• — Dès que les outils informatiques ont fini d’éponger le trop-plein d’humidité et si durant la nuit un phénomène quelconque n’a pas endommagé la ligne, j’ai le plaisir de découvrir quelques courriers électroniques, des messages et des signes d’amitié par le biais des réseaux que l’on s’évertue à nommer « sociaux ». Vous dirai-je à nouveau la joie qui est la mienne à la découverte des mots qui prennent bien vite l’apparence de ceux qui les écrivent, qu’ils soient à quelques kilomètres de chez nous ou sur d’autres continents ? Lorsque j’ouvre la « boîte » aux secrets, généralement le jour n’a pas encore choisi la couleur de son habit. Bien que sous notre latitude il ne soit jamais très long à se décider, il passe cependant par de nombreuses hésitations et autant de teintes, avant qu’il ne finisse par se présenter. On croirait même qu’il attend l’instant où vos signes discrets posent vos sourires sur mon écran. Vous dirai-je qu’il m’arrive d’imaginer que dans l’herbe qui recouvre le chemin conduisant à la case, dans la rosée qui rince les végétaux des cauchemars des ténèbres, me penchant discrètement, il se pourrait qu’un beau jour je reconnaisse les traces laissées par les empreintes de mes amis (es) qui ont fait un détour par la forêt.  

    Du fond de mon âme, je ne puis que vous dire un immense merci pour cette fidélité qui fait si chaud au cœur, même si parfois les éléments m’empêchent d’accéder à vos sites avant un ou plusieurs jours. Nous voudrions ignorer les évènements et pouvoir passer par-dessus eux, mais ils nous rappellent sans cesse qu’ils sont et seront toujours plus puissants que nos simples désirs. Pour nous prouver que nous devons compter avec eux, il arrive souvent que le pylône, véritable cordon ombilical par lequel passe le courrier et autre commodité, soit foudroyé, nous isolant un peu plus du monde. Alors, rangeant mon impatience au fond de mes poches, je parcours mon petit morceau d’Amazonie. Je pénètre sous les bois, m’enfonçant plus avant sous la forêt à la recherche d’un layon que la nature se plaît à refermer dès que je lui tourne le dos ; j’escalade les collines qui bordent le fond du terrain, dans l’espoir de retrouver la chose qui, à mes yeux, revêt la plus grande importance ; je veux dire le temps.

    C’est lors d’une de ces escapades que je m’aperçus que mon allure n’était plus aussi vaillante que par le passé. Au détour de l’un de ces sentiers, je compris que l’existence se lassait de m’accompagner. Je la devinais pressée de me doubler, ne prenant même pas la peine de me pousser. Pour la première fois de ma modeste histoire, il me fallait admettre qu’elle n’était plus la merveilleuse guide que j’aimais qu’elle soit à mes côtés. Elle me laissait gérer ma vie à ma façon, à mon rythme, comme une musique dont on prend soin de la jouer à la manière d’une berceuse.

    Ce soir-là, de retour de mon escapade forestière, entre deux appréciations, je levais la tête vers le ciel alors que la lune était encore endormie de l’autre côté de la terre, et je n’en crus pas mes yeux !  

    Était-ce un signe qui m’était adressé ? Les étoiles s’étaient réunies formant un cœur parfait, dans lequel elles semblaient scintiller plus intensément que de coutume. Alors, dans ma poitrine, le mien s’émut plus que de raison. Je ne pouvais pas ne pas associer ce phénomène merveilleux à autre chose qu’à un signe que sans nul doute il était le nouveau message que vous m’adressiez.  

    Je sais depuis toujours l’importance que revêtent les mots et les sentiments à l’instant où les lèvres n’osent plus prononcer les paroles attendues depuis longtemps. Il est si difficile de dire « je t’aime » à un ou une amie, à qui pourtant l’on confie tous ses secrets !

    Cependant, nous savons qu’une fleur paraît moins éclatante si elle n’est pas accompagnée par un parfum subtil et qu’une eau claire recueillie dans le creux d’une main souillée devient impropre. Sans leurs chants et leurs appels, les ballets que mènent les oiseaux soudain, sont sans intérêt, presque tristes, et que les meilleures douceurs de la vie se transforment rapidement en breuvages amers, faisant frémir la peau alors que les larmes sourdent sous les paupières.

    C’est alors que nous réalisons que rien n’est plus beau que la chose, l’image ou le panorama si nous ne pouvons le partager avec ceux que l’on aime. Le constat que des âmes peuvent manquer à des âmes sœurs me remplit d’émoi, de même que les sourires ne seraient rien si sur les visages de nos amis nul autre ne s’affichait. Alors, si vous me le permettez, ce cœur scintillant dans ma nuit, je me fais un devoir de vous l’offrir, car les sentiments qui s’accrochent à nos regards ne le font que dans l’espoir d’être partagés.   

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1


    1 commentaire
  • — Aujourd’hui, avec votre permission, j’aimerais vous emmener sur un marché aux bestiaux original. Celui d’Ambalavao à Madagascar. Vous n’avez pas tort de me le faire remarquer ; ce n’est pas la porte à côté, mais je vous assure que la raison mérite le détour.

    Ne cherchez aucune comparaison avec les foirails de chez nous ; certes, il y a si longtemps que je n’y suis plus retourné, que je me demande s’ils existent encore ! Toutefois, en ma mémoire, le souvenir de bêtes qui rivalisaient de muscles et de robes impeccables pour attirer les regards des maquignons se disputant les plus beaux animaux, demeure toujours intacte. Depuis ces temps anciens, j’ai connu bien d’autres types de marchés sur lesquels les bestiaux semblaient s’ennuyer sous les regards d’hommes qui n’étaient pas moins tristes. L’une de ces manifestations hors du commun a retenu mon attention plus que d’autres. C’était celle où les troupeaux étaient convoyés depuis les contrées les plus reculées pour une occasion bien particulière. Il s’agissait de la fête du retournement des défunts.

    Sur le marché, ce n’était pas les bêtes les plus grasses que l’on recherchait, car la manifestation allait durer plusieurs jours tandis qu’aux familles elle était coûteuse, et générait de gros sacrifices. Mais en ce beau pays, l’attachement aux disparus est si grand, que l’on ne saurait leur montrer combien on est toujours respectueux de leur souvenir.  

    À bien observer les animaux, on se demande si les zébus n’ont pas deviné les raisons qui les ont conduits jusqu’ici. On croirait même qu’il n’est pas innocent si les monts que les bêtes regardent avec nostalgie ne sont pas recouverts d’une épaisse et grasse pâture. C’est sans doute pour qu’ils ne regrettent pas les temps d’hivernage qui faisaient reverdir les prairies et ainsi, suivre le nouveau propriétaire qui le mène au sacrifice. Le pauvre zébu avait bien raison de se faire du souci. Dans peu de temps, il sera transformé en un gigantesque festin qu’accompagneront force légumes et autres friandises.  

    Pour l’occasion que l’on ne manquerait pour rien au monde, la famille et les amis seront venus de loin, parfois même eurent-ils besoin de marcher plusieurs jours. Au fur et à mesure que le jour fatidique se précise, la fièvre monte dans le village et autour des tombeaux. Un orchestre et des chanteurs seront conviés pour que la fête soit complète. Avant d’entamer les agapes, on aura ouvert les sépultures des défunts. Avec respect, les proches des familles disparues s’emploient à réunir les dépouilles des anciens dans les vieux linceuls, afin de les transporter ensuite vers les invités qui chantent et dansent, passant de mains en mains, de bras en bras, et même sur les épaules. Après un méticuleux nettoyage des restes, ceux-ci sont enfin disposés dans un lamba neuf (très beau tissu) généralement en lin de couleur blanche, de bonne qualité et précieusement brodé, où l’on aura pris soin de réunir les membres d’une même famille. Les chants, les rires et les mots choisis n’auront cessé de créer l’ambiance, jusqu’au moment où le cortège composé des vivants et des défunts s’ébranle en direction du village et de ses environs. La joie est immense de pouvoir renouer le temps passé avec le moderne. Le bourg est parcouru jusqu’à l’emplacement supposé des anciennes demeures. On fait un détour par les champs et les lieux qui connurent les pas des disparus.

    Au fil des heures et des jours, l’ambiance ne retombera pas. La musique enchaînera les airs, les danses se succéderont et les lambas contenant les ossements n’en finiront pas de tourner autour des invités qui iront jusqu’à l’enivrement complet, communiquant leur plaisir aux ancêtres. Tout au long des jours où le festin se poursuit, on n’oublie pas de prier et de demander aux anciens d’intercéder avec ferveur le Très-Haut afin qu’il veille avec indulgence sur la famille souvent éparpillée, et sur tous ceux que l’on aime, qu’ils soient près du cœur ou loin des yeux. Avant que la fête ne se termine, on remet les restes des défunts dans leurs sépultures où enfin ils retrouvent un repos bien mérité. Ils y attendront parfois très longtemps pour certains, le prochain retournement, car pour les familles, ce sont des années d’économies et de privations qu’il va falloir à nouveau faire, pour espérer retrouver cette ambiance qui n’existe que ce jour-là.  

    La réunion est maintenant arrivée à son terme et de l’avis général, elle fut belle, même si pour de nombreuses familles déjà au bord de la misère, l’endettement est très important. Mais il est une certitude qui ne disparaîtra jamais ; l’amour et la considération des siens ne méritent-ils pas que nous souffrions un peu ?

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


    votre commentaire
  • — À notre sujet, il s’est toujours murmuré des histoires dont on ne sut jamais si elles étaient la réalité ou si elles étaient nées de légendes qui courraient sous les grands bois. Je ne prétendrai pas que la nôtre est exempte de fautes ; mais quel peuple sur cette terre si malmenée pourrait se targuer de vouloir nous faire la morale ? Où sont-ils, les hommes qui n’eurent pas à lutter pour obtenir le droit d’exister ? En regardant dans l’immense forêt qui fut toujours notre maison et notre modèle de vie, n’y trouve-t-on pas les meilleures références ? Le jaguar n’use-t-il pas de sa force pour conserver l’exclusivité de son territoire ? Et avec quelles armes autres que ses dents et ses griffes dissuade-t-il ses adversaires d’investir son garde-manger ?

    Certes, dans le passé nous eûmes à défendre les nôtres avec la vigueur des félins, mais pas seulement. Il nous fallut également lutter pied à pied pour sauvegarder nos traditions et le droit de vivre comme nos ancêtres : en toute liberté ; ce grand sentiment qui fleurissait sur chaque branche, embellissant les ramures formant le toit de la forêt, pour qu’elle fût visible par les âmes habitant au ciel, afin qu’elles se rassurent, de n’avoir pas combattu leur vie durant inutilement.  

    Sans aucun doute, sont-ce probablement de pareilles émotions qui animaient les pensées de cette jeune épouse lorsque, regardant son ami au fond des yeux, elle était certaine que même s’il était dissimulé sous des couleurs de terres différentes, il n’en serait pas moins le plus brave, le plus fort guerrier combattant avec des armes inégales comparées à celles des envahisseurs, afin de défendre le seul bien qui leur reste : la forêt. Chez eux depuis des millénaires, aujourd’hui sans cesse ils sont obligés de reculer, sous les assauts incessants des hommes avides d’argent.  

    — Je ne trouve rien d’autre que mon admiration pour te dire combien je suis fière de toi, mon guerrier courageux. Tu es le plus beau représentant de notre tribu. Je ne suis pas sans savoir que certains ricanent derrière ton dos. J’en ai même surpris qui te montraient de leur doigt accusateur, sans se priver d’y rajouter des gestes dédaigneux. Qu’importe leurs avis. Toi, au caractère si fort, tu ne te laisses pas détourner de ton chemin à la simple vue d’un mirage. Qui sont-ils donc, pour avoir déjà oublié les leçons dispensées par nos aînés, alors qu’ils tombent à peine du nid ? Comment ont-ils pu perdre le goût du lait maternel, dans lequel étaient réunis les effluves de la sylve, la vérité de la vie et l’histoire de notre peuple ?  

    Quelques visites en ville ont suffi pour polluer leur esprit et les détourner du layon que les ancêtres avaient tracé à notre attention afin que nous ne nous égarions pas. Alors, les larmes devinant le chemin des yeux, je me demande parfois, comment des hommes en parfaite santé, peuvent-ils bien perdre la mémoire ? Est-il possible d’oublier la saveur si fine du coumarou (poisson des fleuves), la galette de cassave tout juste retirée de la platine et finissant de sécher au soleil, ou celui des parépous (fruits de certains palmiers, encore nommés poupougnes par les Amérindiens du Brésil) ? Mon ami, qu’arrive-t-il à notre peuple qui est à se perdre dans le dédale des ruelles des grandes cités, alors que les pistes de la forêt leur étaient parfaitement connues ? Ils ressemblaient à ces fils qui se tendent dans la vie et qui sont là pour nous servir de guides.

    Il ne nous est pas indispensable d’être instruits plus qu’il est nécessaire pour comprendre que certains des nôtres sont en train de négocier leur âme contre celle du diable. Voilà qu’ils s’abandonnent à la drogue, à l’alcool qui dilue leurs pensées jusqu’au moment où, noyées, elles disparaissent de leur mémoire. J’ai honte ; oui, pardon de vous confier ma grande tristesse au moment où je sais que d’autres peuples, eux aussi, autour du monde, tournent le dos à leurs origines. Je ne suis pas dupe. J’ai parfaitement compris comment certains personnages nous mentent et nous trompent.  

    Soit sans crainte mon bel ami. Je t’aime comme tu es, car tu es mon autre et je te suivrai au bout de la forêt si tu me le demandes. Tu incarnes la vérité, celle qui n’a besoin d’aucun artifice pour exister. Elle est ainsi depuis que le jour fut vainqueur de la nuit, et il nous revient le devoir de la faire vivre et vibrer au-delà de toutes les lunes. Le temps n’appartient à personne pas plus que nous devons être ou devenir les objets d’aucun personnage. Si la liberté ne devait être que la seule chose restante dans ce monde à cultiver, alors il nous revient d’en semer d’immenses parcelles afin que les récoltes se succèdent au long des jours.  

    Entre chaque rang, nous planterons aussi des rameaux de bonheur, afin qu’à maturité, nous puissions le confier à l’alizé qui le distribuera à travers le monde, sans oublier ceux des nôtres qui courent derrière les chimères dont les rires roulent sur la canopée.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


    votre commentaire
  • — Le comportement des hommes nous donne souvent le sentiment que notre monde est devenu trop petit. En tous points du globe, ils s’imaginent qu’ils n’ont plus suffisamment de place pour installer et faire fructifier leurs existences.

    Par tous les moyens, ils essaient de repousser les murs de leurs demeures et refouler toujours plus loin les limites des banlieues, comme s’ils voulaient construire les villes à la campagne, alors que dans le même temps, cette dernière s’épuise chaque jour davantage, en cherchant à contenir les assauts de toutes natures à son égard. En fait, il semblerait que cela soit la suite logique du désir de l’homme de conquérir de plus grands territoires, d’asservir de nouvelles populations et de réduire les espaces naturels à leur plus simple expression.

    Beaucoup sont pareils à des enfants qui ne se satisfont jamais des jouets mis à leur disposition ; si tôt le dernier cadeau offert, que déjà les regards se tournent vers le prochain.

    Les aînés montrent le chemin aux plus jeunes en lorgnant vers les étoiles et l’univers tout entier, à la conquête d’extraordinaires paradis.

    Depuis longtemps, les mers et océans n’ont plus guère de secrets pour ces terriens assoiffés de nouveautés. Les plus hauts sommets n’ont désormais plus rien à cacher et le sous-sol est sondé, prospecté, estimé afin d’y prélever toujours plus de profits. Au grand étonnement de la plupart des gens, dans le même temps d’autres populations font le chemin inverse. Les espaces immenses, elles les connaissent jusque dans les moindres buissons. La terre, pensent-ils, n’a pas tenu ses promesses. De vastes étendues n’ont plus rien à offrir que la misère qui avance à la vitesse d’un cheval au galop. Ils étaient des gens simples qui n’avaient jamais demandé à la nature plus qu’elle ne pouvait donner, mais de mauvais conseillers les ont poussé à employer des produits qui rendirent stériles des sols qui avaient depuis toujours nourri les enfants qui vivaient à leur surface.  

    Alors, en même temps qu’ils laissèrent derrière eux leurs illusions, prenant leurs maigres bagages, ils sont venus grossir, les rangs de ceux qui s’en remettent entre les bras de la destinée. Ils se sont joints à la cohorte de ceux qui n’ont plus rêvé ni espéré depuis longtemps. Pour eux, les frontières comme l’horizon n’existent plus. Ils sont à portée de mains et quelques pas suffisent pour aller d’un monde à son suivant, comme on le fait en traversant une avenue.  

    La vie qu’ils avaient imaginée immense et douce est transformée en une ruelle étroite qui sépare les baraquements. Elle jette les passants les uns contre les autres, comme si elle cherchait à les identifier et les immatriculer en leur qualité de miséreux. Dans ces quartiers souvent loin du soleil qui ne fait que le survoler rapidement, on a compris depuis longtemps qu’il ne fallait rien attendre de la providence. Elle est fière et orgueilleuse et elle s’offre à qui sait la provoquer à défaut de pouvoir la séduire.  

    Alors le hasard eut son mot à dire. Puisque le train empruntait le même chemin que les hommes, pourquoi ne pas leur permettre de s’associer ?

    Oh ! Ce ne fut pas sans moult palabres et autant de divergences, car la place pour avoir la chance d’attraper un peu de la vie ne se gagne pas seulement au moral. Des coudes il fallut souvent en jouer et l’audace dut toujours précéder les initiatives. Le long des rails qui conduisent les trains et leurs milliers de voyageurs vers le ventre des villes, un marché s’est installé dont on ne sait pas où il commence ni où il ne s’arrête. Au milieu de ce fragile équilibre, les rames sont souvent obligées de ralentir et parfois de s’immobiliser. Les passagers n’ont qu’à tendre la main ; elle se remplit bien vite de marchandises diverses, alors que dans le même temps, d’autres se referment sur une maigre monnaie qui s’en va rejoindre une autre tout aussi menue dans le fond d’une poche dont on sait parfaitement qu’elle ne sera jamais pleine. Elle aura le mérite de permettre à l’heure du bilan d’apporter un peu de réconfort pour la journée à venir. Quand la vie est rigoureuse et économe, on se contente de quelques miettes, sachant qu’il en faut pour tout le monde. En ce lieu où l’on a que très rarement la tête dans les étoiles, l’existence, on la connaît bien. Il ne se passe pas une journée sans qu’on l’écorche du bout des doigts ; mais on aime lorsqu’elle se décide à sourire et l’on adore l’écouter chanter.

    Avec impatience, on attend la rame suivante qui traversera le marché en caressant les étals et les gens sans jamais rien déplacer. Les uns et les autres se respectent et les boggies ont depuis longtemps appris à reconnaître les parfums des épices et des fruits qui semblent avoir été récoltés le long de la voie le matin même, alors que les champs où ils se sont épanouis paraissent aussi loin que les étoiles. Comme il faisait vivre le petit peuple, on ne trouva rien de plus beau que de nommer le train celui du bonheur, parce qu’il était le seul à faire son marché chez ceux qui avaient tout laissé derrière eux, sauf le sourire, indispensable à la vie.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     


    votre commentaire
  • — Il n’y a pas que dans le monde des humains que
    l’orgueil parfois fait dévier la pensée. Presque tous les éléments vivants à la surface de la Terre passent par des phases qui leur font croire que chacun pourrait être supérieur à l’autre. Pourtant, nous partageons bien la même planète, la malchanceuse à qui nous transmettons la plus grande partie de nos maux. Les forêts qui nous entourent et nous protègent ne sont pas exemptes d’accès de fierté.

    Ainsi, pouvons-nous entendre quelques échanges d’un végétal à l’autre, quand nous nous promenons sous le couvert des grands bois. Je surpris la conversation de plusieurs sujets, alors que, me reposant sous la voûte ombragée d’une magnifique futaie essentiellement composée d’arbres caducs, je laissais vagabonder mes pensées.

    – Mon cher disait l’un à son voisin, je me demande si nous n’aurions pas dû écouter ce que nos amies sempervirentes (toujours vertes) tentaient de nous expliquer à grand renfort de gestes démonstratifs.

    – Soyez donc un peu plus humbles ! criaient-elles entre deux rafales mettant à mal nos feuillages ne tenant qu’à un mince pédoncule.

    – Mais nous, feuilles qui dessinent le printemps dans la nature et dans les esprits des hommes, pourquoi aurions-nous accordé de l’importance aux nombreux potins et ragots qui circulent sous nos bois ? Ne sommes-nous pas les surfaces arborées les plus belles que la terre n’ait jamais portées ? Nos rameaux ne supportent-ils pas les plus merveilleuses feuilles qui sont la partie terminale des végétaux qu’elles représentent ? Nos formes sont immensément variées, en couleurs, mais aussi aux géométries étonnantes. Parfois, elles qui paraissent des membres s’agitant au moindre souffle peuvent être simples ou composées, lisses ou pubescentes et même cotonneuses. Qui ne s’est jamais retourné sur le passage d’une belle dame à la robe richement brodée ne peut comprendre que nous pouvons être fières de nos limbes ondulés, enroulés, souvent ciselés et parfois même savamment dentelés.

    À entendre dire les uns et les autres à longueur de temps que nous sommes les organes indispensables assurant la nutrition des plantes, il est naturel que nous ayons fini par craquer. Imaginez !

    C’est dans notre intimité que s’effectue la transformation de la sève brute que nous envoient les racines, en produit élaboré. Pas sans l’aide évidemment des grains de chlorophylle qui fixent le carbone et rejettent l’oxygène.

    C’est l’instant passionnant de la photosynthèse que les plus grands savants nous envient. Il paraît que nous sommes des poumons qui sont à l’écoute de notre hôte. Nous ouvrons en grand nos spores pour respirer, mais quand la canicule gagne la Terre, nous nous refermons pour éviter l’évapotranspiration tant redoutée des végétaux. Compte tenu de tous ces éléments, nous reconnaissons qu’il y avait de quoi devenir orgueilleuses ; mais hélas, également sourdes aux avertissements.

    On nous a si souvent dit et répété que nous n’étions que des éphémères qui ne brilleraient pas toute une vie ! Nous pensions les autres feuilles jalouses de l’intérêt que nous portent les peintres et les poètes. Nous ne savions pas alors que ce changement de couleur que les hommes accueillent en frappant dans leurs mains n’était pas autre chose que notre mort annoncée. Nous nous imaginions sans doute être cigales ; voilà que nos rêves s’éteignent les uns après les autres. Nous pensions refléter la vie et sa gaieté, tandis que nous ne sommes que des moribondes inondant la forêt d’une immense tristesse.

    Soudain, le vent fraîchit et ceux qui nous prétendaient les éléments indispensables nous tournent le dos. En chœur, les aiguilles des pins et des sapins lancent avec un accent d’ironie qu’ici bas, nul n’est irresponsable !

    – Comme tout le monde sur cette Terre, sachez que nous sommes tous au service des autres et qu’il se trouve toujours quelqu’un se croyant supérieur, qui vous exploitera en faisant fructifier ses avoirs.

    Vos hôtes vous ont utilisées afin de faire encore plus de bois ! Pas pour votre fonction que vous pensiez inégalable. Ah ! Ils vous ont bien eu !

    C’est alors que les caducs se remémorèrent ce que les persistantes leur avaient chuchoté au printemps.

    – Gardez un peu de votre éclat, il vous sera précieux dès les premiers frimas !

    De honte autant que de chagrin, vos feuilles se laissent tomber, en utilisant le vent pour retarder l’arrivée sur le sol où elles disparaîtront à jamais. Voici qu’en plus des limbes déchirés, s’éteint aussi notre mémoire, gémissent-elles. Adieu donc ! Monde si beau et pourtant bien ingrat, pour qui, afin de plaire à son seul plaisir réinvente chaque printemps une nouvelle histoire.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires