• – Parfois, dans la vie, il en va de notre moral qu’il est aussi triste que les couleurs sombres que nous traduit la photo ci-dessus déposée. Mornes sont les jours, et plus longues, semble devenir les nuits. Nos idées se chevauchent sans pouvoir se distinguer les unes des autres. Notre esprit s’embrouille ; il confond ce qui est laid avec ce qui est beau, ne reconnaît plus le merveilleux de la souffrance, et tant d’erreurs que nous ne faisions jamais. Il y a aussi ces pensées qui assaillent notre âme, jusqu’à la torturer. Mais si nous sommes dans cet état, ce n’est pas tout à fait par hasard. Le monde lui-même semble épuisé, incapable de retenir les plus douces saisons. Les aurores sont blafardes, ne produisant plus la moindre goutte de rosée qui pourrait à elle seule contenir une parcelle de l’espérance qui nous forcerait à nous dépasser. Nous désolant, nous assistons à l’agonie silencieuse de notre belle planète, et nous imaginons qu’elle va s’éteindre à la façon d’une chandelle, quand elle atteint l’extrémité de la mèche. D’abord, la flamme se met à grandir comme pour nous dire son angoisse d’arriver au bout de sa vie ; alors, utilisant ses faibles moyens, elle tente de se raccrocher aux ténèbres, leur criant de ne pas l’abandonner ; puis, elle frissonne comme si le vent soufflait dans tous les sens, et soudain, elle se meurt. Il en est de même pour nous ; étrangement, le désir de baisser les bras nous assaille, nous sommes à un pas de nier la réalité. Une envie folle nous commande de fermer à jamais nos maisons et notre cœur.

    Alors que nous pensions le pire stationné sur le seuil de notre demeure, en nous, une petite voix se fait entendre. Oh ! Elle est bien faible, venant du tréfonds de notre être, se frayant à grand-peine un chemin au milieu de nos songes noirs. De timide à son réveil, elle va forcissant, avant de se courroucer. D’abord, elle nous crie que nous avons ce que nous méritons. Nous ne pouvions pas prétendre vivre en laissant les responsabilités aux autres. Nous feignons de découvrir l’ampleur du désastre, alors que nous nous vautrons dedans depuis des décennies. Il est vrai que le chemin est toujours plus aisé quand d’autres avant nous en ont choisi le tracé. Ils tentaient de nous faire admettre, à travers leurs souffrances, qu’il nous revenait de continuer les travaux entrepris. Mais le bien-être dans lequel nous nous complaisions nous a empêchés de déchiffrer ce que les anciens avaient écrit.

    S’imaginant incomprise, la petite voix semblait ne plus pouvoir s’arrêter. Elle martèle sans relâche qu’il nous appartient de puiser au fond de nous la force nécessaire pour installer à nouveau chez nous le courage et la volonté, et pour conforter les sentiments, nous devons lui adjoindre la passion ; car sans elle, les beaux jours ne reviendront pas. Dorénavant, nous allons avoir besoin de nos deux bras, et si c’est indispensable, nous laisserons la main gauche entraîner la droite si elle venait à rechigner, et en nous faire renaître la puissance de notre esprit  pour bouleverser le monde, et ainsi repartir sur des bases plus saines. Mais pas seulement ; et surtout, autant que faire se peut, nous contraindre à nous dépasser. Nous devons comprendre que si nous voulons survivre, il nous faut imiter la plante de la photo. Elle au moins a eu l’audace de s’épanouir dans un environnement que l’on nommerait la désolation ; tandis que dans l’aurore qui la fit naître, elle n’en croyait pas ses feuilles, quand elle réalisa qu’elle était isolée et abandonnée au milieu de nulle part. Elle semble nous dire que même quand plus rien ne va dans notre vie, une place nous est réservée dans la lumière. C’est vrai que pour chacun de nous une histoire a été écrite, et qu’un destin nous est attribué. Mais il n’est pas mentionné que nous ne puissions ou nous ne devions pas l’influencer. De nombreux carrefours se présentent à nous à mesure que nous cheminons, et il nous appartient de choisir celui dont nous estimons qu’il nous conduira vers le bonheur. Prenons exemple sur ce végétal qui va croître dans les difficultés, mais qui sait parce que telle est sa volonté qu’un jour  il sera grand, fort et que des oiseaux viendront se percher sur ses branches. L’abeille prélèvera le nectar de ses fleurs. La vie alors sourira à nouveau et plus aucun matin ne manquera aux jours.

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  • – Combien de fois, me suis-je porté à la proue des navires, comme si je voulais deviner la route que nous empruntions avant tout le monde ? Mais sur aucune mer  faisant prisonnières les Terres, il n’existe de repères qui nous indiqueraient vers quel continent nous filons. Cependant, je restais là, à regarder notre bateau s’expliquer avec les éléments.

    Quelle différence d’image, quand je la compare avec celle que je découvris dans un matin qui avait eu de la difficulté à s’extirper d’une nuit qui, pour le punir, s’amusait à laisser traîner de lourds nuages noirs ! Le bâtiment était accosté à son quai, contre lequel il semblait dormir. Il était d’un blanc éclatant, se détachant dans l’aurore naissante. Il me parut immense, avec ses passerelles et ses niveaux, ses cheminées qui crachaient une fumée mêlant sa couleur à celle du jour, sans que je puisse réellement les distinguer. Tels des cordons ombilicaux, les énormes amarres le retenaient à la terre, afin qu’entre le bateau et le monde des hommes, la vie continue de s’écouler, en même temps que l’un et l’autre s’échangeaient les dernières informations.

    Puis, après les embarquements des gens et des biens, ce fut le coup de sirène qui déchira l’air devenu soudain plus lourd, plus épais. Le navire frissonna d’abord, puis se mit à trembler de toute son ossature. Une à une, les élingues furent lâchées, tandis qu’un remorqueur le détachait du quai, par l’avant, alors qu’un second en faisait de même, mais à l’arrière. J’aimais ces heures où les choses nous offrent leurs contrastes, pendant lesquels on ne sait plus qui, du port ou du bateau s’éloigne l’un de l’autre. Puis, voici l’océan qui pour saluer l’événement, lance sa marée à sa rencontre. À compter de cet instant, nous avons une petite idée du combat dans lequel vont se mesurer  le navire et celui dont il chevauche les vagues écumeuses. Sagement adossé à son quai, il me parut gigantesque, dis-je, alors qu’à mesure que nous avançons sur la masse liquide, je le découvre malingre, presque en sursis sur cette immensité mouvante. Cependant, cette fragilité n’est que relative. Dans l’affrontement qu’il livre avec la mer, on le devine beaucoup plus fort qu’on l’imagine, même si l’océan semble s’amuser avec cet intrus qui se prend pour une puce sur l’échine d’un molosse. Le voilà qui roule d’un bord à l’autre, se met à tanguer, va à la rencontre des vagues comme pour les provoquer. Malicieux, il se joue de la houle qui l’oblige à pousser quelques grincements et autant de craquements. Alors qu’on le penserait suffoquant dans un creux, soudain, il gravit la suivante pour, dès son sommet conquis, fendre de sa puissante étrave, la prochaine avec autorité, sans état d’âme. Ce n’est rien, osons-nous croire, qu’un chemin ouvert dans l’immensité mouvante, mais elle est suffisante au navire pour s’y engouffrer et l’écarter telle une route parfaite. Sous le regard des ciels virant du plus beau bleu aux plus sombres, dans le calme où la tempête, sans fatigue la proue plonge et construit sa voie.

    Perdu dans mes idées me réclamant toujours plus d’aventures, contemplant l’océan moutonnant jusqu’à l’horizon, je ne pensais pas à observer derrière nous. J’avais tort, car l’hélice, impitoyable, finit de délier l’histoire du présent pour la mêler à celle du passé. Un coup d’œil est suffisant pour comprendre le drame qui vient de se jouer. Un fort bouillonnement gronde à l’arrière du bâtiment brouillant notre trace pour que nul ne nous rejoigne et qu’aucun repli ne soit possible. L’instant précédent, j’assistais à l’ouverture de la route maritime, alors que le suivant, je ne pouvais que constater que l’énorme machine se complaisait à l’effacer. D’abord, elle brassait les flots avec vigueur pour de l’histoire qui liait les éléments solides et liquides, les mêler, afin de mieux en disperser les mots ou les pensées. Son œuvre de destruction accomplie, l’océan regarde s’éloigner le bâtiment qui avait osé le défier. Avec l’aide du temps, dans un savoir-faire millénaire, ils unissent à nouveau les vagues et la mer qui peuvent  dans le calme, continuer l’écriture du conte qu’elles vivent depuis l’avènement du monde. Le sillage qui avait maladroitement froissé la surface lentement disparaît, pour laisser s’installer une mer océane ravie de reprendre sa place. Elle redevient heureuse comme une fantastique histoire, contente de retrouver ses lignes, sa ponctuation et ses personnages.

    Alors, fermant les yeux sur tant de beautés secrètes, je me dis qu’il n’y a pas que les hommes qui ont le privilège d’avoir des sentiments et surtout de posséder les moyens de les exprimer. Qu’il naisse de la vague ou d’une sur page, le roman de notre existence avance, grossit chapitre après chapitre et s’enfuit avant de s’écrire chaque jour, même si parfois, ce sont d’autres qui en notre esprit font vivre nos images et nos pensées. La vie, voyez-vous, qu’elle se déroule sur la Terre ou sur la mer, est bien une friandise que l’on doit garder longtemps en bouche afin de reconnaître les saveurs changeantes au fur et à mesure qu’elle fond.

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  • – Pardonnez-moi si une fois encore je vous entraîne dans un temps que les jeunes d’aujourd’hui ne connaîtront pas. Trop de choses ont changé pour que l’on éprouve des sentiments qui vous prennent au ventre. Mais il se trouve aussi que les uns après les autres les anciens accrochent leurs pelisses au vieux clou rouillé derrière la porte qui ouvrait sur la vie. Alors, n’ayant plus la référence au sein de la famille, comment pourrions-nous expliquer à nos enfants l’odeur de la terre ? Je veux dire l’authentique, et non celle de nos jours qui ne ressemble en rien à celle des temps passés, car méprisée et malmenée.  

    À cette belle époque, être agriculteur  était plus qu’un métier. D’ailleurs dans ce milieu, on ne prononçait pas ce mot. On savait que l’on devenait menuisier, charron ou boulanger, et que l’on nous enseignait aux apprentis à nous transformer en quelqu’un d’autre ; mais on naissait paysan dans une famille qui l’était depuis toujours. C’était une passion qui s’était installée dans les fermes depuis si longtemps, que l’on ne cherchait même pas à deviner depuis quand elle avait franchi le seuil de la maison. C’était un sacerdoce qui dévorait chaque instant de la vie. Sur les visages de ces serviteurs de la terre, les ans avaient dessiné autant de sillons que les hommes en avaient ouvert lors des cultures, et les vents s’étaient chargés de les creuser. Les rigueurs des saisons avaient patiné leur peau autant que les pierres de leurs demeures. Il était aisé de deviner leur âge, car leur corps comptait autant de rides que les champs labourés par les automnes brumeux, au firmament de plus en plus bas.

    L’horizon ? Ils ne le consultaient que le soir en rentrant, afin d’en découvrir les secrets ou les caprices du lendemain. Au matin, si tôt la porte ouverte ils vérifiaient que le ciel teindrait ses promesses entrevues la veille. Le reste du temps, ils se tenaient penchés sur la terre comme au premier jour. Ils connaissaient presque tout d’elle. Son goût, sa finesse après un long travail alors qu’elle filait entre les doigts pareil à la vie. Ils en découvraient les secrets et les mystères. Ils ne se posaient plus la question de savoir si elle avait une âme. Ils avaient deviné une bonne fois pour toutes qu’elle devait en avoir une au même titre que tout ce qui vit en possède une. On n’en parlait pas, voilà tout, c’était mal vu de la mettre en cause. On a encore en mémoire de mauvaises récoltes inexpliquées. De même, on se gardait bien d’éventrer le sol trop profondément. On chuchotait alors qu’il était inutile de lui remuer les entrailles. Nous étions à une époque où l’on disait peu, mais suffisamment pour démontrer les raisons d’une décision, ou exprimer une satisfaction, et parfois aussi une déception. Nous étions au temps merveilleux où les paysans, sans que personne ne leur ait montré les bienfaits, rendaient à la terre ce qu’elle leur avait donné, conscients qu’ils étaient que pour recevoir, il fallait avant tout offrir.                                                                      

    Ainsi passaient les saisons sur la campagne et ceux qui la servaient. Ils n’écoutaient jamais les plaintes de leur corps. On ne verse pas de larmes, mais des sourires et des attentions sur le bonheur que l’on élève. Ils étaient certains d’une chose ; la nature ne leur vole pas leurs efforts. Ils leur offrent avec plaisir en y mettant tout leur cœur. Elle nous restitue au centuple les soins que nous lui prodiguons. Pour un grain semé, un épi bien gonflé de froment nous est rendu. Certes, ne me faites pas dire ce qui les fâcherait, à savoir qu’évidemment, ils étaient également intéressés. Je vous ai parlé des paysans que j’ai connus et fréquentés, pas des philosophes ni des altruistes. Les pensées sont saines lorsque l’assiette est bien garnie de produits naturels qui ont éprouvé la rudesse des mains, et le ventre est contenté des fruits des efforts consentis à leur élaboration.  

    Il en allait ainsi de ces hommes vaillants et obstinés qui se donnaient corps et âme jusqu’au dernier matin. Quand l’un d’eux disait « allez-y sans moi » ce matin, car je ne me sens pas très bien, les autres hochaient la tête en sachant que le père ne verrait pas la verte feuille. Alors, sans se concerter, ce jour-là, on fouillait davantage cette terre qu’il avait tant aimée, et l’on se permettait de laisser tomber dans le sillon fraîchement ouvert, une larme qui avait l’expression d’un remerciement, prononcé par celui qui s’apprêtait à la rejoindre pour toujours. 

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  • – Il arrive que l’on dise de moi que je suis un rêveur, parfois même, un utopiste. Si, je vous assure, je l’ai déjà entendu. Qu’importe ! Après tout, si l’on estime que ma place n’y est pas en ce bas monde, et pour quelle raison me priverais-je de regarder ailleurs ? Mais tout à fait entre nous, il est donc si mauvais que cela, pour la santé, de se laisser bercer par les songes, quand autour de nous, nous ne voyons que des catastrophes en tous genres, et se produisant à la chaîne ? Est-il réellement imaginaire, ou réactionnaire, d’envisager qu’un jour de par le monde, on cesse de faire la guerre, d’envier son voisin et le déposséder de tous ces biens ? Quoi que l’on puisse dire ou écrire, cette année qui s’essouffle n’aura une fois de plus, tenu aucune de ses promesses. Je crains que la suivante ne soit pas des plus belles, car sur notre pauvre Terre qui se désespère, nous retrouverons toujours les mêmes hommes, débordant d’ambitions certes, mais dans le seul but de détrousser à longueur d’année, leurs semblables ou les pays défavorisés.

    Cette année est mal en point et celle qui va lui succéder ne sera pas mieux. C’est vrai, me direz-vous ; il nous reste quelque temps encore pour que nous changions d’avis ou que certains individus rentrent enfin dans le rang. Cependant, beaucoup de phénomènes ne m’étonnent plus, et parmi eux, cette vue qui nous montre un monde à l’envers. D’après la photo, il n’y a plus de doute, il est bien renversé. En fait, le ciel qui se reflète dans l’eau nous indique qu’il est le mieux placé pour nous dire ce qui ne va pas.

    Me penchant sur l’onde, je ne suis donc plus surpris de ce qui nous arrive. Qui aurait pensé voir l’azur à quelques foulées seulement ? Pas moi, en tout cas, car je suis heureux pour une fois de regarder mes rêves de si près, et si je produis l’effort nécessaire, je peux presque marcher à travers eux.

    Mieux ; aurait-on imaginé qu’un jour, une ou des banques fassent faillite, sans pour autant provoquer un tsunami dans les esprits ? Cette fortune qu’elles ont égarée, sans doute dilapidée, car elle n’est pas perdue pour tout le monde, n’est-ce pas, c’est la nôtre, celle des petits peuples qui se battent chaque jour pour seulement exister ! N’étaient-elles pas les garantes des économies ? Les coffres que nul brigand n’a su forcer, à quoi servaient-ils puisque l’argent s’est évaporé ? À moins que l’on ait volontairement enfermé les bandits avec les lingots ?

    Avec tous ces milliards envolés dans la nature, imaginez ce que l’on aurait pu faire pour améliorer la vie de chacun, en commençant par offrir une retraite décente aux plus démunis. On aurait pu construire suffisamment de maisons pour accueillir les sans-abri, rendre leur dignité à ces ouvriers qui travaillent sans pouvoir se loger ni assurer l’existence de leur famille, et donner un sérieux coup de main aux communes qui sont devenues si exsangues, qu’aujourd’hui, elles se retrouvent proches du précipice dans lequel elles vont sombrer. Avec ces richesses englouties, on aurait pu s’offrir la meilleure recherche, développer les énergies renouvelables gratuites qui vont demain, nous coûter des fortunes.

    Parfois, j’ai le sentiment de ne plus avoir ma place dans ce monde de dupes, qui part à la dérive et qui fait dire aux lycéens qu’ils ne veulent pas être plus de 25 par classe. Sans doute ont-ils raison, je n’en ai aucune idée. D’ailleurs, comment le saurai-je, puisque la scolarité que j’ai suivie en compagnie de mes camarades à la communale d’antan nous a vus beaucoup plus nombreux et surtout avec deux cours par salle ? Néanmoins, je me pose cette question : ont-ils seulement une estimation de la quantité qu’ils seront sur les bancs des universités et des facultés ?

    C’est vrai que je suis trop vieux pour comprendre tout cela. Mais je me suis laissé dire que dans ces établissements hors normes, il y a beaucoup d’étudiants qui dorment ; enfin, c’est ce que me murmura un ami qui les a  fréquentées. Et il s’était empressé d’ajouter que c’est sans doute les mêmes qui continuent leurs rêves sur les sièges des assemblées. Notre monde renversé à des excuses, ce fut l’année des treize lunes, et ce n’est jamais bon, me confiaient les anciens, car c’est l’univers qui part à la dérive pendant des années avant de retrouver sa marche tranquille, entraînant  à sa suite, la ronde des saisons. 

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  • SOLITUDE, NOTRE MEILLEURE ENNEMIE    – Qui n’a pas sombré, un jour à un tournant particulier de son parcours, dans un gouffre si profond, que la chute lui parût interminable ? Soudain, cependant environnée par une foule déambulant en tous sens, la solitude nous guette et nous entraîne en dehors des sentiers battus. Elle nous étreint si fort que nous avons le sentiment qu’elle veut nous emporter, afin que nous nous confondions avec sa silhouette et son esprit. En fait, on la nomme ainsi, alors qu’elle n’est qu’une succession ou une procession de jours longs et tristes, dans lesquels se mélangent et se délient les couleurs de l’existence jusqu’à devenir sombres.

    Solitaires, trop souvent à une époque ou une autre de notre vie, nous le sommes, et nous errons dans l’indifférence de nos semblables. Isolés, nous nous découvrons, lorsqu’un beau matin l’on s’aperçoit que nous sommes les seuls à répondre aux questions que nous nous posons ou que nous tentons d’obtenir des réponses de personnes qui évoluent dans notre environnement. La solitude prend toute sa signification quand les vôtres vous délaissent ou vous oublient. C’est le jour où, du fond de votre proscription, une petite voix vous murmure de vous mettre en marche, pour accomplir votre traversée du désert, ce monde inconnu et hostile dans lequel on se sent dériver, emporté par la puissance des éléments. Nous devenons alors grain de sable parmi les millions qui montent et dévalent les dunes à longueur de temps. Seules des ombres s’agitent dans l’espace sans même vous frôler, et les silhouettes sont pareilles aux feuilles mortes que le vent entasse sous les bois, afin qu’elles ne conservent plus le souvenir des ramures sur lesquelles elles vécurent des saisons heureuses.

    Qu’attendre de la vie dès lors qu’auprès de vous personne ne s’assoit ? Que pouvons-nous espérer quand plus aucun mot d’amour ou de reconnaissance n’est prononcé ? Comment peut-on encore croire en l’amitié, ce mot imitant désormais l’allure et la posture des choses éphémères, tandis que plus jamais des bras n’entourent vos épaules ? Les « je t’aime » du temps passé se sont tus. Les sourires se sont effacés ; les visages prennent un aspect flou, aucune main ne cherche plus la vôtre et il ne se trouve plus de regard où plonger le sien afin d’y découvrir une âme sœur. D’aucuns prétendent que la solitude conduit parfois vers la prière. Certes, marcher seul dans le monde ne signifie pas pour autant que l’on se transforme en un personnage muet, en présentant l’avantage d’apporter les réponses que l’on désire entendre à nos questions. Mais encore faut-il croire, en une puissance céleste, quand de nous-mêmes nous nous sommes mis à douter.

    Notre état d’esprit se meut en un vaste océan devenu orphelin de rivage, sur lequel il pourrait déposer sa rancœur, et où les vagues se précipiteraient pour lui abandonner leurs songes, tandis qu’à sa surface, depuis longtemps plus aucun navire ne trace sa route. D’ailleurs, pourquoi laisserait-il un sillage en forme d’invitation, si personne ne se lance à sa poursuite ? L’individu isolé traverse l’espace en anonyme, presque invisible, égaré dans le labyrinthe de la société au sein de laquelle il est, ou, de lui-même s’est exclut, et où chacun avance tel un fantôme, et parfois semblable à un robot. C’est ce temps qui s’installe à nos côtés comme un cauchemar se présente à l’instant le plus doux de la nuit quand le rêve est le plus beau et s’apprête à vous prendre par la main pour vous emmener rejoindre un pays qui n’existe que pour ceux qui savent lire dans leurs songes.

    Si au hasard de vos migrations il vous arrive de croiser un égaré, facilement reconnaissable, puisqu’il marche sans but, dont la vie s’est détournée sur son passage, ne le laissez pas continuer sa route vers une destination dont il ignore si elle aboutit vraiment. Ensemble, faisons les efforts nécessaires pour ne pas lui permettre d’atteindre le continent des illusions perdues. La détresse n’est, et ne sera jamais une maladie dont on aurait à rougir. Souvent, le laissé pour compte ne vous demandera rien, car la solitude ne rime pas avec la politique de la main tendue. Il refuse catégoriquement qu’on lui fasse l’aumône ; saisissons l’opportunité qu’il a l’esprit tourné vers l’horizon qu’il devine à peine à travers son regard embué, pour lui lancer une bouée. Lorsqu’il se retournera, il la découvrira en même temps que ses illusions lui feront un clin d’œil prometteur. Il ne s’en détournera pas, car elles seront le signe que la vie ne l’a jamais abandonnée, et qu’enfin une autre âme que la sienne habite ce monde.

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