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    Les semailles du savoir

    — En écoutant attentivement les hommes, nous avons le sentiment qu’ils voudraient nous faire croire qu’ils sont les mal-aimés de la nature. Un peu à la manière d’un enfant arrivant dans la famille alors qu’il n’était pas désiré ni attendu. Cependant, la place qu’ils revendiquent, ils l’ont toujours occupée ! Mais avec le temps, ils ont oublié qu’ils y tenaient même une place de choix, sans doute la meilleure. Ils étaient comme l’enfant-roi et la planète leur appartenait.

    Petit à petit, ils prirent de l’assurance ; ils vinrent à oublier les raisons pour lesquelles ils avaient été joints aux autres créatures. À l’origine, chaque espèce avait un rôle à jouer, mais seuls les hommes oublièrent d’assumer pleinement leurs responsabilités. C’est alors que l’immensité qui les entourait a commencé à les impressionner. C’est comme si la nature avec ses multiples fonctions et arcanes leur faisait peur. Pourtant, même si notre environnement nous laisse à penser que tout y est intimement entremêlé de telle sorte que nous n’y retrouvions pas notre chemin, un seul regard attentif suffirait pour comprendre qu’aucun système ne vit totalement replié sur lui-même.

    Il nous suffit de chercher le fil de l’élément sur lequel il faut tirer pour démêler l’ensemble de l’écheveau de la vie et ainsi nous rendre à l’évidence qu’en son sein tout y est bien ordonné. Nulle chose n’a été conçue sans la prévision qu’une autre vienne prendre place aux côtés de la précédente. Autour de nous, c’est sans doute impressionnant. Non par la grandeur, mais par l’ordre établi, car tout est solidaire et complémentaire.

    C’est peut-être la conjugaison des choses relativement bien agencées qui gênent les hommes : que tout soit presque irréprochable, car ne nous mentons pas ; la nature aussi commet quelques erreurs, pour nous persuader que la chose parfaite n’existe pas encore.  

    Avec un peu de patience et de volonté, nous pourrions, nous aussi, faire en sorte que notre existence aille beaucoup mieux et même, n’ayons pas peur des mots, qu’elle soit rendue plus agréable à vivre.

    Pourquoi ne pas prendre exemple sur le semeur d’un autre temps, certes, mais qui illustre parfaitement le sens de mes propos ?  

    D’un geste ample, il pioche dans son sac les graines de la vie qui enfanteront de la terre. Il est arrivé à cette étape, parce que longtemps avant il avait défriché, labouré et hersé. Quand le grain aura rejoint le sillon, la surface ensemencée sera roulée afin que chaque élément se retrouve, à presque s’épouser afin qu’ils soient rendus solidaires.

    Un matin, dans l’intimité de la terre, de jeunes feuilles se dresseront vers le ciel en prenant une posture qui rappelle ceux qui adressent une prière au Dieu de leur confession, en écartant les bras, faisant penser à une croix.   Le paysan laissera la nature s’assurer encore un peu avant de taller (rouler) les jeunes plantules. Par cette action, le végétal verra son système radiculaire se multiplier, le rendant plus résistant à la verse (action des vents sur les végétaux les précipitant parfois sur le sol).  

    Forts de tous les exemples que la nature nous offre chaque jour, pourquoi ne faisons-nous pas la même chose avec l’éducation de nos enfants ? Pourquoi les préparons-nous si mal à devenir des hommes prêts à affronter les choses de la vie ?  

    Depuis quelques décennies, les générations sont formées sur un fond de polémiques stériles, jusqu’à l’instant où nos jeunes rejoignent la société dans laquelle ils s’y sentent comme des étrangers, car insuffisamment préparés.

    Alors nous pouvons nous poser la question suivante : comment notre jeunesse pourrait-elle avoir confiance en nous qui devrions être des modèles, alors que nous sommes toujours divisés sur tout et en tout ?

    Ne semons-nous pas dans l’esprit de notre jeunesse exclusivement des graines revendicatives qui en se développant la conduiront inexorablement vers l’échec ?  Nous ne sommes pas sans savoir que l’éducation passe d’abord par le nid familial, véritable creuset de la culture de la personnalité et de la compréhension.

    La famille est sans nul doute le plus beau des jardins dans lequel se forme le jeune arbre fruitier qui sera élevé sous les regards attentifs des jardiniers toujours prompts à redresser une branche mal formée, ou à tailler les rameaux pour garantir une fructification saine et abondante.  

    Il nous faut bien admettre que nous ne pourrons jamais faire les semailles du savoir sur un terreau mal préparé.

    Reconnaissons-le ; l’apprentissage de la vie est long et difficile. Il prend parfois une grande partie de l’existence pour engranger et conforter les connaissances.

    Mais quelle récompense quand vient l’heure de semer à notre tour en toute humilité les germes du savoir, qui en se développant feront de nos successeurs des êtres cultivés et heureux de vivre, n’ignorant plus les secrets du bonheur !

     

     

    Amazone Solitude


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  •  Vous parlez de crise ?

     

    — Mes chers amis ; je ne sais pas trop comment vous dire cela, cependant, il faut bien que je me confie. « Ne garde pas par-devers toi ce qui est mauvais pour ton cœur », disaient nos anciens ! Alors, je vous livre mes réflexions telles qu’elles me prient que je les partage. Nous sommes obligés de constater que bien que nous soyons loin de tout, les évènements réussissent toujours à pénétrer sous la forêt et remonter jusque dans les layons les plus anciens.

    Bien sûr, quand ils arrivent à nous, parfois ils ne sont qu’une rumeur à peine audible, mais c’est suffisant pour nous faire comprendre qu’un profond malaise secoue notre monde et qu’il tremble comme l’un de nos enfants lorsqu’il est sous l’emprise d’une fièvre tropicale. Ce monde doit souffrir horriblement, pour que les cris et les lamentations parviennent jusque dans nos contrées reculées, pourtant hors de portée des tentations malsaines. Enfin, le pensions-nous jusqu’à ce fameux matin où les mots furent enfin prononcés : la récession, et les crises en tous genres qui l’accompagnent ! Ce qui me surprit, c’est que les gens en parlaient comme si cela n’eut jamais pu exister, alors que la crise couvait depuis si longtemps. Les gens le murmuraient presque, avec dans la voix une certaine crainte, comme si de nouvelles maladies s’abattaient le pays à l’image d’une nuée de criquets dévastateurs !

    Évidemment, on s’empressait comme toujours de rejeter la responsabilité sur les autres ; jamais sur nous-mêmes ! Pourtant, les mises en garde furent nombreuses et elles ne datent pas d’hier. Depuis toujours, nos aînés nous avaient prévenus : on ne peut indéfiniment se saisir des produits contenus dans le panier sans jamais les remplacer. Quand le fond s’offre à la vue, il te signifie qu’il est tant de partir à nouveau récolter.

    Allant et respectant le pas de mon attelage, vous m’avez souvent dépassé, parfois en maugréant, parfois en souriant ironiquement. Je sais, nous semblons venir d’un autre monde et d’une autre époque. Toutefois, je n’ai jamais pris ombrage de vos regards ni de vos remarques. Le temps m’a donné raison, puisque je devine que bientôt nous irons par le monde d’un même rythme.

    Quant à mon aspect miséreux, ne vous y fiez pas. Vous ne verrez sans doute jamais un escargot changer de coquille même sous les quolibets.

    Chez nous, depuis longtemps nous avons choisi notre habit. Il est celui qui ressemble à notre véritable condition et nous n’en changeons que pour aller à la ville, comme si ce jour-là nous allions dans un nouveau royaume. Mais autant vous l’avouez ; nous n’y sommes pas à notre place, dans des chaussures qui maintiennent les pieds trop serrés les empêchant de ressentir le sol sur lequel ils sont habitués à aller nus.

    Pour des gens comme moi qui ont choisi de rester vivre près de la nature comme une mère au chevet de son enfant, il ne pourrait exister plus bel habit, que celui qui fait d’un individu ordinaire un homme simple, mais laissant s’imprégner les effluves du temps jusqu’au fond des poches.

    Il arrive que les récoltes ne soient pas celles que les saisons nous avaient promises, je le concède bien volontiers ! Mais quand elles sont maigres au moins ne gaspillons-nous pas.

    Nous irons encore longtemps d’un même pas, car notre destinée nous demande de ne pas courir au-devant elle, mais de marcher à ses côtés.

    Nous avons la meilleure école, celle de la vie. Dans cette classe, il n’existe pas de leçons toutes faites. Nous devons les construire patiemment, les unes après les autres, écrivant ligne après ligne l’histoire telle que nous la percevons, sans hypocrisie ni mensonge. Chacun apprend à sa façon et en fonction de ses besoins et de ses désirs.

    À l’or noir, nous avons préféré l’or vert, celui de notre berceau et de notre maison. On peut toujours dire de nous que nous n’allons pas très vite. La raison en est évidente : nous ne sommes pas pressés de voir les jours se confondre avec les ténèbres. Ils sont trop beaux pour ne pas prendre le temps de les regarder passer, généreux avec ceux qui les aiment et qui leur font confiance.

    Nous savions, parce que les anciens nous l’avaient dit, qu’aucun ne se ressemble, à la manière des arbres qui nous offrent des fruits différents et dont seule la saveur reste en notre mémoire. C’est ce que nous expliquons à nos enfants, cet amour de la vie dans la simplicité, sans jamais rien perdre de ses bienfaits.

    Pour être toujours heureux, nous devons respecter ce qui nous est donné chaque jour et plus encore en protégeant notre environnement afin que son éclat jamais ne se ternisse. Ainsi, vous le constatez, vous alliez souvent plus vite que nous, cependant, ensemble, nous arriverons au terminus, où nous attend la catastrophe si nous n’acceptons pas d’appliquer quelques règles élémentaires !

     

     

    Amazone Solitude


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  • La main de la jeune fille— Sous les frondaisons se parant des premières couleurs printanières, une mère et sa fille allaient bras dessus bras dessous en devisant gaiement. La route était longue et droite et les timides feuilles sorties quelques jours plus tôt peinaient encore pour ombrager les lieux. Qu’importe, la belle saison avait carillonné et voilà que la nature entière se réveillait après une trop longue et douloureuse saison hivernale.

    Toute à sa joie de vivre, la jeune fille fût surprise à l’instant où sa mère posa une question dont elle était à mille lieues d’imaginer qu’il existait une réponse.

    — Cette joie retrouvée de la nature après ce trop long sommeil, n’engage-t-elle pas les jeunes filles te ressemblant, à prendre époux ?

    — Me marier ? Mère, que vous arrive-t-il pour que cette idée vienne si soudainement au-devant de votre esprit ? Serait-ce les tons de cette belle saison qui annonce de nombreuses et généreuses couleurs et autant de senteurs qui vous mettent dans cet état ? Parmi le bonheur que la nature affiche, me verriez-vous donc si vieillissante, peut-être même trop laide et ternissant les jours ensoleillés ?

    Vous savez, le printemps est heureux de nous montrer sa venue. L’été lui succède en mûrissant les fruits et blondissant les blés et l’automne révisera les teintes que les autres saisons auront inventées pour notre plus grand plaisir. Et moi, ma chère mère, je serai encore là ; sans doute un peu triste de retrouver les rigueurs hivernales, mais parfaitement debout, attendant le renouveau.

     — Ma fille, répondit la mère, je ne m’égare point. Les saisons passent sur les hommes comme ils passent sur la nature. Que crois-tu qu’il lui arrive à cette succession de soleil, de fleurs et de couleurs ?

    Elle aussi elle vieillit !

    — Mère, vous êtes sévère avec mon physique ! Je n’en suis pas encore là, me semble-t-il ? Je tiens néanmoins à vous rassurer. Le mariage, oui, je l’envisage. Mais je vous tranquillise ; pas tous les matins en me réveillant ! Savez-vous, mère ? Il est une chose trop sérieuse pour en parler en souriant.

    — Détrompe-toi ma fille, répliqua la mère, sur un ton qui ne prêtait plus à sourire. Le bonheur que le mariage promet de déposer dans la corbeille de la mariée dessine sur ses lèvres le plus beau, le plus doux et le plus ravissant sourire qu’elle n’avait jusque-là jamais esquissé et encore moins imaginé.

    — Sans doute mère, avez-vous raison. Mais je me trouve trop jeune pour accepter que l’on me lie les mains et peut-être l’esprit avec ! J’ai encore besoin de vivre à mon rythme, de m’imprégner de cette existence qui change de visage dès que nous sommes obligés de la partager dans le couple. Ne m’aviez-vous pas dit voilà quelque temps qu’il n’y avait pas d’âge pour se marier ?

    Mieux, une autre fois vous m’avez affirmé que souvent ce n’était pas nous qui dénichions le bonheur, c’est lui qui nous tombe dessus sans avertissement ! Je vous le répète, je ne suis pas pressée et je crois que lui se trouve en d’autres ciels. C’est parfait comme cela.

    La mère ne lâchait pas prise. Elle revenait sans cesse à la discussion.

    — Je suis certaine que tu as déjà un prétendant qui te courtise à la dérobée, sans que tu m’en parles, comme si tu tenais à le garder secret.

    — Alors là, mère, permettez-moi de rire, sans vouloir vous offenser se gaussa la jeune fille. Il n’y en a pas un, mais ils sont des dizaines à voleter, vrombissant tels des frelons autour de la ruche, sous nos fenêtres ! C’est à croire qu’ils me prennent pour la seule fleur qui a éclos dans les environs !

    Je vais vous avouer un secret, ma chère mère, continua la jeune effrontée sur un ton plus discret : celui qui m’épousera ne sera pas du village. Sans vous paraître prétentieuse et mal pensante, je ne voudrais pas finir aux culs des vaches.

    Bien qu’interloquée, la mère s’empressa de répondre :

    — Alors là, ma fille, tu ne sais rien de l’avenir qui t’attend au détour du chemin. Un beau jour, depuis son nuage, à notre insu Cupidon décoche une flèche vers un inconnu.

     — En quoi cela me concerne-t-il, répliqua la jeune fille ?

    Ne pouvant retenir un sourire, la mère dit sur un ton de confidentialité :

    — Le garçon qui a reçu la flèche, dès l’aurore suivante, tu le retrouves devant ta porte dans son plus bel habit. Certes, il a l’air emprunté avec un bouquet mal composé à la main, le regard un peu fuyant et rougissant comme une tomate sous le feu de l’été. Sans même te regarder, la voix tremblante comme celle d’un vieillard, il me demande ta main, jurant qu’il te rendra heureuse, car tu le mérites et que chez lui, il a le plus beau vase pour recevoir la fleur unique qui gardera ses couleurs éternellement.

    Les deux femmes se regardèrent et ne purent conserver leur sérieux. En riant aux éclats, la jeune fille s’écria :

    — Mère, vous êtes dure avec moi ! Tantôt, vous me parliez d’une robe de mariée parée de mille diamants et voilà que vous me transformez presque en potiche !

     

    Amazone Solitude

     

     


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  • Envole-toi, mon bel enfant

    — Oserai-je te dire mon bel enfant, combien nous avons aimé toutes ces belles années où tu fus à nos côtés ? Elles furent pareilles à ces journées douces et éclatantes alors que le soleil caresse la terre de ses tièdes rayons. Ta présence parmi nous fut la plus belle lumière, celle qui va se loger tout à côté du cœur et qui inscrit sur les visages les plus beaux sourires que la nature inventa pour différencier les hommes des autres éléments qui la composent.

    Nous pouvons te dire sans fausse modestie que tu es notre joie de vivre. Sans conteste, tu es ce que la vie nous a accordé de plus beau. Aux végétaux elle donne les fleurs puis les fruits, aux hommes elle remplit leurs yeux d’éclats de diamants et dans les tiens, mon cher enfant, ce ne sont pas que des éclats qu’elle a installés, mais une mine à ciel ouvert.

    Merci infiniment enfant de notre chair et de notre sang, pour cette immense gentillesse innocente dont tu comblas nos jours. Tu nous as donnés beaucoup, sans doute plus qu’il n’était nécessaire.

    Aujourd’hui, nous nous autorisons à te dire que de cet amour, il te faut en garder comme on le fait de nos biens les plus précieux, car tu devras l’offrir un jour à celle qui partagera ton destin. Pour qu’ils soient heureux, vos lendemains devront reposer sur des sentiments solides et inaliénables.

    Vois la rivière qui semble ralentir son allure devant notre maison. Sans mot dire, elle t’invite dans quelque temps à déposer sur sa surface le canot de ta fabrication, afin que tu ailles sans effort inutile, cueillir le fruit mûr qui t’attend sur une autre rive.

    L’instant que tu choisiras pour t’éloigner de nous ne devra pas être un jour sombre et tu veilleras que la tristesse n’envahisse pas tes yeux. Dans un endroit du cœur il est écrit en lettres d’or que les parents ne font pas des enfants pour les garder auprès d’eux. Il leur est seulement recommandé qu’ils doivent lui donner le meilleur d’eux-mêmes, lui apprendre les choses de la vie avec des mots simples qui ne peuvent s’oublier et surtout lui apprendre à voler de ses propres ailes. A-t-on jamais surpris les oisillons à pondre dans le nid familial ?

    Malgré tout le soin apporté à ton éducation, nous savons que certaines choses nous auront échappé. Il sera alors venu le temps que tu les découvres toi-même et il t’appartiendra aussi de donner un nom aux couleurs nouvelles qui embelliront ton ciel.

    Il sera l’heure où tu partiras à la rencontre d’autres musiques que celles que les jours ont déposées jusqu’à lors devant notre porte. Sur les partitions, tu devras inscrire tes propres notes afin qu’un air nouveau remplisse l’air qui vous enveloppera comme une aura. Il ne faudra pas être surpris si tu découvres qu’ailleurs les saveurs sont peut-être plus sucrées ainsi que les fragrances plus soutenues. Elles seront celles que tu créeras en semant et plantant les fleurs qui embelliront votre vie.

    La maison que tu bâtiras pour abriter votre amour et votre bonheur sera également différente, car elle ressemblera à tes ambitions. Tu la construiras en d’autres lieux qu’auprès de la rivière qui parfois coule avec nostalgie, entraînant à sa suite les individus aux caractères faibles et changeants. Tu pourras l’installer dans l’une des grandes plaines qui ourlent les montagnes si hautes que parfois le ciel se repose sur leur sommet.

    Si tu deviens un homme curieux et avide de découvertes, tu iras à la rencontre de l’océan. Il est immense et prête ses vagues à l’horizon qui les chevauche, sous le regard amusé du soleil prenant son bain du soir.

    Il ne te faudra pas t’appesantir sur la vie que tu auras connue. Elle ne fut qu’un modèle parmi tant d’autres et ne demande qu’à être modifiée et embellie.

    À nous, elle fut suffisante, n’ayant jamais rien demandé d’autre que l’extase des jours calmes et heureux, loin du tumulte des sociétés où en leur sein gravitent des prédateurs toujours prêts à te voler jusqu’à ton soleil.

    Un jour, bel enfant, l’heure sonnera pour que tu ailles planter tes propres arbres, afin que le bonheur s’accroche comme autant de fleurs nouvelles à chacune de leurs branches et dépose en vos bras le plus beau des fruits que les hommes installent dans les berceaux.

    Enfin, ne laisse personne construire les jours de ta vie à ta place. L’amour n’appartient qu’à une seule famille, celle qui le nourrit et l’embellit et qui à chaque aurore lui murmure des prières secrètes.

     

     

    Amazone Solitude. 


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  • Le miroir

    — Depuis des années, nous vivions ensemble, sans pour autant être l’un à côté de l’autre. Nous étions sous le même toit, dirions-nous, jusqu’à ce matin où je pris conscience que tu existais. M’aurais-tu fait un signe qui aurait attiré mon regard ? Je ne saurais le dire, mais soudain, il est vrai, je venais de te découvrir.

    — Comment ? Seulement aujourd’hui après toutes ces années pourrais-tu me reprocher !  

    — Oui, je le confesse bien humblement. Mais mon cher miroir comprend que pour moi tu n’étais qu’un meuble, un objet dans lesquels c’est davantage mon image que je recherchais qu’un regard sur l’ami fidèle que tu étais alors. S’il est vrai que je n’avais guère d’attention à ton égard, ne crois pas pour autant que j’ignorais que toi aussi tu m’observais et parfois même avec insistance.

    Ce n’est pas un reproche que je t’adresse, mais seulement le fruit de mes observations. En fait, ce n’est que ce matin que je réalise que tu cherchais certainement à percer mes secrets les plus intimes. C’est maintenant que je comprends tes petits sourires ironiques ; oh ! à peine perceptibles, il est vrai, alors que le temps s’amusait à creuser des sillons sur ma peau qui, contre son gré se prêtait au jeu.

    Je ne voudrai pas que tu penses que je t’accuse de quelque méfait que ce soit. Cependant, je dois te dire ceci : tu conserves par-devers toi les plus belles images de ma vie. Tu as dérobé mes sourires et mes heures heureuses avant de me montrer avec insistance mes yeux humides quand dans ma vie il faisait sombre. Si aujourd’hui les cheveux gris sont plus nombreux, je te soupçonne d’avoir conservé les blonds pour illuminer ton histoire.

    Tu penses sans doute que je ne sais pas pourquoi tu gardes précieusement mes émotions, détrompe-toi ! J’imagine aisément la raison qui te poussait à lire chaque matin dans mes pensées. C’est probablement parce que toi aussi tu possèdes une âme, qui, si elle demeure nue, est parfaitement inutile.

    Tu voulus la revêtir d’une enveloppe pour exister. Pour ce faire, il te fallut une victime innocente et c’est moi que tu choisis. Sans doute penses-tu que je t’en veuille pour avoir durant toutes ces années détourné ma silhouette ? Je te rassure, il n’en est rien. À demi-mot, je comprends que si la vie a été généreuse avec moi ce n’était pas tout à fait innocent. Il est temps de rendre ce qui m’a été offert, pour que quelque part une autre fleur éclose et qu’un cœur batte d’émotions nouvelles.

    Mais avant d’en arriver là, je souhaiterais que tu m’accordes une faveur. Si tu accèdes à ma demande, je te promets qu’à compter de ce jour, je te regarderais et te considèrerais différemment ! Accepterais-tu mon cher miroir de me restituer mes souvenirs, mes espérances ainsi que ma joie de vivre ? Mais aussi mon amour et surtout l’image qui m’accompagnaient chaque jour quand, devant toi, je m’attardais. J’avais encore mille questions à poser, autant de désirs à émettre quand je sursautais soudain. Le miroir que je croyais indifférent et muet venait de s’adresser à moi :  

    — Mon amie, contrairement à ce que tu imagines, je ne t’ai rien dérobé. Tout ce dont tu me demandes, je l’ai gardé précieusement, comme chaque mot que tu écris dans le journal que tu caches précieusement. Seulement, il ne recueille que tes pensées. Moi, j’ai le privilège de posséder les images de ta vie. Je savais qu’un jour tu me les réclamerais. Les veux-tu maintenant ?

    À mon tour de te demander de réfléchir, car tes émotions seront fortes. Tout au long de l’existence, les images qui ornent les histoires ne sont parfois que les reflets qui cachent les mots, les situations ou les rêves. Est-ce toujours ton désir de te revoir ?

    — Alors je baissais la tête comme une petite fille fautive et réalisant que l’on ne pouvait avoir vécue et demander au temps qu’il nous en accorde davantage. Il y a la belle robe de mariée, mais elle ne se porte qu’un seul jour. Non, répondis-je dans un murmure, garde au fond de toi cette autre personne que j’étais.

    Un jour peut-être une jeune fille se regardera-t-elle dans ce miroir, et grâce à toi, je revivrais en elle, même l’espace d’un reflet, un instant d’infini bonheur.

     

    Amazone. Solitude.


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