• — Il est des songes qui sont tenaces à ce point, que chaque nuit ils reviennent frapper à la porte de mon esprit, comme s’ils réclamaient que je les fasse revivre au moins une fois. Je crois que c’est exactement cela qu’ils désirent, exister encore et peut-être toujours. Ils demandent à ce que nous les aidions à sortir des brumes dans lesquelles ils sont prisonniers. Ainsi, alors que la nuit n’était installée que depuis quelques instants, je retrouvais sans tarder le rêve qui semblait s’impatienter. Je ne saurais vous dire la raison précise, mais sans attendre plus longtemps, me relevais-je pour me rendre compte que ce n’était pas la folie qui s’approchait de ma demeure afin de me tenir éveillé pour que je cède à ses désirs.

    Je quittais la pièce sans bruit pour ne pas incommoder la maisonnée. Il me fallut marcher longtemps, traverser quelques champs et prairies et même déranger des chiens dans leur sommeil, qui grognèrent certes, mais sans grande conviction. Je venais de sortir de la forêt lorsque je reçus le silence en pleine figure. Plus de cris de chouettes ni de hiboux, plus d’engoulevents rasant le sol, plus de stridulations de grillons cachés dans les herbes hautes qui attendaient sans impatience la faux meurtrière. Je m’arrêtais pour m’assurer qu’avec mes pensées, je n’avais pas changé de monde.

    J’ai marché longtemps, il est vrai, mais pas au point d’avoir franchi les frontières. J’en étais là de mes réflexions, comme pour les démentir, une aube se dessina sur le fil de l’horizon.

     Ainsi j’avais bien parcouru une si grande distance, sans m’en rendre compte, absorbé dans mes pensées ! Le jour s’installait maintenant, mais ne ressemblait pas à ceux que je voyais se lever chaque matin. Il était comme une lumière diffuse et un peu feutrée. Je n’en fus pas effrayé pour autant et continuais mon chemin. Au détour d’un sentier, je m’arrêtais net !

    Devant moi, en contrebas d’un champ pentu, un bourg semblait m’attendre.

    — Que pouvais-je risquer, me demandais-je en pressant le pas vers sa direction ?

    Le sentiment que je ressentis ne fut pas celui qui amène la crainte avec lui. C’était plutôt de la surprise. Je n’avais encore jamais vu un village ou personne ne marche dans la rue, d’où aucun bruit ne s’élève vers le ciel ; pas même le chant du coq pour réveiller les retardataires. Qu’avait-on dit à la population pour qu’elle soit à ce point effrayée qu’elle demeura cachée au fond des maisons ?

    Quel était ce phénomène qui régnait sur le village pour qu’il impose aux gens de rester invisibles ? Je pensais que cela ressemblait étrangement au calme qui précède les tempêtes et les catastrophes.

    Derrière les portes closes, aucun bruit ne filtrait.

    Dans les environs, nul animal en maraude ; plus surprenant ; pas même la moindre brise murmurant aux girouettes d’indiquer ou de retrouver le sens du vent. Longeant un bâtiment qui ne pouvait être qu’une école communale, je n’entendis aucun élève chantonner en récitant les tables de multiplications ou d’additions. L’église ne devait pas posséder de cloche, car aucun marteau ne vint la frapper à l’heure de l’angélus.

    Qu’avait-on fait aux habitants pour qu’ils abandonnent ainsi leurs biens aux mains d’inconnus ? Tous les bourgs et les villages ont une âme, me dis-je ? Pourquoi semblait-elle absente de celui-ci ? Personne dans les rues, pas même un ancien, pipe à la bouche, interpellant un autre pour échanger leurs derniers souvenirs. ! Les vieux, me dis-je, ne fuient jamais ; ils attendent patiemment que la mort vienne les chercher, ils ne se dérobent devant aucune menace ! Dans mon village, j’en ai même surpris à dire qu’ils ne pouvaient donner plus qu’on leur avait déjà pris ! Je parcours étonné cette bourgade dont on croirait qu’elle fut posée le matin précédent. J’avançais sans que des pleurs d’enfant réclamant le sein se fassent entendre, pas plus qu’un gémissement de personne agonisant.

    Le ciel vide de nuages s’associait à mon étonnement ; tel un charretier, il retenait son attelage imaginaire derrière une ligne d’horizon tracée à la hâte. Suis-je donc dans une ville fantôme ?

    Alors que j’en étais là de mes réflexions, une voix courroucée me fit sursauter :

    — Que faites-vous dans mon œuvre, et d’où venez-vous ?

    Sans voir qui m’interpellait, je m’exprimais d’un timbre qui se voulait tranquille :

    — Vous-même, qui êtes-vous donc et en quel endroit vous tenez-vous ?

    — Je suis le créateur ; dit-il avec une assurance qui ne supportait pas qu’on lui répondît ou qu’on lui tienne tête ; dans mes travaux, l’homme ne devait se présenter que demain. Retournez d’où vous venez et attendez qu’on vous appelle !

    C’est alors qu’une main vigoureuse me secoua en me criant que les labours du jour ne se feront pas depuis le lit et qu’au lieu de gémir, je ferai mieux d’aller prendre le petit déjeuner sur le pouce, car le temps presse !

    J’eus toutes les peines du monde à abandonner mon rêve, mais je ne fus pas fâché de m’en être sorti sans encombre.

     

     

     

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  • — Il s’en fallut de peu que je fasse l’impasse sur ce jour merveilleux qui voit consacrer nos chères parentes. Telle que je connus non pas la mienne, mais celle de mon épouse, je sais très bien que si je l’avais oubliée, elle ne m’aurait pas fait de signes particuliers depuis ce jardin céleste où elle a élu domicile depuis des années. Sa vie tout entière ne fut qu’une immense discrétion, toujours au service des siens. Soumise ?

    Non, je ne le dirai pas. Elle préférait se tenir à la disposition de sa famille qui le lui rendait bien. Cependant, dès l’instant où l’on met en évidence l’effacement de sa personne ne signifie pas obligatoirement l’oubli de soi.

    Pour penser aux autres, il faut avoir l’esprit ouvert et disponible, car aimer ne se fait bien que dans le partage à égalité de parts des sentiments. Sa vie fut mouvementée dès l’instant où elle vit le jour. C’était il y a bien longtemps, dans une famille de riziculteurs, sur cette grande île de l’océan Indien qu’une main invisible déposa au début de la création. En ce temps-là, la vie était particulièrement compliquée pour ceux qui avaient de l’ambition et qui désiraient s’élever au-dessus de la moyenne. Quoi que vous fassiez, il y a toujours quelqu’un pour vous envier et vous dérober vos espoirs. Alors, les divisions familiales et ethniques ne tardèrent pas à faire éclater l’unité que la colonisation avait eu du mal à mettre en place.

    On ne résiste pas longtemps à la pression de l’opinion. Ainsi, avec courage brava-t-elle les interdits et l’autorité parentale pour suivre son planteur de mari aux quatre coins de l’île et avec qui elle conjuguerait le verbe aimer jusqu’au dernier jour.

    De l’opiniâtreté, il lui en fallut pour demeurer aux côtés d’un aventurier qui lui offrait pour seule sécurité, l’incertitude de la vie qui s’invitait chaque jour, dès l’aurore naissante. Elle vécut le long des pistes qu’il ouvrait afin que les hommes, un jour, puissent se rejoindre. Les chemins traversaient des forêts immenses que se partageaient les bons et les mauvais esprits. Mais, au plus fort de la tourmente, lui revenait souvent une phrase discrète que sa grand-mère lui avait confiée avant son départ :

    — Va, ma chère petite, nous ferons en sorte qu’il ne t’arrive rien !

    De plantations en concessions, comme pour ponctuer l’existence, les héritiers vinrent augmenter la famille. À celui qui lui promettait des jours meilleurs, elle en offrit sept ! Ils grandissaient telles des fleurs le long de la route. Mais le métier de mère n’est pas une fonction de tout repos. Il fallut mettre les enfants en sécurité, surtout lors des rébellions, et s’enfoncer encore plus loin sous les couverts attendant que les orages se passent et que les incendies aient consumé les plantations.

    Le temps ne prit pas celui de s’arrêter en chemin. Arriva forcément le jour où de maman elle fut élevée au rang de grand-mère. Elle avait toujours su que sa tâche ne prendrait pas fin le jour où son dernier né regarderait vers son indépendance. Alors, tendant la main vers la réserve d’amour qu’elle avait sans cesse cultivé, elle le distribua à chacun des petits enfants qui embellirent sa vie.

    Ils furent nombreux, mais l’épargne de l’immense bonté ne tarissait pas. Tous reçurent leurs parts de baisers, et de mots qui font briller les yeux, et même celles de bombons au coco, et autre « colle aux dents » à la pistache.   Tous sont venus pleurer dans votre giron, car les enfants s’imaginent toujours que la malédiction les poursuit sans cesse. Votre grandeur et votre sourire suffisaient à calmer les angoisses. Tous ceux dont vous aviez la charge ont ressenti cette paix qui coulait en vos veines, et à l’instant où ils estimèrent avoir assuré leurs pas, ils se lancèrent à leur tour dans la spirale infernale de l’existence.

    Je n’oublierai jamais ce beau matin où vous me reçûtes. Du haut de votre sagesse, vous me demandâtes de ne pas vous appeler madame, mais plus simplement, maman. Depuis ce jour, ma vie en fut bouleversée.

    Les époques avaient changé, mais jamais vous ne fûtes en retard sur aucune d’entre elles. Vous avez occulté la vôtre pour vous mettre au service de la nôtre. Femmes merveilleuses ! Jamais nos médailles ne seront suffisamment resplendissantes pour orner vos poitrines. Vous méritez tant de nous, et surtout beaucoup plus brillant, comme seuls les mots doux savent expliquer la reconnaissance !

    Chère Grand-maman, vous m’avez confié une jeune fille. À mes côtés, elle devint à son tour une épouse modèle, et mère quand ce fut l’heure ; puis avec l’aide du temps, maintenant plusieurs fois Grand-mère ! Jusqu’où ira-t-elle pour nous rendre heureux ? À toutes les grandes mères j’adresse mes baisers affectueux en vous souhaitant à nouveau une belle et douce fête.

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  •  

    — L’histoire est parfois difficile à écrire, notre main craignant de faire une erreur dans la description d’un personnage, d’un trait ou d’une date. Mais il n’est pas que les doigts étreignant le crayon qui peuvent se mettre soudainement à trembler. Il y a aussi la mémoire qui volontairement ferme la porte des souvenirs quand ils se montrent compliqués à transcrire ou qu’ils génèrent trop de chagrin associé aux souffrances pas encore apaisées. On peut imaginer les choses, les paysages, ou les personnages, et même la vie en général. Mais avec quels mots peut-on décrire les émotions qui sourdent dans le cœur ? Elles sont si secrètes dans leur humilité !

    Les souvenirs, me direz-vous, sont plus faciles à exprimer. Mais prenons garde dans les mille manières que nous avons de les évoquer, à ne pas les déformer ou les détourner de la vérité.

    Voilà bien des précautions, me direz-vous, pour raconter une histoire, ancienne de deux siècles !

    Précisément ! Car dans la famille à laquelle je vais faire allusion, si chaque chose avait sa place, il en était de même pour les mots qui ne pouvaient prétendre qu’à une définition. Non parce que les gens de l’époque en étaient avares, mais à cause des caractères qui supportaient difficilement que l’on puisse tergiverser avec ce que l’homme avait inventé de plus beau, l’alphabet !

    Si vous le voulez bien, je vais vous conduire jusqu’à la demeure où est né celui à qui j’ai ravi son trésor.

    Vous le constatez, elle est simple. Certains diront même qu’elle est une case. Elle l’est en effet. Nous sommes à l’époque des colonies et tous les pionniers ne possédaient pas de vastes maisons à colonnades, avec une grande galerie ceinturant la construction afin de conserver à l’intérieur de celle-ci, la fraîcheur du jour.

    Sur cette propriété, il n’y avait pas non plus une armée de serviteurs. Juste les hommes nécessaires à la réalisation des gros travaux.

    C’est qu’en ce temps là, chez les « petits blancs » comme on les nommait alors, il ne fallait pas être comptable de son courage, et les femmes qui en avaient vu bien d’autres sous des cieux parfois bien noirs étaient de réelles maîtresses femmes. Dans cette maison vivait l’une d’elle.

    On disait d’elle qu’elle était hors du commun. Imaginez plutôt : elle mit seule au monde ses enfants pendant que le mari courait sur l’océan, commerçant avec les îles voisines. Qu’importe qu’il fût là ou non. Rien ne l’arrêtait, comme cette envie subite de planter de la vigne dans un pays qui ignorait qu’il put exister du raisin ! Les quolibets allèrent bon train jusqu’au jour, où plus humblement, ils vinrent la féliciter et acheter les fruits à prix d’or.

    Elle n’en tira même pas de l’orgueil. Elle se contenta de planter davantage de vigne, car, disait-elle, « les hommes aiment le vin et je crois que celui-ci leur plaira ». Mais si le temps ensoleillait les raisins, il passait aussi sur les gens de la propriété. Les enfants se destinèrent à d’autres professions, moins contraignantes, et d’un rapport plus régulier, où il n’était pas utile de prier pour que les ouragans et les cyclones, dans leurs colères n’emportent pas les promesses.

    La dame, âgée, ne pouvant plus assumer seule l’exploitation, à contrecœur, abandonna sa petite île pour rejoindre sa famille sur la plus grande, Madagascar.

    Longtemps après cet épisode, l’aîné, me confia qu’il avait eu de la peine de voir sa mère quitter sa terre qu’elle avait tant chérie.

    Ce jour-là, sur ses frêles épaules, j’imaginais une charge plus importante que toutes celles qu’elles avaient supportées. Pourtant, il ne semblait pas peser bien lourd ce fardeau ; pour unique bagage, il n’était qu’un simple adieu.

    C’est alors que beaucoup plus tard, son tour vint à ce fils, de partir, lui aussi de cette grande île qui le vit naître. Et c’est à l’instant où il comprit qu’il ne pouvait plus remettre ce long voyage pour rejoindre sa famille exilée en Europe qu’il sentit sur ses propres épaules la même charge qui s’était posée sur celles de sa mère. À son tour, il quitta cette terre dont il connaissait presque tous les secrets et à laquelle il en avait accordé beaucoup. Des constructions comme celle que vous voyez, il en fit de nombreuses, même si certaines plus importantes ne furent jamais terminées.

    – Il est difficile, m’avait-il confié de tourner le dos à son passé. Dans celui-ci, ne résident pas seulement les joies ou les peines. Il y a ce sentiment de fuite et d’abandon de tout ce qui fut une vie.

    – La mort dans l’âme, il dut laisser derrière lui tous ceux qu’il avait aimés ; cette immense famille qui avait depuis des générations construit le pays avant lui.

    Des images certes, il en resterait. Mais elles ne fleureraient plus la cannelle ni la muscade, pas plus que le girofle ou encore le café.

    Dans la vie d’un homme, le plus pénible à supporter, m’avait-il dit avec une voix qui trahissait ses émotions, c’est de laisser derrière soi le souvenir des siens en sachant que leurs âmes n’en finiront plus d’errer dans ce pays immense à la recherche des enfants pour lesquels tant de larmes furent versées, mais aussi tant de doux baisers distribués dans des maisons abandonnées.

     

     

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  • Chasse et traditions— La chasse ne ressemble pas à un phénomène imprécis ou instinctif. Elle se doit d’être méticuleusement préparée, tandis que l’homme se poste en un lieu connu pour être fréquenté par le gibier, attendant que celui-ci soit ponctuel au rendez-vous. Mais tout le monde sait parfaitement que la faune est loin d’être fidèle et se moque bien des réunions. Alors, pour éviter de rentrer au village les mains vides, certains ont plusieurs cordes à leurs arcs, ou, si vous préférez, plus d’un tour dans leurs sacs.

    Dans certains pays, ce moment est l’occasion d’un rituel qui commence la veille. Autour de grands feux, les tambours rouleront par-dessus la forêt, comme s’ils voulaient prévenir les hôtes des bois qu’ils auraient bientôt de la visite. Les femmes auront dansé une partie de la nuit, pendant qu’à l’écart, les chamans auront vérifié que les éléments sont bien réunis pour entreprendre ce temps où chasseurs et proies battront la campagne. Les ténèbres seront presque épuisées lorsque les hommes se prépareront pour l’aventure, tandis que le village est encore endormi. La coutume veut que nul ne sache la direction prise par les canots, afin que le mauvais esprit ne soit pas tenté de les poursuivre. L’époque n’est pas choisie au hasard. Elle durera tout le temps que la lune soit noire, c’est-à-dire les nuits sans la présence de l’astre.

    Les territoires de chasse dans lesquels abonde le gibier sont de plus en plus loin du village. Les animaux reculant devant la progression des hommes qu’ils jugent comme étant leurs principaux ennemis.

    Le jour n’est pas encore installé lorsque les pirogues sont chargées. Avant d’embarquer, on aura demandé une ultime protection au dieu de la chasse et de nouveaux conseils aux anciens ayant eux-mêmes participé à de nombreuses expéditions. Alors que l’aurore s’émancipe des ténèbres, la brume monte au-dessus du fleuve, afin que le soleil n’éblouisse pas les yeux qui doivent garder leur clairvoyance pour relever plus tard les pistes qui mèneront aux animaux. C’est l’heure où dans le matin, on ne peut distinguer le fil blanc du noir.

    Les canots sont amenés vers le centre du fleuve où les attend le flot de la marée montante. La petite flottille silencieuse sera ainsi transportée rapidement, les pagaies effleurant à peine l’onde contrariée par le flux la repoussant. En cadence, les hommes forcent sur les rames et les pirogues semblent voler sur l’eau sombre. La première courbe du fleuve est atteinte, lorsque la forêt s’enfle soudain d’un bruit nouveau, bien que lointain. Ce sont les tam-tams qui encouragent les voyageurs. Ils se feront entendre jusqu’au pied de premier saut dans les eaux duquel leurs battements se perdront.

    Le soleil aura fait un long chemin avant que les embarcations s’arrêtent pour la nuit. Une seconde journée sera nécessaire pour rejoindre l’emplacement de l’ancien village d’été sur les berges d’une petite crique mêlant ses eaux à celles du frère, le grand fleuve. À peine arrivés, les hommes s’affaireront à la construction de nouveaux boucans sur lesquels fumera la viande prélevée sur la forêt.

    N’étant jamais allés plus loin que l’abattis, les jeunes regarderont en silence, mais avec la plus grande attention, chaque geste de leurs aînés. Ils sont là pour apprendre, afin qu’un jour, quand viendra leur tour, rien ne se fasse par hasard.

    Le pied de la biche comme celui du jaguar ne se dessine pas dans les airs, avait dit le chef de l’expédition.

    Il faut observer le sol où nulle herbe ne se couche par respect à votre venue.

    Chaque pied est une information. Chaque bête possède le sien qui ne ressemble à aucun autre. Il avait encore recommandé de garder les yeux grands ouverts pour que l’histoire et la tradition s’y impriment à jamais. L’oreille ne sera pas en reste. Elle devra reconnaître les bruits et les feulements afin d’en distinguer ceux qui sont de confiance ou de méfiance.

    À l’école de la vie, même le pied de l’homme doit apprendre la nature du sol afin qu’il informe son propriétaire s’il est en terre hostile ou accueillante. Il ne faudra plus bouger à l’instant où la main a tendu la corde de l’arc. La respiration cesse soudainement, pour que les doigts libèrent la flèche qui va frapper l’animal d’un trait silencieux.

    Il en sera ainsi tant que la lune noire privera la nature de son éclat. La campagne terminée, les pirogues lourdement chargées reprendront le chemin du retour. Elles auront tout juste effleuré les berges du fleuve qui baigne le bourg, que les chants et les danses clôtureront le temps de la chasse.

    On aura prélevé sur la forêt juste de quoi satisfaire l’appétit des villageois, conscients que sont les hommes, de laisser se reproduire ceux qui les nourrissent.

    N’a-t-on jamais vu abattre le manguier qui porte les fruits plutôt que de les cueillir délicatement ?

     

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  • — Pourquoi nous faut-il si longtemps pour nous apercevoir que ce que nous cherchons ailleurs est en nous ? Sommes-nous si distraits que nous ne voyons que l’essentiel et non les particularités ? Sommes-nous donc sourds à ce point que nous n’entendions pas ce que le vent murmure à notre oreille ? Bien sûr qu’avec l’aide d’une nouvelle aurore nous nous réveillerons, mais tout ce temps à chercher à comprendre, n’est-il pas perdu ? Notre cœur n’a-t-il pas souffert d’avoir négligé tant d’amour, tant de beauté et tant de joie ?

    Il nous aura fallu cheminer des décennies à travers l’existence, aux côtés de la vie pour nous que nous prenions conscience de sa valeur et de sa grandeur ! Jusqu’au réveil, nous sommes restés indifférents aux efforts du jour et de la nuit qui se désespéraient en nous faisant des signes pour attirer notre attention.

    Certaines aubes étaient si belles, drapées de voiles fins d’une brume qui s’accrochait aux rameaux garnis d’orchidées odorantes ! On pouvait alors supposer que la nature tout entière désirait nous faire découvrir l’ivresse due aux fragrances de ses richesses fleuries intimement mêlées, qu’il est à regretter que nous n’ayons pas voulu les voir plus tôt ! Comment ne les avons-nous pas sentis ces parfums qui nous disaient que nous pourrions aussi bien être au paradis ?

    Toutes ces nuits que nous avons refusé de contempler, nous offraient pourtant leurs ciels illuminés où nous aurions découvert qu’en chaque étoile scintillait un espoir !

    Alors que nous passions près de l’océan, notre esprit soudain était ailleurs.

    Cependant, il était bien là, ressemblant à un cœur immense battant au rythme des marées, déposant à nos pieds ses vagues écumantes de joie comme autant de déclarations d’amour. À l’instant où la nature se reprend son souffle, l’océan devinant qu’elle a besoin de calme s’en va jouer sur d’autres plages autour du monde et nous, nous ne ressentions pas ces moments de douce quiétude.

    Alors que mes pas foulent la mousse des sous-bois, je comprends maintenant que mère nature est parfaite. En son sein, rien ne manque, dont nous avons besoin. Dire qu’elle est ainsi depuis toujours et qu’il a fallu qu’un jour notre pied vînt à buter contre un petit bonheur pour qu’enfin nous embrassions ce monde qui nous avait été réservé et que nous ignorions ! Même le soleil ne fut jamais en reste, s’élançant alors que l’aube n’a pas encore rosi, montant très haut dans le ciel imaginé à sa mesure. Il semble utiliser les nuages posés là pour lui afin qu’il joue avec eux tout le jour et nous indiquer par des signes discrets que le soir se dessine au-dessus du monde et qu’il est temps de mettre notre amour à l’abri.

    Il veut nous faire concevoir à défaut de mots, mais avec ses couleurs de ne pas nous inquiéter qu’il ne tarderait pas à revenir pour éclairer d’une lumière toujours plus belle les aubes accompagnant notre vie. Comment sommes-nous passés si longtemps à côté de la plénitude sans la remarquer ? Sommes-nous donc ces étrangers venus de l’ombre, vivant dans un monde à part, marchant avec la foule qui nous malmène comme une coquille de noix sur une mer en furie ? Alors je me dis que nous ne devrions plus tarder à recommencer notre vie dans ce paradis qui nous est tendu et que nous n’osions même pas voir, égarés dans la noirceur de nos pensées.

    Pour nous, nous ne cherchons plus. Nos songes n’en sont plus. Ils sont devenus réalité sur le seuil de l’Amazonie.

    La nuit, ce sont eux qui viennent border nos rêves. Nous avons découvert tous les ingrédients indispensables pour rendre les gens heureux. La vie depuis ce jour se respire à pleins poumons. Le ciel ne se soucie plus de nous et ne se gêne pas pour flirter en toute tranquillité avec l’univers.

    L’océan, quand il se retire, va au loin à la rencontre d’un autre auquel il confie sa joie, comme autant de baisers que s’échangent les amants.

    Autour de nous, la nature est généreuse et séduisante. Elle produit sans jamais s’épuiser. Il en sera ainsi jusqu’au dernier jour, si nous en prenons soin. Nous avons admis une fois pour toutes que la vie nous était indispensable, certes, mais trop courte, pour tout voir, tout comprendre et tout entendre. Ici, nous savons que la liberté a une couleur et une saveur et des milliers de parfums. Nous l’avons découverte attachante et aimante, puisque depuis, pareille à l’amitié, elle nous colle à la peau.

     

     

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