• — Nous pourrions considérer notre vie ressemblant à une terre régulièrement exploitée. Sans cesse, nous la labourons, l’ensemençons et récoltons les fruits de notre labeur avant de la laisser se reposer quelques saisons, afin qu’elle fasse à nouveau le plein des éléments qui feront d’elle un terrain parfaitement sain et équilibré.  

    Chez les humains, la comparaison avec la terre est sans doute quelque peu osée, mais il demeure toutefois quelques similitudes. Le temps de la jachère se situe dans notre prime jeunesse et continue de s’enrichir jusqu’à l’âge adulte, quand l’heure de semer sonne au clocher de notre cœur.

    Durant ces années d’insouciance qui ne sont en vérité que les années de l’apprentissage des choses de la vie, à l’inverse du paysan qui doit effectuer tous les travaux aratoires avant d’espérer engranger, nous mettons en place notre structure et peaufinons le lit qui recevra le terreau. Celui-ci devra continuer de s’enrichir et de s’améliorer en vue de durer toute une vie, avant de retourner à l’état de friche, période pendant laquelle nous nous efforcerons de récolter les derniers fruits de nos vergers.  

    Bien des ans se seront écoulés avant que nous en venions l’ultime cueillette.

    Dès les jambes et les bras assez solides, il sera l’heure de songer à construire. Il faudra nous mettre en quête de l’élu (e) qui partagera les mêmes goûts ; qu’importe si les idées ne se rejoignent pas aux premiers jours. Elles prendront le temps qu’elles jugeront utile tout en cheminant sur un sentier parallèle, avant de se croiser et d’épouser celles du compagnon ou de la compagne, car si nous envisageons de passer l’existence l’un près de l’autre, il nous faudra bien apprivoiser les sentiments pour qu’à leur tour ils se fondent dans un moule qui ne changera plus de forme jusqu’au dernier jour. 

    C’est alors que la période des rêves désordonnés aura pris fin. Il sera temps de songer à construire le berceau qui accueillera le premier enfant.

    Déjà, la jachère aura été défrichée, du moins en partie, car il est inutile d’exposer au danger et à la convoitise la totalité de son trésor. Avec soin pour ne pas dire avec amour, sans déranger un ordre parfaitement établi, nous allons entreprendre le premier labour. Tout ce qui pourrait nuire au bon développement de la future récolte devra être délaissé, et ce qui est indispensable ne sera pas négligé. Le sol est alors ameubli et ensemencé ; dans l’intimité des ténèbres de la terre, les produits vont connaître le bonheur de la germination. Nous retournant vers le reste du terrain, nous ferons confiance aux yeux et à notre sens de l’observation pour définir l’endroit approprié où s’élèvera notre maison. Car, si un bon grain ne végète bien qu’en une terre idéalement préparée, l’amour, quant à lui, ne prospère bien qu’en un lieu où il pourra prendre ses aises. Comme nous l’aurons fait dans l’existence, patiemment nous apporterons le plus grand soin à sa réalisation.  

    Dans notre pays, nous veillerons à la faire reposer sur des pilotis assez hauts pour permettre à l’eau des criques et rivières de s’écouler sans retenue aucune lors des débordements. C’est indispensable pour tenir à distance respectable tous les visiteurs indésirables et laisser passer l’air frais en saison chaude. La suite de la construction sera affaire de bon sens. Chaque élément devra être assemblé avec soin, le solidarisant parfaitement au précédent. Nous préférerons les grandes ouvertures pour que la lumière n’ait pas à frapper pour entrer et puisse y prendre ses aises. La nature généreuse ne devra pas être repoussée trop loin afin qu’elle s’invite à la table au même titre que les amis, dégustant les bons mots en même temps que les plats choisis, rehaussés d’une pointe de sympathie douce aux palais et à l’ouïe.    

    Les terrasses seront suffisamment vastes pour y tendre le hamac des invités ou de passants égarés qui désirent prendre un moment de repos avant de retrouver le brouhaha de la ville. La noblesse du bois fera que chaque chevron sera étroitement lié à son voisin, car il devinera que cela ne sera pas une simple habitation, mais un nid d’amour, ressemblant étrangement à ceux qu’il connut sur ses branches, avant d’être transformé en matériau de construction.

    Chaque pièce sera spacieuse afin que l’occupant ne se sente jamais prisonnier. Pas de murs aveugles qui repousseraient Dame nature comme si elle était fautive de quelques erreurs. Même assis, chacun doit pouvoir regarder les tableaux enchanteurs qui s’affichent sans relâche, sans qu’il ait à se lever de son siège. A-t-on déjà vu les spectateurs se hausser de leur fauteuil pour apprécier le jeu des comédiens ? Si cela n’avait pas été si compliqué, je vous avoue que j’aurai bien fait des portes et fenêtres en forme de cœurs, prenant soin de les laisser toujours ouvertes afin que le souffle de la vie y pénètre sans effort et assure à l’ensemble un mouvement qui aurait été identique à une respiration.

    Depuis le premier défrichage, bien des récoltes ont été produites. Maintenant que dans notre existence il se fait tard, nous avons rendu à la terre sa liberté en y laissant pousser l’herbe qui est coupée régulièrement.

    Les arbres n’ont plus à s’épuiser pour nous offrir leurs fruits. Depuis longtemps, les oiseaux ont compris qu’ils étaient les bienvenus et ne se sont pas gênés pour faire leurs nids de toutes les formes dans chaque fourche. Leurs chants sont autant de tic-tac qui ponctuent les instants de la vie en égayant la nôtre.

    Si d’aventure vous veniez à passer par chez nous, n’hésitez pas à franchir le seuil de notre maison. Notre demeure est modeste, mais notre cœur est assez grand pour vous accueillir.

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  • Chères Mamans, qui me faites l’amitié de passer sur cette page, je vous souhaite une belle fête, en ce jour qui devrait durer toute l’année. Certes, il m’aurait plu de cueillir en mon jardin des rêves des fleurs naturelles pour vous les offrir, avec, pour rehausser les couleurs, un délicat sourire ; mais ne pouvant faire mieux, je me contente de disperser leurs fragrances dans la brise légère des tropiques qui les déposera sur le rebord de votre fenêtre, ou de votre cœur, selon l’affinité. Bonne fête à toutes les mamans, surtout à celle qui m’offrit de beaux enfants et qui en ce jour, souffre loin de nous.

     

     

     


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  • Le texte qui suit fut publié en octobre dernier. Si je vous le propose en ce triste soir, c’est que mon ami s’en est allé rejoindre ce ciel pour lequel, parfois, il avait d’étranges pensées. Sera-t-il déçu de ne pas le découvrir tel qu’il se l’était imaginé ? Nous n’en saurons jamais rien, jusqu’au jour où j’irai moi-même à sa rencontre. Comme il fut un de ces hommes que l’on qualifie « de bons vivants », nul doute qu’entre d’autres lieux, il le sera tout autant. Toutefois, je ne suis nullement pressé qu’il me prépare ma place ! Bonne route, mon ami Claude !

     

     

    — Quand je regarde défiler à longueur de journée les gens qui se pressent à travers les villes, il m’arrive d’imaginer qu’il y a autant de caractères qu’il existe d’individus. Chacun va son chemin, avec sur ses épaules le poids du temps. Pour certains, il est léger, pour d’autres il est infiniment lourd et parfois douloureux. 

    Qu’aucun d’entre nous ne se ressemble, c’est normal. 

    La nature l’a voulu ainsi afin que l’uniformité n’engendre pas la tristesse ni l’ennui, mais que du plus grand nombre, rayonne la richesse. Quand on a eu le privilège de vivre suffisamment longtemps pour nous permettre de nous arrêter de temps à autre faire le bilan, il arrive que nous soyons surpris par les découvertes qui émanent de la personnalité de quelques-uns de nos amis.   

    Je mets en garde ceux qui imagineraient que je critique une attitude ou un comportement. Loin de moi, de telles pensées ! J’observe seulement, comme tout un chacun pourrait le faire de moi et en tirer les conclusions qui s’imposeraient. Pour oser émettre un avis, faudrait-il soi-même être sans reproche, un homme parfait en somme ! Mais si le mot existe bien, celui qui pourrait se glisser dans son habit n’est pas encore né et cela est plutôt rassurant.   Parmi tous ces gens déambulant dans la vie, il y en avait un qui était au nombre de mes amis. À bien le regarder, rien ne le différenciait des autres passants. Il avait une existence sereine, n’empiétait jamais sur les plates-bandes de ses voisins et ne comptait autour de lui que des connaissances dont il avait su se faire apprécier. Un jour, il vint à ma rencontre avec un regard grave, à la limite de la douleur.  

    — Serais-tu malade, que tu affiches un air de mauvais jour, lui demandai-je ?   

    — Pas du tout, me répondit-il. Je voudrais simplement te poser une question. Connais-tu la façon dont je pourrais user pour m’éloigner de cette ville qui m’étouffe ? Je n’y suis plus à l’aise ; les jours semblent filer plus vite entre les murs gris et auprès des tentations et les mille lieux de perdition !   

    – Je le conduisis donc à la campagne où il passa une journée qui ressemblait à une convalescence d’après une longue maladie. La nuit venait juste de tomber lorsqu’il devint du même coup propriétaire et surtout, mon voisin. Oh ! Ce n’était pas par vocation, bien sûr, mais au fond de lui, il avait ressenti le besoin d’aller fouiller la terre à la recherche de ses propres racines. J’ignorais s’il les avait trouvées, étant un homme discret, mais ce dont j’étais certain, c’est qu’il avait découvert le bonheur. Comme tous les gens heureux, il parlait peu, estimant que dans notre belle langue il y avait beaucoup de mots inutiles. 

    Il traversait les jours sans leur poser aucune question embarrassante. Il lui importait peu de savoir de quel pays du monde ils arrivaient à l’heure du pipirit chantant. Il n’ignorait pas que c’était l’instant que l’aube avait choisi pour s’annoncer en installant un trait discret sur l’horizon et qu’à sa suite, les perroquets mèneraient un grand tapage pour décider du lieu de nourrissage où ils passeraient la journée. Il devinait aussi que le soleil finirait de prendre ses aises sur les berges du fleuve et qu’il ne tarderait plus à flirter avec la cime des ébènes et des angéliques. À partir de ce constat, mon ami se faisait grognon. Il trouvait l’astre luisant toujours trop pressé d’aller rejoindre son apogée. 

    – Le ciel est immense, se lamentait-il. Pourquoi ne se contente-t-il pas d’en faire le tour plutôt que de le couper en deux ?   

    Des jours qui se succédaient, il ignorait s’ils avaient une histoire ou si nous pouvions leur confier la nôtre. Il savait de l’existence qu’il lui fallait en profiter le plus longtemps possible et il aimait en silence les ciels équatoriaux qui sont changeants et imprévisibles. 

    Mon ami était philosophe.   Il prétendait que le bruit de l’herbe poussant sous sa fenêtre ne dérangeait pas son sommeil ! Il était l’homme le plus heureux, car depuis toujours il avait compris que les jours remplissaient son bien-être comme le grain de riz le fait du sac.   

    Quel que soit le personnage que nous rencontrons, nous avons le devoir de ne pas lui imposer nos propres idées, mais au contraire de respecter les siennes. 

    Comme lui, je suis convaincu que l’herbe pousse en silence et que seules les fleurs s’épanouissant dans la prairie le font dans la joie que procure l’explosion des corolles auxquelles s’accrochent les pétales multicolores qui donnent un sens à notre vie. 

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  • — Il nous arrive de nous laisser surprendre par des situations qui nous semblent  parfois drôles, lorsqu’elles concernent des travaux qui sont demeurés en suspens avant de tomber définitivement dans l’oubli.

    Étrangement, cela ne porte pas à conséquence et les découvertes faites au long de notre existence prêtent le plus souvent à quelques sourires, voire des critiques, mais dès l’effet de surprise passé, en nos esprits, le souvenir ne s’attarde pas plus longtemps que la raison l’impose.

    Mais lorsqu’il s’agit d’une porte comme celle-ci, plantée au milieu de nulle part, cela ne tarde pas à nous interpeller ; nous arrêtant un moment devant elle à essayer de deviner les causes de son implantation, nous laissons notre imaginaire nous guider vers une tout autre destination. D’abord, nous sommes surpris par le manque de heurtoir qui donne à penser que personne n’est jamais attendu. Il ne s’y trouve pas non plus de boîte à lettres qui ferait supposer que l’on vienne de temps à autre relever le courrier. Les gens qui ont pris soin d’installer cette porte d’apparence solide n’ont pas pensé à construire une quelconque clôture de part et d’autre des montants.

    Alors, pourquoi tenir l’huis fermé, si nous pouvons passer les limites de la propriété librement ? M’approchant, j’inspecte de chaque côté du portail. Aucune trace de pieds pour me prouver que l’on contourne l’entrée. J’en déduis que les personnes arrivant jusque-là franchissent bien le seuil.

    Un autre fait attire mon attention. Sur le passage, que cela soit devant ou derrière, je n’y trouve aucune trace de piétinements. Donc, ceux qui se présentent à cet endroit n’attendent pas. Ils sont reçus immédiatement, comme s’ils étaient des invités. N’y tenant plus, je m’avance et je pousse un vantail puis l’autre. Aucun n’est fermé à clef ! Je ne comprends pas pourquoi je m’étonne autant. Après tout qu’y a-t-il de surprenant que l’on ouvre une porte ?

    C’est alors qu’une pensée me taraude à ce point qu’elle se fait insistante afin que j’y apporte un éclairage concret.

    Et si une fois son seuil franchi, une puissance extraordinaire nous aspirait brutalement, laissant derrière nous tout ce que fut notre histoire ? Si elle n’était qu’une porte qui nous invite à aller plus loin dans notre vie ? Elle pourrait signifier que nous sommes arrivés à une étape et que le temps est venu de passer à la vitesse supérieure ! Si des mains inconnues l’ont plantée là, ce n’est pas tout à fait par hasard. Elle doit forcer notre esprit à s’imprégner de la situation avant de l’accepter et d’en conclure que demain, et tous les jours et les ans suivants sont par la force des choses de l’autre côté.

    Un fait particulier m’interpelle cependant. Que l’on n’ait pas pris soin d’élever des clôtures de part et d’autre de l’ouverture me convainc qu’aucun refus ne nous sera opposé si nous désirons faire marche arrière une fois l’huis franchi. Cela peut vouloir dire également que le futur n’a rien d’effrayant, contrairement à ce que l’on nous dit en permanence. Il nous donne le libre choix. Mais dans la vie, me dis-je, on ne propose pas de problème qui n’ait pas sa réponse cachée dans l’énoncé. Cela peut être aussi comme un avertissement destiné au visiteur. Si tu reviens sur tes pas, semble nous dire l’ouverture, cela signifie que tu ne fais rien pour te libérer de ton passé et que finalement, il ne t’encombre pas tant que cela. Il est vrai que cette porte qui se dresse devant nous ne nous promet rien non plus. Ce n’est pas son rôle.

    Elle veut simplement nous faire comprendre qu’elle est une étape indispensable de notre existence. Elle nous explique à sa manière que le passé et l’avenir font rarement bon ménage. Lorsque par la force des choses ils sont obligés de cohabiter, généralement, ils se contentent de faire chambre à part. On prétend que le plus souvent, ce sont les gens vulnérables qui se vautrent dans le passé comme on le fait dans un lit moelleux. Il se murmure aussi qu’ils n’ont pas l’instinct de configurer le jour qui se lève selon leurs envies, car ils sont des gens que les rêves ne fréquentent plus.

    Acceptons donc d’ouvrir toutes les portes qui pourraient se dresser aux détours de nos chemins. Elles sont autant de signes positifs évaluant notre évolution dans le temps.

    Nous devons comprendre qu’il en sera ainsi jusqu’au franchissement de l’ultime, dont elle est la réplique de celle de la photo. Devant elle, il nous est permis de rester quelque temps afin que nous y déposions nos richesses.

    Oh ! Rassurez-vous, je ne fais pas allusion à l’argent qui pousse certains individus à acheter des consciences et ruiner les plus faibles. Je veux parler de notre savoir, de notre amour, de notre faculté à partager en toute humilité, en offrant toujours avec le sourire aux plus démunis, notre amitié et notre main. C’est alors le cœur plus léger que nous pourrons franchir la dernière porte, celle dont on prétend qu’elle s’ouvre devant l’éternité.

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  • — Bien souvent, parce que la campagne est calme, on est tenté de croire qu’il ne s’y passe jamais rien, sinon des évènements anodins qui ne méritent pas que nous les traduisions. Cependant, sous le couvert des bois, des drames se jouent, des mystères se nouent, des hommes souffrent et des familles se meurent dans l’indifférence du plus grand nombre. Ainsi, en un lieu que l’on aurait pu croire qu’il existe que sur une autre planète, une jeune fille vivait à la cadence de ses songes. N’en déduisez pas pour autant que l’environnement fût d’une hostilité telle que les hommes l’avaient fui ou que l’on n’y découvrait jamais le bonheur ! Celui-ci, précisément, se rencontrait à chaque détour des sentiers, se tenait le plus souvent à l’extrémité des rameaux afin qu’il soit plus facile à cueillir.

    Mademoiselle Marthe, notre héroïne du jour, vivait heureuse dans un environnement que l’on crut être réservé à son exclusivité, tant on ne la différenciait pas des autres éléments. Elle était encore jeune et juste insouciante ce qu’il fallait pour ne pas laisser les problèmes de ses aînés s’emparer de son esprit. Elle était aussi belle et fraîche que les fleurs s’épanouissant en tous lieux. Elle aimait passer une grande partie de son temps à rêver, mais en restant à l’écoute de ce que lui murmurait dame nature.

    Elle prétendait ne pas avoir de préférence quand elle parlait des saisons. Chacune d’elles est bénéfique à tout ce qui vit, disait-elle. Même si j’avais un pouvoir extraordinaire, je ne toucherai à rien de ce que la main du créateur a mis à notre disposition. Bien sûr que rien n’était parfait ! Elle n’était pas sans se rendre compte des changements que le temps imposait sur les choses et sur les gens. Mais, se complaisait-elle à dire, on peut bien couper quelques branches à un arbre, qu’il aura toujours assez de racines pour puiser le meilleur du sous-sol !

    Le soleil avait tout juste fini de réchauffer l’air frais du matin qui avait laissé la nuit s’enfuir en restant caché sous le couvert de la forêt qu’elle partait à la conquête du nouveau jour. Tournant le dos à l’imposante bâtisse d’un autre temps, elle empruntait le labyrinthe des allées bordées de buis magnifiquement taillés. Ses pas la dirigeaient ensuite vers les vieilles écuries où s’ennuyaient quelques chevaux qui ne se faisaient plus d’idée quant à leur avenir. Pareils aux hommes qui ont vu courir sur leur peau tant de saisons, il ne leur restait que leurs souvenirs pour occuper les longues heures de la journée. Heureusement, leur passé était riche en évènements de toutes sortes et il leur arrivait même de ressentir des fourmillements dans les jambes lorsqu’ils se revoyaient aller au galop par des chemins poussiéreux ou boueux, mais menant toujours vers des gués où l’eau y était fraîche et si limpide que l’on pouvait apercevoir l’âme de la Terre remonter à la surface pour, de temps en temps, admirer le ciel aux couleurs changeantes.

    Laissant les chevaux à leurs rêves, elle prenait la direction des champs dans lesquels s’affairaient les métayers dialoguant avec les attelages éventrant la terre à longueur de temps.

    Elle rejoignait alors l’entrée du château, après avoir coupé par un bois dans lequel elle surprenait souvent des biches et des cerfs. Après avoir traversé l’allée centrale qui s’abritait sous le couvert d’ormeaux plus que centenaires, elle suivait un sentier qui conduisait vers une chapelle, elle aussi, d’un autre temps.

    À son grand regret, elle était le plus souvent fermée. Elle avait dû user de tous ses plus beaux sourires, avant que son père lui confiât la clef, afin qu’elle puisse s’y réfugier quand elle sentait la lassitude envahir son esprit.

    — Ma fille, lui avait dit un jour le châtelain  ; à trop fréquenter ce lieu de culte, vous finirez dans un couvent !

    Qu’importe ce qu’il pensait. Elle ne pouvait pas oublier que dans un passé pas si éloigné, le curé du village voisin venait souvent y célébrer un office qui réunissait sa famille et les gens des métairies. D’ailleurs, se souvenait-elle avec plaisir, c’était elle qui l’embellissait avec les fleurs de la propriété !

    Elle aimait se retrouver en la chapelle, restant de longues heures à méditer. Elle prétendait qu’en ce lieu de recueillement et de prières, elle se sentait comme par miracle entre ciel et terre. Elle se laissait flotter dans un silence que rien ne venait troubler. Elle se demandait parfois si les souffles discrets qu’elle percevait n’étaient pas ceux des âmes des gens qui avaient bâti le domaine en un autre temps. La chapelle portait le nom de saint Michel ; à l’intérieur se trouvait sa statue, terrassant le démon, comme l’avaient fait ses ancêtres partout où ils combattirent autour du monde. L’autel était modeste par la taille, mais des mains habiles l’avaient joliment sculpté. Les grands vitraux filtraient la clarté du jour pour la transformer en lumière céleste. La vierge, portant l’enfant Dieu dans ses bras, accueillait le nouvel arrivant, sous le regard attendri de Joseph qui lui faisait face. Il donnait toujours l’impression de vouloir descendre de son socle pour faire le tour du propriétaire. Dans le chœur, dominant l’autel, le Christ sur sa croix souffrait encore de mille douleurs. S’approchant, on pouvait presque l’entendre dire : « père ; pardonnez-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ».

    Ainsi était la petite chapelle qui avait vu se poser sur ses pierres des années ; les unes heureuses, les autres plus tristes. Dès que l’on pénétrait sous sa voûte, on se croyait vraiment dans un sanctuaire et l’on sentait tomber sur les épaules, toute la puissance et la magnificence du ciel.

     

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