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    — Si l’on me demandait où se trouve le paradis, sans la moindre hésitation, je répondrais : suivez le layon qui s’enfonce sous la forêt, et marchez jusqu’au moment où vous déboucherez sur un village qui semble avoir été posé la veille ; à moins que ce fût peut-être mille ans. Autour des modestes cases, rien ne paraît avoir changé depuis le jour de la création. Chacun vit à son propre rythme, sans faire ombrage au temps qui commande d’aller doucement afin de percevoir les choses qui composent en silence l’existence des gens dégustant les bienfaits de mère Nature.

    En ces régions reculées comme si elles voulaient montrer la fierté qu’elles ont d’appartenir aux rêves que tant d’hommes font dans l’intimité des nuits, chaque personnage, les animaux et les insectes, enfin, tout ce qui vit se joint aux végétaux pour confirmer qu’ils sont bien les acteurs qui se meuvent dans les jours. Ils ont dans le cœur une passion si grande, qu’ils en ignorent l’importance, tant ils évoluent dans la simplicité. Ici, nul parent n’est obligé de hausser le ton pour inviter l’enfant à partager les tâches à sa mesure.

    Il en va ainsi de l’éducation chez les gens ordinaires, qu’elle commence très tôt dans l’existence. Depuis toujours, on a compris que le métier d’homme n’était pas très compliqué. Cependant, il est recommandé d’en parler chaque jour, avec des phrases simples, construites avec intelligence et parsemées d’exemples qui forcent à sourire dès que les lèvres les abandonnent. Il est si agréable de s’entendre dire que le jour tandis qu’il s’étire dans les premières lueurs ressemble à une page blanche et qu’avant le crépuscule, elle doit être écrite de la plus délicate manière. Mais elle doit aussi être apprise et comprise, afin que dès l’aube du lendemain, sur la suivante, il ne soit pas utile de recommencer les mêmes leçons.

    C’est que pour devenir un homme, il faut du talent, car grandir est un art ; le plus beau de tous ! À ce titre, il ne supporte pas la médiocrité. Il réclame que nous le remettions en cause s’il venait à s’essouffler, mais sans pour autant critiquer ou abandonner les bases sur lesquelles il fut établi. A-t-on déjà vu un artiste changer les réglages de son chevalet à l’instant où il va tracer les traits qui feront sourire la reproduction ?

    N’allez pas croire qu’être citoyen de la Terre soit une récompense. C’est un titre qui nous est délivré comme un diplôme après de longues études.

    Il est vrai aussi que sous d’autres latitudes il en allait ainsi avant que les temps modernes rattrapent les hommes pour les projeter dans un tourbillon infernal. Malicieusement, ils leur ont fait oublier qu’ils n’étaient plus les fils de la forêt, fiers de pouvoir vivre leurs espérances, mais qu’ils devenaient les sujets corvéables des sociétés modernes.

    Au début, ils avaient planté des arbres de toutes variétés que leurs enfants avaient taillés pour obtenir de belles récoltes. Hélas ! À l’heure d’engranger, d’autres hommes arrachèrent les vergers pour construire des immeubles de rapport. Contrairement aux villageois préservés de la fièvre économique par l’épaisse forêt, les citadins des grandes villes ont déposé leurs personnalités à un vieux clou rouillé ou remisés dans le fond d’anciens placards oubliés. Ils sont devenus ce que les maîtres des temps modernes voulaient qu’ils fussent, des êtres acculturés et soumis. Ils furent nourris avec de belles phrases certes, mais sans signification ; les méthodes les éloignèrent de leurs origines et les airs à la mode se sont faits plus lancinants que la musique du vent dans les palmes.

    Le charme des autres est plaisant sans nul doute ; mais celui des gens de ma forêt l’est tout autant, car lorsque leurs regards plongent dans celui de leurs frères villageois, ce ne sont pas des inconnus qu’ils rencontrent, mais des sourires posés sur un cœur et rien n’empêche l’enfant de parlementer avec les volailles quand celles-ci se montrent trop hardies.

    Pour les incompris des temps modernes, je crains qu’ils soient déçus le jour où ils se retourneront, car le vent aura emporté leurs silhouettes si loin qu’ils ne la reverront plus, n’ayant pas suffisamment existé.

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    — Pendant longtemps nous pensions le monde inaccessible à notre regard, parce que recouvert d’épaisses forêts, dont les légendes avaient rapidement laissé croire aux hommes qu’elles étaient fréquentées par les mauvais esprits.

    Ils se contentèrent donc d’installer leurs campements dans les profondes vallées que de hautes montagnes séparaient d’autres étendues plates. Ils essayèrent également les plateaux, mais bien vite ils battirent en retraite à cause des vents qui transperçaient les chairs.

    Le temps alors n’avait aucune importance. Nul n’avait envisagé de le souligner ou de le décompter. Seuls les regards portés sur les visages indiquaient que des lunes s’étaient succédé et l’âge n’avait aucune signification. On traversait l’espace mis à notre disposition en profitant de ses bienfaits. Au fil des jours, l’homme prit de l’assurance. Il trouva ses lieux de vie trop étroits et s’enhardit vers cette nature qui l’avait impressionné. Les besoins se firent pressants et il inventa ses premiers outils. Le monde moderne était en marche ! Grâce à leurs innovations, la conquête des grands espaces fut plus aisée. Ils n’étaient plus de simples cueilleurs, ils se transformèrent aussi des chasseurs.

    La progression devint fulgurante. Avec la découverte du feu, ils purent occuper les montagnes et braver tous les caprices du temps. De nouveaux outils leur permirent d’abattre des arbres immenses derrière lesquels ils devinaient que le monde dont ils ignoraient où il commençait et où il finissait s’offrait à leur vue. Depuis, des trouées nous en avons fait de nombreuses, en tous sens à travers notre planète pour satisfaire nos regards interrogateurs et parfois inquisiteurs. Certaines se transformèrent en sentiers, puis devinrent d’agréables chemins. Puis, ce fut l’avènement du bitume et aujourd’hui des autoroutes qui permettent aux gens pressés de se rendre d’un point à l’autre sans même prendre le temps d’admirer les paysages.

    Depuis ce lointain matin où nos aïeux se sont mis en marche, bien des progrès ont été réalisés.

    Vous voyez sur la photo le couloir qui sépare la forêt ?

    Il plonge depuis la montagne vers l’infini. Au-delà des collines, nous sommes au Brésil. Il paraît hors de portée, alors qu’il est si proche ! De nos jours, les distances sont abolies. Éloignée est une expression qui ne veut plus rien dire ; elle est devenue abstraite et peut signifier une heure de marche, pour se rendre d’un point à un autre, quelques-unes de plus si nous prenons l’avion ou la voiture. Le bout du monde n’existe plus. Il est maintenant transformé en tout près ! Mieux, depuis notre fauteuil nous pouvons partir vers de multiples directions en quelques clics seulement. En des lieux où nos ancêtres s’épuisaient à créer un passage, voilà qu’avec l’aide de fils savamment disposés une toile immense conduit non pas nos personnes, mais nos mots et nos pensées alors qu’ils sont à peine finis d’écrire.

    Tels des virtuoses, sur nos claviers nous jouons nos partitions et nos doigts agiles ou maladroits prennent plaisir à survoler les touches, effleurant les unes, s’attardant sur d’autres. Ils recherchent la lettre A pour exprimer l’amitié ou, plus souvent, le véritable amour. C’est avec l’aide du B que les baisers empruntent la direction des airs, tandis que le T est le complice de la tendresse. Sans relâche, ils expliquent ce que notre cœur a besoin de dire. À chaque instant, nos doigts se frôlent sans pour autant se rencontrer, ou si rarement. Quand cela leur arrive, ils sont si difficiles à se séparer !

    Sur le clavier retrouvé, les lettres favorites sont alors délaissées.

    Le M de la mélancolie ponctue souvent une phrase qui ne se finit pas et le C du chagrin réclame son tour, suppliant le R des retrouvailles quand elles se produiront. Nous pensions être chacun à l’autre bout du tunnel, séparé par une éternité. Nous refusions de croire que dans celui-ci, si la lumière ne circule pas, en revanche la vie y présente. C’est elle qui nous conduit vers le rayonnement des jours, en transportant nos désirs et nos rêves.

    C’est grâce à des espaces comme ces trouées, ces routes, ces fils, que nos horizons se sont rejoints pour ne faire qu’un, afin que nos cœurs n’en finissent pas de se faire des signes ; et, pour certains, de faire naître en leur âme, cet amour qui manquait à leurs jours.

    En ces temps modernes nous n’avons jamais été si proches les uns des autres, avec, suspendu au bout de nos doigts nos pensées et nos sourires.

    Je suis reconnaissant à nos anciens d’avoir tout mis en œuvre pour ouvrir les premiers chemins qui nous permirent de nous rencontrer.

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  • — Pour te rendre la plus heureuse, ma chère amie, j’irai chercher toutes les plus belles pierres des environs et je les entasserai près d’ici, afin qu’elles s’habituent à nos visages et à notre futur lieu de vie. À ton air étonné, je vois bien que tu ne saisis pas la portée des mots que je t’adresse. Sans doute m’y suis-je mal pris pour te faire comprendre que lorsque je serai grand, et si tu le désires toujours, pour toi je construirai la maison dont personne n’aura jamais établi aucun plan.

    Elle sera la plus belle de tous les environs et je crois que beaucoup la jalouseront ainsi que nous certainement puisque c’est nous qui l’habiterons.

    Pour la protéger des vents puissants qui semblent vouloir toujours tout démolir, je la construirai près de la montagne sur laquelle elle s’adossera. Elle regardera loin vers la vallée, jusqu’où les yeux pourront voir, comme s’ils cherchaient à deviner l’avenir. Contrairement aux bâtisses de nos pères, je ferai des ouvertures si grandes que la nature n’aura aucune difficulté pour se joindre à nous.

    Quelle que soit notre place dans la maison, je ferai en sorte que nos yeux se reposent toujours sur ce que la terre sait faire de plus beau. Par les fenêtres, les rayons du soleil nous frôleront doucement, à peine ils seront au-dessus de l’horizon, car je ne doute pas un seul instant qu’ils refuseront de participer à notre bonheur. Je disposerai l’étable dans notre champ de vision afin que notre présence rassure notre bétail. J’ai entendu dire des choses intéressantes, à ce sujet, par des gens bien informés. Il semblerait que les animaux ont besoin de la sérénité des hommes pour vivre dans la quiétude du jour. Il est même des fermiers qui leur font écouter de la musique douce. Il paraît qu’elles aiment cela, et qu’il n’est pas utile de la comprendre pour percevoir et apprécier ce murmure délicieux, diffusé à longueur de journée. Mais je crois que ce qu’elles préfèrent c’est surtout la mélodie des mots qui fredonnent comme des airs qui rappellent ceux de l’amour.  

    Pour la construction de notre demeure, je mettrai les pierres si proches l’une de l’autre, que le passant aura l’impression qu’elles se tiennent par la taille. Elles recueilleront la sueur de mes mains pour rendre le ciment plus dur, afin que nul évènement ne vienne détruire notre nid douillet. Ce sera comme si je donnais une partie de mon âme à celle qui abritera notre amour. Pour que le temps chaque jour n’oublie pas de la caresser, je la ferai à l’écart du village de telle sorte que s’il le désire il puisse y prendre un moment de repos. Je m’arrangerai à la faire très grande, car notre bonheur se saurait être complet sans les pleurs et les sourires de nos enfants.

    Je crois qu’ils seront nombreux, car pour être vraiment heureuse, une maison a besoin de l’innocence et des caprices des tous petits. Quand le soir succédera à la chaude journée, à l’heure où les rêves s’installent délicatement dans les esprits des chérubins, je retrouverai la même voix que ma mère, alors qu’elle chantait les berceuses. Mais ce sera la tienne qui murmurera les contes des mille et une nuits qui naissent au pied des dunes du désert, qui les gravissent en créant à chaque instant des chants nouveaux que le vent s’empresse d’emporter vers les pays du Sud.

    Tu ne me dis rien, ma petite princesse de mon cœur, mais je vois bien dans tes yeux que tu imagines que notre maison ressemblera davantage à un palais qu’à une chaumière faite pour abriter le bonheur. Sois sans crainte, elle ne sera pas celle de l’ennui et nul prince ne viendra nous en déloger. Elle sera bien pour nous et rien qu’à nous.

    Tu penses sûrement que je rêve les yeux ouverts, mais sais-tu que demain est déjà au détour du chemin qui conduit jusqu’à nous ?

    Il ne tarde jamais en route et donne parfois aux hommes le sentiment de vouloir les doubler. Je l’ai vu sur la montre des parents. Il y a une aiguille qui file plus vite que les autres. J’ai compris que c’était le temps qui nous faisait des signes.

    On m’a dit justement à propos de lui qu’il fallait le vivre comme s’il ne passait qu’une fois, et que s’il ne trouve pas de maison où courtiser le bonheur, il file son chemin sans même se retourner vers toi, il feint de ne pas te voir.

     

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    — Depuis toujours, sur notre planète, nous avons constaté qu’il existait bien le jour et la nuit. Ce n’est pas tout à fait par hasard que ces deux entités occupent une grande partie de notre existence. À leur façon, elles nous démontrent combien elles sont utiles à notre épanouissement et que si elles sont indispensables à notre rayonnement, nous ne devons pas pour autant abuser de leur hospitalité. Parfois, il arrive que nous soyons tentés par la nuit, surtout lorsqu’en nous s’installent le doute, la crainte, la honte ou plus insidieusement les maux de toutes sortes. Cependant, ce n’est pas la meilleure façon de guérir de nos malaises que de les tenir dans l’ombre où ils se retrouvent en situation de privilège, car c’est bien vers cette direction qu’ils voudraient nous inciter à nous retirer.

    En toute franchise, imaginez-vous réellement que nous pouvons ignorer que c’est à la lumière que la vie s’écoule et que c’est encore en elle que notre part d’existence se trouve, et non dans les ténèbres où le temps se traîne en enveloppant chacun de son regard d’indifférence ? Il est vrai que lorsque la souffrance nous torture, nous sommes tentés de croire que la nuit n’est sans doute pas plus belle, mais au moins, nous isole-t-elle du reste du monde et de ses regards inquisiteurs. Dès lors, on s’habitue à elle et il nous faudrait déployer peu d’efforts pour nous persuader qu’elle est douce, surtout quand en notre demeure on prend soin de laisser une petite ampoule électrique. On peut même avec un peu d’imagination faire en sorte que des guirlandes multicolores illuminent chacune des pièces de notre maison.

    Ne faisons pas l’erreur de croire que cela ira mieux. Ce que nous voyons alors n’est qu’une lumière artificielle qui se transforme en attrait indispensable et qui trompe notre perception des éléments. Elle nous garde éloignés de la réalité, c’est-à-dire la nuit qui reste profonde et mystérieuse. Tenons de nous l’idée que la vie en retrait repousse le mal. Au contraire, les ténèbres nourrissent son ego. Il est curieux, regarde derrière chaque porte, envieux du lit qu’il pense être fait à son intention. Il s’invite partout où l’on est assez faible pour y faire de la place, et il a un goût exagéré de l’abandon.

    Le plus grave, c’est qu’en fermant la porte au sourire du monde qui nous tend ses bras, nous tenons close également celle de notre cœur. Nous devenons un îlot agressé constamment par les vagues rancunières de l’océan dont nous gênons la progression et qui emporte au large, lors de leur retrait, toujours un peu plus de notre terre.   Là où nous pêchons, c’est quand nous croyons que nous sommes forcément différents du reste du monde. La lumière qui nous inonde est la même pour nous tous, nous ne l’avons jamais entendue marquer ses préférences envers les uns ou les autres. J’insiste donc de toutes mes forces pour dire aux âmes sensibles, aux cœurs meurtris ou abandonnés et à ceux qui souffrent, qu’il est encore temps qu’ils se reprennent à espérer ; et à ceux qui ont envie de se laisser aller vers le bonheur qu’ils n’hésitent plus à franchir le pas. Courez vers la lumière qui vous attend afin de vous couvrir de ses rayons bienfaiteurs pour qu’enfin, vous puissiez retrouver la plénitude.  

    Si tel est votre choix, au premier jour, parce que la crainte ne vous a pas encore abandonné, n’entrebâillez que votre porte afin que votre corps et votre esprit s’habituent à nouveau au confort du renouveau. Le lendemain, ouvrez une fenêtre, puis une autre. Acceptez que la lumière du jour pénètre votre maison et vous transcende. Nous devons admettre que nul ne saurait vivre dans l’obscurité, car les sourires y sont invisibles, de même que les paillettes du plus bel or ne pourraient briller de tous leurs éclats. L’apprentissage de la vie dans la clarté se fait à la manière que l’on a de commencer à nager ou à marcher. Quelques pas, puis quelques gestes pour nous donner de l’assurance, rien de plus.

    Si nous sommes hésitants, nous trouverons toujours quelques mains qui se tendront vers nous pour nous retenir et nous guider. C’est alors que nous aurons appris à maîtriser le nouvel élément que nous nous laisserons porter par lui.  

    Vous le voyez, de la vie, nous n’avons rien à craindre ni de la lumière ni de la foule qui nous entoure. Au contraire, nous devrons sans cesse avancer, car l’éclat de notre regard est comme un printemps dans les yeux de ceux qui doutaient encore.

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  • — Rassurez-vous ; la toile dont je tiens à vous vanter l’existence n’est pas celle qui nous relie en faisant le tour du monde et qui semble nous protéger d’une quelconque venue d’envahisseurs. De cette merveilleuse réalisation des hommes, je vous en ai déjà parlé très souvent et il me semble inutile de ressasser toujours les mots ainsi que le cortège d’idées, les accompagnants, même s’ils sont agréables à entendre et plus encore à écrire, et s’il est doux d’admirer les images qu’ils génèrent.  

    Celle à laquelle je fais allusion, c’est de la toute fine qui commence à l’aube de notre vie, alors que notre esprit possède déjà assez de force pour en lancer le premier fil. Dès lors, c’est un travail de tous les instants qu’il nous faudra produire et sans cesse adapter aux exigences de l’existence. Je ne sais pas si au long de vos déplacements il vous est arrivé d’admirer d’immenses toiles d’araignées qui parfois couvrent des buissons entiers. Elles sont merveilleuses à contempler dès que le jour montre ses premières couleurs sur l’horizon. Chez nous, il arrive qu’elles s’étendent sur plus d’une centaine de mètres et ce sont elles qui me soufflent les idées de ce jour.

    Pour revenir à celle de notre vie, au début elle ressemble à un cocon moelleux dans lequel nous percevons les premières émotions de la mère, la musique qui habite notre future maison et l’amour qui réside dans notre environnement. Puis nous commençons à trouver notre nid trop étroit même s’il est des plus douillets. C’est alors que l’existence nous fait signe de venir visiter les trésors qu’elle met à notre disposition. Tout juste arrivés dans notre Nouveau Monde et parce que nous commençons à nous y agiter, nous réalisons que l’assemblage de nos fils paraît bien fragile. Il nous faut bien vite le renforcer.

    Voilà que nous lançons à la hâte un fil puis un autre. Notre univers grandit et déjà l’envie de parcourir pour la première fois notre toile nous crie de partir à sa découverte. C’est alors qu’aux confins de notre trame nous apercevons des voisines. Quelques-unes d’abord ; puis des dizaines et des centaines, comme un village réuni autour de son clocher. Il nous vient à l’esprit que nous ne devons pas nous laisser déborder si nous voulons conserver le privilège de notre liberté. Rapidement, il nous faudra construire une toile plus grande et plus solide.

    Déjà en notre mémoire les premiers souvenirs s’organisent et nous font signe qu’ils désirent être préservés. Rien que pour eux, nous ferons en notre esprit des niches pour les protéger des agressions du temps. Afin de ne rien laisser échapper des beautés des jours, nous inventerons de nouvelles architectures pour qu’ils y demeurent à jamais et ne nous oublient pas. 

    C’est alors qu’au milieu de toutes les toiles qui nous entourent se dessine celle qui deviendra notre compagne. De nombreux fils seront tendus dans sa direction jusqu’au matin où elles seront définitivement reliées. Mais avant, nous aurons fait le nécessaire pour rendre notre nid douillet et séduisant. La nouvelle géométrie des trames s’unissant avec harmonie défie les lois de l’équilibre. La vie s’écoule en écoutant la musique du vent s’amusant à travers les fils.

    Si vous apercevez des fils qui pendent négligemment, ne vous étonnez pas. Ce n’est pas un oubli. Les heures nous avaient discrètement recommandé de faire ainsi, afin que les jeunes issus de notre amour ne se sentent pas prisonniers de leur nid et puissent, au jour qu’ils choisiront, s’évader vers d’autres contrées. Chaque aurore accrochera ses myriades de gouttelettes de rosée à la trame pour que les premiers rayons du soleil dessinent des arcs-en-ciel afin que la vie soit encore plus colorée. Nous serons alors au solstice de notre union.

    Un soir, jugeant que nos existences n’avaient plus rien à apprendre du temps qui avait écrit ses règles sur chacun de nos fils, nous resterons immobiles à regarder les fils doucement se replier. Ils ne formeront pas un nouveau cocon, mais un linceul élégant, celui que nous aurons tissé tout au long de la vie et qui nous gardera enlacés pour l’éternité.

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