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    EXORCISME— C’était la première fois qu’elle partait aussi loin du village. Sans ce malheureux événement, sans doute serait-elle restée, comme presque toutes les autres femmes, dans cet environnement familier. Les yeux n’avaient pas de difficulté à reconnaître les choses et les gens qui gravitaient autour d’eux. Dès le matin, c’était le concert de la ferme qui ouvrait le bal. 

    Cette ferme qui lui avait tendu les bras et qui semblait l’avoir adoptée comme si elle était la fille de la maison. Et pourtant, des promesses à leurs réalisations, bien des chagrins avaient séjourné dans cette cour immense, comme s’ils voulaient la paver de souvenirs parmi les plus douloureux. 

    Le chagrin avait remplacé la bonne humeur qui régnait en maîtresse de maison. Les occupants se croisaient sans se voir et ne s’adressaient la parole que lorsque celle-ci était indispensable et le plus souvent pour reprocher à l’un ou à l’autre un comportement qui, s’il avait été différent, aurait probablement empêché l’irréparable de se produire. Mais pas seulement ; le pays tout entier était tenu responsable, car il avait envoyé l’un de ses fils faire une guerre qui ne le concernait pas. 

    La jeune femme avait pris sa décision. Elle ne resterait pas une semaine de plus dans cette habitation tournée résolument vers le passé. Elle pensait être trop jeune pour fermer la porte à l’avenir. Elle ne voulait pas revivre ce que sa propre mère avait vécu depuis cette autre guerre qui fit tant de veuves dans le pays entier. C’était à croire que la patrie ne pouvait pas se passer de batailles pour exister. Chaque génération avait droit à la sienne ! 

    La veille du départ, elle passa presque toute la nuit à parler avec son défunt fiancé. Il avait été son seul et grand amour. Elle se dit que la réalité avait été bien cruelle avec eux. 

    — De quel droit des forces inconnues peuvent-elles décider du sort des innocents en les privant d’une union qui s’annonçait pourtant aussi belle que le ciel des moissons ? Pourquoi le destin s’acharnait-il sur ces liens qui avaient soudé des mains qui ne voulaient plus se lâcher ? Pourquoi, se demandait-elle, le mal rôde-t-il toujours du côté du bonheur ? 

    L’amour fait-il toujours autant souffrir ? Est-il perçu par le ciel comme une faute si grave qu’il lui faille aussi rapidement infliger une punition ? Autant de questions tournaient et retournaient dans ces pensées, à en faire éclater sa pauvre tête, dit-elle avec lassitude. 

    Au petit matin, elle s’était rendue une dernière fois dans le cimetière où reposait celui à qui, en d’autres circonstances elle s’était promise. Elle avait fleuri plus que d’habitude la tombe, consciente que cela serait sans doute le dernier hommage qu’elle venait rendre à cet homme qui n’avait pas compris que la vie soit si exigeante envers lui. Dans son recueillement, elle lui redit combien elle avait espéré passer le restant de sa vie à ses côtés, dans la maisonnette proche de la rivière. 

    Hélas, les volets seront désespérément fermés sur des pièces sombres et froides que la vie n’aura pas visitées et où l’amour n’aura jamais pénétré. Sur les murs de la chambre d’enfant, aucun mot ne sera tracé ; aucun dessin ne fera sourire les parents et jamais de rires ne résonneront en cascade, d’une pièce à une autre.  

    En évoquant les sourires, elle se souvint de ces soirées passées à rénover cette petite maison donnée par le père du jeune homme. Il ne se passait pas une heure sans qu’il s’exclame : ne ressemble-t-elle pas à une maison de poupée notre petite cabane au fond des bois ? 

    Tout en parlant, elle s’accroupit et enfouit profondément dans la terre, la bague de fiançailles, avec, aux côtés de l’anneau, les promesses, les espoirs et leur amour. 

    — Là où je vais mon pauvre ami, je ne veux aucun souvenir douloureux au fond de mes bagages. Je devine que le passé appartient à ceux qui ont souffert pour et avec lui. La ville qui va m’accueillir les jours prochains doit tout ignorer de moi. 

    Dans mon regard, je ne veux pas que ceux avec qui je vais désormais partager mon destin lisent ma peine et piétinent mes pensées. Elle n’osa pas dire tout haut que sa visite ressemblait à une séance d’exorcisme, car elle était bien décidée à laisser au village la part douloureuse de sa modeste vie. 

    — Puisque le soleil brille pour tout le monde, je revendique ma part, se dit-elle en baissant la tête avant de tourner le dos à celui à qui elle avait si souvent dit — je t’aime — afin qu’il n’aperçoive pas les larmes qui coulaient sans qu’elle fît rien pour les retenir. Entre deux sanglots, elle trouva la force de dire encore : 

    Je les laisse couler pour qu’elles te rejoignent, elles sont une partie de moi que tu as tant désiré ! 

     

    Amazone. Solitude. Le village maudit    


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  • — Autour du dégrad (en créole : débarcadère), c’est jour de repos pour les pirogues, véritables routières du fleuve. Sans elles, la vie ne serait pas, le long de ce vénérable sillon qui prend parfois l’allure d’un immense cordon ombilical. 

    Ne relie-t-il pas les hommes au reste du monde et par conséquent à la vie ? 

    De loin en loin, pour ne pas dire d’heure en heure un village adossé à la forêt et s’appuyant sur la beauté de l’eau scintillante attend leurs visites. C’est qu’à tout instant il en est une qui apporte du ravitaillement ou qui ramène de la famille trop longtemps isolée dans les villes. Quand on a eu la chance de voir le jour sur les berges des fleuves et des rivières, il n’est plus possible d’oublier le gout ni l’odeur de la liberté. 

    Elle est partout, au fil de l’eau caressant les berges, prenant la forme du vent pour faire chanter les feuilles des arbres, et elle est l’oiseau qui chante son bonheur dès le matin naissant. 

    C’est que dans un tel décor, la liberté ne s’explique pas. Elle se vit à chaque instant de la vie, dans le plus grand respect de celle des autres. Car nous sommes bien conscients que lorsqu’une chose est bonne elle doit être partagée entre tous. 

    Les pirogues à l’arrêt m’inspirent une pensée. 

    Pourrait-on, dans notre monde, imaginer une ville sans son laitier ou avec son porteur de journaux à la retraite et sans les valeureux artisans faisant chanter leurs outils pour le bien être des autres ? 

    Si durant des siècles l’histoire des premiers habitants se contentait de la transmission orale, les pirogues, elles, naviguant toute l’année en auraient des histoires à raconter ! 

    Imaginez tout ce qu’elles transportent ! Les gens et les biens, mais aussi assurent le ramassage scolaire et le matériel en tous genres. Leur plus grande fierté ? Je vous la donne entre mille : c’est de charroyer des tracteurs destructeurs de forêt, du matériel roulant qui pour un temps se transforme en matériel flottant. 

    Quel bonheur alors de sentir ce matériel qui serre les f..reins (à quoi pensiez-vous ?) au passage des sauts les plus dangereux ! Ces rapides devant lesquels le Bosman et le takariste se signeront dans un même geste sans même se regarder ni même prononcer son nom pour ne pas porter malheur. Avant de lancer la pirogue dans le goulet, ils auront évoqué l’âme des ancêtres, non pas pour se protéger eux, mais la pirogue, ce lien indispensable à la vie sur le fleuve. Et puis, c’est une forme de respect pour cet outil qui est originaire de la forêt. 

    Avant d’être transformé, il était un bel arbre parmi les plus beaux, souvent et ce n’est pas une coïncidence, un Angélique dominant d’une tête la sylve, en se mirant dans les eaux, offrant sa mort pour donner la vie. 

    Oui, je le dis ainsi, car sa vie il l’avait déjà offerte aux oiseaux et bien d’autres animaux. 

     

    Mais avant d’être une pirogue, puis une épouse du fleuve, il aura fallu du temps et du savoir-faire aux hommes et cela je vous le raconterai une autre fois, car ici le temps ne s’écoule pas de la même manière que dans certaines contrées ; c’est nous qui sommes à sa disposition.


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  • L' EMMERDEUR— Ce soir, les amis, vu l’importance de l’information que je porte à votre connaissance, vous n’avez pas à aller voir sur mes autres pages si une nouvelle différente y est déposée. Que vous soyez sur « FaceBook », « la Vie en Guyane », sur « amazonesolitude » ou sur « joreg », vous y découvrirez le même texte. Et pour cause…

     

    — Contrairement à ce que l’on imagine, une journée ne se termine pas nécessairement sur une mauvaise note, si j’en juge par la dernière information qui vient de nous parvenir. Les autorités nous annoncent l’arrestation d’un dangereux individu. Il y avait si longtemps qu’il « semait la terreur dans la région » que les habitants se désespéraient de ne pouvoir vivre comme tout bon citoyen lambda. Imaginez plutôt :

    — Il passait ses journées à terroriser ses compatriotes à ce point qu’on le pensait être diplômé de la plus haute école de la malfaisance. Certains, qui l’avaient connu des années au paravent, prétendaient même que pour nuire sans perte de temps inutile, il avait plusieurs cordes à son arc, assuré qu’il était ainsi de toucher ses victimes à coup sûr tirant dans toutes les directions.

    C’était un solitaire ; jamais il n’était fatigué de réaliser un nouvel exploit. Il avait été renvoyé de l’école de musique alors qu’il était encore très jeune. Le professeur l’accusait d’écorcher volontairement les notes pour voler l’âme de son violon.

    On pensait que le mal était son plus proche parent. Dans les prés, avec un certain plaisir, il effeuillait les marguerites et son forfait accompli, les abandonnait à l’ardeur d’un soleil meurtrier, avant de se précipiter vers les criques et les rivières où il cherchait à noyer le poisson.

    On évitait de croiser son chemin, car le bruit courait qu’il fusillait du regard et jeter des pics à tort et à travers.

    Un jour, mon voisin me confia que l’un de ses jeux favoris lorsqu’il vivait sur la ferme était de casser les quatre pattes des canards pour l’unique plaisir de les rendre boiteux.

    On le savait incohérent. Ne bourrait-il pas la tête des gens pour mieux laver leur cerveau ? On le surprit même à brûler la chandelle par les deux bouts. Uniquement pour se distraire et voir les larmes de la chandelle se solidifier en touchant la surface de la table, avait-il confirmé aux enquêteurs.

    Les mauvaises langues disaient à voix basse que l’intolérance était devenue sa maîtresse.

    Jamais, on ne se serait pas risqué à l’inviter dans aucune fête. Il y passait son temps à frapper le champagne.

    Il lui était impossible de nouer un contact sans essayer de l’étrangler.

    Le bruit avait circulé, qu’il avait bien été marié, mais que la malheureuse épouse avait fini par s’enfuir du domicile conjugal. Chez lui, inlassablement, il battait le beurre et fouettait la crème qu’il finissait par brûler avant de la renverser. Son leitmotiv, c’était en toute occasion de retourner une situation.

    Il avait l’art pour étouffer une rumeur qui venait tout juste de naître. Dans les villages voisins, il fit de nombreuses victimes. On l’accusait de boire les paroles des gens et de se suspendre à leurs lèvres pour leur couper le souffle. Sa plus belle trouvaille, disait-il, fut le cadeau qu’il offrait à ceux qui l’ennuyaient : une paire de ciseaux pour leur couper les envies, y compris l’appétit !

    À d’autres, ils coupaient les cheveux en quatre et il mutilait les plus beaux visages en effaçant les sourires.

    Aucune jeune fille ne se risquait à l’approcher, car il n’avait pas son pareil pour leur arracher des larmes après leur avoir fendu le cœur.

    Interrogée, sa mère avoua qu’enfant, déjà il avait coupé la corde à virer le vent, en même temps que celle à couper le beurre et qu’elle ne pouvait jamais assister à un opéra, car il y passait son temps à casser les noisettes aux autres spectateurs.

    De l’école, il se fit renvoyer à cause de la multiplication de ses méfaits, de la soustraction systématique des pages d’histoire, qu’il prétendait vouloir refaire. Il était parvenu à diviser la classe en plusieurs sections et il additionnait les mauvaises notes comme d’autres collectionnaient les bons points.

    La cantine lui avait refusé sa porte. Il prenait un malin plaisir à voler la truite de son ami Schubert.

    Parmi les faits les plus graves qui lui sont reprochés, il y avait les multiples viols de règlements et plus odieux encore, durant des années, il avait broyé du noir, se mettant à dos la communauté des gens de couleurs.

    Sa vie était ainsi faite qu’il se croyait au-dessus des lois et invincible, prétendait-il. Une seule fois, il tenta de se justifier, mais ce fut plus fort que lui. Il aveugla l’opinion, puis tenta de la noyer sous un flot de paroles. Voyant que la réunion tournait en sa défaveur, sous les yeux des plus faibles il cloua le bec des meneurs.

    On ne lui connut qu’un seul ami. Il se nommait Pierrot. C’est grâce à lui que l’on doit d’avoir encore la lune en bonne place dans notre ciel, car l’indélicat personnage s’était mis en tête de la décrocher pour l’offrir à l’élue du moment, avant que son ami l’en dissuade.

    Voilà mes amis, la bien triste histoire qui se faufile entre les jours d’une année qui peut enfin respirer. Dans les chaumières, les braves gens pourront désormais dormir tranquilles, plus personne n’essayant de blesser leur amour propre. Les artistes pourront sans crainte pousser la chansonnette sans risquer de voir les paroles massacrées et au village, on enterrera plus de vies de garçon sans raison.

    Notre petit monde est soulagé, l’emmerdeur ne nuira plus à personne, sauf au temps peut-être, qu’il essaiera, je n’en doute pas, de tuer dans sa cellule.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010 

     

     


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  • REFLETS DE MÉMOIRE

    Aux enfants oubliés 

    — Je crois que nous sommes nombreux à redouter certains temps de fêtes qui ne signifient plus grand-chose, si ce n’est la débauche économique qu’elle engendre. Cependant, bien que je reconnaisse que l’esprit a besoin de s’aérer et d’avoir autre chose à penser, je ne puis refuser à quelques souvenirs de venir s’accouder au balcon de ma mémoire. Hélas ! Au premier rang de ces souvenirs s’inscrivent en images géantes des visages d’une époque tourmentée, durant laquelle tant de gens cherchèrent leur chemin.

    C’est à un souvenir particulier que je dois de ne pas apprécier ces jours de fête au long desquels se mêlent les sourires, les froidures et les désespoirs.

    Qu’importe le personnage que nous sommes ; chacun de son côté nous sommes issu d’histoires passionnantes pour certaines, alors que pour d’autres, nous aurions aimé ne jamais les avoir initiées, difficiles à écrire et douloureuses à évoquer.

    Longtemps, très longtemps après, je vous revois, enfants, comme si le temps ce jour-là s’était arrêté. Il me semble que les faits se sont déroulés ces jours derniers et qu’il me suffirait de tourner la tête pour vous apercevoir. Je vous devine toujours à mes côtés, avec vos visages qui exprimaient un questionnement permanent. Martyre fut votre destinée et le seul statut qui vous était dédié était celui de l’isolement.

    Victimes, vous le fûtes par les horreurs d’une guerre qui ne vous concernait pas. À sa suite, vous devinrent les prisonniers de la paix. Le premier cachot et de loin le plus inattendu fut celui de votre corps ; il se refusait à croire en la réalité, tandis que vous n’étiez que des enfants laissés entre les mains des jours gris que visitaient seulement les incertitudes que l’on trouve au bord des chemins en compagnie de l’égoïsme.

    Puis vint l’autre prison ; ces maisons d’où l’espérance était exclue et où l’on déposait ceux qui étaient différents ou de qui les regards se détournaient.

    C’est là que nous nous sommes rencontrés, derrière ces grilles et ces murs si hauts qu’ils enserraient les corps et les esprits. L’horizon n’avait jamais osé se dessiner au-dessus de ces enceintes hideuses que nul n’avait jamais songé à franchir autrement qu’en rêves. Cherchait-on à nous empêcher de nous enfuir, ou ne voulait-on pas que le monde extérieur parvienne jusqu’à nous ?

    Si longtemps après, résonnent toujours en mes pensées vos cris et vos lamentations. C’est que l’espace entre ces murs était beaucoup trop restreint pour permettre à chacun d’y élever sa propre demeure à défaut de château que vous ne pouviez imaginer que réduit en ruines avant même sa complète réalisation.

    Il est vrai qu’à l’extérieur, les temps avaient été pénibles, cauchemardesques pour certains. Au sortir de ces années qui prirent tout leur temps pour évacuer les odeurs de poudre et les bruits des canons, soudain, les hommes n’avaient plus qu’un désir : vivre, sans prendre le temps de se regarder ni de s’arrêter.

    On cherchait à reconquérir ces années perdues qui avaient laissé grandir en de nombreuses consciences l’indifférence et parfois le mépris. Il leur fallait vivre coûte que coûte et très vite, quel qu’en soit le prix à payer.

    Au sortir de ces ans de privations, trop de gens se considéraient eux-mêmes des êtres différents et parfois revenus de l’enfer pour se pencher sur les malheurs de son prochain.

    Chers enfants ; je revois certains d’entre vous qui se momifiaient dans les coins sombres, pour échapper aux agressions des plus agités. En toutes circonstances, l’homme est injuste et cherche un exutoire à son dépit.

    Ô oui, enfants de ces temps peu glorieux, c’est à vous que je dois ce que je suis aujourd’hui. Certes, je ne suis pas un grand personnage. Être un homme me suffisait dès l’instant où je pouvais vivre libre.

    Refusant de passer mon existence auprès de vous au milieu d’un monde fait de murs et de grilles, meurtri par des conditions à peine avouables et fatigué de veiller les nuits sur vos sommeils et mon temps à sécher les larmes que les cauchemars allaient chercher pour vous, je me suis enfui pour aller me jeter dans les bras de la vie. Oui, j’étais alors certain qu’elle m’attendait de l’autre côté.

    Pardon, chers enfants oubliés ou délaissés de tous, de vous avoir abandonné une seconde fois. Vous me faisiez confiance, mais je ne pouvais vous entraîner à ma suite, car je savais que malgré mes espérances, c’était avant tout la grande inconnue qui m’attendait. Pardon, dis-je, de vous avoir quittés si brusquement. Mais bien que vous ne le compreniez pas, je puis maintenant vous avouer que je suis parti sans autre bagage que mon cœur et dans celui-ci, on ne peut y loger que les sourires et l’amour dont on ne connaît pas encore jusqu’où s’étendent leurs contours. Mais en mon esprit d’alors, être fugitif me suffisait pour justifier que je sois parti seul. Et puis, qu’aurai-je fait de vous, pauvres petites âmes en souffrances ? J’étais sans toit sur la tête, sans table sous laquelle poser les pieds, sans la moindre paillasse, que celle que la nature m’offrit sans rien me demander ; mes douleurs lui suffisaient.

    Longtemps, je me sentis coupable, mais en moi une petite voix me criait que nul n’est tenu à imposer son destin à quiconque ne produit pas l’effort de le provoquer et vous étiez trop jeunes ou trop malades pour provoquer quelque sentiment que ce soit.

    D’aucuns songeraient qu’il doit être émouvant d’aller se jeter dans les bras d’un ou d’une inconnue. À cette époque, les seuls bras dont je rêvais qu’ils se referment sur moi étaient ceux de la liberté qui font tant de bien lorsqu’ils vous étreignent.

    On a tant pleuré pour la gagner, qu’elle devient douce lorsque nous la caressons et il est à regretter que nous ayons encore à verser des larmes quand on devine qu’en de nombreux endroits elle est toujours bafouée.

     

     


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  • UNE VIE A BÂTIR

    — Mon enfant, en ce matin où la vie te tend la main, je te regarde avec un profond respect. D’abord pour ce que tu es aujourd’hui et surtout pour l’homme que tu seras demain.

    Ne sois pas surpris par la taille des choses et des gens qui t’entourent. Ils sont à l’image du premier jour d’un an neuf qui en cache de nombreux autres.

    Étrangement, nous avons le sentiment que nous n’aurons pas assez d’une vie pour en faire la découverte et ainsi nous adapter aux évènements qui vont ponctuer son parcours, un peu à la façon qu’ont les bornes de quantifier les pas du chemin que nous allons arpenter.

    Je tiens à te rassurer, mon tout petit. Tu sais, le monde n’est pas aussi grand que tu te l’imagines. Les hommes à son échelle ne sont pas plus grands que tu ne l’es en ce jour et pourtant ils l’ont conquis.

    Mieux, non content d’en avoir fait mille fois le tour, blasés ils lèvent les yeux vers le ciel où ils décident d’aller à la conquête des étoiles.

    En ce qui te concerne, mon bel enfant, ta vie en est à la première pierre de ses fondations. Je ne saurais trop te conseiller de la prévoir suffisamment grande, car on ne construit pas seulement pour soi, mais pour la famille qui va nous entourer et éclairer nos jours.

    S’il te reste assez de forces et si ton cœur te le commande, tu pourras même ajouter quelques pièces pour accueillir ceux que le monde oublie en chemin.

    Il est si réconfortant de trouver sur la route de notre pèlerinage quelques toits où abriter nos peines et nos espérances.

    Il existe un mot dont tu prendras soin de ne pas accorder plus d'importance qu'il n'en a réellement : grandeur !

    Tu veilleras à t’en tenir éloigner, si d’aventure tu venais à le croiser. La grandeur ne doit avoir pour signification que celle du cœur et de l’âme.

    Même si tu devais devenir un haut personnage, n’élève jamais ce mot plus haut qu’il ne le mérite.

    Si l’on doit te considérer, cela ne sera jamais par rapport à ta grandeur, mes grâces aux qualités que tu développeras pour ensoleiller l’existence de ceux qui seront proches de toi.

    Tu ne devras jamais oublier qu’ici bas, nous rencontrerons toujours quelqu’un plus grand que soi. Grand, tu ne le seras que par le chemin que tu auras tracé devant toi et que les autres pourront emprunter.

    C’est là que se trouve la véritable grandeur, dans la qualité d’initiatives que déploient certains pour nous guider sur le fil fragile de la vie.

    Il te suffira alors de regarder dans les yeux des gens que tu fréquenteras pour savoir qui tu es vraiment et ce que tu représentes.

    Songe à dompter ton impatience. Tu auras la sagesse d’imiter le bourgeon qui attend les beaux jours pour libérer la fleur. L’orgueil, que tu pourrais être amené à accrocher aux rebords de tes sourires, laisse là à ceux qui pensent qu’ils sont la clarté qui illumine le monde. Ils ignorent que lorsqu’ils seront absents, le monde resplendira toujours, car nul n’est plus éclatant que le soleil.

    Quant aux émotions, il sera préférable de les maîtriser afin que personne ne devine quelles sont les cartes qui remplissent ta main, de même qu’ils ne doivent pas connaitre les mots qui composeront les nouvelles chansons que le vent emportera et qui glorifieront les beautés du monde.

    Je dois te dire aussi que si tu ne devais fréquenter qu’une école, choisit celle de la vie. Les sciences n’y sont jamais taries. Elles se renouvellent sans cesse, comme l’eau de la source qui naît au pied des monts.

    C’est là que tu trouveras les images qui chantent et qui dansent pour t’expliquer à leur façon, comment trouver la plénitude.

    Plus qu’en toute autre matière, ce sera dans le regard de l’existence qu’il te faudra sans cesse plonger le tien. Il est le terreau sur lequel tu édifieras ta propre vie et installera ta nouvelle famille.

    En ce beau jour, mon cher enfant si petit par la taille, tu n’en demeures pas moins déjà immense, car en toi ne manque aucun élément qui fera du savoir la nourriture de l’esprit.

    Je la soupçonne déjà de piétiner sur le seuil de ta mémoire.

    Mais pour l’heure, donne du temps au bois qui fera la charpente de ta maison afin qu’il renforce ses fibres, car on ne couvre pas sa demeure avant d’en avoir monté les murs.

     

     


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