• – Chez nous, sous un ciel qui n’en finit jamais d’être changeant, le temps ne se décline pas en kilomètre ni même en heure. Avec son complice l’alizé que l’on suppose essoufflé tandis que les ténèbres de la veille lui avaient imposé le retrait sous la forêt, le jour se lève toujours aux accents de romances jamais entendues auparavant. On croirait qu’il met à profit la tiédeur de la nuit pour en écrire de nouvelles. Elles disent toutes la grandeur et la douceur de mère Nature. Chaque composition musicale est ornée d’une fleur fraîchement éclose, d’un trille tout droit sorti de la gorge du pipirit, premier oiseau réveille-matin, alors que l’aube accroche ses perles de rosée aux rameaux des végétaux. Pour un moment, ils sont heureux de se retrouver agrémentés d’une lumière scintillante et changeante, qui met en valeur leurs camaïeux de verts, les faisant ressembler à des académiciens. S’il nous était possible de décrire le bonheur en quelques mots, nul doute, qu’ils seraient ceux de la renaissance de la lumière éblouissant le monde ! Ce n’est pas pour rien que la forêt distille ses fragrances sitôt la brume dissipée, pour les dissimuler dès que les rayons du soleil sont trop ardents. Elle les libérera à la tombée du soir, comme si elle voulait nous laver des impuretés de la journée. Puisque l’aube nous invite à la joie, pourquoi ne pas la rejoindre et partir vers des amis pour la leur offrir tel un cadeau ?

    Devant nous s’ouvre une piste. Elle nous convie à suivre son long ruban de terre. Elle est rouge comme le sang, symbole des souffrances, car ce pays en a connu durant des siècles. Afin que les hommes ne l’oublient jamais, elle a choisi de colorer les chemins pour que l’on se souvienne des larmes versées pour conquérir la liberté. Sous le soleil écrasant ou sous la pluie battante, nous roulerons des heures sans que nous rencontrions personne, comme si nous étions sur une planète inconnue, jamais visitée par les hommes. Les paysages traversés font des efforts pour nous être agréables. Des fleurs sauvages bordent la lisière de la forêt, des lianes de toutes les formes s’approprient les houppiers. À notre approche, des animaux s’enfuiront ; le jaguar vif comme l’éclair sautera dans les hautes herbes tandis que le boa préférera s’arrêter pour laisser passer le danger. Infatigables, les singes suivront les intrus, car à leurs amis et voisins ils auront des choses à raconter. La piste ressemble à la vie. Elle s’étire lentement, nous surprend à chaque virage et nous fait croire qu’il ne s’y passe jamais rien. Pourtant, les événements se succèdent. Parfois, c’est un arbre qui a profité de la nuit pour essayer de s’enfuir. Mais les lianes qui ne sommeillent jamais lui ont fait un croc-en-jambe et le voilà effondré au beau milieu du chemin, encore honteux de sa tentative. Plus loin, il se peut qu’une crique ait envahi et même emporté une partie du ruban latéritique. Alors, il faudra construire un gué.

    Ainsi, les événements mis bout à bout feront oublier que le temps existe et qu’il se complaît à le meubler de surprises destinées à ceux qui l’auraient négligé. Le promeneur à la manière de l’artiste remplissant son tableau file d’une étape vers une autre. Qu’importe alors la montre, nous savons qu’au bout de la peine, il y aura toujours quelqu’un qui sera heureux de nous accueillir. En même temps que son cœur, il ouvrira tout grand la porte de sa maison, et nous invitant à le suivre sous le carbet il partagera sa journée et ses émotions avec nous. Autour d’une bonne table débordante de fricassées de viandes de bois, de légumes tout droit venus du jardin vivrier, les bons mots fuseront et les sourires se croiseront sans jamais se heurter, et les confidences changeront de camp. Le soir en embuscade nous piégera chez l’habitant, et la fête se terminera dans les hamacs tout exprès tendus pour la nuit.

    Mais qu’importe, les heures ; le sablier s’est arrêté quand les ténèbres se sont installées. Aujourd’hui clôt son logis, mais demain qui sommeille dans les bras de Morphée, sera aussi une très belle offrande du temps. Il sera, à n’en pas douter, certainement composé d’émotions nouvelles, et il est de bon ton de ne pas le mettre en cause à l’heure où les étoiles nous racontent l’histoire merveilleuse et ô combien mystérieuse du ciel.

    Chacun est heureux et la présence de tous efface les fatigues ; peu importe la longueur des pistes puisqu’elles conduisent vers le bonheur et la fraternité.

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  • — Vous, les hommes nourrissant si peu de reconnaissance en vers moi, acceptez que je vous confie les raisons de mon désespoir. Sachez que pour votre confort et votre plaisir, je prends ma source aux pieds des monts après avoir connu le bonheur des longs voyages, transportée dans l’intimité des nuages. De là-haut, j’ai d’abord admiré la terre. Parfois en certains pays je ne fus pas sans remarquer qu’elle s’épuise, semblant même demander pardon d’avoir sans doute désiré être trop belle ou trop riche, alors qu’en d’autres lieux elle n’en finit pas de s’asphyxier sous les flots. Tout au long des saisons, je m’infiltre pierre après pierre, allant d’une veine à une nappe, y puisant les trésors indispensables à votre bien-être et à celui de la planète entière. Ne l’avez-vous pas vous-mêmes qualifiée « de belle bleue » durant des siècles ? Lassée d’être au secret dans les entrailles de la Terre, un matin, j’apparais saluée par les rayons du soleil qui se vautrent à ma surface sans retenue, alors que les oiseaux délicatement, trempent le bout de leur bec pour goûter à ce nouveau nectar.

    Dans les ténèbres de l’humus, je me suis débarrassée de toutes les impuretés pour ne conserver que les sels minéraux nécessaires à la survie de la faune et de la flore. Mais de la tienne aussi, homme, qui fut si longtemps mon ami et qui se transforme inexorablement en mon plus grand ennemi, sans même daigner avec humilité me donner quelques explications quant à ce profond changement. Pour toi, cependant je brave tous les dangers. Je saute de rocher en rocher volant l’oxygène au vent pour le transmettre sans contrepartie aux organismes vivants dans mon flot et parfois me laisse emprisonner par les glaces de la saison oublieuse de la vie, dans les pays des grands froids. Aux heures chaudes des joyeux étés, je m’enfuis dans les sous-bois me rafraîchir et me reposer, prêtant volontiers mon onde à qui cherche à découvrir son âme en mon miroir. Sous les ramures, je laisse les habitants des forêts venir se désaltérer à mon eau domptée et même à s’y prélasser.

    Parmi les hommes, certains essayent de me détourner, mais sans cesse je reviens dans le lit que j’ai creusé durant des millénaires, même si ce dernier se réduit dangereusement. D’autres, plus malins, pompent jours et nuits et me conduisent jusqu’à leurs habitations où ils me font subir les pires humiliations. Ils me rejettent ensuite, souillée de leurs maladies et de leurs vices, me laissant mourir doucement, sans un regard, sans un merci.

    Je reprends mon cours pour me réfugier dans l’océan. Hélas, lui non plus ne peut guère me réconforter. Comme nous tous, les rivières et les fleuves, il est victime lui aussi, de bien trop de mauvais traitements. Lui, cependant réserve de vie incontestable de la planète, voilà qu’à son tour il manque d’oxygène. À une époque, ne disait-on pas de lui « qu’il lavait tous les maux » ? Maintenant le slogan pourrait celui-ci : si tu veux un nouveau mal, à la mer, va te baigner ! 

    Homme, toi qui fus mon compagnon durant des siècles, m’expliqueras-tu pourquoi tu me méprises avec autant de force ? Comment peux-tu marcher le long de mes berges avec dans le regard tant d’orgueil qu’il t’empêche de m’apercevoir et d’entendre ma douleur ? Dis-moi, à l’instant où dans l’intimité des corps tu dispenses l’amour, garderais-tu en égoïste l’essentiel des sentiments pour toi ? Prends-tu donc à la vie sans jamais donner en retour, pas même un sourire ?

    T’aurai-je blessé sans le vouloir ?

    Sais-tu que bientôt, je vais irrémédiablement m’épuiser ? Ce faisant, à regret, certes, mais sans que je puisse ne rien faire, je te laisserais dépérir sur mes berges érodées. Par ta faute, nos sources vont se tarir, et avec elles tes espérances. La vie va s’éteindre comme la chandelle arrivant à la dernière extrémité de sa mèche alors que la dernière rivière aura fini de couler. Il n’est pas dans mes habitudes d’être alarmiste ni même défaitiste ; aussi vais-je te rassurer. Tout n’est pas définitivement perdu, mais le temps est venu pour que tu réagisses enfin ; ainsi, au fil de mon eau, les chants retrouveront leurs couplets, et tu aimeras en reprendre les refrains qui te feront sourire en admirant tes enfants jouer dans nos gués.

     

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    — Quand on a eu l’opportunité de voyager, de s’installer dans de nombreux pays et d’y vivre comme les indigènes, à l’heure où les souvenirs nous rappellent à l’ordre, il est temps alors de les remettre à la lumière afin qu’ils aient le sentiment d’entamer une nouvelle existence. Mais pas seulement les événements que la mémoire a enregistrés. Pour nous aussi, c’est la satisfaction d’avoir vécu plusieurs vies, comme si à chaque voyage nous renaissions et qu’il nous fallait tout réapprendre. Partout autour du monde le ciel est identique, le soleil y brille de la même façon et le cœur des hommes est au diapason. Le mot passion ne s’écrit pas différemment, le bonheur donne du courage en l’embellissant d’étoiles scintillantes qu’il dépose dans les yeux des femmes s’abandonnant dans les bras du compagnon, dans l’intimité des ténèbres.

    Ainsi, dans les zones montagneuses du pays qui fit part de ses premières émotions à mon cœur, dans les régions reculées et parfois oubliées, le temps semblait avoir aimé la vie à ce point qu’il s’y était attardé. Il avait laissé filer vers les plaines lointaines ceux qui étaient pressés de connaître les lendemains avant même d’avoir épuisé le jour présent.

    En ces lieux à mi-chemin entre le ciel et la terre, les travaux se faisaient toujours selon des coutumes ancestrales. C’était les bœufs qui faisaient office de tracteurs, élégants, dont les muscles saillaient sous une robe sans pli. Infatigables, sous le joug qui les unissait, ils tiraient charrues et tombereaux, pudiques, mais puissants lorsqu’ils étaient de chaque côté du timon du fardier, arc-boutés sur leurs pattes pour sortir le bois des ornières. Dans les champs trop pentus, c’était à la main que les foins et les blés se fauchaient.

    On avait choisi de rester aux vieilles méthodes, car c’étaient celles qui correspondaient le mieux à leur caractère. « On ne va pas garder les vaches ou labourer en costume et cravate » aimait à me dire un ancien. Il avait raison et je me plaisais à regarder ces hommes qui avaient été formés à la meilleure école que l’on n’ait jamais inventée. Celle de la vie, qui élève les gens comme on taille les arbres rebelles, branches et rameaux, afin que plus jamais ils ne cherchent à baisser la tête.

    Eux, depuis l’enfance, ils avaient appris le courage et l’humilité, mais aussi le respect envers les êtres et les choses. Ils ne s’en enorgueillissaient pas, mais ils devenaient des gens sages sans jamais imposer leurs pensées. Rien de ce qui les concernait ne leur était étranger. Ils parlaient peu, non parce qu’ils ne connaissaient pas les mots, mais sans doute qu’ils les jugeaient inutiles en de nombreuses occasions. Pourquoi auraient-ils perdu du temps à méditer et redire mille fois qu’une chose est belle ? Elle l’est, tout simplement. Il n’y avait aucune raison particulière à comparer le parfum subtil d’une fleur à une autre. Il était préférable de profiter de ses fragrances avant que les ténèbres n’emportent dans l’oubli celle qui avait embaumé le jour. Ils ne se permettaient pas d’interroger le ciel, ils l’observaient à la dérobée. Qu’ils étaient beaux quand ils se baissaient sur la terre pour en prélever une poignée qu’ils filtraient entre leurs doigts ! Dans ces moments, ils ressemblaient bien à ces pères qui caressaient d’un geste un peu timide le dernier né qui dormait dans son couffin d’osier ou de coudrier sous le couvert d’une haie.

    Un enfant, c’est dès la première heure qu’il doit reconnaître l’odeur de la terre et le chant des oiseaux, disait-on alors. Ils hochaient la tête quand ils devinaient proche la catastrophe. Ils esquissaient un sourire tandis que l’épi était lourd et bien gonflé, pressentant que le grain serait de qualité. C’est pourquoi les hommes avisés des campagnes posaient rarement des questions à la nature. À quoi, bon, n’en étaient-ils pas les associés ? Ils étaient accrochés à la terre comme la bruyère retient le talus. Il semblait que rien ni personne ne leur ferait lâcher prise. C’est vrai que leurs dos étaient voûtés par les fardeaux, leurs doigts étant noueux comme un cep de vigne après les vendanges. Leurs mains avaient des sillons aussi profonds que ceux qu’ils ouvraient dans le sol. La peau de leur visage était sculptée par les ans, le vent et le soleil. Ils avaient autant de rides que de saisons vécues.

    Ils étaient l’exemple du temps qui n’avait pas besoin qu’on le lui en accorde davantage. Ils étaient seulement des hommes qui depuis le début du monde étaient tout à la fois les seigneurs et les valets de la terre que le temps façonna à force de servitudes.

     

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    — Maintenant que dans ma vie il se fait tard, je me rends compte que bien des choses et des évènements s’enfuient de mon esprit, tels des rats fuyant le navire en perdition. Il est vrai que je ne fis guère d’effort pour les retenir. En ai-je seulement le pouvoir et même le désir ? Ainsi, ce mal qui encombrait ma tête dérive-t-il sur les caprices du fleuve de ma vie, entraînant à sa suite les souvenirs qui furent les artisans de ma mémoire et qui vont se fracasser sur les rochers des cascades d’où ils seront emportés dans les tourbillons.

    Comment reconnaît-on que la saison de l’oubli est proche de nous, me demanderez-vous ?

    Oh ! Vous ne pouvez pas ne pas la distinguer clairement. Devant vous, elle étire les ombres que vous pensiez à jamais disparues sur les chemins fréquentés tout au long de votre vie. Obstinées qu’elles sont, elles vous indiquent toutes les étapes traversées ainsi que les tourments qui se sont complu à vous assaillir.

    Si je pouvais établir la liste des maux pervers dont les chimères obscures m’ont fait souffrir, il ne fait aucun doute qu’elle serait longue. En bonne place, j’y inscrirais le souvenir le plus douloureux ; celui qui transforma chaque gravier des chemins en d’énormes pierres montant à la rencontre de mes pas apeurés, cherchant à les éviter. Mais rien n’y faisait ; sans cesse, elles se mettaient en travers de ma route et tendant l’oreille, c’est tout juste si je ne les entendais pas ricaner. Conscient des nombreuses difficultés encombrant mon horizon, je me résignais en prétextant qu’il est impossible d’oublier un sentiment fourni par le cœur, qui jamais ne fut, à plus forte raison s’il n’a été gravé dans l’écorce de l’arbre au pied duquel vous me déposâtes mère, dans l’intimité d’une longue nuit d’hiver retenant son souffle pour ne pas crier sa douleur. 

    Puis vint l’interminable litanie des souvenirs qu’aucun enfant n’aime à se rappeler. D’abord l’indifférence collective, les rumeurs malignes qui s’insinuent dans chaque pli du jour afin que les ténèbres les inscrivent à leur patrimoine ; mais également les rejets de ceux qui craignent pour leur confort et les refus des accès au bonheur. La jalousie n’est jamais bien loin, comme si l’on pouvait envier la misère de ses voisins. Les brimades de toutes sortes ont fait leur chemin, les injustices leur ont emboîté le pas, les sentiers sont plus doux lorsqu’ils sont tracés par les autres.   Au fur et à mesure que les chaînes se libèrent, c’est autour des regards qui n’ont jamais pu s’exprimer pleinement, de lancer une ultime œillade enflammée et rancunière avant de partir à la recherche d’une nouvelle patrie où les attendent des innocents. Les fausses accusations bouclent leurs bagages qui à cause de leur grand poids vont laisser des marques sur les chemins. Les dernières mauvaises prédictions, à défaut d’argument, se trouvent des ailes pour s’enfuir plus vite.

    Soudain, comme après un cauchemar, le cœur reprend un rythme plus calme, il vient de sentir qu’une nouvelle vie passe à portée des sentiments. Cette autre période de l’existence, que l’on a tant désirée, on se surprend à la souhaiter aussi belle qu’un printemps qui ne voudrait jamais finir. En sa compagnie, nous irions par la terre entière installer des bourgeons fleuris sur chaque rameau et leurs pétales se revêtiraient de couleurs qu’aucun peintre n’a encore imaginé.

    Plus jamais nos traces ne laisseraient derrière elles une histoire pénible à raconter, puisqu’elles seraient transformées en de merveilleux pas de danse.

    Il serait venu aussi le temps de la musique, celle dont l’orchestre céleste ne se lasse jamais de jouer, puisant ses notes des jours nouveaux dans les cœurs des gens heureux pour les imprimer dans ceux des malheureux. Puisque la mémoire est enfin libérée, la place est maintenant disponible pour que vive le bonheur que rien ni personne ne viendra corrompre, et jusqu’au dernier jour je m’efforcerai d’y faire briller un seul souvenir.

    Celui qui nous réunit un matin de printemps, et qui pour nous séduire, décida d’inscrire haut dans le ciel en lettres d’or les paroles de l’amour. Comme il n’a pas l’habitude de l’écriture, le firmament s’est essayé à plusieurs messages, pour, finalement, ne faire qu’une image qui reflète à la perfection mes émotions. ²Le mien se mit à battre plus fort lorsqu’il se vit inscrit dans l’azur, comme s’il voulait me faire comprendre que toi et moi nous n’étions pas à la saison de l’oubli, mais bien à celle du renouveau.

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  • — Ne vous est-il jamais arrivé au cours de vos promenades de vous arrêter devant un jardin semblant abandonné, et où la végétation reprend sa place, avec autorité, sans se soucier des réflexions des passants ? Laissant notre regard explorer chaque recoin, nous ne serions pas étonnés d’y découvrir des souvenirs ; mais pas toujours ceux auxquels l’on pense. Ils sont de ceux qui déposent un goût amer dans les mémoires de ceux qui naissent au lendemain d’un grand malheur.

    Ne pouvant détacher mon regard de ce qui fut sans doute un lieu qui put être un petit paradis, j’accorde une totale liberté à mes pensées.

    Alors, n’y tenant plus, j’ai soudain l’envie de redonner vie à cet endroit qui avait certainement connu une très belle époque, à en juger par les vestiges qui demeure, même s’ils nous donnent le sentiment de souffrir pour nous faire croire qu’ils existent toujours. Ce n’est pas que je voulus que ce jour soit plus triste qu’un autre, mais en tous lieux je sais qu’il y eut des heures heureuses et qu’il est bon de temps en temps, de les faire revivre. La position des chaises nous laisse supposer que si l’amour n’est pas né en cet endroit, à tout le moins, il y grandit et dura probablement longtemps et même suffisamment pour imprégner l’environnement de douceur, puisque des fleurs sont là pour le prouver. J’ai envie de croire qu’il était une sorte de jardin secret d’un couple uni par un bonheur qu’aucun évènement n’avait terni et que les mots ne s’y échangeaient qu’à voix basse, pour ne pas troubler la douce quiétude des soirs d’été.

    Ce jardin était alors le refuge où ils laissaient vagabonder leurs pensées qui finissaient toujours par se rencontrer, car l’amour est fait de telle sorte qu’il ne supporte pas que les sentiments restent longtemps sans puiser de la force dans ceux du compagnon ou de la compagne. Ainsi, outre les mots, c’était aussi les sourires qui faisaient le tour de massifs entretenus, se posant sur les fleurs pour revenir enrichis de parfums enivrants. Instinctivement, la main de l’un cherchait celle de l’autre et sans qu’ils aient dit le moindre mot prouvant leur connivence, ils demeuraient de longs moments silencieux ; jusqu’à l’instant, où leurs regards complices obligeaient les lèvres à dessiner un cœur, tandis qu’une perle de diamant ourlait le rebord des paupières. C’était alors la parfaite communion des êtres et des choses, quand l’air lui-même n’amène que le souffle de l’amour qui nourrit le bonheur jusqu’à la rencontre du nirvana.

    Le jardin comprit dès l’aurore qui refusait presque de déposer la lumière sur le parc, qu’un évènement était survenu chez ce couple qui pourtant n’avait jamais connu la moindre séparation.

    Il était permis d’imaginer qu’ils n’étaient pas nés au hasard des jours, mais bien l’un pour l’autre, comme s’ils étaient venus en ce monde en se tenant déjà par la main. Aux secrets que le jardin détenait, s’ajouta celui qu’il redoutait depuis longtemps. Il le comprit quand il vit déambuler dans les allées, l’un des époux à la recherche de l’âme sœur perdue, une phrase interrompue, un sourire égaré ou un parfum envolé.

    Afin de tenir compagnie à celui qui posait sa main sur la chaise vide, le jardin se fit plus généreux en soulignant les massifs de couleurs plus éclatantes et les fragrances plus soutenues. La nature tout entière sembla être à la disposition du visiteur désemparé en essayant de restituer par les feuilles toutes grandes ouvertes, les mots d’alors, ceux qui avaient si bien su faire sourire et chanter l’existence au long des heures heureuses.

    Un jour, le chagrin l’ayant emporté, la seconde chaise resta à son tour inoccupée. Le lieu attendit bien quelque temps, mais il dut accepter l’évidence. Le deuxième personnage ne s’y rendrait plus.

    Il s’en était allé rejoindre son double dans un autre parc immense, ignoré des hommes, où les massifs riches en couleurs sont encore plus généreux, seulement fréquenté par les âmes qui attendent la venue de ceux qu’elles ont aimés. Sur terre, dans le jardin abandonné les plantes et les fleurs en ont profité pour occuper l’espace, car elles sont les symboles de la vie. Ce sont elles qui illuminent nos jours en leur donnant un sens et elles nous font comprendre que ce que nous recherchons indéfiniment, elles savent le réaliser inlassablement.

    Elles naissent et meurent aussi, mais sans cesse reviennent pour de leurs fragrances embaumer nos jardins, notre paradis et nos pensées. Elles seront d’autant plus belles qu’elles auront été nourries avec notre amour et nos sourires.

     

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