• — On ne peut que remercier celui qui permit à notre monde d’être ce qu’il est aujourd’hui, c’est à dire aussi agréable à vivre. Ne tient-il pas à notre discrétion le moindre élément qui soit indispensable à notre existence ainsi qu’à notre bien-être ? Nous cheminons le long des fleuves qui nous prêtent leurs clapots lorsque nous les écoutons aller. Ils nous racontent à leur façon la vie traversée en amont. Nous allons aussi sur les routes, qui relient les villes et les villages afin de nous permettre d’aller à la rencontre des uns et des autres, et les voies ferrées n’en finissent jamais de nous extasier devant des paysages jamais vus auparavant, tandis que les avions nous autorisent à effleurer le ciel sans jamais le déchirer. Mais, il y a aussi les mers et les océans qui prêtent leurs vagues aux bateaux qui les escaladent tel le métronome, allant d’île en île, comme le colibri va de fleur en fleur. Cependant, insatiable, l’homme de sciences rêva, un beau matin, apporter sa pierre à l’édifice. Il le fit de la plus belle manière qui fût, puisqu’aujourd’hui, l’espace est parcouru par une toile immense qui ne se contente pas de conduire des inconnus à la découverte d’autres anonymes, mais qui se plie aux exigences de tous pour rapprocher les âmes charitables qui veulent bien se donner la main. C’est sur ce nouveau fil de la vie que nous rencontrons des amis et parfois aussi l’amour qui était resté caché au cœur des villes ou sous le couvert des forêts où jamais les yeux ne se posent.

    Sur ce maillage qui parcourt le ciel, d’innombrables perles de rosée vont à la découverte du monde qu’elles n’osent à peine caresser. Certaines sont timides et ne s’aventurent qu’avec d’infinies précautions, n’abandonnant jamais un fil avant d’être assurées sur le suivant. Il y en a qui s’arrêtent à la première croisée, hésitant quant à la direction à emprunter, indécises qu’elles sont et qu’elles seront durant leur courte vie. Mais parmi toutes celles qui se lancent vers l’aventure, il y en aura toujours une qui grossira plus rapidement que les autres, avide qu’elle est de prendre la vie telle qu’elle se présente, ne désirant perdre aucun instant. Et comme on la comprend ! Nous penchant délicatement sur elle, il nous sera facile de reconnaître le visage qu’elle renferme, sans toutefois ne jamais le dissimuler. C’est notre nouvel (le) ami(e) qui réside en ce palais aux reflets changeants dans la clarté des matins naissants.

    Dans certaines autres perles, point de visage, mais des cœurs impatients palpitant dès que les yeux se posent dessus. Elles sont pareilles aux jeunes filles que le vent décoiffe gentiment, alors qu’elles eussent préféré les doigts discrets d’un premier amant aux gestes hésitants. Ils sont autant de nouvelles histoires qui écrivent leurs premiers mots, sachant qu’il est indispensable de faire danser les lettres afin que les personnages prennent vie au fil de l’intrigue.

    Parfois, traversant ce bonheur scintillant, il arrive que certaines plus petites se glissent entre les autres, cherchant presque à passer rapidement comme si elles voulaient disparaître pour se faire oublier. Elles sont celles que l’existence a oubliées et qui souffrent pudiquement ; trop discrètes, elles se tenaient à la lisière de la vie, et le bonheur passa sans les apercevoir. Il nous appartient de les recueillir délicatement et de les déposer sur le cœur généreux des fleurs naissantes, où elles seront transformées en parfums délicats qui feront oublier les douleurs montant à l’assaut des corps vulnérables.

    Le fil de la vie est immense, mais il reste fragile. Il lui arrive de se rompre, entrainant à sa suite quelques perles distraites ayant oublié de se mettre à l’abri. Elles disparaissent à tout jamais dans l’indifférence de l’espace, et les cœurs qui battaient en elles n’ont d’autres choix que de joindre leurs battements à la musique universelle transportée par le vent.

    Je propose que nous accrochions chacun avec nos moyens un nouveau lien à cette trame pour la renforcer, afin que plus jamais de nouvelles et timides perles ne tombent dans l’oubli, emportant avec elles les sourires et les espoirs. Sur la toile nouvellement tissée et consolidée, les gouttes de cristal pourront attendre les attardées en toute sécurité et ainsi, à leur arrivée en nos demeures leur tendre nos mains, affichant sur nos visages nos plus beaux sourires. Nos sentiments iront de l’une à l’autre, de sorte que dès que nos regards, les auront étreintes, elles se mettront à scintiller comme des milliers de diamants dans le ciel, rendant honteux les rayons d’un soleil orgueilleux.

     

     

    Amazone Solitude


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  • Le banc du désespoir

    — Mère, ce soir encore je viens à votre rencontre, mais comme de coutume, vous n’y êtes point. Vous avouerais-je combien de fois je suis venu voir si vous vous teniez debout, près de cette mer océane ? Hélas ! Une fois de plus, le banc n’est qu’une nouvelle désillusion. Cependant, mère, dans nos contrées, il fut un temps où il se murmurait qu’en observant la lune, on y voyait comme une Vierge tenant son enfant contre elle.

    Mon imagination est encore trop jeune pour affirmer cette légende ; mais en mon esprit, je me disais que si la Vierge se montrait en même temps que la lune, à sa suite, elle devait entraîner toutes les mères devenues des anges. Naïf je fus ; jamais, vous me fîtes le moindre signe. On disait encore que la lune, lorsqu’elle prend ces couleurs, c’est qu’elle se désole elle-même d’avoir un jour, quitté sa mère la Terre, dont elle se détacha lors d’une grande dispute. Si elle revient de temps en temps la visiter, c’est que son geste, depuis, elle regrette !

    Alors, je vois bien que notre planète ne lui en tient pas rigueur, car elle lui prête son océan pour qu’elle s’y plonge comme pour se ressourcer. Et puis, pourquoi ne pas le dire ? Je vois bien que la mer trouve également un certain plaisir à la recevoir, puisque sur sa surface, elle ne peut cacher les frissons qui la parcourent.

    Ô ! Mère comme j’aimerai qu’il en soit de même pour moi à l’instant où votre peau effleurerait la mienne ! Nous serions là, sur le banc, étroitement enlacés, ne disant aucune parole qui pourrait troubler l’instant. Nous attendrions que la lune ait fini de prendre son bain, tandis que les ténèbres descendraient doucement, installant sur nos épaules les réunissant, le voile fin de la nuit. Mon esprit serait attentif au moindre mot, car admettez-le, mère ; vous ne lui en aviez guère adressé depuis ce premier matin où vous me déposâtes sous la forêt. Mère, sans doute avez-vous souffert plus qu’il ne fût nécessaire et croyez que je ne suis pas là ce soir pour vous juger.

    Je suis également qu’un être faible et je ne suis pas exempt de fautes. Pourquoi vous dis-je que vous avez souffert ? Parce que, cette mer océane qui frissonne jusqu’à mes pieds, figurez-vous qu’un temps je me suis imaginé que c’était vos larmes qui l’avaient remplie ! Oui, mère, je ne puis imaginer que vous n’avez pas souffert en confiant votre enfant aux esprits de la forêt et j’entends encore les mots que vous avez adressés au ciel avant de vous éloigner :

    — Mon dieu, puisque vous ne voulez pas me le laisser, ayez le courage de veiller sur lui. Si tel n’est pas votre désir, n’en faites pas un prince ni un bourgeois. Si vous lui permettez de devenir un homme, rien qu’un homme, plus tard, il ne sera pas un ingrat. Toutefois, n’oubliez pas de lui donner la force, le courage et la foi, car dans notre famille ce sont des éléments qui ignorèrent notre demeure !

    — En vérité, mère, je ne sais pas si vous avez vraiment prononcé ces paroles ou si vous les avez pensés trop fort pour qu’elles parviennent jusqu’à ma mémoire. Mais depuis toute ma modeste existence, ces mots tournent en rond en mon esprit, et je ne puis croire qu’ils s’y trouvent par hasard. Voyez, mère, la lune continue de descendre, mais dirige son faisceau lumineux vers le banc, comme si elle voulait m’indiquer l’emplacement qui fût le vôtre. Dans un instant, je viendrai occuper votre place et je crois que je ressentirai votre présence, car il me plaît d’imaginer que l’astre luisant du soir vous trouble à ce point que vous n’osez paraître devant moi.

    Si vous saviez, mère, comme vous avez tort de ne pas venir vous joindre à moi ! Vous n’avez aucune crainte à nourrir à mon endroit, car je ne vous ai jamais imaginée autrement que douce et belle, avec une voix suave qui fait s’endormir l’enfant même quand il se croit malheureux. Si je tends le bras en direction de la lune, sans doute pourrai-je vous montrer le chemin qui conduit jusqu’au banc dont je crois qu’il est celui du désespoir, puisque jusqu’à ce soir, vous ne vous y êtes jamais tenue, posant délicatement votre main sur mon épaule.

    Je laisse mon regard courir jusqu’à l’horizon sur lequel se balance la lune, en espérance de toutes mes forces, que dans un instant, je verrais une silhouette en descendre avec une infinie précaution. Ses pas seront d’abord hésitants, puis, ayant trouvé leur équilibre, ils se feront rapides. C’est alors que vos bras s’écarteront pour m’accueillir et allant à votre rencontre, ensemble, à l’instar de la lune ayant accompli son miracle, nous la suivrons par delà l’océan, afin que plus jamais nous ne nous quittions.

    La lune a poursuivi son chemin ; la mer l’a accueillie comme elle le fait chaque soir laissant orphelin le banc du désespoir avec, accroché au dossier, un sac rempli de rêves et de larmes et sur ses planches quelques traces d’un amour qui ne fût jamais consommé. L’océan ne frissonne plus, il s’est refermé sur des êtres imaginaires qui attendront la prochaine lunaison pour retrouver leur banc en chantant un hymne à l’amour.

     

     

    Amazone Solitude.


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  •  

    L'âme à portée de mainsReflets de mémoire

     

    — Un jour, je vous parlerai de l’existence quasi martyre de cette pauvre femme qui n’avait plus quitté son lit depuis si longtemps, que dans la maison, chacun avait oublié qu’elle fut un jour sur ses deux jambes.

    C’est que dans certains cas, la mémoire quand elle juge que le sujet est trop douloureux fait mine d’avoir oublié à son tour, prétextant que le paradis et l’enfer sont souvent cruels et complices.

    La pauvre femme, épuisée, avait choisi la fin des fenaisons pour aller rejoindre ceux qu’elle avait aimés en secret, car jamais elle ne faisait allusion à une quelconque famille autre que sa fille présente, mais avec laquelle il avait été si difficile de partager l’existence et les émotions qui l’accompagnent.

    Dans les grands moments de souffrance, elle me disait :

    — Par pudeur, certains sentiments refusent de se partager, même avec la personne estimée être la plus proche de nous. Je ne me suis donc jamais senti le courage de faire porter aux autres la moindre parcelle de mes douleurs ni de mes ressentis. Il en va ainsi dans la vie, me disait-elle encore, que l’on emprunte des chemins sans pour autant découvrir les larmes de ceux qui ont laissé les leurs souder les pierres.

    — Le mois de juin avait laissé filer ses jours et les foins coupés puis rentrés, avait laissé derrière eux un parfum d’herbe sèche dont la nature et les hommes s’enivraient.

    Longtemps après, alors que je n’étais qu’un jeune enfant, je revois toujours le cortège qui traversait le village, dans lequel les villageois échangeaient leurs propos qui sans nul doute n’avaient aucun rapport avec celle qui précédait le convoi, dans le corbillard que tirait un magnifique cheval blanc. Les enfants n’avaient pas eu le droit d’assister aux obsèques de la défunte. Les adultes en avaient ainsi décidé que ce n’était pas un spectacle pour eux. J’en avais été profondément affecté, car en ma qualité d’enfant de chœur, un enterrement, je n’en étais pas à mon premier et que des allées et retours du cimetière, j’en avais déjà connu des dizaines.

    J’avais été choqué d’une telle décision, dis-je, d’autant que la grand-mère, c’était moi qui lui avais fermé les yeux, dans une nuit qui me parut une éternité, respectant au mot près ses recommandations de la veille. Je ne pris donc pas part au cortège. Cependant, rusé que j’étais, je le précédais d’une bonne heure, le temps de trouver une cachette de laquelle je pourrai adresser un dernier adieu à celle qui m’avait accordé un peu de son temps qui venait de lui faire défaut.

    L’air était trop lourd pour que l’orage n’éclate pas avant le soir. Déjà, dans le ciel, de lourds nuages noirs roulaient dans ma direction, poussés par un vent qui forcissait d’instant en instant. Je fis une prière à qui voulait l’entendre pour qu’il laisse finir la cérémonie avant d’envoyer le déluge. Le corbillard venait de pénétrer dans le cimetière, quand une rafale plus puissante que les autres m’apporta quelques bribes des chants que le curé avait de la peine à faire reprendre aux adultes qui menaient toujours de grands discours.

    Distrayant mon attention, entraînée par le vent, une fleur de pissenlit, puis plusieurs autres passèrent à proximité de moi. Je m’empressais de saisir la plus proche et de l’enfouir dans l’une de mes poches en prenant soin de ne pas l’endommager.

    Il me plut alors d’imaginer que la fleur ne transportait pas la graine de la plante, mais l’âme de mon amie disparue. M’ayant aperçue dans ma cachette, sans doute aura-t-elle voulu m’adresser un dernier signe, pensai-je ! J’étais un peu honteux d’avoir interrompu sa marche sur le chemin de l’éternel, mais un peu égoïstement, j’estimais que les secrets de son âme seraient plus en sécurité avec moi.

    De retour à la maison, tel un trésor je mis la fleur entre les pages d’un livre qu’elle m’avait offert quelques mois auparavant. Chaque soir, à la lueur de la bougie j’ouvrais l’ouvrage à l’emplacement de la fleur, comme quelqu’un qui retrouve un ami à qui il a donné rendez-vous, et je lui racontais les choses de la vie, à la façon dont elle le faisait chaque soir à l’heure où la maisonnée était endormie à l’étage supérieur.

    Ne m’avait-elle pas dit précisément que lorsqu’une âme s’en va, bien souvent elle se réfugie auprès de celle d’un innocent pour le conforter et le protéger ?

    La satisfaction de penser que peut-être elle m’avait choisi me réconfortait un peu. J’étais presque heureux de m’imaginer qu’elle marchait à mes côtés et que c’est elle qui m’indiquait la voie à suivre.

    Malheureusement, un jour, mon livre disparut. Par méchanceté, on l’avait détruit, sous le prétexte que « la nuit était faite pour dormir et non pour lire des sornettes. »

    Pour atténuer ma peine, je me rassurais en pensant qu’elle avait repris sa liberté et sa route, estimant que j’étais assez fort pour continuer la mienne sans elle.

    Depuis ce temps lointain, je ne puis m’empêcher de penser à cette femme qui avait été bonne avec moi et chaque fois que je vois un akène suspendu à ses ailes, je ne puis me retenir de lui adresser une pensée et un sourire.

     

     

    Amazone Solitude


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  • Musicalement Vôtre

    — Vous pensez sans doute que je vais vous jouer un petit air bien de chez nous, un de ceux qui d’instinct font onduler les corps dès les premières mesures ? Je ne vous mettrai pas au supplice. À mon grand regret, de la musique, je n’en connais que les frissons qu’elle laisse parcourir sur ma peau, et parfois, quelques larmes qu’elle installe dans mes yeux, à l’instant où l’oreille ne retient plus d’autres sons qui ne lui appartiennent pas. C’est alors que les partitions s’installent en mon esprit où les attend le chef d’orchestre et la baguette n’a pas fini de donner la première note, que déjà, un infini bien-être m’envahit.

    Soudain, c’est l’océan qui retient la marche incessante de ses vagues, la forêt qui impose à ses hôtes le plus grand silence, le vent qui stationne à la lisière des grands bois, jusqu’aux nuages d’ordinaire silencieux qui restent accrochés au ciel comme s’ils voulaient eux aussi profiter de l’instant divin que la musique fait naître. Alors, je ferme les yeux ; et sans la connaître, je me laisse bercer par cette merveilleuse inconnue qui à l’audace de pénétrer au plus profond de mon être.

    Je savais que j’allais vous décevoir, car bien que me délectant durant des heures de belles musiques, ce n’est pas d’elles que je veux vous entretenir

    Je voulais seulement vous dire quelques mots de celle que la nature nous offre si généreusement tout au long de l’existence et qui à l’instar de celle des hommes ne ravit pas ou ne convainc pas l’oreille de tous. Qu’importe, sa partition est écrite depuis l’aube du premier jour et l’orchestre, infatigable, interprète ce que la nature lui demande de jouer. C’est sans aucun doute l’une des plus belles musiques et surtout, aucun homme ne l’a pensé ni écrit. Certains, avec beaucoup de succès sont venus puiser à sa source quelques inspirations qui, immédiatement furent des succès !

    À ceux qui pourraient imaginer que je ne suis qu’un rêveur solitaire, je ne répondrai qu’avec un sourire et surtout, je leur dirai qu’ils aillent dans les matins naissants, aux heures chaudes du jour ou encore dans le soir tombant, pour comprendre qu’avec la musique, je ne plaisante pas. À toute heure du jour, nous n’entendons jamais les mêmes morceaux. La nature nous offre un récital permanent ! D’une journée à l’autre, ce ne sont jamais mes mêmes partitions. L’harmonie est permanente et jamais rompue.

    Savez-vous que même dans les ténèbres la musique continue de déverser sur le monde ses notes joyeuses aux accents métis, parfois lancinants et souvent discrets pour accompagner nos rêves ? Il semblerait même qu’il y ait une musique pour chaque songe. C’est comme je vous le dis ! Les berceuses endorment les jeunes enfants ; celle endiablée et parfois cadencée accompagne les amoureux qui emmêlent leurs corps en de savantes figures et parfois inconnues ; et celle nostalgique, en plus de l’esprit, tient la main des plus âgés afin de guider leurs pas.

    Écoutant la nature interpréter ses airs merveilleux, on apprend mieux les choses de la vie et souvent, elle nous aide à mieux comprendre les autres. Mais alors, me direz-vous, si la musique que compose la nature est si belle, pourquoi il n’y a pas davantage de compositeurs qui s’en inspirent ? Oh ! Si elle nous offre sans retenue ses concerts, sans doute parce qu’elle est un peu jalouse, chaque jour elle en crée une différente. Nous n’avons pas le temps de poser quelques paroles sur ses rythmes que déjà elle en compose un nouveau. Elle est changeante, envoûtante et se fait mystérieuse à l’instant où l’alizé s’invite au récital. Les ramures de tous les végétaux participent à l’écriture et les longues et larges feuilles des palmiers sont les premières à diffuser des morceaux venus d’ailleurs. Les fleuves et les rivières participent à la fête en l’agrémentant de notes nouvelles à chaque cascade. Mais surtout, afin que le vent ni la nature dans son ensemble n’oublient aucune portée ni même le moindre soupir, c’est l’herbe qui se charge d’écrire le solfège. Nous penchant alors sur les hampes les plus hautes, on peut les voir courber le do(s) qui devient si fa (cile) à do (rer) puisque le sol la mi là !

     

    Amazone. Solitude

     

     


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  • Confidences

    — Mon tendre ami, sans vouloir remuer en toi des souvenirs douloureux, te souviens-tu comment notre histoire a commencé ?

    — Si je me souviens ! On dirait même que je n’en ai connu qu’une ! Mais tu sais, tous les souvenirs n’ont pas vocation à être douloureux. Nous ne pouvons ignorer les jours qui partagèrent leur bonheur avec nous. Je ne saurai t’en dire le nombre, car les comptes n’ont jamais été mon fort. J’ai toujours estimé que vivre le temps qui était mis à notre disposition était largement suffisant.

    Pardon de m’égarer dans une conversation aussi sinueuse que les sentiers que nous avons empruntés ; aussi, c’est bien de leur faute, car de tout temps, ils nous ont fait emprunter des chemins de traverse. Alors, forcément cela a déteint sur mon comportement et je ne sais même pas si je dois m’en excuser ou non !

    — Bon, mon ami, n’en rajoute pas, sinon, comme souvent il t’arrive, tu vas t’engager dans une impasse. Pardon d’avoir coupé le fil de tes pensées.

    — En fait, je voulais seulement dire que je n’ai rien d’un éléphant, mais ma mémoire n’a perdu aucun des merveilleux instants de notre jeunesse.

    — Moi non plus, vieille camarde ! D’ailleurs, tu dois bien te souvenir de ce qu’ils disaient de nous ?

    — En effet, je crois me rappeler qu’ils nous dénommaient les jumeaux bien que nous sommes nés de mères différentes !

    — C’est bien cela. Ils disaient que nous étions jumeaux parce que nés le même jour. Mais là s’arrête notre ressemblance, sinon que nous sommes frères de la même misère. À peine nos pattes assurées, on nous conduisit au pré. L’image n’a jamais disparu de mon esprit.

    — Moi non plus ; ces images n’ont pas été effacées de ma mémoire ; pense donc ! Les premières caresses du vent, la découverte des couleurs, les senteurs sauvages et que sais-je encore ? C’était dans une prairie à flanc de coteau. Nous étions au printemps, heureux des beaux jours retrouvés. L’herbe y était abondante et parsemée de fleurs des champs. Il y avait là des marguerites, des boutons d’or, des pervenches, des coquelicots, que courtisaient les premiers papillons. En compagnie de nos voisins de l’étable, nous nous moquions un peu lorsque dans des positions instables tu te retrouvais à rouler dans l’herbe. Cela te faisait une robe fleurie, seules tes oreilles dépassaient ! Il me semble encore voir les babines de ta mère remonter très haut par-dessus les dents, signe qu’elle ne s’inquiétait nullement de tes mésaventures. Sans doute pensait-elle qu’un tel accoutrement te ferait une belle robe de mariage. Les parents sont toujours comme cela, à se préoccuper de l’avenir de leurs enfants.

    — Puis le temps de l’innocence nous surprit en chemin. Il n’était plus, le temps de gambader ni de se prélasser. L’heure du dressage était déjà là et le fouet que l’on entendait claquer au-dessus de nos têtes ne tardait plus à frôler nos oreilles et marquer nos robes juvéniles.

    — Pour moi, il en est de même. Tiens, sur la croupe, à gauche, ce grand trait que l’on aperçoit ; eh bien, ce n’est pas une fantaisie ! Seulement la signature de la main lourde du maître ; ce jour-là, il était beaucoup remonté.

    — Oui, je nous revois marchant derrière nos parents. On nous recommandait d’en suivre chaque pas afin de lire en leurs empreintes le destin du jour.  

    — On nous affubla d’un bât, trop rapidement à mon goût. Suivant les mules sur les sentiers rocailleux, nous commençâmes notre vie de labeur. Il nous fallut en transporter des choses ! C’est qu’au contraire de nous, les hommes ne se contentent jamais de ce qu’ils ont. Il leur en faut toujours plus !

    — Ah ! Pendant que j’y pense, dis-moi mon ami, vois-tu quelque chose de particulier sur ma tête ?

    — Non, ma tendre amie ; rien que je n’aurai jamais remarqué ! Souffrirais-tu d’un mal qui n’avouerait pas son nom ?

    — Non, merci de prendre des nouvelles de ma santé. C’est parce que l’autre jour en passant sous les fenêtres de l’école du village, j’ai entendu le maître dire à un élève :

    — File au piquet et au passage prend le bonnet d’âne.

    — C’est peut-être un compliment, travesti, car à mon avis si l’enfant avait eu des oreilles comme les nôtres, sans doute il aurait entendu et surtout, compris la leçon !

    — À propos de leçon, te souviens-tu de celles que nous donnions à nos maîtres quand sur nos derrières nous restions assis ? Les fixant dans les yeux, ils pouvaient lire dans les nôtres toute notre détermination. Ils pouvaient toujours donner du bâton. Rien ne nous faisait aller avant que nous l’ayons décidé ! Nous ne sommes pas de mauvais éléments, mais il fallait bien leur faire comprendre que nous avions notre caractère et qu’ils devaient le respecter de la même manière que nous respections les leurs.

    — Il fallait bien qu’ils finissent par admettre que ce n’était pas eux qui nous avaient conquis, mais nous qui avions adopté leurs chaudes écuries où il faisait bon l’hiver. 

    — Têtus ? Nous ? Jamais ! Seulement insoumis !

     

     

    Amazone Solitude


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