•  

     

    – Il arrive très souvent que les gens qui nous font l’honneur de nous rendre visite nous disent, comme s’ils s’étaient donné le mot :

    – N’êtes-vous donc pas blasé d’admirer chaque jour le même décor ? N’êtes-vous jamais tenté d’aller voir d’autres paysages ?

    – C’est alors que je leur confie, à leur grand étonnement, les émotions qui sont miennes à l’instant où je pose le pied à terre, avec au ventre, une sensation digne des celles que les enfants éprouvent un matin de Noël au pied du sapin. Tout d’abord, ils me regardent curieusement, tandis que je leur confie la première raison qui me fait me précipiter au-dehors. Le croiriez-vous que je coure non pour voir, mais pour entendre ?

    – Écouter ? Nous ne demandons pas mieux ; mais quoi, ou encore qui ; me demande-t-on ? Le jour n’a jamais été bruyant lorsqu’il se lève !

    Alors, baissant la voix presque à murmurer je relate les paroles qu’il me semble comprendre à l’instant où la nuit décide qu’il est temps de se réfugier en un autre coin du ciel. Un timbre puissant lance à travers l’espace à l’intention de ceux qui veulent bien entendre et admettre :

    – Ô ! Toi, homme qu’un jour se détourna du chemin que j’avais tracé, pour une fois, rends-toi utile et fais en sorte d’aider la journée qui s’offre à toi la plus belle possible !

    – Certes, je vois bien que certains rient sous cape, ne s’attendant pas à une pareille introduction. Dans le regard d’autres, je comprends qu’ils se demandent si j’ai passé une bonne nuit ou plus naturellement, si je ne commence pas à déraisonner. C’est alors que je satisfais leur curiosité ; écoutez plutôt :

    L’aurore n’est qu’à ses balbutiements et couleurs que je me précipite, dis-je, pour saluer son avènement.

    – Les plus audacieux se risquent à une remarque :

    – Nous ne comprenons pas votre empressement, jusqu’à maintenant nous n’avons jamais eu connaissance que quelqu’un dérobait un lever de jour !

    – Certes, nul n’a la prétention ni le désir de l’accaparer, dis-je, mais ceux qui ont le privilège de résider près de l’équateur savent bien que le jour et sa voisine la nuit ne prennent aucun moment de réflexion quand il s’agit de venir ou de s’enfuir. C’est la raison pour laquelle il me faut être présent à l’instant où les ténèbres commencent à tomber de sommeil, et le jour, à s’étirer, alors que le ciel bâille à s’en démonter les nuages, que la lumière, jusque là prisonnière, en profite pour s’évader, utilisant le fil à peine blanchi de l’horizon pour se hisser par-dessus la forêt. Cependant, ce ne sont que les prémices des scènes qui s’enchaînent.

    D’abord, dame nature offre son feuillage à l’humidité que la nuit laisse derrière elle, tant elle est pressée de s’enfuir, car voilà l’heure du bain matinal. Rien de tel qu’une bonne rosée pour se débarrasser des souillures de toutes sortes que les ténèbres ont déposées, et pour éliminer les dernières traces des rêves coquins des uns ou des autres hôtes des grands bois. Bien qu’offerte à nos regards, la nature n’en demeure pas moins une éternelle jeune fille pudique. Il est vrai qu’elle laisse voir beaucoup, mais pour l’heure, elle cache l’essentiel. D’ailleurs, qui peut se targuer d’avoir un jour, découvert son âme au détour d’un layon ? Donc, sous la clarté menaçante, mon amie verte termine ses ablutions et se presse d’enfiler une sortie de bain faite de fine brume. C’est que dame nature est coquette et qu’elle n’aime pas être dérangée dans ses ultimes retouches de beauté. Toutefois, le vent coquin et impatient passe un souffle discret sous la voilette légère, laissant découvrir la forêt plus rayonnante que jamais.

    C’est l’instant que choisit le grand maître du temps pour signifier à l’ensemble de la sylve de se mettre en marche. La brise se renforce afin de chasser la mauvaise humeur que la nuit a laissée derrière elle. Ce souffle nouveau indique aux oiseaux impatients qu’ils peuvent lancer leurs trilles, tels des réveils matin. Il est l’heure où le jour fait ses premiers pas dans le monde.

    Sous les couverts, les animaux du soir croisent ceux du jour qui finissent leurs étirements. Les serpents sont à la recherche d’un coin discret où ils pourront digérer, tandis que les félins rejoignent les branches sur lesquelles ils sommeilleront jusqu’au soir. La gent ailée parfaitement réveillée maintenant se lance dans des ballets compliqués et autant d’arabesques, pendant que d’autres volatiles s’appellent et se répondent. Les singes hurleurs sonnent la fin de la récréation, alors que les perroquets de toutes sortes, bruyamment, décident de leur journée tout en écoutant les dernières informations que se communiquent les toucans, quant aux sites de nourrissages. Derrière les clôtures, bœufs et zébus trépignent d’impatience. Dans les basses-cours, les coqs réveillent les retardataires. Dans les champs et sur les buissons, les fleurs généreuses libèrent les fragrances qui vont enivrer les abeilles jusque dans les ruches, les invitant à transformer le précieux nectar en un miel onctueux et parfumé, qui mériterait d’être élu à la première place du patrimoine de l’humanité. Un instant, les criques, rivières et fleuves ralentissent leurs cours, afin de laisser le temps au ciel de s’installer confortablement à leur surface, et le « chemin qui marche » reprend sa marche vers le grand frère océan.

    Honnêtement, les amis ; qui, à travers le monde, peut nous inviter un tel spectacle ?

    Comprenez-vous, maintenant que je ne puis être lassé par ces offrandes matinales alors que l’aurore me demande à la suivre jusqu’au bout de ses ambitions ? Et vous-mêmes, ne vous tarde-t-il pas d’être à demain, pour voir, entendre et respirer le nouveau jour ?

    Amazone Solitude

     

      


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    – La scène aurait eu quelque chose d’ubuesque pour le commun des mortels passant en ce lieu, à l’instant précis, où un inconnu en équilibre sur un rocher dominant la rivière se prenait pour un chef d’orchestre. Il aurait été encore plus surpris s’il avait appris que le vieil homme qui s’agitait sur ce promontoire ignorait la musique et que quelqu’un ait eu un jour le pouvoir de la maîtriser pour la coucher sur du papier.

    Saisir au vol les notes circulant tantôt dans les ramures tantôt au pied des cascades, pour lui, n’était rien d’autre qu’un phénomène ordinaire. C’est comme si quelqu’un avait pu s’approprier le vent et le temps pour les mettre au service des hommes. Il paraissait inconcevable que cet homme, qui ignorait qu’en de nombreux pays existaient des salles de concert, dans lesquelles se produisaient des orchestres symphoniques d’une immense réputation, puisse emprunter aux virtuoses les mouvements qui posent des frissons sur la peau de ceux qui les écoutent. 

    À cet instant précis, il dirigeait avec une gestuelle qu’auraient pu lui envier tous les chefs d’orchestre de l’univers des dizaines d’artistes interprétant une petite musique douce s’envolant sous les frondaisons de la canopée que reprenaient en chœur les oiseaux perchés dans les ramures. Les érudits imaginaient écouter les quatre saisons de Vivaldi investissant cette forêt qui de mémoire de végétaux n’en avait jamais vécu aucune autre que celle qui semblait être le temps lui-même. Au cours de cette longue saison, de temps en temps, une période de sécheresse sévissait, afin de permettre aux feuilles de laisser s’écouler les dernières larmes des entrailles de la Terre demandant pardon au ciel d’avoir été orgueilleuses en nourrissant de rêves tous les arbres et faisant se gonfler d’aise les bourgeons parfois endormis.  

    Nul ne savait d’où ce torrent arrivait. Une chose était cependant certaine. Il venait de loin, car son flot ayant été obligé de franchir de nombreux sauts paraissait encore tout essoufflé à l’instant où il s’apprêtait à en dévaler un nouveau.

    Pour les cours d’eau du pays, c’était le tribut à payer, cette multitude de cascades avant de trouver enfin le calme de la plaine qui les faisait aller à la rencontre du fleuve, le frère aîné des criques et rivières. Soudain, le jour se fit plus sombre. On se serait cru dans une salle obscure, sur la scène de laquelle le chef, comme si une main invisible venait de baisser la lumière, dirigeait ses musiciens de sa baguette magique. Les morceaux s’enchaînaient sans qu’aucun des acteurs prenne le temps de respirer.

    Le flot se précipitait au-devant sa destinée qui était la prochaine chute vertigineuse. Pour ajouter à l’angoisse de l’atmosphère, un éclair zébra le ciel qui sembla à cet instant se poser sur le toit de la forêt. Il n’avait pas fini de traverser l’espace qui le séparait de la surface du sol, qu’un roulement extraordinaire se fit entendre. Il n’était pas encore dilué dans la nature qu’il était immédiatement suivi d’autres. Ils se heurtaient aux arbres qui les renvoyaient vers d’autres troncs. D’aucuns auraient juré qu’un nombreux public jusque là silencieux venait de se lever dans un même mouvement en applaudissant à tout rompre. La pluie mêla ses hallebardes cinglantes et piquantes à la foule qui saluait les prouesses du chef d’orchestre et de son équipe.  

    À espaces réguliers, le tonnerre grondait et roulait. Les éclairs n’en finissaient pas d’illuminer le sous-bois livré au déluge de tous les éléments qui s’étaient donné rendez-vous en cette salle particulière. Le jour faisait profil bas, montrant son impatience à se retirer en des lieux plus calmes, où la musique serait interprétée comme n’étant que la respiration du temps. L’orage s’amplifiait sur le haut de la montagne qui avait abandonné son sommet aux lourds nuages noirs pourfendus d’éclairs fulgurants. Plus bas, le vieil homme stoïque sur son promontoire continuait à diriger son orchestre comme si rien ne se passait.

    La rivière grossissait en un instant et semblait maintenant pressée de fracasser son eau cependant limpide à son sommet au pied du saut qui s’ouvrait pour recevoir le précieux liquide de la Terre et du ciel. Les rochers, affûtés, par les caprices des flots depuis des millénaires, prenaient plaisir à les diviser. Ceux-ci abandonnaient leurs espérances sur la dernière marche de la chute avant de se laisser tomber, résignés et dociles.

    Le saut se riait de l’eau fluide et transparente, comme il s’était joué des canots d’aventuriers qui avaient vu leur corps disloqué et leur embarcation déchiquetée dont on ne retrouva jamais ni les uns ni les autres.

    Une vapeur de fines gouttelettes montait vers la canopée, à la rencontre du ciel dont on imaginait qu’elle désirait réintégrer les nuages, en laissant derrière elles un splendide voile léger et transparent. On eût dit alors que c’était la rivière elle-même qui en cet instant douloureux voulait fuir les caprices de la Terre. Elle avait eu le pressentiment que cela finirait ainsi, car depuis des millénaires, elle n’avait cessé de creuser un lit qui se déformait sans cesse sous l’insistance perpétuelle des vagues qui enflaient au fur et à mesure que l’orage grossissait. Les éclairs n’avaient plus le temps de toucher le sol que déjà les boules de feu courraient sous le couvert. Ils claquaient comme des milliers de coups de fouet et autant de roulement de tambours les accompagnants. Parfois, dans des gémissements d’une immense douleur, un arbre géant s’abattait, pourfendu en son milieu par le feu du ciel, comme s’il détenait une hache céleste pour vaincre les prétentieux qui cherchaient à rivaliser avec lui.  

    Dantesque, dis-je ! Car soudain, dans ce tumulte de fins du monde, alors qu’il semblait que rien ni personne ne vivait plus en ces lieux maudits, une musique montait et dominait les éléments.

    Tendant l’oreille, on pouvait distinguer les violons, les trompettes et les violoncelles, qu’accompagnait la harpe. Alors qu’à l’instant précédent l’envie de fermer les yeux pour toujours dévorait le ventre des spectateurs incrédules, en les transportant dans un univers jusque là inconnu, voilà qu’à présent ils les ouvraient en grand, à la recherche de ces musiciens qui faisaient s’époumoner la nature sans cesser de battre la mesure.

    Serait-ce que le ciel envoyait un signe d’apaisement pour nous signifier que ce qui est beau peut aussi être terriblement angoissant ?  

    Toujours est-il que le vieil homme n’avait pas arrêté de diriger l’orchestre de plusieurs centaines de musiciens.

    Qui était-il cet individu extraordinaire, pour avoir autant de pouvoir ?

    Était-il le chef du village qui mirait le ciel de ses cases dans la rivière reposée ? Était-ce le Chaman de la région celui qui devine tout ? Le personnage mystérieux qui connaît tout ce que les autres ignorent ? On pourrait dire qu’il est à la fois l’homme d’hier, celui de demain et du temps en général, le savant capable de découvrir et expliquer les nombreux jours à venir.

    Comment ce vieux savant qui n’était jamais allé au-delà le dernier saut du fleuve pouvait-il commander à la rivière de jouer une si belle musique alors qu’il ignorait qu’elle pût faire danser et valser des couples dans un autre monde ?

    Il en va ainsi de la nature, qu’elle donne aux sages le pouvoir de transformer, de commander et de montrer aux innocents ce qu’est sa puissance. N’essayez jamais de demander à un homme comme celui qui descend de son promontoire, d’où il tient son savoir et le pouvoir de transformer une tempête en brise, une fin du monde en musique douce et l’angoisse en rêves si beaux qu’on ne voudrait jamais qu’ils fuient au lever du jour. Humble, l’homme vous répondra qu’il n’a aucun don surnaturel, que c’est vous qui possédez l’imaginaire qui détourne ses paroles.

    Pendant ce temps, la rivière a repris son cours normal et pour un temps, les ténors et les sopranos se baignent dans le flot calme, auquel ils empruntent de nouveaux airs et des paroles à faire frémir la forêt de toutes ses feuilles.

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  • — Nous sommes en Guyane, dans la capitale du département, il y a fort longtemps. Bordant le canal qui sert de zone tampon et où s’engouffre l’océan à l’heure des grandes marées, un quartier particulier se laisse envahir par les eaux, comme si la nature voulait le nettoyer des souillures nocturnes.

    On le nomme « village chinois ». À l’origine, il n’avait vraiment rien de chinois.

    C’était des bagnards indochinois libérés qui établirent les lieux, en y développant tous les genres de commerces auxquels ils étaient rompus depuis toujours.

    L’emplacement choisi ne l’avait pas été tout à fait par hasard, car le canal, portant le nom de son créateur, à savoir Laussat, était la porte d’entrée de la ville. C’était en effet par là que les pirogues venaient déverser leurs marchandises depuis les communes environnantes, alors que les routes n’étaient pas encore tracées. Les rusés commerçants comprirent rapidement tous les bénéfices qu’ils pouvaient tirer de la situation, et l’endroit fut vite surnommé le quartier chaud de la ville ; il devint incontournable au nouvel arrivant.

    Il était presque le haut lieu de culture de la cité ; on s’y pressait comme dans les musées d’autres pays, notre tour Eiffel, notre arc de triomphe et encore des curiosités, méritant d’être découvertes. En marge de tout cela, la vie était intense et partagée comme le sont le jour et la nuit. Le commerce battait son plein le jour, tandis qu’au soir, à peine la lumière du jour disparue, comme par magie, c’était une autre vie qui s’y déroulait.

    C’était pareil au théâtre, où les décors sont changés après chaque tableau. En un mot, c’était l’empire du jeu, des dancings, des bars et restaurants où les plats du monde entier étaient proposés à la clientèle toujours plus friande d’exotisme. On se pressait dans les ruelles étroites et souvent inondées en saison des pluies et l’oreille du passant avait du mal à s’adapter tant de nombreuses langues y étaient parlées ! C’est que l’on croisait en ces lieux de perdition des gens venus de partout autour de la planète.

    Dans la nuit où ne s’épuisaient jamais les airs de musiques métisses, il n’y avait plus aucune différence de couleur de peau. Toutes avaient la même teinte, celle de l’espoir et de l’évasion. Il n’y avait guère que le vice qui gardait son vrai visage, car il est toujours le même, quel que soit le lieu où l’on se trouve sur notre bonne vieille Terre. En ce quartier qui se réveillait avec le crépuscule pour s’endormir dans les brumes matinales se côtoyaient les curieux, les farceurs, les rêveurs, les nantis et les désespérés. Tous se pressaient, car tous avaient quelque chose à oublier ou à découvrir. L’éternel chercheur du temps perdu y avait tout autant sa place que le globe-trotter qui détenait enfin son cliché exceptionnel, regrettant soudain d’avoir parcouru tant de chemin pour trouver ici ce qu’il avait manqué ailleurs. La musique caribéenne se mêlait à la sud-américaine sans pour autant se heurter et invitait les couples à se serrer sur des pistes exiguës.

    Ceux que la vie rudoyait en brousse et sur les placers dans les grands bois venaient y oublier leurs incertitudes en même temps qu’ils soignaient les dernières fièvres.

    L’alcool coulant à flots rendait le verbe haut et le timide était vite transformé en audacieux. Le village vivait ainsi au rythme des marées apportant leurs odeurs du large à celles du marché aux poissons établi sur les berges du canal, auxquelles se joignaient celles des fritures, de la sueur et de la vase, découverte à marée basse. Alors, dans la brume d’une aurore incertaine, de nombreux fêtards se réveillaient presque étonnés de se retrouver chez l’habitante qui résidait de l’autre côté du couloir qui servait de rue, tandis que d’autres finissaient la nuit dans leur pirogue, attendant que le flux soit revenu pour leur permettre de repartir vers la forêt ou l’abattis.

    Beaucoup de crânes étaient douloureux et bien des rêves seraient oubliés à l’instant du jour ou les premiers bruits auront réveillé celui qui s’y vautrait.

    Parfois, un incendie détruisait des taudis en même temps que des vies ; mais bien vite sur les cendres encore tièdes d’autres maisons offrant des chimères s’y élevaient, car il n’y a rien comme la misère pour se repaître de celle des innocents, signifiant que la vie ne se repose jamais et qu’elle ne se refuse pas à qui sait la découvrir.

     

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  • – À chaque visite que les amis d’autres continents ont la gentillesse de nous faire, il est une question qui revient sans cesse.

    — Comment avez-vous fait ?

    – Comme tous les hommes avant nous ont vécu ; et sans doute moins que nos descendants feront après nous, répondons-nous invariablement !

    – Oui, mais pour s’adapter dans un milieu aussi hostile que la forêt amazonienne, cela ne doit pas être facile ?

    – Inévitablement, nous répétons que partout où nous avons eu le privilège de poser nos bagages une terre nous attendait, et sur cette terre, d’autres personnes étaient installées, dont certains, depuis l’aube des temps. En fait, la vie nouvelle en tous points du globe ne fait appel à aucune magie particulière pour être réussie. Depuis le premier jour, le créateur a écrit pour les hommes, des règles simples. On pourrait presque résumer ces règles à un seul mot : le respect du dernier arrivé !

    Pénétrer sur le territoire d’autres gens établis depuis toujours, où qu’il puisse se trouver, est la même manière que de rentrer dans un lieu public. On satisfait à une obligation toute simple, en souhaitant le bonjour et en nous présentant. Cela ne paraît pas une règle très compliquée, mais souvent elle suffit à apaiser les doutes qui ne manquent jamais de planer autour de nous. Elle évite également aux uns et aux autres de se poser trop de questions, car nous devinons qu’il y en aura toujours. Je ne connais pas une région à travers le monde qui n’appréhende pas l’arrivée d’étrangers au pays.

    Il nous appartient alors de démontrer que nous ne venons pas en conquérants ni pour piller les richesses que les uns ou les autres pourraient détenir. Sans tarder, nous devons nous mettre au travail, non pour prouver que notre façon de pratiquer est la meilleure, mais qu’elle peut être différente en étant complémentaire.

    Il ne faut jamais passer pour quelqu’un qui vient donner des leçons, mais au contraire être celui qui veut apprendre. Nous devons admettre une fois pour toutes qu’avant de nous établir, nous avons eu une autre vie et parfois plusieurs, si nous avons pratiqué une sorte de nomadisme. Ce sont donc plusieurs costumes qu’il nous faudra laisser derrière nous. C’est comme si nous devions passer une nouvelle tenue, et surtout choisir celle qui convient le mieux à la destination convoitée.

    Mais il n’y a pas que l’habit. Concernant les anciens vêtements, nous prendrons soin de bourrer leurs poches de nos mauvaises habitudes ainsi que des préjugés qui sont souvent prompts à devancer nos pensées. À un vieux clou rouillé, nous accrocherons le sac qui contient les critiques et les désirs de toujours vouloir comparer ce qui ne supporte pas de l’être.

    Nous prend-il l’envie d’opposer la nuit et le jour ?

    Chacune des entités nous recommande de suivre son rythme, sans chercher à aller plus vite que le temps ne le désire lui-même. De notre vécu antérieur, nous ferons le choix de n’en transporter que quelques éléments ; ceux qui nous apparaissent comme étant essentiels seront suffisants. Laissons loin derrière nous les choses inutiles. Partout sur la planète il nous en sera proposé.

    Les moyens de déplacement modernes font qu’il nous semble faire des sauts de puces d’un continent à un autre. Hélas ! Dans de nombreux aéroports, il nous faut quasiment le même temps pour récupérer les valises, qu’il nous fallut à voyager. Nous n’en prendrons donc qu’un minimum qui ne nous quittera jamais et qui nous fera gagner de précieuses heures.

    La chose indispensable dont nous avons besoin, c’est le savoir. Pour lui, aucun bagage n’est à sa mesure. Pour apprendre, nous devons faire appel à notre bon sens ; mais également de nos bras, de notre volonté et notre désir de réussir ainsi que de nos oreilles pour écouter les anciens égrener les conseils. Laissons un espace suffisant dans notre mémoire pour y loger les nouvelles expériences en tous genres.

    Tout juste débarqués dans ce que nous qualifions de paradis, il ne nous faut qu’un instant pour nous apercevoir que l’école de la vie nous invite dans sa classe. En fait, c’est le seul établissement qui reste ouvert en permanence, car depuis toujours, il sait qu’il y aura des retardataires. L’enseignement qu’elle dispense est riche et varié. Elle ne se lasse jamais de répéter les cours. Elle est heureuse de démontrer la façon élémentaire de suivre ses conseils à ceux qui cherchent à comprendre et à apprendre. Si le respect précède les sentiments, alors, le moment venu ; aimer ne présentera aucune difficulté. Tous ces préceptes sont l’essence même de la vie, y compris celle qui nous impulsa le désir de nous lancer sur la route, loin des sentiers arpentés par tous. Celle-ci sera sans aucun doute plus belle si nous la débroussaillons nous-mêmes avant de la construire.

    Si la terre nous semble la même en tous lieux de la planète, cependant elle a des exigences différentes. Longtemps avant nous, les conditions climatiques ont décidé de ce qui est bon pour les hommes. Dans notre nouvelle école, on nous proposera de retenir rapidement les saveurs et les fragrances inconnues jusque-là. À cela, nous rajouterons l’amour qui avait germé en nous depuis longtemps. Il ne rencontrera aucune difficulté à grandir. Sous tous les climats, il se conjugue d’une seule façon et les mots les plus beaux sont toujours accompagnés de sourires qui ont le secret d’exprimer les sentiments les plus doux, même s’ils sont avares de paroles.

     

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  • — Pour une fois, j’aimerais imaginer une nuit différente de toutes les autres, alors que la vie semble se retirer pour méditer. À l’heure où les ténèbres se posent sur le monde, il ne nous est plus possible de voir le bonheur s’agiter et courir à la rencontre des hommes, qui eux aussi se pressent de rentrer dans leurs demeures, comme si la nuit les effrayait. Alors que les portes et fenêtres se referment et que les yeux et les pensées sont clos, il n’y a plus aucun mot pour décrire le monde apaisé. Seuls quelques bruits rôdent aux alentours pour nous faire comprendre que l’Univers sombre leur appartient et qu’il est parfaitement inutile d’essayer de les deviner, car la nuit est le parent pauvre des merveilles de la nature, installées pour briller dans la clarté du jour. Tels les timides, les éléments gravitant dans l’obscurité n’ont guère de courtisans.

    Le créateur l’a voulu ainsi.

    Au début, elle inventa le jour qu’elle s’empressa de garnir de ses fastes pour éblouir les hôtes de la Terre. Épuisée, elle confectionna la nuit dans laquelle elle s’enroula afin de se reposer à l’écart des tentations. Elle pensa qu’elle pouvait être propice aux rêves et à l’imagination, mais depuis elle nous démontra qu’en son sein se complaisaient les mystères et les craintes, ainsi que les souffrances aveugles. Pour nous opposer aux ténèbres, nous pourrions créer un monde où la clarté des hommes prendrait le relais du soleil pour nous offrir une soirée de magie, imprégnant au fond de nos yeux les souvenirs et les songes abandonnés avec notre enfance.

    N’ai-je pas dit que la lumière du jour était la fée créatrice de la beauté ?

    N’ai-je pas souvent écrit qu’elle était l’inspiratrice de la douceur faite femme ou bien fleur, séduisant indifféremment l’homme ou le papillon ?

    Il suffirait de si peu pour que la nuit soit l’égale du jour sans toute fois lui porter ombrage ! Si nous pouvions lui accorder quelques couleurs pour illuminer de temps à autre nos lieux de vie, nous la ferions resplendir jusqu’aux confins de l’univers. Pour donner plus de caractère à notre songe, nous aurions profité d’une journée de fin d’automne, juste avant que la nature prenne son long repos, de sorte que cela soit un jour de fête que tout le monde garderait en mémoire.

    La scène se passerait au bord d’un lac dont l’onde attentive se retiendrait de frémir afin de ne pas troubler l’instant, sous le regard des étoiles. Au pied de chacun des végétaux, nous aurons pris soin d’installer des lumières de couleurs différentes, illuminant l’espace étonné de tant de magnificence. Le peuplier serait fier de retrouver son orgueil, lui encore honteux d’offrir aux yeux des hommes sa nudité exposée sans retenue. Soudain, il se sentirait devenir plus grand et plus beau, contemplant son squelette coloré dans les eaux sombres du lac.

    Environné par une clarté jusque-là inconnue, le vieux saule pleureur pour une fois ne verserait que des larmes de bonheur en s’écriant qu’il savait bien qu’un jour il serait enfin admiré et sans doute le plus envié !

    Le gazon usé jusqu’à la trame s’ennuyait à s’en faire des herbes rases et défraîchies et devant une telle offrande, il fit tant qu’il retrouva ses couleurs printanières.

    La charmille ne demandait pas son reste et pour ne pas déplaire à ses congénères, elle produirait presque un effort désespéré si l’on insistait une fois encore d’aller chercher au plus profond de sa mémoire quelques fleurs dont elle a le secret.

    La maison se penche pour vérifier la parfaite tenue de ses lignes. Elle est presque confuse de se voir aussi belle et tente de faire des efforts pour rectifier une tuile ou deux de sa toiture.

    Je sais mes amis ; cette nuit n’existera probablement jamais. Pour que le bonheur fût complet, eût-il fallu qu’à travers le monde il n’y soit plus de souffrances ?

    C’est sans doute pour cette raison que parmi ces lumières multicolores nous n’en voyons aucune en forme de cœur que nous aurions pu offrir à tous ceux qui se désespèrent au bord du chemin que leur ciel s’illumine. Pour adoucir ma tristesse, je dirai, en guise de soulagement que j’aurai essayé de poser un sourire dans la nuit, et celui-ci attend patiemment que l’alizé se lève dans le matin timide, afin qu’au premier souffle, il le transporte jusque dans vos jardins, avant de l’installer pour toujours dans vos cœurs.

     

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