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     Dernier Voyage— Il est des jours comme celui-ci où l’on souhaiterait qu’il ne se lève jamais quand, sous l’imposante sylve, dans un vacarme d’enfer défilent, tel un convoi mortuaire, les grumiers emportant certains de nos frères. Lugubres sont ces instants, car dans la forêt solitaire et solidaire, chacun ressent avec émotion ce que le départ de ces frères dissimule. Chaque pied resté debout n’a même pas envie d’agiter feuilles et rameaux pour adresser un ultime signe à ces malheureux et aucun d’eux n’envie le dernier voyage qui sera le leur. 

    Ils gisent, emblèmes de la nature généreuse et innocente, troncs dépouillés de leur fierté, de leur mémoire et de leur habit, allongés sur des fardiers, comme d’autres vont au cimetière. Comme pour s’excuser d’avoir de mauvaises pensées, certaines essences osent croire qu’elles sont heureuses d’avoir été classées parmi les inutiles, n’ignorant pas, cependant, par quelles souffrances vont passer leurs frères d’infortune. Malgré l’impropriété du terme, elles savent pertinemment qu’elles ne sont pas superflues puisque sans elles les hommes ne seraient pas ce qu’ils sont.

    Ces arbres, réduits à l’état de grumes savamment marquées de couleurs distinctes telles les bêtes conduites à l’estive, vont d’abord souffrir sous le soleil impitoyable sur le quai brûlant d’un port indifférent, resserrant leurs fibres autant qu’elles le pourront. Puis, ce sera l’embarquement dans des fonds de cales puantes et suffocantes. Même suspendues à de solides filins, avant de descendre dans le ventre des bateaux, elles n’auront pas le plaisir d’apercevoir une dernière fois les étendues immenses des forêts généreuses, berceaux d’un bonheur éphémère.

    Entassées, bousculées et malmenées, elles vont connaître les tourments de l’océan. Après des jours de tangage et de roulis, ces malheureux troncs vont se retrouver sur d’autres quais où, sous le regard d’autres hommes ils seront à nouveau martelés au nom du nouveau destinataire. De critiques en éloges, ils patienteront encore dans le froid cette fois, avant d’entamer un second voyage. Pour certains, ils seront chargés sur des wagons et traverseront des pays inconnus.

    D’autres retrouveront l’inconfort de grumiers avant de découvrir des scieries où ils savent ce qui les attend. Ils finiront leur vie sous le regard goguenard d’ouvriers qui les débiteront en planches. Elles rejoindront des fabriques où elles seront transformées, après des heures de travail en meubles exotiques. Ils orneront les salons des gens, dont certains, orgueilleux, vanteront les qualités des bois, en ignorant tout de leur existence et du pays sur le sol duquel ils vécurent.Mais leur vie, a-t-elle une importance ? Après tout, ce ne sont que des arbres comme tant d’autres ! Oui, il est vrai que leur grain est différent. Il y en a des rouges, des bruns, des jaunes et même des roses, ce qui fait la richesse de celui qui les exploite.

    Les plus chanceux iront grossir les stocks de vieux ébénistes qui, dans leur vie, n’auront eu qu’un seul amour : celui du bois. Chez eux, ces bois venus d’ailleurs finiront comme les autres, il est vrai, mais dans le plus grand respect. Mille fois, ils seront regardés et estimés avant d’être entamés. L’œil avisé cherchera le bon fil et il n’y aura pas de volume inutile de débité si cela n’est pas nécessaire. Ils seront polis et repolis jusqu’à les rendre comme des miroirs.

    Les mains passeront et repasseront à la recherche de la moindre information. Elles seront comme des caresses que bien des femmes envieraient. L’homme, en connaisseur, se penchera sur l’ouvrage pour en deviner le parfum et parfois même collera son oreille sur le bois à la recherche de l’indéfinissable plainte ou histoire qui a suivi le bois par delà l’océan.

    — Ah ! Si le bois pouvait parler, pense alors le vieil homme, comme j’aimerai savoir ses secrets !

    — Mais il parle, vous dis-je ! Ne l’avez-vous donc jamais entendu, dans la solitude des ténèbres, se plaindre, gémir et soupirer ? C’est que le bois est sans doute le seul élément, bien qu’il soit mort, continue de vivre une seconde existence !

    D’autres troncs plus malchanceux finiront dans d’atroces tortures. Embrochés comme des poulets, ils sont livrés à la lame qui, tel un bourreau, commence son travail de déroulage. D’un fier tronc solidement amarré à la terre, le voilà débité en fines feuilles, comme si l’on voulait rechercher au plus profond de lui l’âme, qu’il retenait jusque là encore prisonnière.

    Le voilà mis à nu, effeuillé comme une simple marguerite et plus jamais personne ne gravera « je t’aime » sur une écorce généreuse qui protégeait un cœur heureux. 

    Amazone. Solitude.

     

     


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    — Il n’est pas facile de se persuader que c’est sans doute la dernière lettre que je viens écrire, ici sur ce banc solitaire. Parmi les souvenirs à jamais inoubliables, il y a celui qui déchira mon cœur. Depuis sa blessure, il n’arrête plus de saigner et l’on dirait même qu’il a fait tarir la source de mes larmes. 

    Ce dernier jour m’avait comblé d’émotions. Jusqu’à ce terrible instant où, nos mains soudées, nous sommes allés contempler l’aurore qui se hissait sur l’horizon. Je te confiais que la nuit m’avait paru trop courte. À peine si nous avions eu le temps d’échanger ce que nos pensées tentaient de nous expliquer entre deux baisers. C’était à peine si j’avais conservé en moi le plaisir de nos corps abandonnés. 

    C’est le moment que tu choisis pour revêtir ton bel habit de marin ; distraitement, tu déposas sur mes lèvres un dernier baiser, à la manière dont on donne un tour de clé à la porte que l’on referme pour toujours. À ton épaule, ton sac me parut soudain bien léger pour quelqu’un s’apprêtant à faire un si long voyage. Je compris que le temps n’avait pas pitié de moi, lorsqu’au loin tes pas te conduisirent sans qu’ils résonnent sur le pavé, comme s’il tenait à me faire comprendre qu’un cœur léger ne laisse pas de trace derrière lui. 

    Il ne voulait sans doute pas qu’un écho me revienne, au contraire des fragrances qui se laissent transporter par le vent afin que nos souvenirs ne les oublient jamais. Il me signifiait que tu ne m’appartenais plus, que tu partais rejoindre celle pour qui ta passion était pareille à un feu qui dévore. Je dus me rendre à l’évidence. 

    Tous les éléments venaient de se liguer contre moi. L’eau, le feu et l’air s’étaient entendus pour t’arracher à la Terre sur laquelle je me sentis soudain abandonnée. Le soleil venait de larguer sur l’horizon ses amarres et tu en fis de même avec ton bateau. Je fus plus jalouse qu’attristée quand je vis comment la mer se fendait avec élégance de sa proue. Elle semblait te montrer le chemin qui t’éloignait de moi. Elle t’accueillait comme une femme le fait de son amant et je compris alors que c’est elle que tu épouserais. 

    Tes manœuvres m’indiquaient que tu m’adressais un dernier adieu, mais bien vite derrière toi la mer effaçait ton sillage, pour me faire comprendre que tu ne reviendrais plus. 

    Le temps a passé, beaucoup de temps. Je me souvins avec lassitude que lorsque je suis venue me réfugier sur ce banc, l’arbre qui l’ombrageait, mettait ses vertes feuilles, celles dont l’habit ressemble à la couleur de l’espoir dans la clarté du jour naissant. 

    En ce matin, il pleure sa tristesse laissant ses feuilles tapisser le sol autour de moi. Le vent qui ne veut pas être son complice fait semblant de ne pas les voir et ne les pousse pas vers la mer. Il doit penser que trop déjà lui ont été confiées, de celles que j’ai écrites chaque jour et que je venais déposer sur la plage, à l’heure où les vagues se retirent. J’avais la faiblesse de croire qu’elles emportaient des bribes de mon amour qui courraient sur les lignes comme la musique sur une partition. 

    Oui, mon bel amour, j’ai eu la naïveté de penser qu’elles et moi pouvions devenir des amies. Aujourd’hui, je me rends compte que mes lettres sont pareilles à ces feuilles mortes ; sans espoir. En laissant disparaître sa parure, l’arbre veut-il me faire comprendre qu’il savait ? Me préparait-il à une mauvaise nouvelle ? La réponse que je pensais venir de loin m’était-elle soufflée par un ami ayant les pieds sur terre ?  

    Ignorant ces indices, chaque jour je revins sur ce banc, mon regard scrutant l’horizon à la recherche de la voile dansante sur la surface, me laissant croire qu’autour du monde, sur des rivages inconnus, mes lettres t’attendaient. Je les voudrais comme autant de phares que l’on allume dans le soir, pour indiquer aux marins la route du port dans lequel un cœur les attend. 

    Les feuilles à présent recouvrent le sol. Elles signifient que le temps de rejoindre la maison est venu. Désormais, aucune voile ne se gonflera sur l’horizon. D’ailleurs, le vent lui aussi a changé de direction, laissant nos souvenirs enfouis sous les feuilles mortes, toutes les feuilles, même celles sur lesquelles des larmes coulent d’une ligne à l’autre, ignorant les doux mots d’amour qui décrivaient le bonheur et l’espoir. 

     

     

    Amazone Solitude. 


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  • Dans le soir changeantLa journée avait été longue, depuis que l’aurore naissante avait surpris les gens de la ferme réunis autour d’une table richement fournie en victuailles de toutes sortes. C’est que, avait dit en souriant le maître de maison, le travail qui nous attend ne nous fera aucun cadeau. Nous devons avoir le ventre bien rempli si nous voulons lui tenir tête. Iriez-vous labourer avec un attelage qui n’aurait pas vu l’ombre d’une botte de foin depuis quelques jours ?

    Pour ne pas vous endormir à la tâche, je vous recommande d’abuser du café. La patronne a retrouvé la vieille chaussette dans laquelle il aime tant à passer, y abandonnant sa couleur et une part de son arôme.

    L’homme n’avait pas menti. Le travail avait tenu ses promesses et il abondait dans tous les recoins de la ferme. C’est que des journées de battages ne ressemblent à aucune autre de l’année. Surtout le banquet pantagruélique qui suit les débauches d’énergie.

    — Les amoureux déclarés y allaient de leurs romances, tandis que ceux qui s’étaient à peine avoué leur attirance s’éclipsaient discrètement, alors que du côté des tables, les hommes harassés et repus n’entonnaient plus que des bribes de chansons qui au fil des heures perdaient couplets et refrains.

    Assis au pied du grand arbre comme pour se protéger du soir tombant, se tenait un couple étroitement enlacé, qui prenait le ciel étoilé pour témoin. Il s’empressait tellement à lui parler d’amour qu’il s’en prenait les pieds dans les phrases. Elle, posément, répondait avec une voix mesurée :

    — Moi aussi je t’aime mon grand nigaud ! Avec un accent que l’on aurait cru, sortir tout droit de nouveaux romans-photos qui faisaient leur apparition dans les villages reculés du pays.

    Pensant que c’était une invitation à imposer son autorité, il la serrait plus fort. Elle tentait de se dégager de ces bras quelque peu possessifs en se plaignant doucement. Désirant profiter de son avantage, il égarait ses mains. Résistante, elle cherchait la formule pour refuser l’avance sans pour autant fâcher l’explorateur.

    — Ne penses-tu pas mon bel ami qu’il est un peu tôt pour bâcler une histoire qui n’en est qu’à ses premières lignes ? Qu’imaginerais-tu si je m’abandonnais à la première page, au tout premier chapitre ?

    — Sans doute as-tu raison, essayait-il de dire. Mais puisque nous nous aimons, le fait de nous rapprocher davantage ne serait que la conclusion des pensées que nous nourrissons l’un pour l’autre !

    — Ah ! dit-elle en souriant. Je reconnais bien là l’homme des campagnes, toujours prêt à taper dans la main quand il choisit une marchandise ou un animal, indiquant par ce geste qu’elle lui appartient avant même de l’avoir payée ! Réponds-moi avec franchise, lui demanda-t-elle. Si nous ne le faisons pas maintenant, m’en aimerais-tu moins ?

    Ne penserais-tu pas que je suis une fille facile, comme ils en existent tant ? Je crois que malgré le désir qui te brûle le ventre, tu serais profondément déçu et à notre histoire qui n’en est qu’à ses balbutiements il manquerait les plus belles lignes ainsi que les plus belles images.

    Tu dois comprendre que nous ne sommes pas comme les animaux qui se rencontrent furtivement puis qui s’ignorent jusqu’aux prochains désirs. Lorsque nous nous abandonnerons mon ami, c’est parce que nous aurons une totale confiance l’un envers l’autre. Nous nous serons juré fidélité pour la vie. Ce jour-là, nous serons tellement proches que nos corps ne feront plus qu’un. Nous ferons l’amour parce que nous saurons tout l’un de l’autre.

    Nous aurons épuisé tous les mots qui savent faire pétiller les yeux et rosir les joues. Sans doute en aurons-nous même inventé de nouveau, car l’amour n’a pas le privilège de quelques phrases uniques. Il nous appartiendra d’en découvrir autant que les jours voudront bien en inventer en se levant, nous trouvant blottis l’un contre l’autre. Nous nous abandonnerons alors parce qu’après les yeux, la bouche, les mots et les mains seront devenus inutiles.

    — Tu sais ce que je crois, lui dit-il à l’oreille ? Je pense qu’il n’existe aucun mot qui pourrait traduire le bonheur que je vis à cet instant. C’est un peu comme l’artiste qui ne trouve pas la couleur idéale pour peindre le paysage de la fin d’un jour, car le soir descendant joue avec les reflets changeants de chaque instant.

    — Eh ! Bien, mon ami, lorsque tu le veux toi aussi tu sais être un poète, lui répondit-elle, en plaquant ses lèvres sur les siennes afin qu’il ne puisse rien dire de plus qui aurait déplu à Cupidon.

     

    Amazone Solitude

     

     


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  • Les larmes de la nuit

    — Heureux sont les hommes qui ne connaissent pas ces instants d’intense lassitude qui poussent l’esprit à avoir de mauvais raisonnements. Il est vrai qu’une journée entière penchée sur la terre pour rapporter tout juste de quoi contenter les ventres qui attendent à la maison n’est guère encourageante et incite les pensées à vagabonder. 

     Aussi, avant de retrouver les miens, pardonnez-moi, seigneur, de vous dérober un instant de solitude. Qui d’autre que vous sait que mon vieux corps devient trop fatigué pour avancer encore et que c’est du repos qu’il a surtout besoin ? Il devine que dans notre modeste demeure ne m’attend que la tristesse des jours. Elle colle aux murs comme le temps qui s’y frotte pour le faire changer de teinte. Chaque jour, la couche nouvelle s’installe sur l’ancienne, nous laissant croire qu’elle est la dernière. 

    Vous qui résidez dit-on dans le ciel ou en quelques autres endroits méconnus de nous, pauvres innocents, vous connaissez mon caractère puisque vous avez permis que je voie le jour sur cette terre bénie qui, à l’image de nombreux hommes est devenue ingrate. N’aviez-vous pas confié à quelques-uns de grands personnages qui se sont empressés de le répéter à d’autres illustres personnages, que la terre est aussi belle que le paradis ? 

    Franchement, si vous me regardez avec attention, ai-je l’aspect de quelqu’un qui aurait connu le jardin céleste où regorgent les fruits et autres nourritures ? Oh ! Je ne vous demande pas de nous envoyer un bonheur tel que nous ne saurions qu’en faire ! Non, nous revendiquons seulement notre part, que nous partagerions comme nous savons le faire du moindre grain récolté. Je sais, l’on pourrait me poser la question de savoir pourquoi je dors en ce lieu inconfortable. 

    Mais, à quoi bon répondre, vous n’êtes pas sans savoir, que trop souvent, au cœur de la nuit mes yeux se remplissent de larmes que je ne puis retenir. Les ténèbres, sont désirées parce qu’elles nous protègent des questions de ceux que l’on aime. Nous redoutons qu’un jour ils lisent la détresse au fond de nos regards. Mais les nuits sont redoutées, car elles ne sont jamais suffisamment longues pour effacer les douleurs quotidiennes qui torturent nos corps. 

    Il faut tellement de temps pour faire oublier aux doigts noueux qu’ils ne se crispent plus sur un manche de faucille ou celui d’une houe ! Les miens sont aussi tourmentés que les vieux arbres qui suivent les caprices de la lune et ne comprennent jamais quand ils doivent trouver un moment de liberté. 

    Mais, s’il y avait que cela, ce serait moindre mal. Mes pas traînants et hésitants ont habitué mes pieds à regarder en tous sens à la recherche d’un obstacle, si bien que, devenus libres, ils cherchent encore à retourner aux champs. 

    Quelqu’un de bien pensant m’avait dit à voix basse que dans la tête il y avait un coin qui conservait précieusement les heures heureuses. Je ne saurais expliquer la raison qui fait que ma mémoire n’a pas retenu ces images. Sans doute n’aime-t-elle que la souffrance, les arbres décharnés et les enfants qui ont faim. Comment mes oreilles auraient-elles enregistré autre chose que les pleurs et les gémissements, puisqu’elles ignorent les chants mélodieux et la musique envoutante qui fait onduler les corps ? 

    Mon dieu, j’ai des remords de vous avouer mes faiblesses, mais comprenez bien que j’aurais tellement désiré un soir verser des larmes de joie plutôt que celles du désespoir. Je ne connais pas les raisons qui vous ont fait préférer d’autres rivages pour y semer le bonheur. Ce dont je suis certaine c’est qu’ils sont bien trop éloignés de moi et que le fond de ma barque ne frôlera jamais la douceur du sable fin qui ourle des plages de rêves. 

    Dans un instant, mon repos touchera à sa fin, et j’oserai vous demander une faveur, Seigneur. Pourquoi n’iriez-vous pas déposer sur d’autres continents un peu de notre quotidien, afin que par le monde, une fois dans leurs nuits et dans leur vie, d’autres personnes pleurent avec nous ? Nous aurions ainsi le sentiment que nos épaules se soulageraient d’un peu de notre fardeau. 

    Amazone. Solitude. 

     

     


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  • — Pardonnez-moi d’employer des mots barbares, mais je n’en trouve pas d’autres pour vous dire que « tout fout le camp ». 

    Je sais, ce n’est pas très élégant, mais je crois que c’est le terme qui convient pour définir la mutation de notre environnement. Il est vrai que sur ce coup-là, nous, les hommes, nous ne sommes pas tout à fait innocents ! Mais ne nous avait-on pas rabâché à longueur de temps que l’océan lavait tous les maux ? Que la nature sait mieux que nous ce dont elle a besoin et qu’elle détient les secrets servant à fabriquer les éléments qui viennent à lui manquer ? C’est tout juste si ceux qui prétendaient tout savoir ne nous méprisaient pas en nous faisant passer pour des ignorants. Ils avaient oublié que mère nature est la plus forte et qu’elle entend bien le rester pour quelques décennies encore. D’ailleurs pour s’en convaincre il suffit de l’observer. 

     En certaines régions, elle nous montre qu’elle est au plus mal, alors qu’ailleurs elle se dit à l’agonie, tandis que chez nous, il suffit qu’on lui tourne le dos pour qu’elle reprenne sa place. 

    En explorant la mémoire de la Terre (si, je vous assure, il y en a qui osent le faire), on voit bien qu’elle n’en est pas à ses premières mutations. Si nous étions moins orgueilleux, il y a bien longtemps que nous aurions dû l’admettre. En clair, elle essaie de nous faire comprendre que c’est à nous de nous adapter. Il est vrai que l’on rechigne toujours à reconnaître nos erreurs, mais l’histoire de l’humanité nous montre qu’en toutes circonstances nous avons dû trouver notre place, même dans un milieu hostile. En d’autres termes, si l’animal est capable de suivre l’évolution, nous, descendants de nos amis à quatre pattes, nous avons la possibilité d’en faire de même.

    Je sais, cela risque fort de ne pas arranger notre mauvais caractère, mais contre meilleure fortune, il nous faudra bien céder une part de notre cœur. D’ailleurs, si vous prenez le temps de regarder autour de vous, vous n’allez pas tarder à constater les premiers changements. 

    Voyez, le long de nos côtes ; la mer n’ose plus ramener son grain de sel tant les marées broient du noir. La banquise qu’on nous avait dite immortelle fond comme neige au soleil. Bientôt, les pingouins s’ils ne sont pas manchots devront migrer, tout comme leurs voisins les ours qui se suivent, mais ne se ressemblent plus. 

    Depuis le temps que l’on nous parle de la couche d’ozone, on se demande quand ils se décideront à en passer une seconde, la première devient poreuse. En croisant dans les océans, le spectacle est merveilleux. Les derniers baleiniers sont repartis bredouilles, ils n’avaient jamais entendu ces mammifères marins discourir de façon aussi claire. Passant près de leur bateau, celle qui menait la bande s’écria : c’est assez, on se cache à l’eau parce que nous avons le dos fin depuis que notre nourriture est contaminée ! 

    Et nos glaciers ? Ces géants aux pieds gelés depuis la nuit des temps, voilà qu’ils commencent à jeter un froid ! Il y a bien le Mont-Blanc qui essaie de se sucrer en rajoutant quelques mètres de poudreuse, mais je pense que c’est plus pour retrouver un peu d’oxygène plutôt que par orgueil. 

    Bientôt dans nos villes l’air deviendra si rare que l’on entendra de toutes parts s’écrier les gens : 

    — Nous n’en avons pas l’air, mais nous avons bien le souffle coupé ! 

    À la campagne, il sera sans doute prétentieux de vouloir s’enraciner, sauf si le sol est facile à travailler. Quant à la terre, n’en parlons pas. Elle n’est plus féconde. Elle est devenue stérile à force de vouloir lui tirer les vers, devenus myopes comme des taupes ! 

     Dans les forêts, nos apprentis sorciers traquent toujours la faune et la flore pour s’assurer qu’elle est génétiquement modifiable. 

    Nos usines qui ne se reposent jamais inventent toujours de nouveaux produits propres qui nous refileront des maladies. 

    Heureusement, la sécu qui s’associe à l’ozone creuse son trou, elle nous remboursera à crédit. 

    Dans les prés, les vaches ont le lait qui tourne et en deviennent folles. Les trains roulent maintenant à si grande vitesse qu’elles ne peuvent plus compter les wagons, tandis que dans les élevages de volailles, les volatiles s’enrhument et ont la grippe aviaire. 

    — Et nos forêts ? 

    — Ça va, merci. Elles continuent de reculer alors que dans le même temps le désert avance. 

    L’autre jour, j’ai même entendu crier un arbre, qui surprit de se retrouver seul au beau milieu d’un champ : 

     — Oh ! Vieilles branches ! Ne m’abandonnez pas ! Je vous en prie ; ne me laissez pas planté là, l’hiver frappe à notre porte et ils ne vont pas tarder à m’abattre pour se chauffer ! 

     

    Amazone Solitude 


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