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    Le Premier Regard  1/2— Oh ! Qu’elles furent belles ces années où le savoir triompha de l’innocence ! Toutefois, n’allez surtout pas imaginer qu’aussi soudainement que l’aurore se déclare victorieuse des ténèbres, que je sois passé de l’état d’un naïf au statut de savant ! Non, mon esprit est beaucoup trop modeste pour se gausser de telles affabulations. Tout au plus, si je devais qualifier mon entrée dans le monde, je dirais qu’elle ressembla davantage aux élucubrations d’un apprenti sorcier qu’au travail sérieux d’un chercheur.

    Disons que le trouble fut si grand lorsqu’enfin mon regard se posa sur ce que représentait la rumeur pour mes oreilles, je crus défaillir ! Un à un, les murmures se transformèrent en des objets et se parèrent de couleurs étincelantes. Ce que je pensais être la marée qui revenait vers la plage abandonnée un moment à la paresse des hommes n’était autre que le monde des hommes que je venais de rejoindre. L’émotion fut telle qu’immédiatement je songeais à l’enfant dernier né qui pour la première fois distingue qu’autour de lui les éléments s’agitent, que des silhouettes se détachent du décor et que des bruits essaient de se distinguer de l’ensemble mouvant.

    La vie venait de prendre un nouveau souffle… jusqu’à l’instant précis où il distingua deux êtres étranges, penchés sur son berceau, dont il pensa immédiatement qu’ils allaient d’un instant à l’autre s’écraser sur lui, pauvre petite chose fragile ! De toute évidence, les parents ne songeaient nullement qu’ils offraient leur plus mauvais profil aux yeux délicats de leur chérubin qui poussa un cri d’effroi !

    Mais que voyait donc l’enfant qui le mit dans un pareil état, se demandèrent ses parents soudain submergés d’inquiétudes ? Ils se regardèrent, mais ni l’un ni l’autre ne put fournir la moindre réponse. Ils se séparèrent et se placèrent de part et d’autre du berceau, sans que l’enfant s’arrête de pleurer et d’agiter ses petits bras, poings fermés, à la façon du boxeur qui s’apprête à rouer de coups son adversaire.

     

    Pouvaient-ils imaginer ces adultes que pour leur bébé ils étaient les premiers monstres qu’il distinguait ? De leurs visages, deux énormes yeux gorgés de sang produisaient leurs efforts pour quitter des orbites devenues trop petites pour les loger. Ils s’appuyaient sur un appendice dont les narines s’écartaient pour ressembler à des gouffres dont le fond était tapissé de noir, mais que des poils en broussailles filtrent les entrées d’éléments indésirables. Les lèvres de ces monstres se retenaient à la bouche par le flot de paroles qui sortaient d’un autre trou noir, barré d’une barrière blanche, faites de pièces pointues et tranchantes. La peau du visage de l’un des parents se creusait de rides profondes, tandis qu’en certains endroits, des bosses se formaient. Du second visage, le spectacle était légèrement différent, puisqu’un sourire tendait les traits jusqu’à les faire disparaître derrière une chevelure imposante. (À suivre)

     

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    La Remontée du Temps

    Curieuse façon d’aborder le jour, me direz-vous !

    — Cependant, qui, au moins une fois au cours de sa vie, n’a jamais souhaité enclencher la marche arrière du temps ? Fermer les yeux et les rouvrir sur les beaux jours d’antan. Voilà une idée séduisante, mais qui ne rencontre pas beaucoup de succès, car en remontant le passé, trop souvent on sait trop bien sur quoi notre regard va se heurter en premier, tant il est vrai que les jours qui se sont enchaînés ne furent pas tous, tant s’en faut, des éclats de rire distribués en abondance.

    D’ailleurs, afin d’éviter que l’on ne puisse pas nous retourner, nous avons mis en place les outils qui en disent long sur la manipulation de notre mémoire. Jugez plutôt : nous ne pouvons ouvrir un ouvrage, une revue, ou tout autre système moderne de communication sans que le jour y soit mentionné ! Mieux, on vous rappelle les fêtes et les évènements à ne pas oublier, quand on ne les anticipe pas. Mais a-t-on pris le temps de songer à ce que sont les dates anniversaires ? Pour nous, pauvres hommes, elles sont ce que les bornes kilométriques sont à la route sur laquelle nous imprimons nos pas. Cependant, si les premiers rappels nous indiquent le nombre de printemps que nous avons traversés sans toutefois nous y arrêter vraiment, impatients que nous sommes de découvrir la prochaine saison, ils se gardent bien d’effleurer le nombre de celles dont nous sommes en droit d’espérer la succession.

    Incontestablement, c’est très bien ainsi, me répondrez-vous ! Si cela se pouvait, je crois que nous serions nombreux à faire une halte au milieu du gué de la vie. À l’opposé, évoquant les bornes qui sont nos repères sur les routes que nous empruntons pour rejoindre l’aventure qui nous attend, entre deux bornes nous avons le temps de faire une ou plusieurs poses ; peut-être même nous établir pour un temps et pour certains, faire demi-tour si le chemin semble trop long ou incertain.

    Mais qu’est-ce que cela à voir avec la remontée du temps, me demanderez-vous ?

    — Je sais, même en marchant à reculons sur notre chemin, il n’en demeure pas moins que nous avançons toujours ; certes, plus lentement, mais nous avançons tout de même, sans pour autant apercevoir les émotions qui nous ont assaillies sur le parcours effectué.

    En fait, dépoussiérer le passé n’est pas seulement une question d’avancement ou de repliement, je suis d’accord avec vous. C’est simplement prendre le temps de faire le point sur notre vie et non d’essayer d’en démonter le mécanisme. C’est aussi l’occasion d’ouvrir, telle la cage pour l’oiseau, la porte de notre esprit afin que les sujets les plus sensibles puissent enfin prendre leur envol afin de faire une plus grande place aux évènements heureux. S’il est vrai pour l’oiseau, qu’après le temps de la découverte de la liberté appréciée ou non, il ait le choix de revenir ou non vers son premier nid, concernant les mauvaises pensées, ne rencontrant aucune conscience pour les recueillir elles vont tomber dans le gouffre de l’oubli. C’est pourquoi nous ne devons pas hésiter à aérer notre mémoire comme on le fait de nos maisons à l’issue de la morne saison. Et puis, chacun sait que remonter le temps n’apporte pas que des larmes. N’avons-nous pas l’habitude de dire :

    « Ah ! C’était le bon temps, celui qui nous a appris à sourire à la vie »

     

    Personnellement, malgré les obstacles qui se mirent en travers de mon chemin, j’éprouve le besoin de temps à autre de revenir sur mes pas, car ce sont derrière eux que se trouvent les outils qui me permettront de continuer à débroussailler le sentier qui deviendra ma véritable route.


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  • Quand le ciel devient menaçant  2/2

    — Je vous disais, précisément, qu’en cette matinée les nuages se font de plus en plus lourds et semblent incapables de s’élever. Leurs ventres gonflés de pluie se déchirent sur les cimes des plus grands arbres, déversant leur eau qui tombe en cascades de branche en branche, d’un rameau à un autre, glissant sans possibilité de se retenir sur les feuilles courbant leurs limbes afin de s’en débarrasser au plus vite. Après avoir rebondi une dernière fois de plantes en fougères, elle disparait dans l’humus avant de la laisser s’égarer dans la solitude des entrailles de la forêt. Je sais, c’est une bien triste fin pour une eau qui se voulait salvatrice ; mais que lui prit-elle pour se déverser de façon aussi violente et en aussi grande quantité sur des éléments déjà saturés ?

    Prêtant une oreille à ce déluge, le murmure de la forêt s’est transformé en une respiration saccadée. Comme s’il désirait se poser sur la Terre, le ciel est de plus en plus bas. En rangs serrés, les hallebardes piétinent le sol telle une armée en campagne, nous laissant croire que nous n’appartenons plus à notre bonne vieille planète. Adieu ! Murmures et sourires de la nature, voilà que les éléments nous préfigurent ce que sera le purgatoire, antichambre du paradis, paraît-il, où l’on devra déposer tout ce qui a contribué à faire de nous des hommes, c’est-à-dire nos qualités, nos défauts et nos espérances.

    Un instant d’égarement me laisse à penser que je pourrais, en tendant la main, éventrer une partie de ce ciel qui nous opprime, afin d’entrevoir par la déchirure les responsables de notre infortune. La rumeur de la forêt fait place aux gémissements de ce que je crois être le désarroi des anges qui doivent chercher en vain, un lieu où s’y réfugier. J’ai bien envie de leur ouvrir la porte, afin que les nôtres trouvent en notre foyer un peu de douceur, mais poussé par le vent, c’est la pluie qui s’engouffrerait, tombant à la diagonale, afin de n’oublier sur son passage aucune surface sèche.

    Nous n’avons aucune peine à imaginer que notre monde est à l’agonie, tant les gémissements de toutes natures s’y font entendre. Cependant, même dans les moments de grande détresse, pour nous rassurer, nous avons le pouvoir d’imaginer qu’en un lieu de notre belle planète, des enfants doivent jouer dans des flaques d’eau, d’autres, plus jeunes, sont encore accrochés au sein de la mère devinant que celui-ci va se tarir, tandis que sous les nuées d’été, des amoureux doivent échanger des promesses sous les regards narquois de fleurs qui accrochent de nouvelles couleurs à leurs corolles pour mettre leur cœur en évidence, à l’instant où il libère ses premières fragrances pour séduire l’abeille. Mais pour l’heure, chez nous, ce ne sont pas des éclats de lumières que nos fleurs diffusent, mais bien des lambeaux de cœurs détruits à jamais. Ce ne sont plus des gouttes de pluie qui roulent sur les pétales flétris, mais de véritables larmes, de celles qui épuisent l’âme tant elles sont nombreuses et douloureuses.

    Et puis, comme toujours, même au cœur de la tourmente, l’espoir renaît et s’installe à nouveau dans le cœur des hommes, car il n’aime pas les voir sans aucun sourire illuminer les visages aux traits tirés.

     

    On se prend à croire que si le vent a poussé une partie du ciel au-dessus de nous, il n’y a aucune raison pour qu’il ne les emmène pas plus loin. C’est alors que l’on voudrait qu’il choisisse une terre désolée et exsangue, sur laquelle depuis longtemps, aucune récolte n’a procuré le moindre bonheur aux hommes. C’est que, voyez-vous, la Terre n’est pas seulement un caprice du ciel ; elle est avant tout la mère nourricière de tous les hommes !


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    — Je l’ai vu devenir changeant, puis avec l’aide des alizés il s’est transformé avant de devenir réellement menaçant. Mais n’allez pas croire que je fus le seul à me demander si ce jour était celui de la fin du monde que certains nous annoncent depuis des décennies. Non, je n’étais pas en train de sombrer, emporté par quelques idées noires, puisque soudain, ma forêt d’ordinaire si bruyante s’est subitement tue, comme pour mieux entendre la menace qui se profilait.

    Cependant, lorsque vous avez l’habitude de vivre en communion avec les éléments, vous ne pouvez vous tromper et laisser échapper les avertissements que chacun, à sa manière, vous adresse. Ainsi, lorsqu’à l’étable les beuglements retentissent alors que les râteliers sont bien garnis, que les chevaux tirent sur leur longe et que les volailles se précipitent en direction du poulailler parce qu’elles ne savent pas vers où se diriger, attendez-vous à un tremblement de terre. Pour les animaux qui ne sont pas parqués, il en va autrement, puisque, ventres à terre, si l’on me permet l’expression, ils fuient vers la forêt. N’allez pas croire pour autant qu’ils y seront plus en sécurité, car si les arbres doivent s’effondrer, ils seront les premiers à les recevoir sur le dos.

    Bref, tout cela pour vous dire que la vie en liberté ne doit pas vous exempter de demeurer vigilants. Et ce matin, alors que nous devisions tranquillement, mon épouse et moi, nous fûmes surpris par le comportement des oiseaux qui fréquentent la terrasse, où ils savent la nourriture appétissante et surtout à leur goût. Nous ne fûmes pas longs à comprendre. Le ciel s’assombrit si vite que bien que nous ne soyons pas à la moitié de la matinée, on crût que soudain la Terre avait inversé sa rotation et cherchait refuge dans la nuit qu’elle n’avait quittée que depuis quelques heures seulement. Le vent qui n’en était qu’à son premier souffle devint violent, transformant les palmiers esseulés en de vulgaires fanions d’un autre temps, prêts à abandonner leurs longues palmes, pourvu qu’on les épargne.

    C’est alors que levant la tête, nous comprîmes à quel évènement nous devions nous attendre et surtout à nous protéger au plus vite. D’abord, fermer tout ce qui est ouvert ; et chez nous, les ouvertures ne sont pas un vain mot, puisque nous avons fait le choix d’inviter la nature à s’accouder sur le rebord de nos fenêtres et sur le seuil de notre porte. Si, je vous assure, je n’exagère pas ; il en est bien ainsi chez nous, que c’est toujours ouvert, afin que nous mêlions nos souffles avec celui de Dame nature. Il n’y a que la nuit où les moustiquaires sont posées sur les huis, afin de laisser à l’extérieur les indésirables, tout en permettant aux rêves de la forêt de rejoindre les nôtres.

    Oui, depuis longtemps nous avons pris l’habitude de tout partager avec celle qui ne fut jamais ingrate à notre égard. Certes, les récoltes ne furent pas toujours celles que l’on attendait, mais il n’en demeure pas moins qu’elles nous ont toujours nourris. Mais là, je me laisse entraîner vers des considérations qui n’ont rien à voir avec le sujet du jour.

    Notre maison, dis-je, est toujours ouverte, et pour nous remercier de notre geste, les colibris ne se gênent pas pour visiter notre intérieur, pas plus que les différents tangaras qui ne se privent pas de se servir dans les fruits s’ils ne sont pas cachés. Bref ! Nous en sommes arrivés à ce point que bientôt, nous ne saurons plus qui habite chez qui !

    Je crois deviner quelques réprobations ; je vous assure cependant que c’est ainsi que se déroule une journée ordinaire en notre coin de forêt. Est-ce que cela ressemble au bonheur dont beaucoup parlent, mais qu’ils ignorent où il se trouve ? Je n’irai pas jusqu’à l’affirmer. Certains vous répondront qu’il n’y a que la foi qui sauve l’esprit des hommes ; je n’irai pas jusque là, laissant chacun la libre expression de ses pensées.

     

    Il y a un instant, je vous disais que je m’égarais du sujet. Je vous rassure, je ne le perds pas de vue et vous invite à me suivre demain, pour la suite des événements. (À suivre)


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    De Maux en Mots  2/2

    — Dans ta vie, tu n’as pas encore assez souffert pour comprendre ce que cela évoque ! Oh ! Je ne te le reproche pas, sois sans crainte ! Je ne te le souhaite même pas, d’ailleurs. La vie n’est pas faite pour que les gens y souffrent ou s’y ennuient. Mais lorsque c’est le cas, alors nous sommes obligés de créer en nous un espace où personne n’a le droit de pénétrer. C’est notre jardin secret et nul autre que soi-même n’a le pouvoir d’y ensemencer ni de moissonner. Or, je vois bien qu’en toi cet espace n’a pas encore vu le jour, sinon, tu n’essaierais pas de vendanger dans le mien.

    — Tous ces mots vous appartiennent, mère, ainsi que ceux dont vous dites qu’ils sont des maux pour toujours. Soyez sans crainte, je respecte les uns et les autres et je ne suis pas prête à faire les vendanges en votre jardin. Je ne désire qu’une seule chose : savoir à quoi ressemble le personnage qui parfois s’invite dans mes songes et bouleverse mon sommeil.

    — Il m’est difficile d’imaginer qu’un personnage chimérique puisse venir piétiner dans tes rêves, ma pauvre fille ! Même endormi, un esprit a ses secrets pour dessiner les traits de ceux qui visitent nos nuits. Si tu ne l’as jamais distingué, c’est qu’il n’existe pas. Cependant, afin que tu puisses trouver le repos en ta tête tourmentée, je te dirai qu’il serait sage de m’écouter et plus encore de me comprendre. Il y a longtemps, je suis allé contre l’avis de mes parents et ta présence ici leur donne raison. Eux non plus ne souhaitaient pas que cet homme pénètre dans notre vie tranquille. « Une mère sait d’instinct ce qui est bien ou pas pour ses enfants », me répétait la mienne. Mon père, après avoir sondé les yeux de l’homme m’a dit : « Son regard est fuyant ; il est ici et parfois il est ailleurs ; il ne se pose sur rien ni sur personne. Ce n’est pas une bonne nouvelle » ! J’ai été sourde et aveugle et depuis, le remords ne m’a jamais quitté.

    — Mère, je ne vous demande pas de me dire l’histoire de notre pays depuis sa création ! Je veux seulement savoir quel type d’homme était mon père. Peu importe ses qualités et ses défauts. Ils lui appartiennent et ce n’est pas à moi de porter un jugement. Son sang coule en mes veines ; c’est comme s’il avait imprimé son sceau en mes chairs !

    — Là, je m’autorise à te dire que la plus grande quantité de sang m’appartient. Il en va chez nous comme de la rivière qui en chemin, accueille l’eau des ruisseaux. En son lit, rien ne change ; après avoir dilué celle des rus, son eau retrouve sa limpidité et son âme n’est pas affectée pour autant.

    — Cependant, mère…

    — Je sais ce que tu vas me dire, ma fille. Il suffit de quelques gouttes de teinture pour faire oublier sa pureté au blanc délicat.

    — Mère, dites-moi au moins qu’il n’était pas le diable, pour ne pas vouloir me dévoiler son nom ? Était-il beau ou laid, grand ou petit, adroit ou maladroit ? Avait-il une belle voix, des yeux clairs ou foncés ? Aimait-il la terre comme nous l’aimons ?

    — J’ai beau chercher dans ma mémoire, ma fille, je ne retrouve aucun des indices que tu viens de citer. Ah ! Si, je crois qu’il s’appelait éphémère…

    — Voyons, mère, ce ne peut être lui ! L’éphémère est ce petit insecte qui vit très peu de temps ou encore une chose qui ne survit pas au jour ou ces objets furtifs qui passent dans notre vie sans jamais s’y arrêter.

    — Eh bien ! Voilà, tu l’as trouvé ce monsieur. Il fut l’un de ces éléments que tu as énumérés. Oui, il a aimé la terre puisqu’il a pris le temps de l’ensemencer. Mais j’ai le regret de te dire qu’il avait disparu longtemps avant la récolte.

     

     


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