• – Nous employons souvent une expression particulière pour dire que l’un ou l’autre de nos amis se trouve loin des yeux et parfois aussi du cœur.     Sans hésiter, nous prétendons qu’il réside au bout du monde. Étant donné la singularité de notre chère planète, pourrions-nous dire sans nous tromper de quel bout il s’agit pour désigner l’endroit où se trouve le destinataire de notre courrier ? De nos jours, il n’est plus guère de lieux qui ne soient plus accessibles au commun des mortels. Les moyens de transports en tous genres nous déposent au plus près de notre destination finale.

    Enfin, presque, lorsqu’il est question d’une région comme la nôtre. En effet, l’avion débarque ses passagers près de la capitale, puis il faudra beaucoup de patience à celui qui vient rendre visite à son ami, habitant dans un village dissimulé quelque part dans la forêt. Plusieurs moyens de locomotions seront nécessaires pour atteindre l’objectif. La voiture d’abord, quand ce n’est pas un autre avion plus modeste. Puis ce sera la pirogue et des heures de navigation sur un fleuve majestueux, avant de rejoindre une rivière et enfin une crique.

    Évidemment, vous ne serez pas venu tout seul en ces lieux dont vous pensiez qu’ils n’existaient que dans les romans d’aventures. Votre copain sera là pour vous accueillir à l’aéroport et en sa compagnie, le nouveau pays se découvre au fur et à mesure de votre progression. L’ami en question n’aura de cesse de vous montrer une chose puis une autre, un arbre particulier, une fleur ou un animal s’enfuyant à votre approche.

    Je vous rassure tout de suite. À moins d’avoir une grande habitude de l’observation, ici, les premiers jours, vous ne distinguerez pas grand-chose. Il y a trop à voir à la fois et vous n’aurez pas encore trouvé la chose à découvrir que déjà, on vous en annonce une autre. C’est à peine si vous vous rendez compte que c’est un camaïeu de verts qui ourle l’immense manteau dont la nature se pare. Surtout si dans votre pays l’automne a fait le ménage dans les bois, vous serez surpris par la verdure qui règne dans votre nouvel environnement.

    Vous apercevrez tout juste la bande de singes accompagnant votre déplacement, chahutant dans les arbres qui s’accrochent sur les berges. Vous ne verrez pas grand-chose non plus, en voiture ; et encore moins le serpent dérangé pendant son sommeil, sur le bord de la piste.  

    Il en sera ainsi pendant quelques jours où vous ne saurez où donner du regard. À peine veniez-vous de remarquer une chose que déjà on vous presse d’en découvrir une autre. Puis, le moment est arrivé où vous ne voyez plus rien. Normal ; c’est l’instant où une certaine angoisse vous étreint alors que la pirogue s’engage dans une crique étroite, tandis que la forêt cache la couleur du ciel. Vous comprenez que ce n’est pas la nuit qui vient de tomber, à l’instant où l’on vous crie de vous réfugier au fond de l’embarcation afin de passer sans encombre sous un tronc qui ne fait plus beaucoup d’efforts pour se retenir à la berge sur laquelle il s’accrochait jusque-là.

    – Il nous faudra le débiter dans quelques jours si nous ne voulons pas avoir de l’escalade à faire pour le voyage de retour, annonce votre collègue sur un ton naturel.

    Une fois encore, tout le monde connaît certaines émotions à l’instant où vous réalisez que c’est de votre départ auquel on fait allusion ! À votre regard en forme de point d’interrogation, votre ami vous confirme que d’ici là, il n’y aura plus de sorties que celles qui vous feront découvrir plus profondément la forêt. Vous n’avez pas le loisir de vous renseigner à nouveau que devant la pirogue, un ponton se profile.

    Comme par miracle, à cet endroit le ciel redevient clair. Des enfants plongent dans la rivière et cela semble être leur passe-temps favori. Devançant votre question, l’ami vous tranquillise en vous révélant que tous les gosses ne sont pas les siens. C’est à l’instant où l’on vous dit que vous êtes le bienvenu que vous prenez conscience de l’audace qu’il vous fallut pour venir vous échouer en un lieu qui ressemble vraiment à un morceau du bout du monde.  

    Une aire parfaitement dégagée et bien entretenue est occupée par des constructions traditionnelles et des maisons sur pilotis. Avec le sourire, on vous prévient que vous ne risquez pas de vous perdre. Une allée fait office de rue principale et des sentiers partent d’un côté ou de l’autre, menant aux habitations à la périphérie du village.

    Soudain, un panneau attire votre attention : visite du médecin le 25 du mois prochain !  

    On vous confirme alors que ce n’est pas une supercherie.

    – Comme tu le vois, s’empresse-t-on de vous tranquilliser, si nous pouvons attendre autant de temps le médecin, c’est que nous ne sommes pas souvent malades. Oh ! Nous avons bien quelques crises de paluds ou d’autres fièvres de temps à autre, mais il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Vois-tu, continue l’ami, dans la vie la plupart des gens sont malades parce qu’ils savent le docteur non loin de leur porte. D’autres ne le sont pas vraiment. Ils ont surtout besoin qu’on les écoute et qu’on les rassure, car d’eux-mêmes, ils ne connaissent presque rien.

    Chez nous, c’est différent. Nous ne sommes pas seulement à l’écoute de la nature ; nous sommes aussi soucieux de nous-mêmes et des nôtres. Pour les cas graves, nous faisons appel à l’hélicoptère du SAMU. Nous ne sommes pas à plaindre !

    Ne cherche pas non plus les magasins. Nous n’en avons que trois : la forêt, la rivière et l’abattis pour les fruits et les légumes.

    Allez, viens, il est temps de découvrir la maison qui va t’accueillir. Elle n’a rien à envier aux autres. Sa table est bonne, le toit nous protège de la pluie et à l’intérieur, chaque nuit nous permet de faire les plus beaux rêves.

     

     

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  • — Le monde appartient à tous, peut-on entendre de-ci de-là. Le jour se lève aussi pour tous les hommes ! Mais, pourquoi y a-t-il autant de disparités entre les personnes qui peuplent notre belle Terre ? Pourquoi fait-il jour chez certains, tandis qu’il fait nuit dans le cœur des autres ? Pourquoi le soleil darde ses rayons sur quelques-uns, alors que le plus grand nombre est toujours à l’ombre ? Pourquoi le bonheur stationne-t-il sur le seuil de quelques maisons où les gens ne l’ont jamais prié qu’il leur rende visite et que dans certaines rues des villes et villages il se refuse à s’arrêter devant des bâtisses qui ignoraient qu’il put exister ?

    Pour toutes ces raisons et ces questions, les différences se sont installées dans la vie des individus et ils convinrent que pour trouver l’essence même du bien-être, il suffisait alors de le construire à leurs mesures et en fonction de leurs besoins ou de leurs espérances. Ainsi avons-nous vu se créer plusieurs mondes parallèles, allant souvent jusqu’à s’ignorer, comme si la main droite ne voulait rien savoir des faits et gestes de sa voisine de gauche.  

    Je n’ai pas échappé à la règle. Victime trop tôt de cette solitude qui me revint presque de droit comme un héritage, je me construisis donc ma propre bulle. Oh ! N’allez pas imaginer que je la voulus exemplaire, sans tache aucune ni sans défaut, avec des fleurs dans chaque prairie et accrochées dans toutes les ramures, des friandises pour les enfants du monde ainsi que des sourires à poser sur tous les visages rencontrés. Non, bien au contraire. De ce monde-là qui relève plus de la fantaisie que de la réalité, je convins donc qu’au lieu de m’opposer à lui j’allais en faire mon allié et essayer de démonter les théories qui prétendaient qu’elles étaient immuables. Je sais, diront certains, je ne manquais pas d’ambition !  

    Très jeune, je décidais d’aller vers ceux que la vie semblait ignorer.  

    Ils n’étaient pas que des enfants comme moi, qui le jour de la distribution du bonheur étaient absents, ou occupés en d’autres endroits. Ils étaient aussi des gens qui auraient pu être mes parents et même mes grands-parents pour la grande majorité. Sans doute que je ne les ai jamais assez remerciés, car ils m’enseignèrent les choses de la vie comme elles devaient être vues et non supposées ou même inventées par les esprits aventureux. Mais bien qu’avantageuse pour l’enrichissement dont j’étais l’heureux bénéficiaire, je n’en quittais pas pour autant ma précieuse bulle qui était censée me protéger des agressions de toutes sortes ainsi que de la bêtise humaine. Vous imaginez, n’est-ce pas, que cette dernière ne date pas d’hier !

    Les lignes qui suivent cette modeste introduction remontent à bien des saisons en arrière. Nous étions déjà à une veille de Noël dont le seul nom était la cause de frissons pour les uns, d’agacement chez les autres, et d’indifférence en de nombreux foyers.

    Le matin, je dus donner un coup de main au curé pour terminer la crèche. Il me fallut aller chercher suffisamment de mousse pour la tapisser, afin que les bergers et les moutons fassent aussi vrai que dans la réalité. Ma tâche accomplie, en redescendant de l’église, chez une personne âgée, je rentrais du bois près de la cheminée, pour qu’elle n’ait pas à sortir la nuit. Pour une autre, je fis les courses afin qu’elle prépare son réveillon en tête à tête avec elle-même. Le souvenir de cette veille de fête passée chez ses parents il y avait bien longtemps ne l’avait jamais abandonnée et elle refaisait renaître une époque qui l’avait enchantée lorsqu’elle était enfant. Pourquoi pas, après tout, pensais-je, si cela lui fait plaisir et lui permet de revivre une scène heureuse de la vie.

    Chez une autre « gangan » qui signifie en créole une grande personne, ce fut quelques travaux d’entretien qu’il me fallut accomplir avant de rentrer le bois nouvellement livré, dans une remise où celui de la saison précédente l’attendait en finissant de sécher.  

    Avant de rejoindre la maison, pour remerciement, la vieille dame me fit dîner à sa table. Ce n’était pas un repas de fête, mais l’ambiance était feutrée et les histoires qu’elle me racontait captivaient mon attention. Certes, elles n’étaient pas issues de contes des mille et une nuits, mais d’une époque révolue qui avait su rendre bienheureuse ma narratrice. Je prenais soin de ne jamais l’interrompre, car j’avais remarqué que chez certaines personnes ayant traversé la plus grande partie de leur vie, à l’instant où elles étaient arrêtées dans leurs pensées, elles oubliaient certains gués qui permettaient le passage de quelques mots, tels ceux de la rivière, aidant les gens et les bêtes à l’enjamber.

    Il arrivait à cette brave femme de prendre ombrage de mon silence et elle me demandait alors :

    — Je te vois bien loin ; m’écoutes-tu au moins ?  

    Comme une flatterie dont j’avais deviné qu’elle en appréciait la portée, je lui répondais :  

    — Pardon de vous donner ce mauvais sentiment. Vous avez raison, je ne vous entendais plus, car je suivais vos pas le long de ces chemins bordés de hauts buissons, que vous affectionniez alors, pour les récoltes des prunelles et de mûres que votre mère transformait en de délicieuses confitures.

    Cette veille de Noël là, ne put jamais s’effacer de ma mémoire.

    La journée s’était passée dans la bonne humeur, un instant chez l’un, le suivant chez l’autre. La neige était tombée en abondance permettant au temps de se radoucir et j’avais gagné auprès de ma conteuse mon cadeau de Noël. Il n’était pas énorme. Il tenait dans une seule main et sans difficulté dans une poche du pantalon qui descendait jusqu’aux genoux. Ce pantalon, qui n’avait que le nom, mais pas l’allure, permettait à mes jambes de prendre une belle couleur bleue ainsi que moult remontrances, bien que je ne me plaigne jamais.  

    — Si tu ne veux pas geler, tu n’as qu’à rester à la maison !  

    — Mais comment répondre sans fâcher personne, que le plus souvent il faisait aussi froid dans le taudis que dehors ?  

    Je rentrais donc tout fier en brandissant mon cadeau. Il ne fallut alors que quelques instants à la marâtre pour m’arracher ma belle sanguine des mains en prétextant que je n’étais qu’un jeune ignorant qui avait tort d’accepter des oranges pourries d’une vieille dame qui perdait la raison. Je ne dis rien, mais retint la leçon. Je ne rapportais plus jamais rien qui se mangeait chez des gens qui, en toutes saisons, avaient le cœur aussi froid que durant celle oublieuse qui tenait les individus isolés.

    Je crois que c’est à partir de cette date que je commençais à me désintéresser de toutes les fêtes qui sont tentées réunir les familles, alors qu’en fait, dans de nombreux cas, elles ne font que dresser des barrières entre elles.

     

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  • En ces temps de fêtes où l’on aime écouter de belles histoires, le billet que je vous propose est un récit authentique. Cependant, dans le grand livre des contes, et autres légendes, sans nul doute, il y a sa place. Je vous souhaite un voyage.

     

    — Si nous devions prendre l’histoire qui suit à ses débuts, il nous faudrait remonter très loin dans le temps, ainsi que dans l’hémisphère nord. En effet, les protagonistes qui apparaissent au gré des lignes s’étaient embarqués à Saint-Malo. Ils étaient selon les époques ou les accords passés avec les autorités, tantôt pirate, tantôt corsaires. Mais de l’équipage qui prit le vent ce matin de printemps 1795 très peu s’en revinrent au pays. Infatigables coureurs et détrousseurs des mers, ils arraisonnaient les navires anglais ou hollandais qui rentraient des Indes, les cales lourdement chargées. Les butins si tôt changés de bords, c’était le retour vers Nantes où une partie des prises était partagée en douce, avant de transmettre le reste de la cargaison aux douaniers chargés de la remettre au Roi. Mais tant de marchandises et trésors avaient de quoi alimenter les convoitises.

    Ainsi, lors de courses folles dans l’océan Indien, leurs méfaits accomplis, un équipage se rendit sur une île isolée, où ils furent accueillis par la compagnie de la France Équinoxiale. Pensez donc, qui aurait refusé l’accostage de navires chargés de tant de trésors ! Lassés par des années de courses folles, certains corsaires s’établirent sur cette île et y installèrent des commerces et fondèrent des familles. Les échanges avec les bâtiments de passage allaient bon train, le négoce devint vite prospère. Mais comme le dit une maxime, « bon sang, ne saurait mentir ». L’un de ces descendants de ces navigateurs de pères en fils, fit part de son désir de reprendre la mer. Il trouvait l’île trop petite, habitué qu’il était des grands espaces maritimes. Il eut même l’audace de dire à son parent qu’elle semblait s’accrocher à son cou tel un collier trop lourd à porter. La vie en ces lieux posés entre mer et ciel lui paraissait trop monotone. Lui, s’estimant digne descendant de pirates et de corsaires ou simplement de modestes pêcheurs lorsque les pays n’étaient pas en guerre, se devait de retourner à la mer. Devinant au-devant de quels dangers son fils allait, son père essaya bien de l’en décourager, mais devant l’entêtement du jeune homme, il consentit à lui offrir son propre bâtiment qui s’ennuyait à tourner en rond autour de son ancre.

    Certes, il n’était pas aussi élégant que ceux qui volaient presque au-dessus des vagues lorsqu’ils abordaient les navires ennemis, mais il était un joli boutre robuste pour affronter le temps changeant dans la région et suffisamment important pour emporter des cargaisons négociables avec les îles voisines.

    Ayant fait le tour des Terres environnantes, Jean Fernand jeta son dévolu sur la grande île de Madagascar ; il eut une préférence pour la côte est et sud où les marchandises se vendaient ou s’échangeaient.

    Le trafic prit de l’essor ; à ce point, que le commerçant devenu armateur choisit rapidement un équipage afin de faire face à la demande grandissante. Notre capitaine était un parfait gestionnaire, et, pour ne rien gâcher, il était plutôt bel homme. Il ne tarda pas à séduire quelques jeunes filles donnant foi au dicton « le marin aime une fille dans chaque port ».

    Jean Fernand, cependant, bien que refusant le mariage pays avec l’une de ses conquêtes, lui fit pas moins de trois enfants !

    À chacun de ses voyages, il ne manquait jamais de rendre visite à sa petite famille et aucun cadeau n’était trop beau ni trop cher pour la mère de ses héritiers, comme il le prétendait.

    Toutefois, n’oublions pas que dès la première rencontre il lui avait déclaré :

    — Certes, je t’aime, mais un homme comme moi ne peut pas être comme le zébu à l’attache. Mon épouse véritable est la mer et mon lit ne saurait être que mon boutre. Mais je ne t’oublierais pas ; je t’en fais le serment. Dans mon cœur, ta place ne sera remplacée par aucune autre femme !

    Elle lui avait répondu avec un regard de circonstance qu’elle l’avait deviné depuis leur première rencontre.

    — J’ai vu dans notre ciel de magnifiques oiseaux, mais ils ne font que passer ; tout juste quelques-uns s’arrêtent-ils pour se reposer et se restaurer avant de repartir. J’ai toujours pensé que tu leur ressemblais ;  peut-être même es-tu l’un d’eux ?

     

    Durant l’escale d’un jour, sans grande conviction, il lui avait proposé de le suivre et ainsi découvrir les beautés de l’océan ainsi que les îles merveilleuses qui ressemblaient à des émeraudes posées sur les flots. Elle s’était gaussée, en s’écriant :

    — Tu n’y penses pas ! Moi, une fille, dont les pieds, n’ont jamais quitté la terre sur laquelle elle vit le jour ! Tu ne voudrais quand même pas que je devienne comme toi, quelqu’un qui n’a plus le souvenir de sa famille ni celle de son pays, à force de parcourir le monde !

    Ils restèrent donc bons amis et les tissus de qualités et autres produits nouveaux étaient déposés à chaque voyage. Elle lui avait confié avec une assurance qui ne trompe pas :

    — Tu es un bon père à défaut d’être un mari. Le moment venu, je dirai à tes enfants quel homme merveilleux tu fus. Ainsi, nous ne t’oublierons jamais, sois-en sûr ! Elle tint parole. Mieux, elle lui rendit au centuple le modeste amour qu’il avait un soir, déposé en sa case, près de la forêt.

    Chaque matin qui se lève au-dessus de l’océan ne ressemble jamais à un précédent. Jean Fernand, fils et petit fils et même arrière-petit-fils de marin, une nuit, s’était laissé prendre au piège de la tempête. On eût dit que les éléments voulaient se venger de quelques méfaits subis longtemps auparavant. Elle jeta l’équipage à la mer et le boutre fut drossé sur les rochers. Le capitaine et son adjoint furent sauvés, mais pour une courte durée. Au petit matin, les soldats du roi de la région mis au courant de la mésaventure des marins vinrent s’emparer d’eux et les firent prisonniers. Ainsi, dans cette famille où tant d’hommes furent tour à tour corsaires ou pirates, lui, l’effronté, fut le premier esclave blanc dans l’histoire de la grande île.

    Informée de l’infortune de son amant, celle qui lui avait promis de ne jamais l’oublier alla demander la libération du père de ses enfants, en offrant au roi des richesses considérables collectées le long de la côte, de village en village.

    Jean Fernand retrouva sa liberté, mais ne revit pas celle qui s’était tant sacrifiée. On disait qu’elle était partie loin à l’intérieur des terres. La rançon n’avait sans doute pas suffi, le roi lui avait imposé la séparation d’avec l’étranger.

    Il rejoignit son pays par des moyens de fortune et quand il revint sur la grande île, ce fut plus au nord où il s’établit.

     

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  • Je devine que le billet qui suit ne manquera pas de surprendre certaines personnes ; car chez nous, de neige, de mémoire de tapir, nous n’avons jamais vu un jaguar chaussé de godillots aux semelles cloutées, afin de mieux s’accrocher aux troncs et aux branches recouvertes de givre. Cependant, neige ou pluie n’ont en réalité que peu d’importance, car en cette période festive, c’est bien de la misère morale dont je tiens à parler. De par le monde, je ne puis me résoudre à ne pas mettre en évidence ces gens qui, en leur temps furent certainement des plus généreux et aimants, alors qu’en cette fin d’année, beaucoup seront oubliés.

    D’aucuns prétendent qu’au soleil la misère est moins pénible, mais en tous lieux, celui qui souffre a autant mal à l’âme que celui qui n’a le soleil que dans le cœur.

     

    — Voilà donc que décembre a bien installé ses jours, en cette année qui commence à s’essouffler. Mais ce coquin de mois qui devait annoncer une transition entre un automne blasé et un début de saison froide et rigoureuse en a décidé autrement.

    Il n’y alla pas par quatre chemins, décidé qu’il fut à ne pas se faire oublier de si tôt ! Dans ses bagages, il apporta son grand manteau blanc, nous signifiant que l’hiver serait rude. Bien sûr, avec autant de neige recouvrant notre pauvre monde, comment ne pouvions-nous pas laisser courir notre imagination jusqu’à ce moment qui lui, se réjouit de ce blanc immaculé, puisque sur cette nuance, il y dépose une seconde, plus chatoyante ; le rouge qui est associé à Noël ?

    Voici donc le mot tant attendu de la plupart des gens, alors qu’il est redouté par de nombreux autres. Je sais que parmi vous ils s’en trouvent qui ne sont pas à l’aise dans ce concert de consommation. On oublie trop facilement que ce temps de Noël est avant tout, celui du partage et de la réconciliation.

    Connaissez-vous un cadeau que l’on recevrait ou que l’on offrirait et qui serait plus beau que celui d’un cœur délicatement présenté sur son écrin de tendresse ? Une amitié qui aurait survolé les frontières et qui n’aurait jamais pu faire de copie, car chaque jour elle prend un caractère différent, ne cessant de grandir et de se partager ?

    En cette époque de fêtes, il serait tellement merveilleux, si nous pouvions tendre nos bras les uns vers les autres, oser nous regarder au fond des yeux afin d’y découvrir la petite lueur timide qui scintille comme une étoile dans la nuit de Noël.

    Quel cadeau serait le plus agréable à offrir sinon nos mains tendues vers ceux qui souffrent, ceux qui ne croient plus en l’homme ni en un quelconque Dieu qui pourrait les sauver, s’imaginant que ce sont eux qui les ont laissés sur le bord du chemin.

    Pourtant, quel beau présent que celui de quelques mots murmurés dans le creux d’une oreille qui n’espérait plus entendre parler de douceur et d’amour ! Pourquoi ne ferions-nous pas l’effort de partager notre bonté avec ceux que la confiance a oubliés ? Ils sont isolés à traverser un temps devenu indifférent et étranger ; seuls avec parfois au fond de leurs pensées, des relents de haine et de désespoir.

    Si peu de choses sont nécessaires pour que soudainement tout vienne à basculer dans le bon sens, afin que nous retrouvions la clef qui remonte le temps et redonne l’envie au cœur de continuer à se battre. Mais pas seulement ; au pas, lui insuffle le courage d’en mettre un nouveau à la suite du précédent, pour reconquérir ainsi le chemin perdu ou oublier !

    Quelle fantastique surprise à déposer au pied du sapin ! Afin de donner un air de fête, elle serait enveloppée dans le satin, avec, finement gravés ces quelques mots : Je vous aime ! J’entends déjà quelques exclamations me concernant.

    Vous allez penser que je suis un éternel rêveur, un faiseur de songes, un bonimenteur, que sais-je encore. Pardon de vous ennuyer, mais c’est plus fort que moi. Si je ne vous dis pas ce qui me pèse sur le cœur maintenant, à quelle autre époque voulez-vous que je le fasse ?

    C’est maintenant que nous devons offrir quelque chose à ceux qui n’ont plus rien, car donner ne nous appauvrit pas, au contraire cela nous enrichit.

    Puisque j’en suis aux confidences, certains d’entre vous savent que mon cœur est assez gros pour eux. Pour les derniers arrivés et ceux qui n’osaient pas s’arrêter, ils le trouveront sous le sapin. Si quand vous le regardez il commence à battre, alors plus de doutes. Il est bien pour vous. Prenez-le et conduisez-le au chaud. Il n’est pas exigeant, mais il redoute les frimas et il est sobre. Il ne se régale que d’une amitié sincère.

     

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    – Il arrive très souvent que les gens qui nous font l’honneur de nous rendre visite nous disent, comme s’ils s’étaient donné le mot :

    – N’êtes-vous donc pas blasé d’admirer chaque jour le même décor ? N’êtes-vous jamais tenté d’aller voir d’autres paysages ?

    – C’est alors que je leur confie, à leur grand étonnement, les émotions qui sont miennes à l’instant où je pose le pied à terre, avec au ventre, une sensation digne des celles que les enfants éprouvent un matin de Noël au pied du sapin. Tout d’abord, ils me regardent curieusement, tandis que je leur confie la première raison qui me fait me précipiter au-dehors. Le croiriez-vous que je coure non pour voir, mais pour entendre ?

    – Écouter ? Nous ne demandons pas mieux ; mais quoi, ou encore qui ; me demande-t-on ? Le jour n’a jamais été bruyant lorsqu’il se lève !

    Alors, baissant la voix presque à murmurer je relate les paroles qu’il me semble comprendre à l’instant où la nuit décide qu’il est temps de se réfugier en un autre coin du ciel. Un timbre puissant lance à travers l’espace à l’intention de ceux qui veulent bien entendre et admettre :

    – Ô ! Toi, homme qu’un jour se détourna du chemin que j’avais tracé, pour une fois, rends-toi utile et fais en sorte d’aider la journée qui s’offre à toi la plus belle possible !

    – Certes, je vois bien que certains rient sous cape, ne s’attendant pas à une pareille introduction. Dans le regard d’autres, je comprends qu’ils se demandent si j’ai passé une bonne nuit ou plus naturellement, si je ne commence pas à déraisonner. C’est alors que je satisfais leur curiosité ; écoutez plutôt :

    L’aurore n’est qu’à ses balbutiements et couleurs que je me précipite, dis-je, pour saluer son avènement.

    – Les plus audacieux se risquent à une remarque :

    – Nous ne comprenons pas votre empressement, jusqu’à maintenant nous n’avons jamais eu connaissance que quelqu’un dérobait un lever de jour !

    – Certes, nul n’a la prétention ni le désir de l’accaparer, dis-je, mais ceux qui ont le privilège de résider près de l’équateur savent bien que le jour et sa voisine la nuit ne prennent aucun moment de réflexion quand il s’agit de venir ou de s’enfuir. C’est la raison pour laquelle il me faut être présent à l’instant où les ténèbres commencent à tomber de sommeil, et le jour, à s’étirer, alors que le ciel bâille à s’en démonter les nuages, que la lumière, jusque là prisonnière, en profite pour s’évader, utilisant le fil à peine blanchi de l’horizon pour se hisser par-dessus la forêt. Cependant, ce ne sont que les prémices des scènes qui s’enchaînent.

    D’abord, dame nature offre son feuillage à l’humidité que la nuit laisse derrière elle, tant elle est pressée de s’enfuir, car voilà l’heure du bain matinal. Rien de tel qu’une bonne rosée pour se débarrasser des souillures de toutes sortes que les ténèbres ont déposées, et pour éliminer les dernières traces des rêves coquins des uns ou des autres hôtes des grands bois. Bien qu’offerte à nos regards, la nature n’en demeure pas moins une éternelle jeune fille pudique. Il est vrai qu’elle laisse voir beaucoup, mais pour l’heure, elle cache l’essentiel. D’ailleurs, qui peut se targuer d’avoir un jour, découvert son âme au détour d’un layon ? Donc, sous la clarté menaçante, mon amie verte termine ses ablutions et se presse d’enfiler une sortie de bain faite de fine brume. C’est que dame nature est coquette et qu’elle n’aime pas être dérangée dans ses ultimes retouches de beauté. Toutefois, le vent coquin et impatient passe un souffle discret sous la voilette légère, laissant découvrir la forêt plus rayonnante que jamais.

    C’est l’instant que choisit le grand maître du temps pour signifier à l’ensemble de la sylve de se mettre en marche. La brise se renforce afin de chasser la mauvaise humeur que la nuit a laissée derrière elle. Ce souffle nouveau indique aux oiseaux impatients qu’ils peuvent lancer leurs trilles, tels des réveils matin. Il est l’heure où le jour fait ses premiers pas dans le monde.

    Sous les couverts, les animaux du soir croisent ceux du jour qui finissent leurs étirements. Les serpents sont à la recherche d’un coin discret où ils pourront digérer, tandis que les félins rejoignent les branches sur lesquelles ils sommeilleront jusqu’au soir. La gent ailée parfaitement réveillée maintenant se lance dans des ballets compliqués et autant d’arabesques, pendant que d’autres volatiles s’appellent et se répondent. Les singes hurleurs sonnent la fin de la récréation, alors que les perroquets de toutes sortes, bruyamment, décident de leur journée tout en écoutant les dernières informations que se communiquent les toucans, quant aux sites de nourrissages. Derrière les clôtures, bœufs et zébus trépignent d’impatience. Dans les basses-cours, les coqs réveillent les retardataires. Dans les champs et sur les buissons, les fleurs généreuses libèrent les fragrances qui vont enivrer les abeilles jusque dans les ruches, les invitant à transformer le précieux nectar en un miel onctueux et parfumé, qui mériterait d’être élu à la première place du patrimoine de l’humanité. Un instant, les criques, rivières et fleuves ralentissent leurs cours, afin de laisser le temps au ciel de s’installer confortablement à leur surface, et le « chemin qui marche » reprend sa marche vers le grand frère océan.

    Honnêtement, les amis ; qui, à travers le monde, peut nous inviter un tel spectacle ?

    Comprenez-vous, maintenant que je ne puis être lassé par ces offrandes matinales alors que l’aurore me demande à la suivre jusqu’au bout de ses ambitions ? Et vous-mêmes, ne vous tarde-t-il pas d’être à demain, pour voir, entendre et respirer le nouveau jour ?

    Amazone Solitude

     

      


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