• — Souvent, on évoque les moments de la nostalgie comme si elle était une empêcheuse de tourner en rond, voire le boulet à la cheville de celui qui ose en parler de temps à autre. Cependant, à mon humble avis, elle n’a toutefois jamais gêné le jour de finir sa course sur l’horizon, ni même le soleil de nous inonder jusqu’à son ultime rayon ! La nostalgie est indispensable à notre évolution, car elle n’est rien d’autre qu’une page de l’histoire que notre mémoire redécouvre alors qu’en notre esprit, l’avenir se fait incertain. Bien sûr que l’on ne peut prétendre vivre dans le passé. Le qualificatif est là pour nous signifier que c’est une partie du temps écoulé, et qu’à ce titre nous lui devons de le laisser en paix auprès des souvenirs et des évènements qui l’ont bâti. Mais en sa qualité de recueil de notre mémoire et comme nous le faisons pour tous les autres livres, les jetons-nous quand nous avons fini de les déchiffrer, ou les rangeons-nous précieusement sur une étagère, en bonne place, avec la promesse de le rouvrir de temps en temps ?

    Écrire ou plus raisonnablement évoquer le passé n’indique pas nécessairement le regret de l’avoir quitté, combien même celui-ci n’aura pas été vécu avec le bonheur pour compagnon des jours. Le mien, je l’ai aimé un peu contre son gré. Les jours heureux ne s’étant jamais arrêtés devant notre modeste demeure, j’en ai fait un trompe-l’œil, si j’ose dire.

    Alors que le bien-être se parait de couleurs gaies chez la plupart des gens du village, en mon esprit, je l’ai revêtu d’habits aux teintes plus chatoyantes.

    Je me souviens d’être toujours le premier levé pour avoir le privilège d’écouter vivre le bourg, alors que le jour n’était pas encore annoncé sur la campagne. Parfois, il m’arrivait d’imaginer que j’étais comme un voleur qui cherchait à s’approprier son âme en même temps que les rêves de ceux qui étaient encore bien au chaud sous les couettes épaisses et moelleuses, pour les enfouir au plus profond de ma mémoire afin que rien ne s’en échappe.

    Au hasard des rues et des chemins, il était facile de reconnaître l’échoppe du sabotier creusant avec sa longue gouge le futur sabot ou l’atelier du menuisier qui affinait et repassait inlassablement son rabot sur le bois précieux pour le rendre aussi lisse que le miroir, à moins que ce soit l’âme du produit exotique qu’il cherche dans l’intimité de l’aube blafarde. Au centre, le lourd marteau du forgeron s’abattant sur la première pièce de métal de la journée semblait répondre aux heures que le clocher égrenait sans jamais prendre le temps de respirer. À ses côtés, son aide ajustait le premier fer sur le sabot d’un cheval docile et l’odeur de la corne grillée envahissait la place.

    Un peu plus haut, dans la rue conduisant à la vieille gare de marchandises, les maillets à long manche du charron et de ses aides s’acharnaient déjà sur le cerclage d’une roue de tombereau, tandis que plus loin, le tailleur de pierres, par petite frappe délicate inscrivait le nom du dernier défunt.

    Vous le voyez, pour moi, tous ces bruits et ces odeurs n’étaient pas de simples instants qui peuplaient ma journée. Ils étaient aussi importants à mon évolution que les leçons de l’instituteur qui faisait les cent pas entre les bureaux cirés de la classe, dans sa longue blouse grise aux odeurs de craies.

    Le vent prenait un malin plaisir à répandre dans le village la bonne senteur du pain tout juste sorti du four et sur la place, sous les halles d’une autre époque, les parfums échappés de la pâtisserie finissaient de réveiller les retardataires.

    L’espace était rempli de tous ces bruits et ces saveurs et l’on pouvait croire que le bourrelier s’amusait à les passer à la cardeuse, pour atténuer l’odeur de suint de vieille laine. De la charcuterie, les parfums de salaisons flattaient les narines en mettant les lève-tôt en appétit.

    Pensez-vous toujours que la nostalgie soit forcément un moment de grande tristesse ?

    Pour moi, elle n’est que la veille des jours qui ont construit mon existence, cette journée qui fut si belle, alors qu’au clocher, tel un chef d’orchestre, l’angélus rappelait que le jour était fait pour être vu, vécu, et surtout retenu pour être ressorti quand dans notre vie le ciel se fait morose.

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  • — J’imagine que dans chaque cité il y a un établissement qui mérite que l’on dise de lui qu’il est la mémoire de la ville. Chez nous, en Guyane, je crois que nous pourrions désigner le légendaire « bar des palmistes » pour être tout à la fois la bibliothèque et le lieu où les secrets changeaient de propriétaires.

    Le bâtiment avait fière allure ouvrant sa terrasse sur la belle place de la savane grande de trois hectares, plantés de centaines de palmiers royaux. Pour la petite histoire au sujet de ces végétaux, parmi eux se trouvait un individu bifide. On venait l’admirer de partout ! Tous les savants passaient des heures à son pied, se demandant comment la nature avait pu oser se permettre une telle fantaisie. Pendant que les uns auscultaient les palmiers, d’autres au frais sous la grande véranda sirotaient leurs petits punchs. L’établissement voyait se presser en ses murs tout ce que la colonie comptait de fonctionnaires, d’orpailleurs, de planteurs, de commerçants et de banquiers. Au-dessus de l’immense salle du restaurant et aux tables se trouvant à l’écart, se complotait l’avenir du pays, deux étages de chambres accueillaient les gens de passages, qu’ils viennent de l’extérieur ou des communes reculées. C’est que l’on ne descendait pas tous les jours des plantations, mais quand cela se faisait, c’était l’occasion des retrouvailles et des fêtes colorées et bruyantes.

    La table de l’établissement avait bonne réputation et le bar flirtait avec la poussière de l’avenue qui asséchait avec complicité les gosiers assoiffés. Entre deux boutades, deux sourires et moult poignées de main, on venait y négocier toutes les affaires du moment. Ce n’est pas parce qu’il voyait tout et qu’il entendait tout que l’établissement se permettait la moindre indiscrétion. Il était bien connu en ce lieu que tout ce qui se tramait à l’ombre de ses murs ne sortait jamais du département. Pas une syllabe n’aurait été écorchée, alors qu’un hochement de la tête suffisait à conclure un contrat. C’était vraiment le bon temps comme nous le disent souvent les plus anciens.

    Les palmistes comme on le nommait avec bienveillance trônaient en première place dans le centre-ville. Il n’était pas le seul établissement, mais au contraire des autres à proximité de l’immense savane, il était celui qui était animé presque jour et nuit. Face à lui était un hôpital. Sur sa gauche, à mi-esplanade une école enseignait les meilleures manières et à droite en allant vers l’établissement médical militaire, celui des sœurs de Saint Paul qui accueillait les civils et parfois même offrait le gîte aux familles de planteurs éloignés. Non loin de là se trouvait le palais du gouverneur ; la gendarmerie voisine imposait son architecture rigoureuse, mais demeurait particulièrement agréable au regard. Toute proche au bout de l’avenue, on ne pouvait manquer la mairie qui vit se dérouler en son sein tant de luttes politiciennes. Le soir venu, comme pour saluer le jour déclinant, les batteurs de tambours se réunissaient et c’était toute la ville qui ondulait au rythme du camougué ou du lérol alors que les femmes se déhanchaient et que les hommes entreprenaient des sauts de cabris pour leur répondre.

    La vie se déroulait ainsi, sereine, loin du tumulte de l’Europe où les bruits de la guerre précédèrent le paquebot qui apportait la triste nouvelle. La colonie avait passé des années à sortir de son histoire pas toujours séduisante. Avec celle qui se préparait, chacun savait que tout allait être remis en cause, et qu’au long de ces années d’engagement, le pays allait vivre à nouveau replié sur lui-même. Ce n’est pas que cela l’effrayait, mais en silence cela signifiait que plus rien ne serait comme avant. La colonie qui avait tant peiné pour exporter ses produits allait se retrouver comme à ses heures les plus sombres. Dans chaque foyer, sur chaque plantation, on savait parfaitement qu’on allait oublier le pays, ses richesses et ses ambitions. Les dernières bananes ne seraient pas embarquées, les épices n’embaumeront que les quais d’un port qui ne verra plus de bateau accoster le long de son appontement d’où les espérances prendront leur envol tandis que les ambitions disparaîtront dans la vase. Aux tables qui se sont éclaircies sur la terrasse des palmistes, les discussions sont moins animées. Aux éclats de rires et de bonne humeur, les lamentations et les bruits de faillites ont pris la succession des échanges posés.

    Dans les chambres, les volets ne s’ouvraient plus guère et les mauvais esprits prétendaient que c’était pour empêcher aux larmes de rejoindre les grands bois d’où ne redescendaient plus les planteurs.

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  • – Je ne voudrais pas que vous imaginiez que je me mets à la médisance. Mais quand je vois pareille photo, je ne puis m’empêcher de penser que la religion, ou peut-être même, toutes les confessions religieuses ont du souci à se faire. Si l’on permet d’installer autour des églises et autres temples de si grandes paraboles, je ne suis pas sans me poser certaines questions. Les hommes ont-ils toujours confiance en ceux qui sont censés leur porter la bonne nouvelle ? Si oui, pourquoi nous donnent-ils le sentiment de vouloir s’adresser directement au Bon Dieu plutôt qu’à ses saints ?

    Si j’interprète bien ce qui est offert à mes yeux, je crois qu’en nous approchant un peu nous pourrions entendre fuser les questions.

    – Où êtes-vous ? Nous vous en prions, montrez-vous, nous avons tant besoin de savoir que vous existez ! Voyez dans quelle détresse nous sommes, errant à la croisée des chemins de l’incertitude et de l’ignorance.

    Avec tout ce matériel installé autour de votre maison, le doute est levé. Ils attendent réellement un signe de votre part. Pour une fois, moi qui ne prends jamais le temps de vous réclamer quoi que ce soit, j’ai presque envie d’insister pour que vous accédiez à leur désir. Je devine les hommes si las d’exister dans l’ombre permanente, qu’ils redoutent de s’y égarer. Je suis certain qu’ils n’aspirent qu’à une seule chose : retrouver la clarté qui illumine les jours et les esprits.

    Voyez, comment les êtres sont devenus ! Parfois, j’ai le sentiment que nous sommes revenus à l’époque peu glorieuse du veau d’or. Pour leur plaire, nous avons inventé moult façons de les distraire ; mais en fait, aucune ne convient réellement à l’homme qui ne peut demeurer éternellement étourdi par les différents spectacles que nos sociétés leur offrent. Pour se protéger, ils essaient de vivre rassemblés derrière des murs qui ressemblent à des forteresses d’antan, réputées imprenables, mais qui s’effondrent au premier souffle. Pourtant les nouvelles paraboles même si elles ne sont plus de saintes paroles ne manquent pas. Le catalogue est épais et chaque page est richement illustrée par les programmes qui sont tous plus alléchants les uns que les autres. Cela va de la politique qui s’apparente plus à des comédies de bas étage, dans lesquelles, Guignol a de beaux jours à vivre, ainsi qu’à de multiples émissions qui ont l’art de faire oublier aux gens qu’ils existent, alors qu’ils avaient il y a peu, une personnalité à défendre. Il était facile d’imaginer que devant une telle réalité, les marchands en tous genres se presseraient aux portes des maisons laissées grandes ouvertes. Les charlatans prospèrent comme les fleurs dans les prairies. Les âmes sont aspirées par les uns, bousculées par les autres et apostrophées par des inconnus qui se targuent de détenir la vérité.

    Tenez, après tout, pourquoi n’aurions-nous pas notre religion spectacle ?

    Voyez comme les salles de théâtres sont pleines à craquer ! On a trouvé le moyen de rapprocher les hommes de leurs idoles. On remplit même des stades maintenant ! Pourquoi ne pas profiter de ces installations pour apparaître sur des écrans géants ? Pendant des siècles, les prières qui vous étaient adressées vous mettez en lumière. De nos jours, elles deviennent plus égoïstes. Si les litanies sont toujours aussi longues, c’est que les besoins sont plus nombreux. Dans le temps, on osait dire « sauvez-nous seigneur ». Dans la discrétion des solitudes, c’est plus souvent le « sauvez-moi » que l’on reconnaît dans les lamentations. Dans vos saintes Écritures, il est parfois question de la parole de tel apôtre ou de tel autre. Voyez ces paraboles qui dressent leurs antennes dans votre direction. Elles cherchent à déchiffrer les messages qui se cachent derrière chaque mot des évangiles.

    Je connais l’opiniâtreté des hommes. Croyez bien qu’ils vous pousseront jusque dans vos derniers retranchements. Ne les provoquez pas. Venez à leur rencontre ; ne tardez plus à illuminer les écrans et inscrire en lettres géantes de nouvelles prières. La mienne est des plus modestes : montrez-vous, avant qu’ils ne vous réinventent sous les traits d’un autre personnage. Je connais suffisamment les hommes pour savoir qu’ils n’aiment pas les questions restées sans réponse et qu’ils sont toujours prêts à trouver celles qui les arrangeront.

     

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  • — Pour vivre heureux en tout point du globe et à tout instant de l’existence, l’homme a besoin de compagnie afin qu’il puisse exprimer ce qu’il ressent et aussi pour se faire expliquer les sentiments qui naissent à chaque détour de la vie. S’il venait à se retrouver seul, même dans le plus merveilleux décor, sans doute se lasserait-il vite des beautés que la nature déposera devant sa porte, s’il ne peut les partager avec personne.

    C’est un pareil état d’esprit qui devait animer la petite femme menue qui venait de s’engouffrer dans le taxi-brousse brinquebalant en compagnie de ses filles.

    Elles étaient suffisamment connues pour que l’on crût que c’était tout le village qui s’enfuyait vers la ville. Chacun accourut pour les saluer et ils s’en trouvaient même qui tentaient de les dissuader de fuir vers ce qu’ils prétendaient n’être pas être une aventure de tout repos.

    — Si tu ne pars pas lorsque tu es jeune, plus tard le monde risque de te paraître effrayant, lui disaient leurs meilleures amies. Et à la mère, ils lui recommandaient d’accompagner ses filles, certes, mais de revenir vite au village, où était sa véritable place, puisqu’il l’avait vu naître.

    — Merci, avait vaguement répondu la femme en évitant de regarder dans les yeux celles qui tentaient de les dissuader de s’en aller. De toute façon, sa décision était prise, elle n’allait pas rebrousser chemin alors qu’elle n’était pas encore partie. C’est parce qu’elles ne sont pas assez courageuses elles-mêmes, pensait-elle, qu’elles essaient de me détourner de mes projets. Dans ce village, je n’y laisse guère d’heureux souvenirs. Elle prétendait même y abandonner plus de misère qu’un être humain pouvait en supporter !

    L’anxiété ne les avait quittées qu’à l’instant où le moteur s’était enfin décidé à démarrer, faisant trembler toute la carcasse en ferraille du vieil autobus. Les premiers tours de roue n’étaient pas achevés, que la mère se dit que le sort en était jeté. Un trou puis une bosse la projetèrent vers sa fille la plus jeune et elle vit quelques larmes rouler sur ses joues. Elle voulut croire qu’elles ne pouvaient être que de joie. Leurs regards se croisèrent, mais elles ne purent prononcer le moindre mot. Ils étaient étranglés par des gorges trop serrées.

    Assises timidement du bout des fesses sur les vieilles banquettes, elles voyaient à peine défiler les paysages qu’elles connaissaient parfaitement, n’ayant avant ce jour jamais quitté la région. Adieu, rizières et champ de manioc qui faisaient surtout le régal des nuages de criquets qui s’étaient abattus sur la contrée quelques jours au paravent. Adieu, prairies devenues si pauvres qu’elles ne contentaient plus les ventres des animaux ! Sur leurs genoux, leur bagage paraissait bien maigre. Tout juste un vieux drap élimé suffisait-il à enserrer quelques vêtements que l’on savait être d’un autre temps. Le véritable trésor était à l’abri, soigneusement caché à l’intérieur de leur poitrine. Bien qu’il eût toujours été fier et courageux, en ce jour il battait quand même très fort. Mais pas assez pour sortir et retourner dans la brousse marmonnait la mère !

    Pour l’heure, une seule question l’obsédait : allaient-elles enfin trouver le bonheur ? Depuis tant d’années, il les avait soigneusement évitées. Tout ce qui était bon avait toujours été pour les autres. C’est un peu pour cela aussi qu’elle avait imaginé tenir tête au destin en le provoquant. Après tout, nos anciens ne prétendaient-ils pas qu’après une saison des pluies trop éprouvante il reste encore longtemps des ciels de traîne qui n’en finissaient jamais de traverser et qu’il fallait tout le courage du vent pour les chasser vers d’autres horizons ?

    La cadette n’avait pas le même état d’âme. Près de la vitre qui tremblait sur son support, elle n’osait afficher sa satisfaction par crainte de blesser les voisines. Mais elle n’en pensait pas moins ! Si on l’avait écoutée, se disait-elle, il y a beau temps qu’elles seraient parties de ce trou qui ne vit rien se construire, seulement disparaître les espoirs des uns et des autres. L’aînée avait connu l’amour. C’est vrai, il n’avait pas survécu bien longtemps lorsqu’elle avait osé lui opposer ses rêves de voyage. Mais des baisers avaient été échangés, des mots confiés et pour finir, le courage n’avait pas été assez fort pour s’enfuir vers des jours meilleurs. Elle lui avait dit que les collines autour de leur village étaient trop hautes pour permettre aux rêves de s’envoler.

    Alors il l’avait laissée partir, la mort dans l’âme.

    — On ne peut retenir contre son gré la chèvre qui prend le vent de la brousse, lui avait-il dit.

    Dans l’autobus qui menaçait de s’effondrer dans chaque trou de la piste, la chaleur avait eu raison des rumeurs comme des sourires. La mère se persuadait qu’elles allaient vers des jours meilleurs, peut être même à la rencontre du bonheur. Ce qu’elle ignorait encore, c’est qu’elles venaient de quitter une brousse paisible où rien ne leur était étranger, pour se perdre dans une jungle plus dangereuse dont elles ne savaient rien ; celle de la capitale.

     

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  • — Un vieux sage m’avait dit un jour que l’homme n’était que le jouet préféré de l’univers et qu’à ce titre il ne lui fallait pas chercher autre part que sur la terre sa raison d’être. Je compris ce que ces paroles signifiaient lorsqu’au détour d’une nuit au sommeil agité mes yeux s’ouvrirent sur les dernières images d’un rêve étrange que je pensais être la réalité.

    Comment ne pas l’imaginer, alors que je sortais timidement sur le seuil de la maison, et qu’il me sembla que le jour ne l’était plus ni que la nuit semblait posée sur la Terre. Mon regard se mit à la recherche du ciel dans lequel je comptais sur les étoiles pour m’informer de l’endroit où je me trouvais, mais je n’en vis aucune. Seule, une lumière blanche détonnait sur une couleur qui paraissait irréaliste. Était-ce le soleil qui produisait un dernier effort pour s’imposer ou bien la lune nimbée dans un brouillard afin que l’on n’en devine point ses intentions ?

    J’étais comme hébété, ne pouvant émettre aucun son.

    Il me vint à l’esprit que j’étais entrain de pénétrer dans un monde étrange qui avait suspendu le temps. Autour de moi, nulle autre personne pour me convaincre que nous étions bien sur notre bonne vieille Terre.   Je fus surpris par un silence si intense que je le qualifiais d’insolent, et même d’assourdissant. Il me semblait si lourd qu’il m’empêchait d’entendre si quelque part il y avait encore des cœurs qui battaient. Aucun souffle ne venait troubler l’instant, aucun signe fut-il timide pour me persuader que je n’étais pas le seul habitant sur une planète à la dérive dans l’espace.

    Courageusement, quelques arbres avaient résisté, offrant au vent leurs dernières feuilles de vie, mais leur posture figée signifiait qu’ils avaient vécu leur ultime printemps. Dans leur nudité exposée et impudique, je devinais qu’ils savaient que plus jamais leurs rameaux ne connaîtraient l’extase que produit le bourgeon lorsqu’il éclate dans le matin d’une nouvelle saison pleine de promesses. Mes yeux fouillaient cette lumière étrange à la recherche de l’horizon, mais ils ne rencontraient qu’une succession de collines et de monts qui n’avaient, sur leurs flancs, plus rien à offrir, autre que la désolation et l’indifférence. Leurs silhouettes étaient dépouillées et il était aisé de comprendre que sur leurs branches, plus jamais aucune vie ne viendrait déposer le moindre souffle dans lequel s’éveillerait une faible respiration. Même le temps ne pourra s’y arrêter, il glissera et prendra de la vitesse pour aller au plus vite au-delà de cette planète endormie, et sans âme. Le ciel s’ennuyait depuis qu’un vent venu dont on ne savait où avait emporté à sa suite les ultimes traînes de nuages pour les déposer sur un monde inconnu. En contrebas, accrochés aux derniers lambeaux d’espoir qui tentaient de survivre, avec une immense tristesse dans le cœur, je découvre que les jours longs et mornes ont eu raison des toits de chaume lassés d’avoir défiés les éléments, et qui, dans un sursaut d’orgueil montrent leurs squelettes de bois équarris comme un corps sans chair qui laisserait entrevoir sa charpente. Alors, je réalise que ces bâtissent ayant tenu tête à bien d’autres temps, n’abriteront plus jamais aucun rêve. Les vieilles pierres des maisons sur lesquelles les ans ont essuyé leurs pieds depuis des siècles n’ont pas su retenir leur âme. Elles ont compris, que plus jamais elles n’entendront les vagissements d’un enfant nouveau-né ni qu’elles ne surprendront malicieusement les soupirs des corps emmêlés, dans la tiédeur d’une nuit dédiée à l’amour.

    La lumière céleste n’ose plus se poser. Elle prend conscience que soudainement elle confond les couleurs depuis que le célèbre peintre a perdu sa palette et égaré ses pinceaux. Abasourdi par cette vision, je me demande encore si le ciel a vraiment arrêté son balancier qui scandait les heures depuis l’aube du premier jour. Résigné, je me dis que dans le grand sablier qui prenait plaisir à quantifier le temps, les grains ne défileront plus pour départager les saisons et les ans ni pour démontrer aux hommes qui en doutaient, qu’il existait bien, même s’il restait discret et invisible.

    Plus aucun vent ne se lèvera pour transporter les dunes d’un continent à un autre ; plus jamais l’horizon ne se rapprochera ni s’éloignera. Plus jamais des enfants ne chercheront à escalader aucun sommet pas plus que leurs cris résonneront en échos dans les vallées, apportant d’un village à son voisin, des sourires et des chants pour expliquer qu’ici bas, les choses et les gens étaient heureux de vivre.

    L’éternité que tout un chacun redoute vient de s’installer. Elle ne supporte aucune rivale, aucune musique, et, plus triste encore, elle hait la beauté et les mots d’amour, cette nourriture de l’âme et du cœur.

     

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