• – Le récit que je vous confie remonte à plus de trente années. À cette époque, la piste ne faisait aucun cadeau à celui qui ne la respectait pas. L’un des passages les plus délicats se situait à la hauteur de « placer Trésor ». Une sorte de pot au noir sur Terre.

     

    — Lorsque nous résidons en forêt, souvent les gens s’imaginent qu’il serait naturel que nos promenades soient réservées à la découverte des villes. Chez nous, il n’en fut jamais rien.    

    Des grandes métropoles aux bourgades plus modestes, nous leur avons préféré les sorties en toujours plus de nature. Il n’est rien de plus exaltant que de sentir sur ses épaules le poids de la forêt, laisser l’odeur de l’humus vous pénétrer si fort que vous avez déjà la sensation de vous habituer à la vie éternelle qui succédera à la terrestre. Certains prétendent qu’ils recherchent le calme de la nature pour se détendre et retrouver un équilibre qui laissait à désirer. En fait, contrairement à ce que certains écrivent, elle est rarement sereine.

    Sous son couvert, il se passe toujours quelque chose de nouveau. Les stridulations des insectes, les appels d’oiseaux, les fuites bruyantes d’animaux fâchés d’avoir été dérangés par des visites inattendues ou par les cris des bandes de singes accompagnant votre déplacement, mais aussi avec le vent qui s’amuse dans les grandes feuilles des palmiers.

    Pour comprendre le plaisir qui nous investit lorsque nous décidons de nous offrir une balade, il n’y a qu’à nous regarder faire les préparatifs du voyage. Rien ne doit être laissé au hasard. Trop nombreux sont les récits de gens partis à l’aventure pour une seule journée et qui se sont perdus. Quelques-uns ont eu la chance d’être retrouvés après de longues recherches, mais combien ne sont jamais revenus ? Afin d’affronter les pires circonstances, pour ceux qui choisissent de partir à pieds, les sacs à dos sont minutieusement préparés. Pas de choses encombrantes ou inutiles. Un nécessaire de pharmacie, car dans un milieu aussi chaud et humide que la forêt équatoriale, la moindre blessure prend des proportions inquiétantes à la fin de la journée si elle n’est pas tout de suite considérée comme potentiellement dangereuse. Chacun doit avoir son coupe-coupe. Le responsable n’oubliera pas de se munir d’une boussole, car sous le couvert de la forêt, il n’y a pas de repère possible. Tout se ressemble. Si vous vous écartez de votre layon pour contourner un chablis, il n’est pas certain que vous retrouviez l’axe exact de votre progression. C’est le premier indice qui conduit à l’égarement. Toujours avoir une provision d’eau. Ce n’est pas parce que le soleil ne perce pas la canopée que nous ne transpirons pas. C’est même le contraire. Nous abandonnons beaucoup d’énergie dans les difficultés à progresser sur un sol encombré de lianes, de bois mort et quantité de troncs effondrés. La végétation est dense en forêt secondaire, beaucoup plus que dans une primaire où tout semble mieux ordonné. Mais s’il est important de prévoir pour les uns et les autres, il l’est tout autant pour le véhicule qui doit rouler sur les pistes incertaines. Outre le plein de carburant, nous prenons soin de nous munir de réserve pour le cas ou… En brousse, il ne faut pas compter sur des commerces en tous genres. À l’époque, nous avions même deux roues de secours !  

    Aux outils et accessoires indispensables, nous ajoutions toujours une tronçonneuse, car il n’était pas rare que la piste soit obstruée par des arbres affalés sur son travers. De longs cordages étaient joints au matériel afin de servir à désembourber le véhicule lors des passages délicats ou de portions de route emportées par les intempéries. Toutes les voitures n’ayant pas de treuil, les câbles sont utilisés comme tire-forts. Dans l’énumération des préparatifs, j’en oublie certainement, mais l’heure avance et il serait précisément temps que nous partions vers la destination choisie ; la montagne sur laquelle résident nos amis.  

    Lorsque je vous dis que la vie est de loin la plus belle et plus grande aventure, j’en veux pour preuve qu’elle commence à l’instant où vous refermez la porte de votre maison. La première préoccupation est celle d’arriver dans les premiers pour le départ du transbordeur qui est prévu dès six heures. Pour y accéder, il n’y a pas de problème majeur. La route, bien qu’inconfortable, est bitumée jusqu’à l’embarcadère. Le passage du fleuve est une seconde aventure. D’abord, le bac n’a jamais fonctionné correctement. Il y avait toujours un élément en panne sur les deux. Une pirogue équipée d’un puissant moteur était collée à son flanc ; et tant bien que mal, nous traversions la rivière en diagonale jusqu’à toucher l’appontement d’en face.

    Il nous arriva bien quelques péripéties, mais sur une page, il est difficile de tout décrire. Cela fera donc l’objet d’autres récits.

    Le débarquement effectué, nous prenons la route qui nous conduit au premier et dernier village de ce côté-ci de la rive. Le tour en est vite fait, quelques rues parallèles le délimitant. Une fois dépassé le bourg, nous empruntons la piste qui serpente sur le flanc, puis la crête de la montagne. Elle n’est pas très haute. Elle culmine à trois cent trente mètres. Une belle colline, me direz-vous, sans plus ! Sauf que la pente est très raide, voire dangereuse en certains endroits. Selon le temps, le brouillard y est très épais et exceptionnels sont les jours où les pluies ne sont pas plus ou moins abondantes. Pour expliquer l’état de la piste, aujourd’hui nous dirions qu’elle oblige les automobilistes à une conduite sportive.  

    Les arrêts étaient nombreux, et il n’était pas rare de venir en aide à d’autres voyageurs en difficulté. C’est en quelque sorte le principe élémentaire de la brousse. Elle a ses règles et nous devons nous y conformer si un jour, nous voulons à notre tour être sortis de quelques embarras. Le temps passé à rouler, nous tirer d’ornières ou de fondrières n’a guère d’importance. Les promenades ressemblant à des leçons de sciences naturelles, il serait désagréable d’en rater quelques-unes.

    Après bien des émotions, nous débouchons sur un plateau.

    Nous sommes à Camp Caïman, l’auberge de nos amis. Ce n’est pas un village ; il n’y a pas d’autres habitants que Josiane, Michel et leurs trois filles.

    Ils sont l’exception qui confirme la règle. Quel que soit l’endroit où nous nous trouvions de par le monde, il y a toujours, au bout d’une piste qui semble ne mener nulle part, quelqu’un qui vous accueille, les bras ouverts et le sourire éclairant les visages. (À suivre).

     

     

     


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  • — Pardon d’interrompre votre réflexion, mes amis. J’aimerais que vous me regardiez avec une plus grande attention. Trouvez-vous en moi quelque chose d’étrange qui me ferait ressembler à un autre animal que ceux de ma famille, une couleur particulière ou un défaut qui m’aurait échappé ? C’est qu’ici, je n’ai à ma disposition aucun miroir dans lequel je pourrai vérifier ma tenue. Ce n’est pas comme dans la nature où les mares, les criques, les marais ou les fleuves sont à chaque détour des sentiers. Pourquoi aurais-je un doute, me demanderez-vous ?

    C’est bien simple à comprendre. Imaginez un instant tout ce que j’entends à longueur de temps sur mon compte. Ils n’en finissent jamais de leurs questions qui ne varient jamais d’une phrase à une autre, d’un mot au suivant et surtout des réflexions innocentes. Connaissez-vous quelqu’un qui supporterait qu’à tout bout de champ on lui pose sans cesse les mêmes questions sur son identité, ses origines, sa tenue vestimentaire et bien d’autres informations particulières qui ne finiraient pas par se rebeller ? Je reconnais que parfois, il m’arrive de ne pas être très coopératif. Souvent, les touristes sont mécontents parce que je reste des heures sans prononcer le moindre mot. Pire, je fais celui qui ne les voit pas, auscultant les ongles de mes pattes.

    Soyons clairs : d’abord, comprenez que je ne suis pas payé pour faire la conversation. Ensuite, si je disais vraiment dire ce que je pense d’eux, je sais parfaitement qu’il y aurait quantité de gens déçus et sans doute qui seraient très contrariés. C’est que trop souvent ils m’énervent avec leurs réflexions qui tournent à la rengaine. Cela commence toujours par l’éternel : bonjour coco ! Puis, invariablement, ils continuent en élèves attentifs qu’ils sont, ayant retenu les mots de ce bon monsieur de La Fontaine : ah ! Qu’il est beau, qu’il est joli, que ces plumes magnifiques lui font un somptueux costume !

    Insolemment, il m’arrive d’avoir envie de leur répondre : et mon croupion, jamais vous n’en parlez ? Dans toute l’artillerie des phrases qu’ils enchaînent, je n’entends jamais celles qui me feraient plaisir et qui m’aideraient à supporter ma condition. Pourtant, enfermé dans cette cage ridicule alors qu’autour de moi vit une forêt qu’ils appellent le poumon de la planète, il y aurait de quoi dire et même pleurer. S’en trouvent-ils qui se demandent si un ara peut avoir des états d’âme et se laisser aller au chagrin ? Vous êtes comme moi n’est-ce pas, vous l’ignorez totalement. Alors vous voyez bien qu’ils ne s’en soucient guère !

    Question alimentation, j’aurai tort de me plaindre. Je ne manque de rien ; je reconnais même que j’en ai trop. Et savez-vous, je mange surtout de la cuisine exotique. Il est vrai qu’en ma qualité d’hôte d’un restaurant, je dirai que mon alimentation est plutôt étrangère. Il y a bien quelques produits locaux, mais l’essentiel est le fruit des importations.

    Ce n’est pas parce que chez nous l’arbre fromager est roi qu’il vous faut penser que nous sommes les premiers fournisseurs de sandwichs aux crèmes fondantes, avec la complicité de mon cousin le fruit à pain ! Ce dernier ne produit ni baguettes ni autres viennoiseries croustillantes et odorantes ô combien savoureuses ! Je dois avouer que bien que je me sois habitué à ces plats étrangers, il demeure néanmoins qu’ils ont un goût surprenant et parfois un peu fade, et souvent trop gras. Je crains de finir obèse et diabétique. C’est un comble, car ce sont mes patrons qui se sucrent sur mon dos ! Alors que dans la nature, tout est meilleur et tellement plus goûteux.

    Si vous me demandiez mon avis, je vous répondrais que je préférais le temps où je volais avec mes amis les aras et autres perroquets. C’était l’époque la plus belle de mon existence, celle où la liberté voulait dire quelque chose. Nous pouvions alors prendre conscience de sa réalité quand l’air s’infiltrait entre nos plumes, s’amusant à glisser sur nos ailes et restant un instant à cheval sur notre dos.

    Eux, les touristes, ils disent que cela s’appelle vivre d’amour et d’eau fraîche. Mais je sens bien qu’au fond de leur cœur ils sont un peu jaloux. Je devine que nombreux sont ceux qui voudraient bien évoluer à notre façon afin d’oublier les servitudes et les contraintes que les sociétés modernes leur imposent. Mais d’un autre côté, je trouve que leur mémoire occulte trop facilement que dans les temps anciens c’était ainsi qu’ils vivaient !

    Je vous en supplie, soyez assez aimable, arrêtez de me donner du « coco ». Ça fait un peu cages aux folles. De toute façon, je suis un mâle et j’entends le rester.

    Coco n’est pas mon nom. Ils m’appellent « Kiri » et je vous assure qu’il n’y a vraiment pas de quoi !

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

    PS. Je précise que l’oiseau que vous pouvez voir en photo n’est enfermé qu’aux heures des repas afin qu’il ne s’invite pas à la table des clients. En dehors des services, il est parfaitement libre et a choisi de poser définitivement ses valises à l’auberge. 

     

     

     


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  • — Mon cher ami, il n’est pas innocent que nos pas nous aient conduits sur cette plage. D’abord, c’est ici que nos yeux se sont croisés et découverts, un jour d’été pas si éloigné de nous. Je me surprends toujours à me demander ce qui a bien pu nous attirer, car au fond, tant de choses nous séparent. Nous vivons dans un univers où la démesure est reine. Regarde le ciel ; connaîtrons-nous un jour le lieu de sa naissance ou celui de son refuge quand, de nos yeux, il disparaît ? Vois l’immensité de l’océan. Je suis certaine que c’est toujours la même masse d’eau qui fait le tour du monde, mais que pour ne pas nous effrayer, on a préféré lui donner des noms différents en tous points du globe. Comme l’espace était libre, un jour, dans la nostalgie de la lumière, la terre est venue compléter ce tableau.

    Mais, n’as-tu pas remarqué que la modeste plage, dans cette exagération des mesures, n’a pas son mot à dire ?

    La grève ne sert que d’exutoire à l’océan qui ne cesse de la harceler. Nous pourrions penser que c’est pour la séduire, mais en fait il ne rêve que de conquête, pareille à la prise d’un bastion à l’ennemi. Il vient avec toute la fougue de ses vagues, mais il se retire sans rien emporter. Elle résiste, admettant que sa place est définitivement ici, servant de dentelle à la terre qui en a fait sa base avancée.

    — Je comprends ma douce amie, l’inquiétude qui t’envahit lorsque tu poses les yeux sur notre environnement. Rien n’est fait pour nous rassurer. Mais ne suis-je pas là pour te protéger ?

    — Précisément, mon cher compagnon, c’est à ce sujet que je veux t’entretenir. Lorsque je nous regarde, je me dis que nous ne sommes pas faits pour unir nos vies. Nous sommes comme les éléments qui s’acceptent, mais qui ne s’épousent pas. Le firmament se contente de la surface de l’eau pour se mirer, les flots se satisfont de venir mourir sur le sable et la terre admire le ciel sans pour autant tenter d’unir son destin au sien. Nous aussi, tout nous divise. Tu es grand, je suis petite. J’ai l’affreux sentiment que toujours tu me cacheras la couleur de tes yeux, dans lesquels je n’apercevrai pas briller les étoiles de l’amour. Quand je pose mon oreille sur ton cœur, je l’entends souffrir de ne pas mêler ses émotions au mien, qui semble rester sur ses gardes, toujours éloigné de lui. Pourtant, je sais qu’il désirait battre à l’unisson, comme la pendule, de son tic tac accompagne le temps.

    Il est une autre chose qui occupe mon esprit. Quand tu te serres contre moi, ce n’est pas moi que tu vois, mais par-dessus mon épaule, l’horizon qui conduit à l’autre bout du monde. Alors que ta main prend la mienne, avec une douleur du côté du cœur, j’ai l’impression que c’est ta peine que tu tires auprès de toi au lieu de notre amour. Je ne puis m’empêcher de penser que tu arriveras toujours à demain avant moi. Je ferai dix pas alors qu’un seul te suffira, me faisant comprendre que je serai en retard d’une vie sur la tienne, à moins qu’elle choisisse de me laisser en route, lasse d’être toujours à la traîne.

    Ton monde est celui de l’infiniment grand, celui qui n’accepte pas les médiocrités. Dans la forêt, les fruits et les fleurs sont à ta portée. Au contraire de toi, je suis dans l’univers qui n’a jamais grandi. Je vis dans les pas feutrés des poupées, un monde qui ne parle pas et où les regards sont fixes. Dans ma vie, je devine que rien n’a été conçu pour que je sois à tes côtés. Mon cœur, t’ai-je dit, est trop éloigné du tien. Mes bras ne connaîtront jamais la joie de serrer ta taille et mes mains ne pourront se réunir pour sceller le bonheur. Mes lèvres ne trouveront pas les tiennes et tu ne devineras pas les mots qu’elles cherchaient à te dire. Ils se seront envolés avant de parvenir à ton oreille, emportés par un vent indiscret et jaloux.

    — Pourquoi me faire tout ce mal, ma douce amie, on prétend cependant que les contraires s’attirent et que les sentiments ignorent ce qui est grand ou ce qui est petit.

    — Je sais que la vie comporte souvent des hauts et des bas, mais pour ce dernier, j’aurais aimé qu’elle choisisse une personne différente pour le confirmer et surtout qu’elle jette son dévolu sur une autre que moi.

     

     

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  • — Trop souvent, nous allons de par le monde comme nous le faisons de nos achats, sans nous rendre vraiment compte de la manière dont nous avons usé, pour nous rendre d’un lieu à un autre. Ce sont nos désirs instinctifs qui nous privent de la plus belle part de notre vie, l’observation. Depuis longtemps, nous avons la mauvaise habitude de foncer, tête baissée méprisant les paysages, ignorant les gens qui nous regardent passer ne comprenant pas pourquoi nous allons si vite, dans un monde pourtant immobile.

    Car, que nous nous pressions ou que nous prenions notre temps, n’avez-vous pas remarqué, que tous les jours ont la même longueur ? Il n’en est jamais un qui veut passer devant l’autre, et aucun ne refuse de se lever. Au contraire, ils le font dans la joie et la bonne humeur, nous invitant à découvrir au plus vite les nouveautés qu’ils ont imaginées pour notre plus grand plaisir.

    Ainsi, nous laissons nous porter par le charme de la vie, jusqu’au moment où notre conscience nous murmure que le temps de regarder ces petites choses qui agrémentent le décor de l’existence. C’est en ouvrant les yeux que nous découvrons soudainement que bien des éléments ont parfois un destin commun, malgré leurs différences. Ne vous est-il jamais arrivé de vous trouver, par exemple à la croisée de sentiers ? Il en est même qui enjambent les autres, échangeant à notre insu leurs récits de voyage. Il en va ainsi de la rivière qui rencontre la route. Elle lui dit son impatience bouillonnante avant de sortir de terre, quelque part dans les montagnes. Le chemin, plus calme, lui raconte ses effleurements du monde en épousant ses reliefs. Elle lui confie ses angoisses de fleuve prétendu tranquille, tandis que nul ne sait les tourments que connaît le fil d’argent avant de se jeter dans la mer ou l’océan. Elle lui dit en insistant combien elle doit souffrir lorsqu’elle se trouve projetée sur une digue au pied de laquelle elle retombe du côté de l’inconnu, son flot rompu et son onde désorganisée. Et encore, ne parle-t-elle pas dans le détail des tortures que lui infligent les grilles des moulins, divisant son cours en une multitude de petits ruisseaux auxquels on fait prendre les airs dans d’affreux godets qui propulsent une roue. Et que dire des pompes installées sur son parcours, pour le disperser à la surface de champs où il succombe dans d’atroces douleurs sous le feu d’un soleil implacable !

    Non, croyez-moi ; nous sommes loin de la tranquillité légendaire des fleuves et rivières peuplant les contes pour endormir les enfants, sans doute ont-ils même perdu sur le cours de leur vie, le fil de leurs pensées.

    Laissant s’épuiser la vague des lamentations ondulantes de celle qui se prétend la plus belle, le chemin lui, plus discret, passe sur les détails qui font de leur existence un véritable calvaire. Ne connaissent-ils pas l’ivresse des sommets, avant de redescendre à toute vitesse vers des vallées indifférentes à leur solitude ? Que dire des milliers de virages qui à toutes heures du jour ou de la nuit lui donnent la nausée en lui faisant perdre le nord ? Parfois, ils sont précipités dans des bas-fonds et dans la douleur, doivent remonter des collines abruptes et dégoulinantes. Ils frôlent des ravins et des précipices et souvent, dans les montagnes, sont agressés par des éboulements de roches prenant plaisir à encombrer leur voie. Regardant la rivière, il aurait envie de lui dire que les charges qui lui sont imposées glissent sur son dos, alors que lui, humble chemin, chaque jour il lui faut supporter des poids terriblement lourds. L’extrême cruauté que les hommes lui infligent, c’est quand il suffoque sous des couches de bitume malodorant. Et encore, ne nous dit-il pas les supplices qu’il endure à cause des engins qui le sondent, trouent ou éventrent.

    Il pourrait tout aussi bien raconter à celle qui se plaint toujours, les rigueurs du climat qui ne sait jamais ce qu’il veut. Tantôt, il est si froid que sa surface est rendue glissante, tantôt il grille sous le soleil et parfois il disparaît dans des torrents de boue durant la saison des pluies.

    Vous le voyez, mes amis, l’existence de toutes les routes qui nous conduisent vers la liberté n’a rien de bien tranquille et elles paient même très cher les offrandes qu’elles font aux hommes. Il serait bien que de temps à autre nous ayons une pensée vers ceux et celle qui nous portent et nous transportent.

     

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  • – Quand on a vécu en Afrique, et que vos pas vous ont conduit jusqu’où la curiosité voulait satisfaire ses désirs, on ne peut laisser derrière soi ce vaste continent sans être allé, tel un pèlerinage, voir sa pointe la plus australe.

    Bien sûr que rien ne fut simple, alors que les yeux se sont posés sur beaucoup de souffrances, au moment où l’on reçoit une colossale leçon d’humilité. Il me semble que l’homme sort différent de semblables épreuves, même si l’après-aventure ne ressemblera plus jamais à l’avant, dès l’instant où il aura réussi à passer tous les obstacles, que chaque jour ne manquait pas de dresser devant lui. Nous prenons une formidable leçon de vie, dans tous les domaines, humains, animaux ou végétaux. Aucun repos n’est permis à l’élément qui doit toujours regarder vers le ciel pour y trouver un soupçon d’espérance. Alors, au soir de certaines étapes, on se prend à remercier le destin qui nous mit sur un autre continent, loin du berceau originel. On ne peut s’empêcher de penser que nos maux sont bien discrets à côté de l’immense misère qui couvre ces pays oubliés de tous les dieux. Mais comme toujours lorsque la foi guide vos pas, un jour, vous arrivez à la destination de vos rêves. On m’avait dit, là-bas, tu te rendras sur la montagne que l’on nomme la table. Je suis monté, en effet, et je ne fus pas déçu. Le spectacle était à la hauteur, si vous me permettez cette expression, de mes attentes. Plus je m’élevais et plus grand était mon bonheur. J’étais redevenu un enfant qui s’extasie à chaque couleur du feu d’artifice. Il arriva le moment où je ne pus rien dire. D’ailleurs l’aurais-je voulu, qu’il me fût impossible de prononcer la moindre parole. En moi, une petite voix me soufflait :

    – Regarde et ne cherche pas de mot pour expliquer un sentiment qui ne supporte aucune comparaison. Laisse tes yeux photographier ce qu’ils découvrent et apprécient, et permets à ton esprit de mettre en sûreté les images et les bruits, afin que tu puisses un jour, les expliquer avec dans la voix la même émotion que le jour où tu les inscrivis en ta mémoire.

    – Un tour d’horizon me confirma que la terre était bien ronde. Le mouvement des océans laissait à penser que par moments, le cercle se rétrécissait ou se déformait. Levant les yeux vers le ciel, j’en vins à me demander lequel des éléments était le plus grand. Malmenés par les vents générés par la rencontre des deux géants, les nuages se bousculaient. Les uns passaient par-dessus les autres, tandis que les indécis entamaient des danses folles qui les rendaient ivres.

    Du haut de la montagne, je ne pouvais apprécier avec justesse les éléments fêtant la rencontre des eaux. Je me demandais si elles allaient calmement, comme le font deux amis se laissant guider par leurs sourires, ou si elles se heurtaient avec violence, comme sont tentés de le faire ceux en qui le désir de possession est grand. À cet instant, j’aurais souhaité me trouver au cœur de l’échange, mesurer la vitesse des souffles, la hauteur des vagues ou la profondeur de leurs creux. J’aurais voulu être le navire pour ressentir les embruns, avoir sa puissance pour fendre le flot et le refermer derrière moi.

    J’avais soudain envie de courir au loin sur les océans, pour me convaincre à quoi pouvait bien ressembler ma montagne à cet instant précis. Mais je n’étais pas un oiseau pour utiliser les vents et je n’avais aucun moyen pour aller provoquer cette masse mouvante, allant et venant telle une immense respiration venant de l’univers.

    Il m’aurait été agréable de découvrir le goût et la profondeur des eaux, mais je n’étais pas un poisson pour m’amuser ou défier les courants. J’aurais aimé connaître la puissance des ouragans qui prennent naissance dans cette confusion des sens, mais je n’étais pas cousin avec cette haleine tombant de l’espace et qui gambade autour du monde, ignorant les tourments et émotions des hommes. J’aurais aussi voulu savoir comment se finissait le jour à cet endroit précis, mais je n’étais pas le voisin du temps pour en apprécier l’espace. Il me fallut bien me rendre à la raison et accepter l’évidence. Il est des instants qui inscrivent en notre mémoire des impressions particulièrement fortes, mais que nous ne pouvons décrire à l’émotion proche de la réalité.

    Je suis donc redescendu de la montagne, pour y retrouver le monde qui était bien le mien, avec dans le cœur quelques regrets, comme ceux que l’on éprouve lorsqu’il nous faut quitter nos plus beaux rêves, tandis que sans impatience, nous attend le quotidien.

     

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