• Suprême Récompense

    Rien ne te sera donné que tu l’auras mérité, m’avait-on dit et répété depuis toujours ! D’autres m’avaient expliqué que dans la vie, il ne suffit pas de vouloir quelque chose pour l’obtenir ni désirer pour engranger. Nanti de telles recommandations, je fis mon balluchon, auquel j’ajoutais une bonne dose de courage, avec, je l’avoue, quelques pincées d’inconscience et pour en-cas à déguster à chaque étape, de l’espoir de la meilleure récolte. Je sortis de la maison, observa le ciel et sans me retourner, je fis mes premiers pas.

    Allais-je enfin trouver celle dont on m’avait dit qu’elle méritait que l’on fît pour elle tous les sacrifices possibles et imaginables ? Et surtout, allait-elle m’attendre, sachant que je partais à sa recherche ? Si je commence à me poser des questions à chaque pas, me dis-je, jamais je n’arriverai jusqu’à elle ! Mais surtout, ne serai-je pas tenté de poser les questions dont j’aimerais proposer les réponses qui me satisferaient ?

    — C’est alors qu’un matin, je me retrouvais face à mon destin dont je crus qu’une nouvelle fois il me mettait à l’épreuve. Une route ne suffisait pas, il m’en présenta une seconde. Je posais mon bagage, et pris le temps de la réflexion, quand soudain, j’entendis dans le champ voisin un paysan labourant sa terre ; je l’interpellais alors que l’attelage arrivait non loin de moi.

    — Pardonnez mon insolence, dis-je à l’homme qui n’avait pas le profil de celui qui se pose des questions qui ne seraient pas en lien direct avec la Terre. Citant ton nom, de la croisée des chemins à laquelle je me trouvais, j’ai osé demander quel chemin était préférable que j’emprunte. Je précisais que je le désirais le plus direct ; et pourquoi pas le moins pénible ? Je ne le lui dis pas, cependant, je ne voulais pas me présenter à elle essoufflé ou fatigué, les traits tirés, moi, le jeune homme promis à ce qu’il semblait à un très bel avenir à qui disait-on que pour ses beaux yeux, quelqu’un serait à même d’aller décrocher la lune. Certes, je n’en demandais pas tant, moi, modeste pékin des temps que l’on nomme souvent modernes. Un seul mot m’obsédait : elle !

    Celui que je venais d’interpeller s’est relevé de dessus la charrue et commanda à ses chevaux de stopper.

    — Là ! Tout doux, mes beaux, lança-t-il comme s’il s’adressait à ses enfants.

     

    Il me regarda un moment sans rien dire. Un instant, j’ai cru qu’il ne me voyait pas et qu’il s’était seulement arrêté pour faire souffler ses bêtes, à moins qu’il ne m’ait pas vu, pensai-je ? (À suivre)


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  • Rêve ou Réalité  2/2— Ce n’est pas faux, répondis-je. En fait, il ne s’agit pas de choisir un monde, mais de suivre la route sur laquelle l’un et l’autre s’accoudent. Quel que soit le lieu où je déciderai de m’arrêter, je serais toujours à temps de décider vers lequel mon cœur penchera et surtout, si quelqu’un m’y attend faisant des signes de reconnaissance. Alors, obsédé par cette route, je m’y aventurais enfin. Ignorant si mon audace allait me conduire loin de celle qui m’hébergea si longtemps, je risquais un œil par-dessus mon épaule. Ce que je vis me rassura, car de leurs longues feuilles, les palmiers semblèrent me saluer. Sans doute devinaient-ils que je ne reviendrais pas de si tôt ! Je leur rendis leurs saluts et repris ma marche en avant.

    Sur ce chemin, mes pas se firent légers et ne soulevèrent aucune poussière. J’en déduisis que je ne devais laisser aucune trace, puisque personne ne m’avait suivi. Je n’eus aucun obstacle à franchir, pas de montagne à gravir ni de gouffre à me défier. À mesure de mon avancement vers l’inconnu, mes yeux eurent de la peine à croire aux vérités qui s’offraient à eux. De part et d’autre de la route, le monde entier me tendait la main. De chaque côté de la route, de nouveaux amis me souriaient. J’entendais des poètes déclamer la vie en des vers que je n’avais jamais entendus. Des chanteurs que je n’apercevais pas imitaient le chant des oiseaux, tandis que des écrivains radieux inventaient de nouveaux mots d’amour. Le soleil illuminait tout le monde et sur les visages, aucune trace de morosité n’obscurcissait les traits de plus en plus radieux. Les yeux étaient aussi bleus que la mer, aussi profonds que les océans, m’invitant à y plonger.

    Au travers des corps légers et dansants, je pus contempler les cœurs qui battaient la chamade. Ils étaient énormes et faisaient une chorale. De toute part montait un chant harmonieux qui ressemblait à l’hymne à la joie ! J’avançais toujours d’un pas glissé afin de ne pas blesser la route. Le ciel était si clair que je vis le paradis dans lequel riaient les anges. Les prairies y étaient grasses et verdoyantes, et les fleurs, les unes à la suite des autres explosaient tel un feu d’artifice de couleurs, embaumant l’air de fragrances enivrantes. Dans les vallées, la rosée accrochait des perles scintillantes aux rameaux qui se penchaient pour saluer le jour.

    Soudain, au cœur de ma béatitude, le tonnerre gronda et roula d’un bout à l’autre du ciel. Une averse tropicale frappa ma toiture en tôle avec une telle violence que je crus qu’elle cherchait à la transpercer. Je me réveillais en sursaut. Le rêve c’était réfugié en mon esprit, tandis que la réalité frappait à ma porte. Cette route lumineuse n’avait-elle donc existé que le temps de l’éclair ?

     

     

     


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  • Rêve ou Réalité ?  1/2

    — Qui l’eut crut que pareille aventure pût m’arriver, pauvre citoyen lambda parmi tous les anonymes qui se bousculent sous les étoiles, à l’heure où elles nous expliquent à force de scintillement, que pour toucher les cœurs, la distance importe peu ? Cela ne semble sans doute pas très original, mais pour une fois, je m’apprêtais à sortir de la forêt. En effet, cela n’arrive pas si souvent que cela mérite bien d’être souligné lorsque je mets un pied dans le monde qui m’entoure.

    — Pour m’y ressourcer, me demanderez-vous ?

    — Même pas, vous répondrai-je ; car rares sont les sources qui sourdent aux pieds des immeubles qui à défaut de cacher le ciel, isolent les hommes dans les cellules, où ils se gaussent sans cesse en évoquant la liberté. Il y avait longtemps que je n’avais pas vu la belle couleur du ciel et cela est suffisant pour justifier ma sortie de l’immense sylve murmurant à l’infini sa joie de vivre. Je ne vous cache pas que je dus marcher longtemps, mais soudain, mon cœur battit si fort dans sa cage que je pensais un instant qu’il voulait que je lui ouvre la porte. Dans un ultime effort, j’escaladais les dernières échasses des palétuviers et soudain, elle s’offrit à moi !

    Elle était là, droite et infinie, illuminée et attirante.

    Je ne plaisante pas ; j’ai pensé qu’elle s’étalait pour mon plaisir et qu’elle venait de se poser à l’instant où elle m’aperçut. Elle semblait m’inviter à la suivre, cependant, j’ai hésité à y poser le premier pied. N’était-elle pas trop belle pour moi, trop parfaite et qu’aucune fleur ne soulignait ? Un sentiment mêlé de crainte m’empêcha de me précipiter. Moi, qui, jusqu’à présent n’eus jamais besoin de choisir, voilà que je ne pouvais me décider ; car toute belle que fut la route, j’eus conscience qu’elle partageait le monde en deux parties quasiment égales. J’étais seul et je ne pouvais donc pas demander conseil à quiconque. J’observais à droite puis à gauche, mais aucune âme n’avait eu la curiosité de chercher si ailleurs que sous la canopée une autre vie existait.

    — Décide-toi, me souffla une petite voix. Dans sa vie, l’homme ne peut refuser l’offrande de la beauté que lui envoie le ciel ! Si tu hésites encore longtemps, bientôt la route posée sur les flots, en eux, va s’abimer et il en sera fini de tes désirs de rejoindre les cœurs qui t’attendent au bout de cette passerelle magique.

    — Une fois encore je me retournais pour solliciter l’aide de quelqu’un, mais il me fallut me rendre à l’évidence. Personne ne m’avait suivi, c’est bien connu, car nul ne peut choisir à notre place quand dans l’existence l’hésitation se met en travers de notre chemin.

    Dois-je revenir sur mes pas, me demandai-je assailli par le doute ? Fixant le sillon lumineux qui semblait m’inviter, je dus prendre une décision. Devais-je diriger mes pas vers l’un ou l’autre des mondes que la route séparait ? En choisissant l’un, n’allais-je pas commettre une erreur ? C’est alors que la petite voix me dit encore :

    — Si tu donnes la préférence à l’autre, tu risques aussi de faire une faute que tu pourrais regretter ! (À suivre)

     

     


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    Chez le Dentiste— Bonjour, vous êtes M. Bellondent ?

    — Oui pour le nom ; non pour les dents, car pour elles, il y a longtemps qu’elles ne le sont plus !

    — Vous êtes venu avec votre prothèse ?

    — Non, avec ce temps, je n’ai pas réussi à poser ma jambe. Alors je suis venu avec mon épouse.

    — Je veux dire votre appareil, M. Bellondent.

    — Oui, sinon je ne vous entendrai pas !

    — Vos dents, s’énerve la collaboratrice du dentiste !

    — Ah ! Mais oui, elles sont dans ma poche.

    — Allez dans la salle d’attente, on vous appellera

    — Ce sera long ?

    — Non, M. Le docteur achève quelqu’un, ce sera à vous ensuite.

    — Pour qu’il l’élimine, je suppose que le gars avait une dent contre lui.

    — Non, seulement un plomb de sauté.

    Dans la salle d’attente, les gens s’observent sans rien se dire ; le regard ailleurs, mais toutes dents dehors.

    — M. Bellondent ? C’est à vous

    Ce qui est surprenant, c’est que très souvent, on vous demande de la fermer, alors que chez le dentiste on vous demande de l’ouvrir ; et en grand, s’il vous plaît ! Cependant, ce n’est pas pour autant que l’on peut s’exprimer. Alors on échange par borborygmes successifs.

    — Je vais prendre de nouvelles empreintes, M. Bellondent.

    — C’est que je n’ai pas mes papiers sur moi ?

    — Non, je parle de vos dents !

    — C’est vous qui les avez prises, il me semble.

    — C’est un dialogue de sourds, M. Bellondent.

    — Oui, j’entends bien, docteur.

    — Ouvrez la bouche, je vous prie.

    — Pourquoi riez-vous, docteur ; auriez-vous découvert quelque chose de nouveau ?

    — Oui, vous avez une belle carie.

    — Elle a dû se souvenir d’une vieille histoire hilarante, j’imagine ?

    Le docteur, après avoir étalé sa panoplie d’archéologue, entame ses recherches. Il tape, pique, souffle et sonde.

    — Vous me portez sur les nerfs, dit le patient.

    — Ne vous inquiétez pas, M. Bellondent, je vais l’endormir.

    Ce n’est pas un mensonge ?

    — Non, je vous l’assure ; parole de dentiste !

    — Qu’est-ce qui vrille dans ma tête, docteur ?

    — C’est la roulette, ce n’est rien.

    — Vous vous croyez au casino ? Vous pensez que vous allez bientôt gagner ?

    — Je dois agrandir le trou.

    — De la sécu ?

    — Mais non, M. Bellondent ; je parle de canal.

    — Vous cherchez le programme ?

    — Vous me portez sur les nerfs, M. Bellondent.

    — Les miens sont à vif, docteur !

    — Cessez de bouger, j’ai fait sauter l’émail.

    — Comment cela ; vous tricotez ?

    — Non, c’est le crochet qui a glissé. Je ne parviens pas à sortir le nerf.

    — J’imagine qu’il doit être en pelote. C’est sans doute la raison qui faisait que je n’avais pas la laine fraîche !

    — Les fondations sont finies. Je vais pouvoir cimenter.

    — Vous allez poser la première pierre ?

    — Pas du tout ; je vais tout finir aujourd’hui afin de poser la couronne.

    — N’y songez pas, docteur, ils vont me couper la tête !

    — Vous êtes un plaisantin, M. Bellondent. Par contre, pour la dent du fond, je ne peux rien faire. Elle est déchaussée.

    — Je comprends pourquoi j’avais toujours l’estomac dans les talons ! Entre nous, docteur, je crois bien que c’est la première fois que je prends mon pied avec mes dents !

     

    Finalement, je dus cracher au bassinet, mais je jurais que c’était la dernière fois que je payais pour une simple prise de bec, marmonnai-je entre mes dents !


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    Le Premier Regard  2/2

    Il en est ainsi de la première vision qu’eut l’enfant de ses parents, qu’il se crût tombé au milieu d’une famille d’êtres étranges et monstrueux. De toute évidence, il ne prononce aucune parole ; d’ailleurs, en connait-il ? Alors il devient rouge comme si l’air venait à lui manquer et soudain, d’un ange paraissant si fragile, des cris perçants montent en emplissant l’espace. À bien le regarder, on croirait que le pauvre petit à son tour est devenu vieux et que du printemps il a traversé l’automne sans jamais voir aucune autre saison.

    — Je me demande si nous ne l’effrayons pas, demanda le père, prenant conscience de la situation.

    — Mais non, mon ami, d’instinct il devine que nous sommes ses parents !

    — Il n’en demeure pas moins que nous sommes les premiers êtres qu’il découvre et je ne pense pas qu’il s’attendait à voir une princesse et son prince charmant.

    — Quoi qu’il en soit, mon ami, j’ai comme un mauvais pressentiment !

    — C’est-à-dire, demanda le mari ?

    — Je crois que nous venons de faire de l’ombre à son avenir. Si son regard s’était posé sur un bouquet, sans doute serait-il devenu un poète. Ils ont tous commencé ainsi !

    — Et d’après tes suppositions, s’il avait fixé le mur, pour autant, serait-il devenu un maçon ?

    — Tu vois mon pauvre petit ange, dit-elle en s’adressant au bébé ; tu es tout juste arrivé au milieu de nous que déjà tu es le sujet d’innombrables questionnements !

    Pendant que ses parents échafaudaient diverses situations, l’enfant s’agitait et criait, comme s’il essayait de leur faire comprendre qu’il ne comprenait rien à leurs discours.

    Je crois que nous devrions nous retirer sur la pointe des pieds, mon ami. Il me semble que nous avons troublé sa solitude.

    Ils n’avaient pas fait deux pas, que déjà l’enfant se calma avant de retrouver le sommeil.

    Mon amie, prétendit le père, crois-tu qu’entre lui et nous la première fracture générationnelle vient de se creuser ?

    — Je ne saurais te répondre, dit-elle ; si tel est le cas, c’est qu’il est en avance sur son temps ! Apprêtons-nous à souffrir, mon ami !

    — À ce point et pour combien de temps, demanda l’innocent mari ?

    — Toute la vie, mon ami, toute la vie, car l’arbre ne saurait créer des racines qui ne se développent pas en même temps que son bois !

     

     


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