• — Ne vous est-il jamais arrivé, au hasard de vos promenades, de tomber en arrêt devant une construction qui semble s’ennuyer de ses propriétaires ? L’émotion vous étreint, car la maison, lorsque l’on a la chance d’en posséder une, est comme une seconde existence. Plus encore si c’est nous qui l’avons élevée sur des fondations promises à toute épreuve. En silence, afin de ne pas déranger les âmes qui pourraient occuper l’espace, nous nous approchons et laissons notre imagination aller selon ses sentiments. Ainsi, sans vraiment le désirer, mais avec curiosité et respect, écoutons-nous celui, qui de ses mains avait scellé chaque pierre avec la sueur de son front.

    Le brave homme nous dirait qu’il avait construit la maison dans l’espoir d’y abriter les promesses, pareilles aux grappes de grains gonflés par le soleil, à la veille des vendanges.

    Il nous rappellerait sans amertume qu’il ne fut pas triste à l’instant où il devina qu’il devait quitter les lieux. Il nous confierait encore en baissant la voix pour nous obliger à tendre l’oreille, qu’un ange était venu lui dire dans la tiédeur d’une nuit d’été qu’il fallait bien songer à fermer les yeux sur le bonheur qui nous avait été accordé.

    Nul ne peut prétendre à vivre éternellement. Nous avons seulement été mis sur la Terre pour défricher le chemin de nos enfants qui le continueront à leur façon.

    Je vous mentirais, dirait humblement le vieil homme si je ne vous avoue pas qu’un sentiment de tristesse m’envahit au matin de mon ultime jour alors que la brume de l’aurore ne se décidait pas à quitter le seuil de ma demeure. Désormais, je savais que derrière moi, plus rien ne survivrait au temps et à la forêt qui trépignait d’impatience de reprendre la place que je lui avais volée.

    Le brave ange m’avait encore dit que de la vie qui nous est offerte, chaque jour il s’en détache un lambeau, à la façon des pierres qui se désolidarisent de la montagne en roulant dans la vallée. J’interdisais à la végétation de prendre place dans l’escalier. Pourtant, j’avais l’intuition que les marches auraient préféré les herbes douces plutôt que mes pas traînants dans mes sabots usés par la pierre.

    Pareil au désespéré qui cherche de l’aide autour de lui, je regardais les fruitiers s’épuiser à vivre leur dernière floraison. Longtemps avant nous, ils savent quand le moment est venu de donner la meilleure récolte jamais produite auparavant. L’ultime est toujours surprenante et abondante, comme si elle nous adressait un signe d’adieu.

    Comme les nuages porteurs d’orage, qui ont tôt fait de recouvrir un ciel bleu, les parasites ne perdront pas un instant pour envahir les charpentes d’arbres qui furent sains en leur temps, alors que les dernières feuilles ne sont pas encore tombées.

    Je venais tout juste de tourner le dos que déjà le lierre s’insinuait entre les pierres, s’accrochant à la façade de la maison agonisante, pour en démonter l’ouvrage. Bientôt, c’est la nature tout entière qui prendra possession de la demeure qui avait bravé toutes les interdictions.

    C’est normal que vous trouviez la porte entrouverte. J’en avais décidé ainsi pour que survivent encore les âmes égarées qui vécurent sous ce toit, afin qu’elles finissent de consommer le bonheur que chaque matin déposait devant la porte.

    S’il vous plaît, ne faites rien pour contrarier le destin.

    S’il vous venait l’envie de pénétrer dans la bâtisse, faites-le dans le plus grand silence afin de ne pas déranger les souvenirs.

    Dans la pièce du fond, sur le chevet, vous trouverez un livre ouvert à sa dernière page. Si vous désirez en lire quelques-unes, prenez garde à ne pas laisser tomber des larmes sur les mots qui en profiteraient pour s’enfuir, dilués dans l’amertume de l’eau du corps.

    Ils sont ceux d’une vie qui tint une main tremblante, celle de la compagne qui aima le propriétaire sans doute plus que de raison.

    Avant d’aller le rejoindre, elle voulut lui dire son attachement qui fut si fort qu’un seul suffit pour nourrir les deux cœurs.

    Une chose encore ; en sortant, ne refermez pas la porte. Le temps à besoin de répit pour réunir toutes les pièces du passé avant de tourner le dos à la demeure. Il sait que l’amour est immortel.

    Quand il a fini d’écrire une vie, après avoir fait ses bagages il part à la recherche d’un autre nid où il en commencera une nouvelle.

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  • — Combien sommes-nous prêts à donner pour revenir à cette merveilleuse époque, alors que les mots se révélaient à nous avec parcimonie, comme s’ils voulaient s’économiser ?

    Il est vrai que nous étions pressés d’apprendre, nos doigts tournant maladroitement les pages qui nous cachaient les images qui transportaient nos pensées vers d’autres lieux. Quel enfant n’est pas rentré chez lui en criant avec fierté des mots dont il ignorait la veille qu’ils eussent existé ? C’est alors que le gamin découvre la magie que chaque expression détient. Il s’aperçoit soudainement que les lettres mises les unes au bout des autres ne désignent pas uniquement une chose, un lieu ou un personnage. Elles possèdent un pouvoir, il est puissant ; à lui seul, il peut déclencher une révolution ou permettre à l’amour de rentrer dans un cœur. À l’instant où les plus jeunes déposent sur les pages les lettres qui dansent sur le fil des lignes, ils devinent que leur vie va s’en trouver bouleversée.

    Les cahiers se transforment en de merveilleux et longs chemins, cachant derrière chaque feuille prenant l’allure de virages, une histoire dont ils pourront écrire un jour, la suite qu’il leur plaira. Choisir ! Quelle belle expression sonnant avec grâce à l’oreille quand elle est prononcée par des lèvres hésitantes ! C’est l’instant, où, du haut de leur innocence, les gosses se sentent les égaux des jours qui s’enfuient en n’interrompant pas pour autant le cours de la vie. C’est alors que l’on comprend que les mots ont élégamment déposé sur le seuil de chaque demeure une espérance nouvelle, avant de se réfugier dans la douceur du soir pour s’endormir sur les corolles des fleurs afin de reparaître le lendemain, plus beaux et plus parfumés.

    Voilà que l’apprentissage s’accélère et que dans les yeux grands ouverts se présente un mot particulier.

    Le temps ! Il reste indéfinissable. On ne le voit pas et pourtant il distribue des fragrances sur son passage. Les jeunes enfants découvrent que jamais il ne sommeille. Il a fabriqué hier, qu’il se presse d’oublier. Il se vautre avec plaisir dans le présent alors qu’en secret il construit le futur. Il est le contraire de nous, les hommes.

    Nous avons apprivoisé « antan lontan » (mot créole qui désigne l’ancien temps) pour y établir nos maisons pour qu’il s’y sente en sécurité. Nous avons aimé le cultiver afin qu’il ne s’éloigne jamais de nos villages. Il nous plut alors de le savoir près de nous tandis que nous grandissions chacun dans l’ombre de l’autre. Par crainte qu’un jour nous venions à l’oublier, nous avons inventé des tiroirs pour le remiser et le protéger, des images pour le contempler et plus tard, nous avons aussi enregistré les musiques qu’il nous faisait entendre.

    Depuis l’aube du premier jour, nous avons imaginé des sabliers pour le voir passer, nous avons inventé des horloges le carillonnant même au plus profond des ténèbres, pour que l’écho rejoigne les songes qui l’avaient oublié et nous l’avons immortalisé sur les lignes des calendriers.

    Grâce à la malice des mots et à la richesse de l’écriture, nous pouvons le décrire à presque le rendre perceptible. Nous pourrions, avec un peu d’imagination, le montrer du doigt lorsqu’il se sert du jour, pour se retirer non sans être un peu honteux, courbant le dos comme un vieillard sur lequel glisse la nuit avant de s’installer.

    Je sais ; certains me diront que tous les mots n’ont pas forcément participé à la grandeur des hommes, et que trop souvent, ces derniers en ont abusé, quand ils ne se prenaient pas les pieds dedans, faisant du même coup chuter la totalité de l’alphabet. Mais je reste persuadé qu’ils n’ont pas rendu les gens plus malheureux et foncièrement mauvais. Ils furent seulement déçus lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils grandissaient trop vite. Ils avaient le sentiment que c’était les mots qui se refusaient à eux et qu’ils devaient courir pour les rattraper s’ils désiraient qu’ils deviennent leurs amis. C’est que l’homme n’est aux yeux de l’écriture qu’un tigre de papier aux griffes de velours, ne rugissant qu’après son ombre qui ne cesse de l’effrayer. Grâce aux mots, celui qui connaît le bonheur est tout près de se l’approprier et c’est sans doute la plus belle chose qui peut nous arriver. Mais que serait-elle sans les lettres majestueuses qui la fixent à tout jamais sur le fronton du plus grand monument que nous n’ayons jamais construit et qui se nomme le temps ? Il se nourrit de nos histoires et pour ne pas nous fâcher, il nous fait comprendre qu’il ne s’en lasse jamais.

     

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  • — Au cours de vos sorties à travers la campagne, n’avez-vous jamais été surpris par les échanges bruyants de certains animaux ? On se demande toujours s’ils se disent des mots doux, si les uns tancent les autres ou s’ils se transmettent les dernières informations. C’est ainsi que, passant près du marais, je fus attiré par une discussion qui me sembla être de la plus haute importance pour qu’elle ne vous fût pas rapportée. Un instant, je me crus dans un tribunal où l’on jugeait un jeune délinquant mêlé à une histoire où cependant il n’y avait pas eu mort d’homme. Toutefois, j’avais appris que les animaux sont des sujets responsables et ne supportent pas les incartades des uns ou des autres, combien même seraient-ils leurs propres enfants.

    Les débats étaient houleux et les protagonistes parlaient d’une voix haute et puissante. Ils semblaient passer leur mécontentement sur un nouveau dont ils ignoraient la provenance. L’échange me parut toucher à sa fin tandis que je m’approchais doucement afin de ne pas faire cesser les conversations. C’est alors que je compris très nettement ces paroles :

    — Rappelle-nous ton nom !

    — Saturnin !

    — C’est ce que nous avions cru entendre, mais il est si surprenant qu’il nous plaît de l’écouter à nouveau. Nous ignorons d’où tu viens, mais laisse-nous te dire qu’ils t’ont fait un drôle de cadeau en t’affublant d’un patronyme aussi étrange ! Nous ne voudrions pas t’accabler davantage, mais tu dois comprendre que nous soyons surpris d’un tel nom pour un modeste volatile ! Sais-tu au moins pourquoi ils t’ont attribué pareil sobriquet ?

    — Oui, je crois que je l’ai deviné. Les hommes possèdent un conte pour enfants où il est question d’un canard à qui je ressemblais presque trait pour trait.

    — Tu pourrais t’expliquer, s’il te plaît, afin que nous comprenions mieux.

    — Oh ! Je voudrais vous imaginer à ma place ! Vous faites beaucoup de bruit parce que vous n’avez pas connu une autre vie que celle-ci, mais pour moi ce fut différent. Quand je mis le bec hors de ma coquille, d’abord, je ne vis rien ; puis, proche de moi, j’ai distingué quelque chose de mobile. C’était les pieds d’un homme ! C’est alors que je les pris pour ceux de ma mère. Je ne les ai plus jamais quittés jusqu’à ce jour où un parfum de liberté est passé près de moi et me souffla qu’il existait une vie beaucoup plus passionnante en d’autres lieux. Je suivis donc la petite voix qui me conduisit ici et, humblement, je vous demande de m’accepter parmi vous.

    — Sache une chose, ami saturnin, railla celui qui paraissait être l’aîné.

    Si tu veux être admis au sein de notre bande, il va falloir t’adapter. Dans un premier temps, il te faut oublier tout ce que tu as vécu avant de nous rejoindre. En ce qui nous concerne, et je suis sincèrement désolé de te le dire d’une façon aussi abrupte, les hommes, nous préférons quand ils restent chez eux.

    Tu ne trouveras pas de nid douillet dans notre environnement ni une baignoire particulière. Une autre chose qui revêt la plus grande importance :

    Dans notre groupe, nous partageons tout ou presque, mais pour l’essentiel de la vie, c’est plutôt chacun pour soi. Pour ta sécurité, de tes yeux il faudra te servir en tous sens. À droite, à gauche, devant derrière, dessus ou dessous, le danger est permanent.

    Mais je te rassure quand même. Notre existence est exaltante. Nous sommes aussi libres que l’air et les vents qui nous portent lorsque nous décidons de migrer. Je ne te dis qu’une chose : notre mode de vie est autrement plus jouissif que de vulgaires pieds d’humains ; même si ceux que tu suivais ont fait le tour du monde, je suis certain qu’ils furent incapables de te raconter par le détail, la moindre aventure. Pour toute histoire, sans doute ne connurent-ils que celle des chemins poussiéreux et les obstacles qui les encombrèrent pour ralentir leur marche. Je crois que les seuls véritables instants de bonheur furent ceux qu’ils découvrirent en traversant les gués, pour les délasser. Mais ce bonheur là, ne se raconte pas. On le garde jalousement caché au fond de nous.

    Notre avenir, tu l’apprendras vite, est réparti de part et d’autre de la ligne d’horizon. En notre compagnie, tu découvriras le ciel et ses étoiles qui vont guider tes chemins plus souvent qu’ils te permettront de faire des rêves absurdes et tu vas connaître des moments de pur bonheur en te laissant porter par les vents.

    Si tu désires rester dans notre famille, il te faudra aussi séduire celle qui deviendra ta compagne et même plusieurs si tu es gourmand et adroit.

    Un bon conseil, l’ami, ne va pas leur casser les pattes avec tes histoires de pieds. Si elles prennent le leur avec tes caresses, ce sera déjà bien.

    Nous savons la vie courte c’est pourquoi nous la vivons pleinement en harmonie avec la nature, sans jamais lui demander l’impossible.

    Le secret de ta longévité dépendra de ton silence, en faisant en sorte que tes coin-coin restent discrets. C’est à ce prix que sur l’étang, chaque jour tu verras se lever, et le soir, en douceur, s’y coucher.

     

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  • Mon cher amour,

     

    — Un jour ! Voici un jour de plus qui vient de baisser son rideau. Je me surprends à me toucher comme pour me prouver que je suis toujours en vie. Qu’il est difficile, mon amie, de se vêtir d’une aurore nouvelle en pensant qu’au soir de celle-ci, on pourrait ne plus être ! Je sais, mille fois déjà, tu me dis de ne pas laisser les évènements s’emparer de mon esprit. Mais comment les en empêcher, quand ils m’attendent à chaque instant de la vie ? Comment les repousser lorsqu’ils m’assaillent et ne me lâchent plus ? Pour me convaincre que je vis un mauvais rêve, je me dis que l’amour que je te porte ne cesse de grandir.

    J’écris sans les relire, des mots à la suite des autres sur des carnets qui s’ennuient au fond de mes poches, sachant que la plupart ne te parviendront sans doute jamais.

    Alors que je te dis, « je t’aime », d’une main tremblante d’émotion, ce n’est pas uniquement pour te prouver que tu demeures proche de moi en tous lieux dans tous les instants, mais c’est surtout pour me persuader que j’existe toujours, un jour de plus.

    Je me souviens qu’au village, alors que nous n’étions que des enfants, le curé nous répétait inlassablement de l’amour qui circule entre les hommes pour les unir. En grandissant et plus encore en ce jour, j’ai découvert qu’il y avait plus fort que ce lien. J’ai vu que certains personnages, à pleins champs, cultivent un autre sentiment ; il se nomme la haine. C’est une plante particulière. Elle fleurit alors qu’elle est à peine semée ! Elle est puissante et dévastatrice. Elle n’investit pas que l’esprit, elle habite aussi les cœurs. Perdu au milieu de nulle part, je me rends compte que la paix et le bonheur ne sont que des mots que l’on a édifiés sur le malheur. J’ai l’impression que nous les avons inventés pour cacher la vérité. Je me souviens des paroles des parents lorsqu’ils devinaient que je leur dissimulais mes fautes. Ils me disaient que l’on finit toujours par tomber sur la réalité.

    Et sais-tu ?

    Je viens de la découvrir ici, aux portes de l’enfer, là où commence le désert, prélude à l’extinction de l’humanité. Pardonne, ma chère amie, ces paroles qui semblent divaguer au milieu de la tourmente, mais toi seule sais que pour croire en la vie j’ai un besoin intense de rêver. Hélas ! Prisonniers de cette drôle de guerre, mes songes n’ont plus le courage de me visiter. Naïvement, j’imaginais que l’existence était partout la même et qu’elle pouvait couler comme la rivière bordant nos champs et qu’il nous suffisait de la suivre pour découvrir la source où elle cache le bonheur. Depuis, des mois, je marche, mais je n’ai jamais trouvé cette source.

    Aurai-je été tout ce temps à contre-courant ?

    Parfois, il m’arrive de penser que je suis sur un navire dérivant sur l’océan. Un jour, je suis ici ; un autre ailleurs ; il me semble être en perdition.

    J’ai la sensation de marcher dans un mauvais rêve, de ceux qui ne nous lâchent jamais. Regardant de côté, on a l’impression qu’il chemine auprès de nous et il n’est pas utile de fermer les yeux pour le retrouver, car il devance chacun de nos pas. Le temps passe, lentement, comme dans un sablier dont les grains se trouvent partout autour de moi, et plus je suis persuadé que je n’ai rien à faire dans ce pays qui ignore la joie du renouveau, le plaisir de l’été, les couleurs et la douceur de l’automne et la blancheur immaculée de l’hiver. En tous lieux où les yeux se posent, ils ne rencontrent jamais un herbage sur lequel paissent les troupeaux, beuglant dans le soir leur désir de l’étable. Augmentant mon désarroi, à perte de vue, aucune prairie ne se pare de mille fleurs qui savent si bien habiller les dames de leurs subtiles fragrances.

    Depuis des mois, mon regard ne rencontre que le vide. L’immensité désertique qui me fait croire que je suis dans un monde qui n’existe plus. Jamais mes yeux ne butent sur un arbre, fût-il un vieil aulne amputé de sa ramure, prêt à se laisser tomber dans la rivière qui l’attend pour l’y ensevelir afin que nul ne vienne pleurer sur lui. Dans le ciel qui semble être le reflet du désert, aucun nuage ne se risque à traverser. Pourtant j’en aurai tant besoin pour imaginer que c’est ton visage qu’il sculpte dans ses volutes et que tu voles à mon secours.

    Loin de toi, je savais que cela existait et je m’y résignais. Mais découvrir que je ne me trouve nulle part, j’ignorais que cela eut été vrai et que cela fasse tant de mal à mon cœur dont je me demande combien de temps il résistera à la solitude.

     

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  • Suite et fin.

     

    Sans précipiter les évènements ni provoquer de brusqueries inutiles, le soir nous nous séparions sur quelques mots et autant de caresses, jusqu’au jour où elle décida de m’accompagner. Oh ! Ce ne fut pas sans d’interminables discours, ni invitations préalables ; croyez-moi ! Mais en son esprit, elle a compris qu’en me suivant, elle bénéficierait plus longtemps de ma présence. À ce petit jeu, sans doute conclut-elle qu’elle avait plus à gagner qu’à perdre. Nous avions encore fortifié notre amitié !

    Ce soir-là, je fus heureux de l’avoir à mes côtés, et je ne tarissais pas d’éloges à son égard, afin qu’elle sache qu’elle avait fait le bon choix. Nous marchions côte à côte, l’un calquant son pas sur celui de l’autre. Quand je lui adressais la parole, elle relevait la tête et me faisait comprendre que si elle en éprouvait du plaisir, l’heure n’était pas encore à une entente parfaite ; le sens de certaines réflexions et intentions lui échappant toujours.

    Elle m’accompagnait ainsi environ deux kilomètres. Notre collaboration prenait fin à l’instant où nous arrivions à une voie ferrée qui séparait le massif forestier tel un coup de sabre géant. Elle s’asseyait et me regardait partir avant de retourner auprès de la souche devenue son repère.

    Vous imaginez bien que je ne cessais de me poser des questions quant à la raison qui faisait qu’elle refusait de franchir le passage à niveau. J’essayais calmement de la persuader, mais rien ne la faisait se décider. Je faisais même plusieurs allers et retours pour lui assurer que les lieux ne cachaient aucun piège, mais toujours sans succès.

    Afin de me montrer qu’elle ne céderait à aucun de mes chantages ni de mes démonstrations ridicules, elle refusait même les friandises que je lui offrais à cet endroit qu’elle semblait redouter, voir maudire.

    Plusieurs jours passèrent sans que rien la convainque à me suivre au-delà la ligne de chemin de fer. Pourtant, nos relations s’étaient renforcées et elle en était arrivée à me faire la fête lorsque je la retrouvais au petit matin. Il arriva même que ce fût elle qui vint à ma rencontre comme pour me signifier que j’étais en retard, ou que nos relations avaient gravi un échelon supplémentaire. Serait-il le dernier ? La questionnais-je, en prenant un air si convaincant qu’elle me sauta au visage ?

    Lui manquais-je donc me demandais-je soudain, non sans une certaine arrière-pensée ? Serait-ce que le jour que j’attendais avec impatience se rapprochait ?

    Erreur de jugement. Nous nous quittions toujours au même endroit. Un soir, lassé par ce manège et son comportement, devant les rails je la pris dans mes bras. Elle ne les refusa pas ni ne fit mine de vouloir sauter. Nous traversâmes la voie et je la déposais de l’autre côté. Je me demandais quelle serait alors son attitude.

    J’en fus pour mes frais.

    Elle resta sagement assise. Je la récompensais avec une friandise et après l’avoir flattée une fois encore, nous prîmes la direction de la maison où elle fut accueillie comme une princesse. Lorsque nous pénétrâmes dans la cour de la ferme, à son allure, je compris qu’elle connaissait déjà mes compagnons de vie, car chaque matin elle passait un long moment à décrypter les informations sur et dans mon sac à dos, afin d’y déceler tous les indices indispensables à l’idée qu’elle se faisait de notre famille. La première soirée se déroula sans anicroche, et elle ne me quittait pas des yeux.

    J’avais hâte de retrouver le lendemain à l’heure où nous devions traverser à nouveau les rails.

    Je fus déçu, car on pouvait croire qu’elle avait franchi ce lieu depuis toujours. Tout juste si elle flaira quelques empreintes anciennes, comme pour confirmer que le chemin fut le bon. Je compris alors qu’elle venait de surmonter sa crainte née sans doute à la suite d’un drame. Était-ce sur ce passage à niveau qu’elle fut jetée du train, pensai-je, ou y fut-elle simplement heurtée par la locomotive ? Il m’appartenait d’essayer de le découvrir, mais nos conversations étaient cependant très limitées. Il faut reconnaître que nous échangions davantage avec les gestes et les yeux qu’avec les lèvres, surtout en ce qui la concernait. Mais le pli fut pris, et elle adopta la maison, et m’attendait au bout du chemin, lorsque les chantiers m’éloignaient d’elle.

    Elle nous fut fidèle et probablement reconnaissante de l’avoir tirée de sa solitude. Dans la mesure du possible, elle m’accompagnait partout, et nous étonnait toujours, jusqu’au soir où une maladie mit fin à une si belle histoire.

    J’en déduisis que ceux qui souffrent n’ont sans doute pas droit à la même quantité de bonheur. Mais au moins, durant quelques années fut-elle heureuse, elle qui devait ne plus y croire, jusqu’à notre rencontre.

    Nous fûmes très affectés par sa mort, car nous avons compris qu’il suffit d’un instant pour faire disparaître un attachement qui s’était construit sur une acceptation mutuelle. L’un n’avait rien apporté de plus que l’autre. Les sentiments avaient été partagés en parfaite équité. Au jeu de l’amitié, sans nul doute, notre princesse fut celle qui donna toujours plus qu’elle reçut.

    Mais c’est elle qui avait fixé les règles et nous nous y étions docilement pliés ; jusqu’à l’instant, où elle rejoignit le paradis des animaux, emportant avec elle ses secrets, mais sans nul doute aussi, une part de vie qui lui avait enfin souri.

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                                                                         FIN 


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