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    LE Baiser volé— Depuis les premières heures du jour, ils étaient ensemble. Il le lui avait promis et il tint parole en se rendant dans cette ville du bord de l’océan, dans les rues de laquelle ils étaient allés au-devant de leur histoire, essayant de la lier à celle des vieilles pierres qui en avaient vu bien d’autres.

    C’est qu’un destin amoureux ne peut naître au milieu de nulle part. Il a besoin que l’on se souvienne de ses premiers espoirs, ses premiers battements du cœur qui soudainement se prend pour un torrent venant de se libérer des glaces hivernales.

    Ils étaient assis devant la mer qui venait sans cesse déposer une nouvelle vague à leurs pieds, telle une offrande. Ils se tenaient par la main, semblant absorbés par le va-et-vient de la mer qui, pensait-on, les avait hypnotisés. Elle posa sa tête sur l’épaule de celui qu’elle aimait en secret depuis si longtemps sans jamais avoir eu le courage de lui dire.

    À cet instant elle ne voulait rien d’autre qu’un peu de tendresse et au plus profond de son être, elle espérait qu’il prononcerait les paroles qui la transporteraient dans un monde merveilleux. Mais il ne disait rien, le regard posé sur un point de l’horizon. À cet instant il ne pouvait rien dire ; il goûtait seulement à ces instants de liberté volés au temps. Les premiers mots qu’il prononça ne furent pas ceux qu’elle avait attendus depuis tout ce temps.

    Elle ne put retenir ses larmes quand, presque dans un murmure il lui dit :

    — Tu vois cette ligne qui partage nos continents, bientôt je l’aurai dépassée et seul Dieu sait ce qu’il adviendra de moi.

    Elle répondit :

    — Je t’attendrais le temps qu’il faudra.

    Il la serra contre lui, mais pas de la manière qu’elle désirait. Il la rapprocha seulement à la façon qu’a un père de protéger son enfant.

    — Cela n’est pas possible petite fille, enchaîna-t-il. Je pars très loin et pour longtemps. Je ne sais pas si je reviendrai un jour et il y a autre chose qui m’interdit de t’aimer comme tu le désirerais.

    — Je ne t’ai jamais avoué que je t’aimais, osa-t-elle se défendre.  

    — Tu sais, répondit-il simplement, je ne suis pas aveugle. Il y a bien longtemps que j’ai deviné que pour toi je représentais plus qu’un ami. Je sais le mal que je puis te faire, mais crois moi, je ne suis pas encore prêt pour fonder un foyer. Il me faut encore du temps, beaucoup de temps pour comprendre les mystères de l’existence et défaire l’enchevêtrement qui noue les intrigues de ma vie.

    Il me faut savoir si sur cette terre, le bonheur existe et dans quel pays il demeure. Je veux rencontrer des gens qui aiment, qui ne connaissent pas l’amertume ni la haine. Si le bonheur est vrai, je veux le voir, le sentir et le toucher. Je veux m’assurer que j’existe au milieu de ces tourments et ce à quoi je suis destiné.

    — Mon amour, se risqua-t-elle, pourquoi veux-tu aller si loin ? Cet amour, que tu cherches et tout près de toi, mais pour l’instant il te plait de l’ignorer !

    — Non, mon amie, le bonheur d’ici n’est pas pour moi. Il s’est toujours refusé à moi, il m’a ignoré. Pire, il n’a cessé de me meurtrir au plus profond de mon être. Penses-tu que le plus beau diamant du monde garde tout son éclat en dehors de son écrin ? Crois-moi, s’il est ailleurs, je le ramènerai. Ne sois pas triste, car pour toi aussi le bonheur t’attend au détour d’un chemin. Il te rejoindra à un moment que tu ignores et j’espère qu’il sera encore plus beau que celui que tu vois dans tes rêves. Tu dois bien te douter que l’on ne peut être heureux que si l’amour est partagé ! Un seul être ne peut à lui seul aimer pour les deux. En de telles circonstances, le drame n’est jamais loin. Ce n’est pas cela que tu espères, je le sais.

    — Pour toi, ma belle enfant, j’aurai été une bouffée d’air frais venue du large pour apaiser ton cœur quand il était au plus mal, peut-être une étoile dans le ciel à laquelle tu auras accroché tes espoirs. Mais dans le matin, toutes les étoiles s’éteignent, et au soir, quand elles réapparaissent, tu ne retrouves plus celle sur laquelle tu avais posé ton regard.

    Elle comprit que la séparation était proche. Elle se jeta contre lui, ne pouvant plus retenir ses sanglots. Son corps était pareil au navire perdu dans la tempête. Alors, dans un ultime effort et sans qu’il puisse s’y opposer, elle lui vola un baiser. Un seul, se dit-elle, non pour sceller notre amour, mais pour sanctionner notre séparation.

    En son esprit, il était la plus belle chose qu’elle n’avait jamais détenue.

    — Mieux, se dit-elle, il sera un secret que jamais je ne partagerai avec quiconque. Quand, en mon esprit il fera aussi sombre que dans le ciel, il me suffira de passer la langue sur mes lèvres pour retrouver la saveur de l’amour. Il sera inoubliable, puisque ce baiser volé gardera à jamais le goût de la mer, parce que ce jour-là elle fut ma complice.

    Amazone. Solitude.

     

     


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  • L' ANGELUS— Maintenant que dans ma vie il se fait plus tard, je puis sans crainte regarder par-dessus mon épaule, tous ces jours qui ont construit mon existence.

    D’une expérience à une autre, ils m’ont appris que les aubes ne se ressemblent jamais, et qu’une saison peut être belle tandis que la suivante sera triste ; une nuit s’accompagne de doux rêves alors que la suivante n’est peuplée que de cauchemars. Cependant, tel un fil, un sentiment plus fort que les autres s’extirpe de cet écheveau que le temps s’est complu à mêler.

    Je suis fier d’avoir appartenu à cette merveilleuse époque où dans les campagnes les animaux et les champs revêtaient une importance plus grande que celle destinée aux hommes. L’humilité habitait depuis toujours ces corps de fermes qui, pensait-on, avaient traversé le temps sans jamais avoir connu un autre ciel. Les pierres avaient gardé l’empreinte des années et il semblait que plus rien ne pouvait jamais leur arriver.

    Seules les granges dominaient les autres bâtiments, nous laissant deviner que l’espace était nécessaire pour stocker les fourrages qui seraient distribués durant la longue saison hivernale. L’habitation des hommes elle, était plus modeste.

    La grande salle dans laquelle se déroulait le quotidien avait deux portes. L’une donnait sur la cour l’autre sur l’étable. Des bêtes, il ne fallait jamais en être éloigné. Dans ces bâtisses d’un autre temps, il y faisait froid et humide. Les rires remplissaient rarement l’espace et le soleil restait sur le seuil, la porte demeurant trop étroite pour permettre aux rayons de visiter l’intérieur.

    Les pièces étaient meublées sommairement avec juste ce qu’il fallait. On n’aimait pas l’inutile. Les grandes cheminées qui avaient avalé des forêts entières ne chauffaient que le derrière des marmites. Elles étaient noircies par des heures passées sur les braises et à la fumée et auraient pu nous raconter la vie de ces ustensiles dans les ventres desquels tant de bonnes choses avaient perdu leurs illusions.

    Sur le plancher disjoint, usé par des sabots trainants, on pouvait lire l’histoire des générations. Les marques les plus profondes révélaient la fatigue ou le crépuscule d’une vie. Ces maisons austères réunies en villages comme si elles voulaient moins s’ennuyer avaient un meuble commun : la grande pendule qui expliquait aux gens que le temps existait et qu’elle en était la seule comptable. Son silence soudain indiquait qu’une main avait stoppé la marche du balancier, indiquant que l’un des locataires s’en était allé.

    De toute évidence, on y préférait les heures qui carillonnaient, suspendant un sourire dans le village, car il s’en trouvait qui avançaient, tandis que d’autres retardaient. C’est alors que résonnait l’horloge du clocher, mettant tout le monde d’accord.

    Dans ces maisons d’un autre temps, sur les murs enfumés et patinés, nous retrouvions dans chacune d’elle les mêmes couleurs. L’éternel tableau des glaneuses qui rappelait les moissons blondes de l’été, et jamais loin de lui, celui de l’angélus montrant les gens priant au milieu des champs. En ce temps-là, on n’allait pas souvent à l’église, mais on n’en respectait pas moins ses rites.

    Oui, j’ai eu le privilège de grandir dans cette ambiance rude, mais ô combien généreuse et tellement enrichissante ! Chaque élément avait une histoire, une histoire qui se regardait et s’écoutait. Elle ne se racontait pas ou seulement à voix basse, car elle était pudique, n’aimant pas se faire remarquer.

    Les gens de la campagne étaient un peu voûtés, parce que la terre avait décidé qu’elle était trop vieille pour monter vers les bras qui l’entretenaient. Ce sont eux qui sont venus vers elles, car les serviteurs de la terre ne sont heureux que lorsqu’ils sont proches de celle qui les nourrit. Quand les visages étaient au-dessus de la surface pierreuse et souvent boueuse, ils étaient parfois rayonnants et il ne fallait pas être surpris de voir les lèvres des plus anciens prononcer quelques mots.

    Seuls ceux-ci connaissaient les phrases qui faisaient se plisser les champs de contentement, faisant des vagues au creux desquelles les grains se réfugiaient, pour germer sous les rayons tièdes de la saison suivante, celle du renouveau et de l’hirondelle.

    De saison en saison me voici loin derrière le temps, mais l’odeur de la terre et des fermes d’alors n’a jamais quitté ma mémoire. J’entends encore les cris des laboureurs, le chant des alouettes et l’appel des bêtes avant la mise bas. Je revois les fumées qui montaient des toits moussus et qui hésitaient avant de rejoindre les ciels d’automne et surtout les longues soirées d’hiver devant la cheminée où grillaient les marrons parfumant la pièce tout juste tiédie, mêlant l’odeur du chêne à celle des fruits du châtaignier. Pour une fois, dans l’âtre, ceux qui s’étaient regardés de loin pendant de longues années étaient réunis dans une même solitude douloureuse.

     

    Amazone. Solitude.


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  • Sans racine, la Forêt pour Famille

     — Je connais maintenant l’importance des contes de Noël, mais j’admets qu’il me fallut bien du temps pour en apprécier le sens. C’est que du conte, je m’étais imaginé qu’il démontre que s’il ne débutait pas forcément bien, il finissait toujours dans le bonheur ou au moins sur une note plus joyeuse.

    Mais comment interpréter une histoire quand longtemps après son écriture vous vous apercevez que finalement, c’est vous qui en aviez le rôle principal ? 

    Alors, le désir me vint, qu’après tout je pouvais bien, pour une fois, me donner un certain avantage. Voyez-vous, j’ai eu le privilège de naître au cœur d’une forêt. C’était sans doute une année qui ressemblait à la fin de l’une de celles qui semblent s’accrocher de tous leurs flocons à nos souvenirs, avec un froid polaire, puisqu’il est bien connu qu’il conserve indéfiniment. 

    Venir au monde dans une forêt loin de tout et de tous n’est pas une arrivée banale. J’en déduisis donc que j’étais tombé d’un nid, car dans mon enfance, on me rappela souvent que j’étais un oiseau rare et parfois même un de ces volatiles sans cervelle ! 

    Cette expression, il me plut de la conserver, car comme eux, j’ai sauté de branche en branche avant de prendre mon envol. Mieux, longtemps avant l’automne de ma vie, comme tant d’autres oiseaux migrateurs, je me suis enfui vers les pays que les gens du nord désignaient comme étant les pays chauds. 

    Imitant les colibris, j’ai eu l’infime plaisir de visiter les cœurs. Sans racine, mais loin d’être un ingrat, je me suis donc fabriqué mon arbre généalogique. Après tout, avant de tomber du nid construit avec soin dans la fourche d’un puissant arbre, il n’est pas impossible que je n'eusse pas hérité de quelques gènes. 

    Mêlé aux nombreux autres peuplant les lieux, cela eut pour effet de m’attribuer une génétique particulière et passablement compliquée. 

    Du hêtre je suis assuré, puisque de toute évidence je fus et que je suis encore. Le chêne me prêta sa force et sa solidité puisqu’en ce matin particulier je survécus à la tempête.

    Du joli bouleau, sans doute suis-je apparenté, puisque dans ma vie je n’ai jamais manqué de travail, à ce point qu’à ma porte il est toujours là à m’attendre et que je suis assez faible pour ne pas lui refuser mes bras.

    Quand la nature fait des erreurs, elle prend au temps les éléments nécessaires pour les réparer. Ainsi, pour se faire pardonner, du charme se servit-elle pour me faire un physique qui ne déplut pas, même si je ne fus jamais un Adonis ou un Apollon.

    Par contre, les frênes me donnèrent-ils l’assurance et la patience, car dans ma modeste existence, je ne fus jamais pressé d’arriver avant de partir. 

    Je remercie les trembles de m’avoir ouvert les yeux sur les dangers, de sorte que mes membres n’aient pas eu à frissonner plus que de raison à l’approche des catastrophes. 

    Du marronnier je tiens la sagesse, car je n’eus pas à distribuer plus de marrons qu’il ne fallait, de même que l’âme du châtaignier m’éloigna des châtaignes que certains auraient bien voulu m’offrir. 

    Par contre, je compris que si du saule pleureur, j’eus la chance d’hériter de sa souplesse, je n’avais rien conservé de son caractère, car je n’eus pas le goût des larmes, et que du cyprès je n’héritais que d’un lointain souvenir, car rapidement je m’éloignais de ce fuseau qui me montrait un point précis du ciel. 

    Parmi les plus anciens, il dut y en avoir qui ont voyagé, car je devins sentimental comme l’angélique des tropiques dont, plus tard, j’ai entendu l’appel.

    Grâce au bois pagaie, j’ai navigué de par le monde, même si parfois je dus ramer pour arriver à destination, tandis que l’arbre aux écus ne me dota point de la fortune. Les traces du savonnier me demandèrent de ne pas faire plus de mousse qu’il en était nécessaire. 

    Le bois de rose qui veillait au fond de mon personnage permit que je laisse quelques fragrances afin que je retrouve mon chemin si je venais à m’égarer. 

    Sur notre continent, le gaïac me fit gaillard pour affronter les mystères de l’Amazonie. Vous comprenez maintenant la passion ardente que je nourris à l’égard de la forêt ainsi que les raisons pour lesquelles je la défendrai jusqu’à mon dernier rameau ainsi que mon ultime branche. 

    Alors que j’étais sans racine, voilà que je me découvrais une forêt entière pour famille et plus encore en y associant les lointains cousins d’Amérique du Sud, de sorte qu’imbriquant leurs racines et se tenant par leurs ramures, pour m’être agréables, autour du monde ils firent la ronde et pour me permettre de transporter mes souvenirs, le modeste arouman m’offrit ses beaux paniers. Étonnamment, je n’éprouvais jamais la soif, car le coudrier me prêta ses baguettes qui m’aidèrent à trouver les sources. Vous avouerai-je que mes jours comme mes pas furent légers grâce à mon cousin balata ?

    Je n’ignore pas cependant que de tous, je suis le plus fragile. Arrivant au crépuscule de ma vie, je ressens bien les douleurs qui me tiennent un peuplier, alors que, l’âge avançant je wappa grand-chose, puisqu’on me dit que j’ivoirien tandis qu’en silence, le sapin m’observe avec compassion, mais sans impatience afin de me tailler mon dernier costume.

    Amazone Solitude

     Copyright numéro 00048010-1 


     


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  • Malchance fut ma compagne

    — Je sais, cela peut prêter à sourire. Il n’est pas si fréquent de voir passer une pirogue dans une charrette. Généralement, sa place est posée délicatement sur l’onde où elle attend avec impatience d’emprunter son fil pour partir vers de nouvelles aventures. Alors, me demanderez-vous, que fait-elle juché au-dessus de la terre, traînant son espoir au long des pistes poussiéreuses ? Écoutons l’homme :

    — Malgré les apparences, je vous assure que le rire ne vient pas ourler mes lèvres. Je suis même triste à en mourir. Je ne fus pas plus miséreux qu’un autre, au village nous avions la même part de souffrance. Depuis toujours, j’ai vécu dans l’incertitude, à tel point que jamais je ne me posais de questions inutiles.

    Durant toute mon enfance, on me disait :

    — Grandis et tu verras ! Je me suis tu, mais je n’ai rien vu, à part la misère qui accompagnait ma vie. Elle prit tant de place chez nous que je dus même faire une pièce de plus à ma case pour qu’elle s’y sente à l’aise. Toujours, on me disait : écoute ! Jour et nuit, j’ai écouté ; mais les bruits de la vie furent discrets à ce point qu’ils ne parvenaient plus jusqu’à nous.

    La forêt semble ne plus vivre depuis que les épineux ont remplacé les grands et fiers arbres. Les oiseaux eux-mêmes ont fui cette désolation. Le gibier s’en est allé vers des contrées plus accueillantes. Depuis ce jour, nos bois ressemblent à un village où plus jamais un marché ne s’installe, comme pour faire comprendre aux habitants qu’il ne saurait y avoir de vie où les sourires ne s’affichent plus sur les visages.

    Si tu veux manger, me répétait-on à longueur de temps, retourne ton champ et sème ton grain. J’ai labouré, en y mettant autant de peine que mon malheureux attelage. Mais la terre lassée d’être assassinée avait rendu l’âme et elle était devenue stérile. Je n’ai jamais récolté le moindre épi. 

    L’un des nôtres m’avait conseillé de ne pas rester seul. Si c’est le bonheur que tu cherches, me répétait-il, marie-toi. Je suis allé dans un village éloigné et j’ai pris une épouse. L’an n’avait pas tourné les talons quand, dans une aube incertaine, le destin s’est emparé de ma petite fleur ainsi que le fruit qu’elle nourrissait. Sois donc courageux, m’avait-on dit, je le fus donc. J’ai fait mieux qu’affronter, je me suis mesuré aux éléments, mais ils sont venus à bout de mes espérances.

    Un jour, j’ai posé ma fierté à mes pieds et je suis allé consulter parmi les anciens, ceux qui pensaient encore détenir le savoir. Ils m’écoutèrent sans m’interrompre jusqu’au moment où l’un d’eux hocha la tête me faisant comprendre qu’il en avait suffisamment entendu.

    — Il te reste encore deux bœufs, une charrette et ta pirogue, profite pour aller dans une région prospère. J’ai pris mon maigre bagage et je suis allé vers cette promesse de jours meilleurs. Longtemps, en compagnie de mes bœufs, nous avons marché, mais l’ailleurs promis semblait reculer au fur et à mesure que nous avancions. Je n’ai rien découvert d’autre que je ne sache déjà. Je me suis même joint à des gens, qui, eux aussi, partaient chercher quelque chose qu’on leur avait dit être plus loin, vers d’autres cieux, d’autres lieux où résident sans doute les rêves qui assaillent les esprits dès la nuit déposée sur la terre.

    Comprenant que nul ne peut marcher indéfiniment à la recherche d’une chose qu’il ignore, je me fis violence et entamais un demi-tour vers mon village. Un doute m’assaillait depuis quelque temps. Et si ce que je cherchais se trouvait là où le ciel me vit naître ? Peut-être me suffisait-il d’être courageux pour apporter les changements espérés, regarder la nature autrement afin de mieux la comprendre et surtout ne jamais rien demander qui me serait indispensable.

    Après tout, me suis-je convaincu, il est possible que la vie soit comme les jours qui se renouvellent chaque matin et que la prospérité renaisse avec les premiers rayons du soleil.

    Ne suis-je parti que parce que quelqu’un m’avait conseillé ce qu’il avait deviné que je voulais entendre et pour aucune autre raison ? Après tout me dis-je en souriant, il est bien possible que les miracles n’existent pas seulement dans les contes et les livres anciens. Sans doute attendent-ils patiemment qu’une main innocente leur montre le chemin de la réalité pour qu’ils m’aident à faire pousser mon grain au pied des épineux que je voyais se dessiner sur l’horizon.

    Le premier miracle que je découvris en arrivant chez moi, c’est que ma case m’attendait, personne ne se l’était appropriée. Sans doute savaient-ils que je reviendrais, car pour être fort dans sa vie, l’homme a besoin des autres. Seul, il est fragile et le bout du chemin sur lequel il s’aventure ne se montre jamais. Il prend plaisir à conduire l’imprudent à la dérive, jusqu’aux portes de la déraison.

    Amazone. Solitude

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  • MON  COSAQUE

    — Parfois, dans la vie, nous rencontrons des gens qui, tels des aimants, semblent attirer à eux tous les malheurs que l’existence imagine pour punir les uns ou les autres.

    Dans une maison adossée à la forêt, debout, une femme se désolait, derrière la fenêtre alors que la nuit isolait le village du reste du monde.

    De la famille, elle était la dernière survivante, la dépositaire d’une mémoire dont elle aurait aimé qu’elle soit défaillante. Mais non, malgré les efforts qu’elle faisait pour repousser les dernières images de sa fille trop tôt disparue, elles revenaient par la fenêtre quand elle tentait de les jeter par la porte.

    Cette nuit était pénible à vivre à plus d’un titre. Dans les rues du bourg, les jeunes conscrits n’en finissaient pas de passer et de repasser en chantant à tue-tête des chansons dont les refrains perdaient des vers au fur et à mesure que les ténèbres se les appropriaient.

    — Il est bien normal qu’ils soient heureux, dit la femme, comme si elle s’adressait à quelqu’un. Ne venait-on pas de leur confirmer qu’ils étaient des hommes ? Ironiquement, la société leur confirmait qu’ils étaient assez forts pour aller effectuer leur service militaire et qui sait, partir à la guerre si celle en cours ne finissait pas rapidement.

    — Que les systèmes sont cruels pensait encore Georgette, la pauvre femme qui ne pouvait quitter sa place près de la fenêtre. Nous laisser élever seules nos enfants et venir ensuite cueillir les fruits quand ils sont mûrs à point ! À ce souvenir tragique, elle ne put retenir plus longtemps de longs sanglots qui obstruaient sa gorge comme s’ils voulaient étouffer cette mère qui avait perdu les siens.

    Pourquoi le cacher plus longtemps ? Elle se souvenait parfaitement qu’elle avait plus que tout désiré ce fils qui n’est jamais venu.

    — Cette nuit, se dit-elle, il aurait lui aussi défilé dans les rues, chanté à en perdre la voix et bu sans doute plus que de raison.

    Malgré le chagrin qui avait investi tout son corps, elle sourit en imaginant qu’il aurait été aussi beau que son père. Il aurait eu les mêmes yeux bleus, pareil à l’immense ciel du pays de son mari dans les chauds étés, aux confins des steppes et de la toundra. Grégory n’avait-il pas dit un jour :

    — Quand nous aurons un fils, nous l’appellerons Nicolaï, comme mon père et son père avant lui et encore ceux d’avant.

    — Mais mon amour, pourquoi t’avoir dénommé Grégory alors, s’était étonné Georgette ?

    — C’est à cause de ma mère, répondit-il. C’est elle qui a exigé ce prénom. C’était celui de son grand-père à elle. Il était cosaque lui aussi, mais pas de la même lignée que celle de notre famille.

    Nous étions des guerriers sanguinaires, au service des Tsars. Toujours prêts à partir à l’aventure pour défendre une cause qui souvent nous échappait.

    Le grand-père de Georgette, lui, était tout l’inverse. De surcroît, il était le plus riche de la région. Son nom était respecté, presque vénéré. Les gens venaient de loin prendre conseil auprès de lui. Il était presque un prince.

    Elle s’était exclamée :

    — Oh ! Après tout ce temps passé à tes côtés, voilà que je découvre que je suis la femme d’un petit fils de prince, c’est merveilleux ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ?

    — Du côté de ma mère seulement je te le répète, avait-il ajouté. Quant à moi, sais-tu ma belle, il n’y a pas de quoi être fier d’être le descendant de gens qui pourfendaient les ennemis ou les amis, indifféremment, en fonction de l’offre ou de la demande, en quelque sorte. Certes, notre peuple était vaillant et c’est bien là notre fierté. Il parcourait inlassablement l’immensité du pays pour faire couler le sang. Ce peuple, mon amie vivait presque jour et nuit sur son cheval. On l’eut cru infatigable et insaisissable. On le croyait au nord, il était au sud, on l’espérait à l’est et il était à l’ouest. Nous n’étions pas de fins stratèges, encore moins des politiciens habiles. Nous n’étions qu’un peuple obéissant et cela a causé notre perte. Tu vois qu’il n’y avait pas de quoi être fier d’avoir appartenu à une famille de barbares !

    — Mais mon ami, avait répondu Georgette en riant à pleine voix, je n’ai pas épousé ta famille, je t’aime pour ce que tu es aujourd’hui, le passé ne nous appartient pas. Certainement, il existe, mais il a vécu et mérite le repos et parfois même l’oubli quand les souvenirs se font trop douloureux, et il doit accompagner ceux qui l’ont traversé !

    Les jeunes gens venaient de repasser sous sa fenêtre, moins bruyants, comme s’ils venaient de comprendre qu’à cet instant, dans la maison voisine, le passé et le présent étaient en lutte et que les temps anciens avaient réussi à prendre quelques longueurs d’avance sur la réalité.

    — Si je comprends bien, tentait d’expliquer la pauvre femme à un dieu qu’elle prenait à témoin :

    — C’est donc moi que vous avez choisie pour pleurer ? Serait-ce donc que les larmes de femmes et de mères sont plus amères dans le chagrin ?

      

    Amazone. Solitude.

     

     


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