien qui put troubler la bonne ambiance qui régnait. Debout au milieu de la pièce, je continuais mes propos, afin de maintenir le suspens.

    — Pour certains, je sais que leur vie durant il a fui, passant et repassant devant leur maison sans daigner y pénétrer. J’en sais d’autres qui ont couru derrière lui sans jamais pouvoir l’étreindre ni s’y accrocher serait-ce, l’espace d’un instant. J’ai rencontré certaines personnes qui prétextaient toujours ne pas en avoir pour écouter les autres. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a des prétentieux. Ceux-là sont faciles à deviner, ils n’arrêtent jamais de vous dire qu’ils en ont à revendre. Sans doute sont-ce des nantis.

    Dans vos yeux, je vois que vous comprenez ce dont je tenais à vous entretenir. La chose mystérieuse dont je voulais vous parler n’est autre que le temps, celui dont tout le monde parle sans jamais l’avoir vu, celui que chacun voudrait utiliser à sa guise sans jamais le perdre de vue, alors que dans les coulisses de l’existence, quelques-uns rêvent de le supprimer au plus grand nombre.

     Finalement, vous le constatez, pour le garder ce fut plus simple que je l’avais pensé. Pour le protéger des convoitises, il me suffit de mettre sur lui une cloche en verre afin qu’il ne perde rien de son éclat. Approchant l’oreille à sa surface, je peux maintenant compter ses tictacs, à moins que cela soit les toc-toc de celui qui est resté dehors et qui lui aussi voudrait entrer.

    Sans fanfaronnade, je puis vous dire que maintenant je vois le temps passer et que lui, pour m’être agréable, prend le sien pour s’écouler. Il est merveilleux et pour rien au monde je ne m’en séparerais. Quand, dans ma vie, je le sentirai faiblir, à l’instant où le crépuscule se confondra avec le jour naissant, peut-être oserai-je lui demander qu’il m’en accorde encore un peu.

    Oh ! Je vous rassure, pas des siècles ! Seulement de quoi ravir mes pensées, afin de prendre ainsi le temps pour vous dire que je vous aime. Pour vous le prouver, j’ai glissé mon amour sous la cloche, de telle sorte qu’à votre tour en tendant l’oreille vers le temps, si vous entendez un battement qui ressemble à un cœur, vous saurez que c’est le mien que je lui ai prêté, afin que de temps à autre il n’oublie pas de le remonter.

     

    Amazone. Solitude.

     

     


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