• – Qu’ils sont émouvants, ces instants de la vie qui nous expliquent sans paroles inutiles ce qu’un homme peut ressentir lorsque soudain, l’existence bascule dans un gouffre qui lui vole tout ce qui avait fait son monde ! Celui-ci cependant ne s’était jamais estimé plus riche que les autres villageois. D’ailleurs, qui aurait eu l’audace d’une telle imagination quand chacun partage avec ses voisins le quotidien qui semble s’effriter davantage chaque jour, à l’heure où le soleil, épuisé d’avoir trop brillé, descend derrière l’horizon prendre un repos qu’il estime bien mérité ? Il a brûlé la peau des hommes avec la même intensité que la surface du sol qui laisse s’évaporer ses dernières gouttes d’eau dans l’espoir de se mettre un temps encore à l’abri d’une érosion annoncée. Illusion ! Sa fin est proche et il n’a plus le courage de se battre contre les éléments qui s’acharnent sur lui.

    Notre homme, lui aussi est désespéré.  

    D’aucuns ont pris l’habitude de critiquer ceux qui tournent le dos au pays qui les a vus naître. Mais, quand dans la vie toutes les choses ainsi que les amis finissent par détourner le regard par manque de courage, alors que la misère vous a pris ceux qui vous étaient chers comme si c’était le prix à payer pour exister, avoir l’audace de partir, vous semble-t-il, être une faiblesse ?

    Avant de pousser son canot dans le courant qui l’éloignera, pense-t-il de la malédiction, il ne peut pas s’empêcher de regarder une dernière fois derrière lui.  

    Oh ! Pas pour répondre aux gestes d’adieu que les autres lui adresseraient en même temps que des souhaits de réussite. Non, personne ne se trouvait sur la berge à l’heure où il décida de partir. Il voulait seulement fixer en son esprit ce pays qui avait laissé fuir l’espérance. Il avait condamné les hommes, obligé la terre à mourir ; elle s’était épuisée à produire ; offrir ses bienfaits sans relâche, jusqu’à la dernière goutte de rosée, à la façon qu’ont les gens de jeter un ultime soupir.

    Mais donner a-t-il un sens, lorsqu’il ne vous reste plus rien ?

    En vérité, il ne savait même pas vers où le fil de l’eau le conduirait. Du monde qui l’environnait, il ne connaissait que quelques informations que sa défunte compagne lui avait enseignées avant que le ciel la lui enlève, comme il avait pris avant elle ses malheureux enfants. Elle lui avait confié que partout il y avait d’autres endroits où ils pourraient vivre mieux qu’en ce lieu qui semblait avoir été oublié des dieux. Sur les océans, lui avait-elle un jour montré en dessinant sur le sable, des continents entiers sont prêts à accueillir les hommes qui sont assez vaillants pour y installer la vie et y cultiver le bonheur. Il lui avait alors demandé si son ailleurs ne serait pas comme ici, et qu’il ne finirait pas par s’épuiser.  

    – Je ne le pense pas, avait-elle répondu. Nous savons maintenant, grâce à nos erreurs passées ce que nous devons faire pour le garder près de nous.

    Il avait souri timidement à cette réflexion et avait rétorqué qu’elle se berçait d’illusions. Les hommes ont oublié leur mémoire quelque part dans la forêt et recommenceront toujours les mêmes erreurs !

    Aujourd’hui, il se trouvait à l’aube de ce qu’il souhaitait être un nouveau jour. Il estimait que lui aussi avait donné, trop, sans doute.  

    Au ciel, il avait offert ses enfants et sa conjointe. Au désert, il avait remis sa terre et à la sécheresse il avait cédé son troupeau. Ce sont tous ses trésors qui ont disparu les uns après les autres. Il ne lui restait plus que sa modeste vie et il ne se prétendait pas assez courageux pour l’offrir à son tour.

    Autour de lui, tous se sont éteints à la manière des cierges dans les cathédrales des grandes villes, posés aux pieds de ceux qui étaient censés apporter des réponses à leur angoisse. Ces gens étaient trop humbles pour réclamer un miracle, même si dans tous les esprits ils l’avaient souhaité. Malgré toutes les suppliques qui montaient chaque jour, aucun signe n’avait jamais été renvoyé. Alors, désabusé, il confie au vent le soin de le guider vers ce qu’il espère être le meilleur, si toutefois il existe bien. Qu’importe la direction, il ne demande pas l’impossible. Quand on a connu la misère extrême, le médiocre devient presque un luxe.  

    Une certitude l’habite cependant ; il sait que, quel que soit le pays qui l’accueillera, il n’y sera pas seul. Les siens l’y auront précédé comme ils l’auront accompagné durant son voyage. Ils veilleront sur lui, car ils guident toujours ceux qui sont entraînés dans la tourmente, illuminant le chemin des ténèbres. Adieu, pays de mon enfance, je t’avais confié mes rêves et mes souhaits. Sans doute n’ont-ils pas suffi puisque tu me volas aussi mes amours et qu’à l’instant, je t’abandonne mes larmes qui ne sourdent pas des yeux, mais du cœur. Elles sont reconnaissables à leur amertume et la couleur du sang.

     

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  • — Nous promenant sur les tropiques qui nous servent de passerelles pour aller d’un continent à un autre, nous voici sur celui du capricorne. Il nous conduit sur la grande île reposant entre flots et ciel, sur l’imposant océan Indien.

    Sans doute me reprocherez-vous de m’y rendre bien souvent ; ce à quoi je vous répondrai que c’est bien naturel, puisque le berceau de notre famille y est installé depuis des siècles, et que les générations qui s’y sont succédé ont fait plus que d’inscrire quelques traces en tous points du pays. Elle participa à l’écriture de son histoire et la majorité de ses membres reposent en certains lieux de son territoire qui ne sont plus guère fréquentés de nos jours. Oui, tels les oiseaux migrateurs, les rescapés de la famille sont partis s’installer en tous points du globe ; pareils aux abeilles, ils ont essaimé. Qu’importe que nous ne puissions pas honorer de notre présence les lieux mythiques où reposent pour l’éternité ceux dont chez nous, en Guyane, se partagent le beau qualificatif de « Gangans » ou encore de « grandes personnes ». Les souvenirs se sont invités dans la mémoire des hommes pour leur permettre de voyager et ainsi, d’une certaine manière, ne plus jamais être oubliés, mais au contraire demeurer toujours présent dans l’esprit de ceux qui en ont la charge.

    À l’heure où j’écris ces quelques lignes, non loin de moi, des enfants se partagent une belle pastèque, tandis que par delà les terres et les océans, d’autres se régalent d’un jack, qui, à son allure, doit être savoureux et tellement parfumé ; cela dit, simplement pour mettre l’eau à la bouche de ceux qui ont déjà goûté au fruit délicieux du jaquier. La vue des uns et des autres se délectant de la pulpe m’amène à cette réflexion : où que nous alliions sur notre Terre, la préoccupation première des peuples se trouve bien autour de la table et des mets qui y sont servis. Il n’est qu’à regarder l’air satisfait de nos jeunes filles pour comprendre qu’il suffit souvent d’un repas, même frugal, pour contenter un estomac qui se tord de désir.

    De là à enjamber le bras de mer qui sépare l’île du continent africain, il n’y a qu’un pas à faire. Il nous est alors facile d’imaginer la souffrance de ceux qui n’ont plus rien à manger, tandis que dans tant de pays on gaspille, on jette et l’on méprise les aliments, ou que dans d’autres encore, ils servent à spéculer. Notre monde a parfois des réactions déroutantes. Dès que l’argent vient à manquer en quelques places boursières, dans l’heure qui suit, nous remplaçons les responsables des pays soi-disant, les plus riches. Que l’on parle de famine, et nous nous lançons dans d’interminables discussions autour de tables outrageusement garnies ! Nous ignorons les demi-mesures en toutes actions.

    Je sais pour l’avoir souvent vécu, que l’on nous rétorque fréquemment que les pays où la famine sévit « c’est avant tout de la faute de leurs dirigeants » ;   ce n’est pas toujours faux. Quand on a l’argent pour acheter des armes, c’est que l’on en dispose pour l’alimentation de base qui est sûrement moins élevée. Mais dès qu’il s’agit de la fortune des riches, les ultimatums et les mises en garde pleuvent sur les responsables et tout rentre dans l’ordre. S’il nous est facile d’imposer nos points de vue sur le capital ; il devrait l’être de la même façon quand il s’agit de l’humanitaire !

    Toujours est-il que nos héroïnes ont raison d’afficher leur satisfaction. Ainsi nous démontrent-elles que le bonheur ne coûte pas si cher que nous le pensons, et que le soir arrivé, si la soupe de manioc paraît un peu légère, le souvenir de la pulpe du jack sera bien présent pour compléter le repas. Les regardant non sans une certaine tendresse, détachant les fibres du fruit, je comprends qu’elles n’échangent pas leurs avis sur la dernière mode qui circule dans les grandes villes où sur les raisons qui auront gâché les vacances des plus aisés. Sans doute, trouverez-vous que je me répète. Mais tout à fait entre nous, vous semble-t-il qu’il manque quelque chose d’essentiel à nos jeunes filles pour ajouter à leur bien-être ? Leur faut-il des jeux électroniques sur les écrans desquels elles abandonneraient leurs joies de vivres ? Leur plaisir à elles se trouve du côté de la grande forêt où les Maskililis hantent les layons. Elles aiment aussi écouter les contes et légendes que les anciens ne manquent jamais de raconter sur un ton qui invite les auditeurs à participer.

    Au nom du bien-être, dont chacun, des enfants du monde devraient recevoir une part, et parce que rien n’est plus beau que l’innocence des regards tandis que les ventres sont repus, il devrait être de notre devoir de préserver leur bonheur. Ils en auront tellement besoin lorsque plus tard, s’amoncelleront au-dessus leurs têtes, les nuages gris et tristes, annonciateurs de jours difficiles.

     

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  • – Le paysage que nous apercevons sur la photo, il y a des siècles, ne devait pas ressembler à une telle désolation. Il n’était pas une vallée encaissée, mais un long et beau fleuve, sur lequel les barques, les boutres et autres felouques aimaient à laisser derrière elles des sillons d’argent. Il n’était pas qu’une rivière aux eaux claires. Les poissons abondaient et chaque année à la même époque, il sortait de son lit pour déposer sur les terres voisines son obole qu’il avait prélevée loin en amont. Les paysans d’alors n’étaient jamais fâchés, quand leur noble fleuve grondait. Avec sagesse, ils restaient sur les hauteurs, attendant avec philosophie qu’il regagne sa place et redevienne un beau et large ruban ondulant sous les rayons du chaud soleil. Mais, comme disent les gens de chez nous, il n’était pas qu’un long fleuve tranquille ou non ; il était avant tout « le chemin qui marche », faisant aussi office de route pour aller vendre, dans les villes lointaines le fruit de leurs récoltes, ainsi que des animaux de toutes sortes.

    Ils auraient dû être soucieux de préserver leur environnement, car, disaient les plus vieux, on ne peut donner aux autres plus que l’on a dans sa marmite. Mais on était alors loin de l’agriculture raisonnée. Trop de bêtes épuisaient les prairies verdoyantes et les limons que le fleuve déposait à période régulière, bien qu’ils fussent d’excellente qualité, ne pouvaient à eux seuls remplacer l’humus qui disparaissait un peu plus chaque jour sous l’effet des cultures et des pâtures intensives. Les plus anciens avaient cependant prévenu :

    – Celui qui prendra plus qu’il n’a besoin, un jour le regrettera.

    – En fait, bien que visionnaires, ils s’étaient trompés quant aux legs laissés en héritage. Comme toujours lorsque les hommes sont mis en cause, ce ne sont pas les coupables qui sont punis, mais leurs enfants et les générations qui les suivront. La Terre de ces temps reculés ressemblait au paradis. Certains prétendaient qu’elle était même le jardin d’Éden. Les montagnes, les plaines et les collines étaient recouvertes d’une végétation abondante et luxuriante et au milieu serpentaient des fleuves et rivières, coulant nuit et jour leurs eaux heureuses. Durant des siècles, l’harmonie entre les hommes et les choses fut parfaite. La vie était si douce que l’on ne songeait pas à remplacer ce que l’on prélevait à la nature. Longtemps après ce bonheur, les occupants furent si nombreux qu’il fallut pousser les limites des villes et villages. Il devint une obligation d’abattre la forêt afin de pourvoir à la nourriture et l’installation des hommes, car les besoins se faisaient plus grands et les goûts changeaient. Ce fut l’époque où chacun puisa plus d’eau qu’il lui était réellement nécessaire.

    Personne n’avait songé à partir à la découverte de la source du fleuve afin de constater si elle était suffisante ou s’il fallait se mettre en quête d’une nouvelle pour assurer à la rivière son débit qu’on lui avait toujours connu. Les siècles passèrent. La consommation ne cessa d’augmenter, car les besoins se faisaient colossaux. Les hommes prirent tant, que le fleuve, mécontent, se mit à rétrécir à ce point, qu’il devint un filet. La semonce n’ayant pas suffi, lors d’une nuit sans lune, il s’enfonça dans les entrailles de la Terre pour échapper aux hommes dont il pensait qu’ils voulaient lui voler son âme.

    C’est alors que l’on vit revenir les villes s’établir sur les berges qui commençaient à s’éroder sous l’effet du soleil et du vent. Chaque année, il fallut descendre plus bas, en épuisant toujours plus les flancs des collines et des montagnes, jusqu’au jour où les voleurs d’eau et de végétation ne trouvèrent leur salut qu’en s’installant dans le lit du fleuve que l’on maudissait qu’il se fût enfui.

    Parmi les hommes, certains dirent qu’il fallait faire comme la rivière ; partir au loin. D’autres comprirent rapidement que plus loin, ne pouvait pas être mieux, car ceux qui marcheront dans le chemin qui conduisait l’eau à l’océan, l’épuiseront comme ils avaient rendu impropres les lieux où naguère ils s’étaient installés. L’homme est un dangereux destructeur, prétendirent les sages de chaque communauté. Il est comme le chacal ; nul ne parviendra jamais à le dompter !

    En certains endroits de l’ancien cours d’eau, déjà les berges s’effondrent en signe de punition, comme pour recouvrir le passé, afin que nul ne lise en lui l’immense tristesse qui y était née.

    Les ans passèrent. De ce que fut le lit du fleuve, les hommes cherchèrent désespérément à mettre à jour les secrets de la vie, tandis que celle-ci, sur ses gardes, a disparu depuis longtemps, installant en ces lieux et places les illusions qui brillent de mille éclats, sous les rayons d’un soleil implacable. Ils avaient trouvé le paradis, ils laisseront à leurs enfants une terre stérile se mourant de chagrin.

    Plusieurs milliers d’années furent nécessaires à la nature pour se construire et prospérer. Jamais trop ni trop peu aurait pu être sa devise.

    Nous n’aurons eu besoin que d’un siècle ou deux pour laisser aux nôtres la désolation et croyez bien que toutes les larmes de leurs corps ne suffiraient pas pour faire reverdir la planète, car elles sont si aigres et que la vie, comme la fleur, ne saurait s’épanouir sur un lit d’amertume.

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  • — Sans doute vous ai-je déjà parlé de notre fameuse zone intertropicale de convergence. C’est elle qui régit notre climat, prenant plaisir à faire le yo-yo de part et d’autre de l’équateur. Sa taille est immense, s’étendant des côtes africaines jusqu’à notre continent qu’elle visite en partie. Par chez nous, on n’aime guère qu’elle stationne trop longtemps au-dessus de nos crânes, redoutant les tourments qu’elle génère, car lorsque nous avons la tête dans le brouillard, les pieds sont déjà recouverts par les eaux. La zic, comme on l’appelle sous notre latitude, s’apparente plus à un monstre météorologique qu’un simple phénomène climatique. Elle s’étend souvent sur plus de mille kilomètres de côtés et s’élève parfois jusqu’à quatorze mille mètres. Ceux qui la connaissent bien, la nomme aussi « le pot au noir » ! Vous dire sa réputation !

    En son sein, tous les éléments sont réunis, s’opposent et se déchaînent. Inlassablement, les masses d’air du sud vont à la rencontre de celles du nord, à la manière des armées qui partent à la conquête de nouveaux territoires. Les vents attisent les courants chauds et froids ; l’eau et le feu sont les maîtres des lieux. La zone n’aime guère être défiée et elle se montre implacable à ceux qui osent braver ses éléments.

    Souvent, des navires imprudents sont en difficulté sous cette main géante qui semble vouloir les envoyer par le fond. Il arrive parfois que certains de ces bâtiments coulent, sans qu’aucune chance d’en réchapper visite les équipages. Quand ceux-ci parviennent à s’accrocher à quelques débris qui ressemblent alors à la couleur de l’espoir, c’est vers la redoutable mangrove qu’ils seront poussés. Dans cette forêt aux racines inextricables, les dernières heures de survie sont infiniment minces.

    Mais il n’y a pas que sur l’océan déchaîné que les drames se jouent. Il arrive malheureusement aussi que des avions soient pris au piège de cette masse nuageuse qui de temps en temps se transforme en un véritable enfer. On connaît hélas ! la terrible catastrophe de cet avion de ligne qui fut victime d’un mortel tourbillon.

    Les passagers avaient embarqué plus au sud sur le continent. Certains avaient même éprouvé plus de serrements de cœur qu’à l’ordinaire, à la manière des gens qui pressentent un danger. Alors, ils s’étaient attardés plus longtemps auprès de celui ou celle qui partait, comme pour fixer à jamais son image au fond des yeux. Dans ces moments où la séparation est imminente, sans doute l’aurez-vous remarqué en certaines occasions, nous avons des tas de choses à nous confier ou à redire. Il nous vient à l’esprit mille recommandations, et autant de mots qui ne sont qu’à moitié compris ou entendus, car en ces lieux où se croisent les arrivants et les partants, la rumeur est si forte qu’il est quasiment impossible de parler sans crier. Quant aux avis qui sont diffusés à longueur d’annonce, il faut posséder une ouïe fine pour en comprendre les paroles. Avant d’être happés par le poste de police et celui des douanes, quelques gestes timides sont encore adressés, des sourires qui n’en sont plus tant ils sont brouillés par les larmes, et quelques ultimes paroles qui se perdent sans parvenir à son destinataire, qui devine que cela devait être un dernier serment.

    Des promesses, justement, en ces occasions ils s’en échangent beaucoup. « Bien sûr que je t’aime ; évidemment que je reviendrai ; ou encore, appelle-moi dès ton arrivée » ! Alors que les yeux ne savent plus où regarder de ce côté de l’Atlantique, sur un autre continent plus au nord, l’impatience grandie. Quel bonheur de retrouver celle ou celui qui était parti depuis longtemps ! Dans les pensées, déjà les mots tournent en boucles.  « Tu vois que j’ai tenu promesse » !

    C’est à ce moment des impatientes que l’on annonça que l’on venait de perdre le contact avec l’aéronef. Pendant que les uns espéraient encore, les autres pressentaient quelque chose d’indéfinissable, alors que les passagers volaient vers leur destinée.

    Elle fut tragique ! Que s’est-il réellement passé cette nuit-là ?

    Nul ne saura jamais, malgré les paroles-fleuves qui seront prononcées les jours et les mois suivants. L’incertitude restera pour toujours suspendue à cette région grande comme un pays entier, maudite ce soir-là. Des prières avaient dû monter, mais aucune ne fut entendue. Vous le constatez, il est des tragédies qui jamais ne s’effacent des esprits, et à nous qui levons si souvent la tête vers le ciel, il nous revient de prier pour eux qui vécurent un véritable calvaire et d’assurer les familles de toute notre sympathie ; non seulement pour les victimes de ce drame, mais celles aussi de tous les autres à travers le monde, dont on ne sut jamais rien.

     

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  • — Quand on a le privilège d’avoir parcouru la plus grande longueur de notre route et qu’en haut lieu l’on vous annonce qu’une rallonge vous est accordée, sans pour autant être un chemin de traverse, sans aucun doute, la réserve de souvenirs s’en trouve enrichie de nouveaux évènements.

    On se prend alors à se comparer à un énorme chariot, identique à ceux mis à notre disposition dans les grands magasins. À leur différence, ce n’est pas dans les allées de ces comptoirs où s’élèvent des armées de gondoles que nous nous trouvons projetés, mais dans celles de la vie aux rayons achalandés de produits de bien meilleure qualité. Il y en a tant, que nous hésitons à nous arrêter devant l’un ou l’autre, afin d’empiler dans la mémoire qui remplace le caddie une quantité toujours plus importante de souvenirs. Il nous échappe même, le nombre de fois que nous avons tendu le bras pour cueillir au passage le fruit de nos désirs.  

    De toute évidence, le moment arriva où il nous fallut passer à la caisse. À cet endroit, contrairement aux magasins traditionnels, le client que vous précédez ne s’impatiente pas, car le chariot qu’il pousse est aussi rempli que le vôtre, parfois davantage. Dans cette immense boutique, l’esprit de concurrence n’a pas cours. Tout juste surprenez-vous votre suiveur à observer les produits que vous sortez de votre caddie pour les entasser sur le tapis roulant.

    Rassurez-vous, ce n’est pas pour les contrôler ni même les compter et ainsi déterminer votre rang dans la société. Il veut simplement vérifier s’il n’a pas, quant à lui, oublié l’essentiel. Vos marchandises avancent maintenant en direction de la caisse. Là, à votre grande surprise, il ne vous sera demandé aucune carte d’aucune couleur ni de monnaie sonnante et trébuchante. Inutile de vous étonner. Dans l’immense boutique de l’existence, on vous explique que tout se règle avec le sourire. Certes, nous devrons aussi nous acquitter de larmes, de souffrances et d’espérances ou de profonds accablements. C’est alors que la vie vous adresse un clin d’œil en vous rappelant que si les jours se suivent, il en va de même pour les instants qui les meublent. Il en est de bons et des mauvais. C’est pour assurer un équilibre parfait, répond-on à votre air étonné. 

    C’est ainsi que longtemps après nos achats, nous arrivons à l’heure du grand rangement. Nous avons alors l’agréable surprise de retrouver à la même place, les trésors que nous avions emmagasinés tout au long de nos déambulations entre les étals de la boutique de l’existence. Tous les instants sont là, avec, aux premières loges, ceux qui inscrivirent en nous les émotions les plus intenses. Nous nous félicitons de n’être pas trop de deux pour les partager.

    Parfois, à l’énoncé d’un souvenir, nous sommes surpris de ne pas éprouver la même angoisse ou la ferveur que le jour où il rejoignit son emplacement dans notre mémoire. Bien vite, nous trouvons l’explication qui lui sied le mieux. Ainsi, sommes-nous soulagés d’apprendre que ce qui nous avait enchantés ou au contraire profondément désolés durant des années a subi l’épreuve du temps en nous démontrant qu’il ne suffit que de quelques saisons pour transformer les larmes en éclats de rire. C’est aussi à cause de cette raison que nous ne sommes jamais trop de deux dans la demeure à l’heure de l’inventaire.   À cette occasion, nous sommes heureux de retrouver, soigneusement conservés dans leur emballage d’origine, des souvenirs acquis avant la rencontre de l’âme sœur, qui se conclura par un pacte d’amour face à un homme de loi, avant de le confirmer devant celui de l’église. Alors, les yeux brillants plongés dans ceux tout aussi éclatants de notre vis-à-vis, nous ne pouvons retenir nos exclamations :

    — Mon Dieu ! Tu te rends compte de ce dont nous étions capables de réaliser en ce temps, du haut de nos toutes jeunes années ?

    De nos jours, pourrions-nous faire les mêmes choses ? Souviens-toi, lorsque nous disions à nos enfants que la vie était certes difficile, souvent incertaine avec sa cohorte de jours trébuchants. Cependant, ils nous procuraient un bonheur intense. Rien de ce que nous désirions n’était accessible. Nous n’avions qu’une seule ressource : l’invention ! Et d’imagination en songe, devant nos pas la route se dégageait.   C’est sans doute paradoxal, mais même les évènements douloureux ont à leur façon déposé de la poussière de belles émotions en nos mémoires, car ils étaient générés par des êtres qui furent chers à nos cœurs. Ainsi, d’un petit bonheur à une grande souffrance, souvent nos pensées choisissent les éléments les plus sucrés, afin qu’il ne subsiste plus de traces amères dans nos souvenirs. Oui, il me semble que nous pouvons le dire. Tant d’évènements se sont succédé et parfois bousculés au cours de notre vie ! Les uns nous ont propulsés vers l’avant, d’autres se mirent en travers de la route pour nous ralentir, tandis que d’autres se sont accrochés à nous dans la crainte que nous les oubliions derrière nous.  

    Mais, voyez-vous, si le livre d’histoire est riche d’aventures, toutefois, beaucoup s’ennuient sur des pages qui ne sont jamais ouvertes. Et pour cause ! Certains faits ne peuvent pas être rapportés tel qu’ils ont existé alors. Non pour que nous disions de nous que nous sommes des héros, mais par respect au temps passé et à ceux qui se trouvaient présents en de tristes circonstances. Il est souvent difficile d’accepter les sourires ironiques ainsi que les sous-entendus ourlant les lèvres moqueuses. Qu’à cela ne tienne ! Au fond de nous, nous connaissons la vérité et notre peau parfois ressemble à une éphéméride, attestant les dires ou encore les démentir. Et puis, avouons-le sans détour ; ces épisodes d’une vie intense nous ont appris une chose : estimer le bonheur à sa juste valeur. Comme le modeste morceau de pain suffit à redonner espoir à un estomac se désolant de recevoir la moindre nourriture. En certaines circonstances, nous avons été heureux de nous retrouver vivants parmi les morts et de ce fait mieux nous faire accepter le jour où elle jettera son dévolu sur nous.

    Il y avait aussi des cadeaux offerts par les sentiers empruntés, tels des enfants pris dans les bras à l’instant où l’existence les accueillait alors que la faucheuse demeurait dans son ombre.   Oui, le privilège du noble âge nous permet ces émotions qui nous font dire que finalement, la société d’antan n’a rien à envier à celle d’aujourd’hui, à travers laquelle errent des âmes en peine, alors qu’elles sortent tout juste du grand magasin de la vie.

    Tant de choses, nous ne pouvons avouer ! Pourtant elles donneraient matière à réflexion à ceux qui pensent que plus rien ne les étonnera.

    Tant de mots ne seront plus prononcés, alors qu’ils étaient le fruit de la réalité que l’on renie aujourd’hui.

    Solitude. Amazonienne Copyright 00061340 -1 —

     

     


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