• La traverse de l'oubli— Allant du même pas sur le chemin de l’existence, je ne m’étais jamais posé de question particulière qui auraient pu entraver ma marche vers l’avenir. Je pensais bien que l’on ne pouvait à la fois regarder devant et derrière soi sans risquer de se mettre en retard quand au rendez-vous que nous nous étions fixé avec le destin.

    Cependant, à une certaine étape de la vie, je ne pus empêcher une énigme de hanter mon esprit. Elle se faisait récurrente, m’indiquant ainsi qu’elle exigeait une réponse dans les meilleurs délais.

    Je me posais donc un instant, évitant de me retrouver à la croisée d’autres chemins, afin que je ne sois pas tenté de changer de direction. Il est si difficile de se remettre en cause quand le temps qui nous fut imparti se fait avare de ses jours.

    Une petite voix me répétait sans cesse :

    — Sais-tu depuis combien de temps tu arpentes cette route ?

    — C’est alors que je réalisais que j’avais choisi celle-ci en ignorant les raisons qui me firent l’emprunter. Il est vrai qu’alors, pour moi, tous les chemins se ressemblaient. Les uns ou les autres, où pouvaient bien se situer les différences, si toutefois elles existaient ? Certes, elles ne conduisaient pas toutes au même endroit, tant s’en faut ! Mais à la réflexion, mes jambes bien trop courtes m’empêchaient de voir au-delà les clôtures et les haies de nos campagnes. Alors peu m’importait ce que l’on pouvait découvrir au bout des chemins.

    Cette question avait néanmoins éveillé en moi une certaine curiosité. Je fis donc l’effort de remonter les évènements qui se bousculaient en ma mémoire.

    Je finis par trouver.

    Je n’étais qu’un enfant et il me plaisait de parcourir ce chemin en terre, qui sous le soleil laissait s’installer la poussière. Dans celle-ci, alors, j’aimais écrire combien je t’aimais. Je dessinais aussi des cœurs si gros que nos deux noms pouvaient s’y donner la main. Quelqu’un avait planté de nombreux arbres sur les bas-côtés. Ils donnaient l’impression d’être les traits d’une marge qu’il ne fallait jamais dépasser. Ils séparaient les champs et les prairies des nombreux chemins de traverse.

    L’existence est ainsi faite qu’avec les arbres, nous grandissions à notre rythme, ignorant, alors que nous bénéficiions de la même lumière et sans attacher d’importance au nombre des années. Nous avancions ; quoi de plus naturel, en somme ? Jusqu’au jour où je pris conscience que les jours passaient à vive allure. Pour m’en convaincre, je n’avais qu’à me pencher au-dessus des cœurs que je continuais à dessiner. S’ils étaient les mêmes, à l’intérieur les noms changeaient. J’avais même supprimé une phrase : pour la vie !

    Quelque chose me disait que le parcours des hommes devait ressembler aux saisons. Certes, elles sont identiques, mais toutes ne connaissent pas la même félicité.

    Un matin, un grand bruit me tira de la léthargie dans laquelle je me complaisais. Me retournant, j’aperçus une armée d’hommes et d’engins qui avançaient dans ma direction. Je crois qu’ils avaient compris qu’aucune de celles dont le nom se morfondait à l’intérieur des cœurs ne viendrait plus au rendez-vous fixé.

    Ils avaient deviné qu’aucune de mes princesses ne viendrait découvrir les messages que j’imprimais sur le chemin.

    Afin que nul souvenir n’aille rejoindre les étoiles, ils recouvrirent la poussière de mon chemin qui disparut sous le bitume et le gravier. Pour s’assurer qu’aucun mot ne s’échappe, ils passèrent et repassèrent avec d’énormes rouleaux compresseurs, enfonçant mes cœurs jusque dans l’âme de la Terre.

    Qu’importe ; j’avançais et je n’éprouvais pas le besoin d’avoir une pendule qui égrène et décompte le temps qui m’accompagnait. La seule horloge que je reconnaissais alors était celle de l’Univers, qui ne s’arrête jamais. Avec précision, elle fait naître les matins et accroche les soirs dans les ramures, avant d’éteindre le jour, comme si elle voulait l’économiser.

    Depuis, je connais la longueur du temps, car les arbres grandissants allongent leurs silhouettes sur ma nouvelle route. Je sais aussi le chemin parcouru, car mon pas est plus court et plus lent, devenant même incertain. Je comprends maintenant pourquoi les arbres ont grandi plus vite que moi. Ils avaient découvert qu’un jour j’aurais besoin de la fraîcheur de leur ombre au plus fort de l’été. Je sais aussi qu’au bout de ma route le brouillard m’attend alors que l’automne est encore loin.

    Je devine qu’il désire que nous associions nos passés pour en faire l’oubli de la vie que nulle âme ne croisera sur ma route.

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010 


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  • Belle est la mariée

    — Aujourd’hui, loin, très loin est Mahazoarivo. Irai-je jusqu’à dire que de l’eau a coulé sous les ponts ? De l’eau, certainement ; mais des ponts, il n’y en eut pas, puisque ce sont des océans qui s’invitèrent à la destinée des uns et des autres.

    Sur cette propriété, longtemps les souvenirs ont essayé de s’accrocher aux rameaux des fruitiers, au rang desquels se trouvaient en bonne place les jamblonds, les oranges, les mandarines et autres goyaves-fraises.

    Les bananiers avaient rendu l’âme, désolés de voir leurs régimes mangés par les oiseaux. Le lieu dit n’était pas désagréable à vivre, bien au contraire. Sur cette belle parcelle de terre, on avait senti la liberté y résider, clignant de l’œil à la sérénité.

    Oh ! Rien n’avait jamais été fini ; enfin, devrais-je dire plutôt que tout était commencé, mais que le temps avait fait son œuvre et qu’il refusait d’être partout à la fois ? Pour qu’elle fût parfaite, aurait-il fallu que de nombreux cris d’enfants s’y fassent entendre, les uns interpellant les autres juchés dans les arbres !

    Mais d’enfant, ne restait plus que la jeune fille aperçue dans son bain. Les autres s’en étaient allés vivre leur vie, vidant ainsi Mahazoarivo de sa bonne humeur et de sa quiétude. Parfois, croirait-on, la destinée se prend les pieds dans ces combinaisons, ce qui fit que dans la famille, l’écart entre le dernier et les frères et sœurs était trop important pour qu’ensemble ils partagent les mêmes désirs de l’existence. On eut dit qu’une vie s’était glissée entre eux, installant son malaise au fil des jours. 

    Mazo, comme on avait nommé le lieu avait fini par trouver son équilibre ; précaire sans doute, mais ayant le mérite d’exister.

    La petite vivait donc entourée de ses songes, les yeux tournés vers le destin, comme pour lui demander conseil. Les jours semblaient seulement un peu plus longs, comme s’ils prenaient le chemin des écoliers. Le temps était divisé entre l’école, le sport, la chasse, le tricot et aussi la couture.

    La retraite du père permet à la petite famille de sillonner la grande île à la recherche du temps jadis.

    Aucune région n’est laissée en route et partout flotte un air déjà connu. On aurait dit que la nature tenait à saluer ces gens qui avaient tant donné, comme si elle avait deviné qu’ils faisaient sans doute un dernier voyage, à la manière que l’on a de faire une ultime visite au verger pour y cueillir les derniers fruits d’une saison que l’on devine finissante.

    Un à un, les enfants étaient rentrés au pays, comme on disait à l’époque pour dire qu’ils avaient rejoint celui des ancêtres paternels.

    Longtemps après le dernier départ, il fallut bien des négociations pour inciter le père à suivre ses enfants. Il avait toujours une excuse puis une maladie pour repousser le voyage.

    Pendant ce temps, la mère et la fille descendaient pêcher dans l’un des cinq immenses bassins qui retenaient plusieurs espèces de poissons délicieux, faisant à la surface des ronds allant en grandissant, comme s’ils voulaient faire comprendre à la jeune fille qu’ailleurs il y avait aussi un ciel et des espérances à revendre.

    Revenant à la charge comme les vagues finissant toujours sur la plage, la mère obtint enfin que la jeune fille rejoigne à son tour le midi de La France où s’étaient réunies les autres membres de la famille. Ce faisant, pensait-elle, peut-être finirait-elle par convaincre le père que l’heure du départ était enfin arrivée.

    C’est alors que nos chemins se sont croisés puis ont fini par se réunir.

    Nos solitudes venaient de se jurer fidélité. Elle avait vingt ans et dans mon cœur elle les a toujours. Certes, je ne puis parler à sa place, mais je crois qu’elle fut heureuse et qu’elle l’est toujours. Selon la coutume, nous nous étions unis pour le meilleur et pour le pire.

    Des années plus tard, en souriant, nous avons dit que ce fut souvent le pire. Qu’importe, nous avions confié notre destin au Dieu de l’amour et je puis vous dire qu’il veilla sur nous avec bienveillance. Il ne se passa pas de jour sans qu’il nous rapprochât toujours plus, et pas uniquement nos corps, mais aussi nos âmes.

    Depuis, cinquante années se sont écoulées et nos mains ne se sont jamais séparées.

    Dans notre corbeille de mariage, ma princesse déposa trois beaux enfants et ceux-ci agrandirent la famille de quatre petits enfants.

    Et savez-vous ?

    Nos regards se recherchent toujours ; après avoir prêté serment devant les hommes, c’est à la forêt que nous avons confié notre bonheur afin qu’il vive heureux sur la mousse délicate, environnée de mille chants d’oiseaux qui lui font battre le cœur au rythme du temps.

    Songeur, parfois je me demande ce que j’ai fait pour mériter une si belle épouse, aimante et discrète, à ce point que l’on a toujours envie de partir à sa recherche, par crainte qu’elle ne s’éloigne.

     

     Amazone Solitude 


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    Le Futur commence à Mahazoarivo— Je sais, l’intitulé de ce billet ne vous dit probablement rien ; pas plus que les personnages qui sont fixés à jamais sur la photo d’un autre temps, dans un autre monde, sur un autre continent. L’une est une maman attentionnée ; l’autre, une enfant insouciante.

    La propriété se trouve à quelques marches de la capitale Antananarivo, la Tananarive d’antan.

    Le temps est beau malgré la fraîcheur qui s’installe sur les plateaux dès la nuit venue. Délaissons le paysage qui somme toute est assez rudimentaire pour laisser notre regard s’attarder sur l’enfant au bain.

     Elle n’a encore que quelques années. Ce sont celles que l’on dit être de la candeur et de la découverte du monde qui l’entoure et auquel elle ne comprend rien, puisqu’elle n’est pas en âge de se poser des questions à son sujet.

    Sincèrement, pensez-vous qu’il y ait vraiment un âge pour mettre sur les rails qui les guidera, les réflexions de l’avenir ?

    Nous rapprochant de l’enfant, nous constatons non sans étonnement que ses cheveux se dressent non pas de stupeur, mais en forme de point d’interrogation.

    Apparemment, la petite est précoce et contrairement à ma première réflexion, elle ne semble pas être à son premier questionnement ! Sous le regard attentif de la mère, la fillette ne dit mot, mais il est facile d’imaginer que son esprit trahit ses pensées qui se bousculent, alors que piétinent les questions en attente de réponses.

    Nous ne pouvons nous empêcher nous-mêmes de nous interroger. À partir de quel âge est-il raisonnable d’envisager l’avenir ?

    Bien malin sera celui qui pourra répondre à cette énigme, me direz-vous, tant de critères se disputent pour revendiquer la meilleure place.

    La précocité est-elle héréditaire ou seulement liée à l’environnement ?

    L’esprit tient-il compte dès le plus jeune âge des émotions et des rêves ?

    Sérieusement, pouvons-nous envisager que la vie n’est rien d’autre qu’un immense puzzle dans lequel chaque élément à sa place de réservée ?

    Existe-t-il une époque particulière pour que chacun dessine les contours de son avenir qu’il espère différent de celui de ses aînés ?

    Il est vrai que les yeux d’enfants n’ont pas la même perception des choses de la vie. Ils ont toujours tendance à voir le monde plus grand qu’il n’est en vérité. C’est la traduction des échelles, probablement, qui s’amusent de nos visons juvéniles. L’enfant aura toujours tendance à appuyer une couleur pour la rendre aussi lumineuse que dans ses songes. La beauté et la laideur ne rivalisent plus, sachant que l’une peut toujours devenir plus belle alors que l’autre n’a pas encore perdu ses chances de voir un matin, se fixer sur elle, la clarté d’une aurore particulière.

    Mais l’esprit lui évoluera sans doute moins vite, car il est déjà en place. Il ne se trompe que très rarement lorsqu’il choisit les évènements qui font naître les sentiments, les émotions, les images et les mots pour les décrire et les reconnaître.

    Au cours de notre vie, nous rencontrons beaucoup de gens déçus de ce qu’ils découvrent autour d’eux, alors qu’ils sont à peine éveillés. Je ne puis me retenir de penser qu’à l’aube de leur vie, s’il y avait eu quelqu’un à leur côté qui soit suffisamment clairvoyant pour montrer et parler avec sincérité de la réalité, sans nul doute possible, il y aurait moins de personnes surprises par les travers de l’existence.

    L’imagination, elle, a tout le reste de la vie pour se mettre en place et devenir fertile.

    L’espérance grandira avec le temps, sans chercher à le dépasser ni le provoquer.

    Dans les rêves de la toute jeune fille, se dessine probablement déjà une forme particulière de l’existence. Elle ne sait pas encore avec exactitude quels contours elle revêtira, mais au fond de ses yeux, un ciel se met en place et elle ne doute pas un instant qu’il ne sera pas celui qui repose en ce jour sur leur demeure.

    Cette enfant qui semble regarder avec insistance dans ma direction, pensez-vous qu’elle m’aperçoit, me débattant dans mes questionnements ?

    S’il vous est agréable de retrouver la jeune fille quelque temps plus tard, rejoignez-moi demain ; je vous promets que vous ne serez pas déçus !

      

     

      


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  • — Dans la vie des hommes, les photos sont de réels trésors qui ne sauraient être comparés à aucune autre richesse. D’un seul coup d’œil, sans que nous ayons besoin de demander des efforts à notre mémoire, elles nous dévoilent ce que nos yeux oublieux avaient mis de côté depuis trop longtemps.

    Au-delà des personnages qu’elles nous montrent, il y a les panoramas, les lieux que parfois nous avons magnifiés plus que de raison, et chacun d’eux est heureux de nous rappeler une histoire vécue avec émotion.

    Voilà que d’un simple cliché c’est toute une vie qui défile sans que nous puissions ne rien faire pour l’arrêter.

    C’est ainsi que regardant cette photo jaunie qui tomba entre mes mains bien des années après qu’elle fût prise, je compris que nous avions traversé plus d’un demi-siècle.

    Observant de plus près ces garçons, je ne pus m’empêcher de penser qu’hier ils étaient des garçons en culotte courte, comme on avait l’habitude de dire en ce temps-là, que l’on s’apprêtait à élever au rang d’hommes, promis à de merveilleux lendemains.

    N’avaient-ils pas déjà le regard posé loin devant eux, au-delà même de l’horizon, pressé d’en découdre avec le monde qui semblait les provoquer ?

    Leurs yeux jamais assouvis de découvertes, grands ouverts sur les fantaisies de la vie, ils s’étaient promis que bientôt ce serait la leur qu’ils construiraient.

    Entre le rêve et la réalité, il y a parfois bien des différences quand elles ne sont pas tout simplement des déconvenues. Les fossés se creusent devant les pieds qui se voulaient volontaires, les stoppant net dans leurs perspectives.

    L’existence s’est chargée de séparer ces jeunes garçons, en inventant pour chacun d’eux une destinée particulière.

    Quelques-uns, après avoir observé un planisphère ont trouvé que finalement le monde était bien grand pour oser l’affronter, voir le défier. Pour justifier l’immobilisme dont ils furent atteints, ils en prétendirent que c’était la sagesse qui les avait conseillés, leur soufflant à l’oreille que chez eux aussi on allait avoir besoin d’eux.

    Quels que soient les travaux que les uns et les autres ont réalisés, il y aura toujours besoin d’une nouvelle main pour fixer la pierre qui confortera l’édifice.

    Les plus curieux, ceux qui avaient déjà la tête dans les étoiles en leur qualité d’enfants de la Terre comme ils s’étaient eux-mêmes nommés n’avaient pas attendu que l’on vînt les chercher.

    Le sac à dos rempli d’espoir, ils se lancèrent par les routes, confiant qu’au bout de chacune se trouvait la maison qui abriterait leurs songes. Parmi ces rêveurs, quelques-uns savaient que la vie ne leur ferait aucun cadeau. On ne la connait pas bienveillante à ce point, qu’il suffit de fermer les yeux pour découvrir ce que les autres avant eux n’avaient jamais remarqué.

    Le rêve éveillé n’appartient qu’aux poètes qui détiennent le pouvoir de l’accompagner de mots subtils pour dire d’une chose ou d’un sentiment que c’est l’extase à l’état pur !

    D’autres jeunes, s’ils se sont éloignés, l’ont fait qu’en restant prudents, comme une mère poule ne perdant pas de vue sa couvée.

    Parmi ces hommes en devenir, il en est qui ont définitivement tourné le dos au village, estimant qu’il n’était pas utile de rester les pieds dans la boue pour conserver l’odeur de la ferme. Il y a des évènements qui sont écrits dans la mémoire pour la vie, et il n’est pas indispensable de fermer les yeux pour les revoir danser devant soi.

    Certains prétendent que la mémoire enregistre ; moi je dis que certaines ont été tatouées afin que nulle émotion ne s’égare en chemin. En tous lieux, une histoire peut s’écrire. La différence se trouve dans les parfums des épices qui ponctuent chaque phrase.

    Ils étaient les hommes de demain.

    Aujourd’hui, répartis à travers le pays et parfois même éparpillés sur les continents, ils ont en commun un bonheur qui les rapprocha alors qu’ils l’ignoraient. Ils eurent le même regard émerveillé, ainsi qu’une émotion identique lorsqu’ils se penchèrent sur le berceau pour admirer combien la vie était belle quand elle venait de naître, tendant sans vraiment les distinguer, ses petits bras vers d’autres lendemains.

    On se dit alors qu’il importe peu que la nôtre soit une réussite ou non ; l’important est de tout mettre en œuvre pour que celle qui attend nos enfants, soit la réussite qui parfois nous aura échappée.

     

     

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  • Voyages et Passions

    — Sur les pages qui nous unissent, bien souvent nous parlons de voyages. Au fil du temps, nous comprenons qu’il n’est pas toujours utile d’aller bien loin pour donner à nos déplacements un petit air de fête.

    J’ai eu ce privilège de pouvoir me rendre en de nombreux lieux. Je vous rassure tout de suite, j’ai soigneusement évité les grandes métropoles dans lesquelles on n’aperçoit rien qui puisse réellement retenir le passant ordinaire toujours prêt à s’émerveiller.  

    Ce sont les mêmes gens pressés et indifférents qui déambulent dans les rues, se heurtant à d’autres marcheurs aux regards si perçants que personne n’ose s’excuser.

    Le long d’avenues qui semblent ne mener nulle part, les immeubles se succèdent sans se lâcher d’une pierre, comme s’ils craignaient de se perdre. Sur leurs façades, on devine les mêmes rêves qui n’ont jamais abouti et le ciel fait mine de prendre de la hauteur pour ne pas avoir à se poser en pareils lieux.

    Mon plaisir, sans doute particulier, diront quelques-uns, c’était de partir à la rencontre des gens des campagnes ou le plus souvent de la brousse, ceux qui vivent au plus près de la réalité, pour ne pas dire au cœur de l’existence. Chez eux, quand on pousse la porte (s’il en existe une), on a le sentiment que c’est un livre d’histoire qui s’ouvre à nos yeux émerveillés, nous offrant des histoires extraordinaires et des images si belles, que l’on ne fait aucun effort pour les conserver au fond des yeux.

    Empreints de vives émotions, à chaque page, ce sont des coutumes et des traditions qui nous sautent au cou et qui nous invitent à entrer plus profondément dans le cœur des hommes. Nulle découverte n’offre autant de passion qui bute sur chacun des sourires et des regards.

    Afin de savourer nos découvertes, point n’est besoin de s’encombrer de moult bagages. On ne vient pas pour prendre, mais pour donner.

    La plupart du temps, on ne dira rien, occupés que nous serons à découvrir ceux qui nous accueilleront. Il nous sera demandé d’écouter soigneusement afin que notre esprit se souvienne et s’enrichisse. La connaissance des mots nous sera utile, mais au fil du temps, nous nous apercevrons bien vite, que, quelle que soit notre culture, il nous manque toujours ceux qui pourraient décrire un personnage ou une situation avec les termes épousant leurs formes, tel un costume taillé sur mesure.

    Le bagage léger, dis-je, car il nous faut garder les mains libres pour serrer celles qui ne manqueront pas de se tendre.

    Aucun voyage ne peut faire de la place, si minime que ce soit à une quelconque critique. Nous ne partons pas pour juger, mais admettre que les différences contribuent à enrichir le monde. J’ai remarqué au cours de mes pérégrinations que certains voyageurs avaient la mauvaise habitude de transporter leur quotidien avec eux, comme s’ils ne parvenaient pas à se défaire de vieux vêtements pourtant largement dépréciés.

    Ils n’ont pas compris que partir à la rencontre des autres, c’est avant tout, laissé suspendu à une patère, l’enveloppe qui fait que nos jours soient débordants d’aprioris et de frustrations.

    L’habit que nous aurons revêtu devra être assez ample pour y abriter les trésors que nous récolterons au long de notre périple.

    La musique des peuples est aussi riche que leur histoire. Nous ne nous lasserons pas d’écouter les messages qu’elle véhicule sur des airs qui s’envolent pour se métisser dans toutes les contrées du monde. Les refrains et les couplets forment une chaîne invisible autour de la planète de sorte que nous entendions ce que la mélodie veut nous faire comprendre. Elle a tant à nous dire !

    Depuis longtemps, j’ai posé mes bagages. Je ne vous cache pas que je n’ai toujours pas fini de déballer les enseignements que j’ai récoltés par les routes.

    Le voyage qui aujourd’hui ressemble le plus à ceux qui m’ont conduit loin de mes origines est celui que je fais en votre compagnie.

    Ceux qui recherchent de l’or devraient apprendre de vous ; les richesses que vous nous offrez sont tellement supérieures à celles convoitées, car notre regard se pose bien au-delà d’un simple panorama, aussi beau soit-il.

    Pour symboliser le voyage, je n’ai rien trouvé de mieux que de vous présenter le Ravenala, l’arbre du voyageur. Lui aussi a fait le tour du monde en s’adaptant en des milieux que l’on disait hostiles. 

    Pour nous montrer son contentement, bien vite il vous offre un large éventail et la base de ces feuilles, en les perçant, une eau salvatrice vous abreuvera, si dans les environs, aucune source n’offre son onde claire.

    Si vous passez dans la région, dans une entrée, vous ne manquerez sans doute pas les deux qui bordent une allée. Vous êtes chez nous. Vous finirez de remonter le chemin et nous nous retrouverons. Ensemble, mêlant nos souvenirs et nos sourires nous parlerons voyages, puisque vous serez arrivés à votre escale et qu’il sera tant pour les uns et les autres de prendre un repos bien mérité.

     Amazone. Solitude. 


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