• LE BANC DU BONHEUR– Je dédie ces quelques lignes à un ami très cher qui eut la mauvaise idée de partir vers les songes qu’il nourrissait, nous laissant désemparés. Certes, son voyage l’éloigne à tout jamais de notre Terre, mais étrangement, de nos cœurs, il semble plus proche qu’il fût auparavant. 

     

    – Cette année, il me semble que l’automne ne fut jamais aussi éblouissant. Il est extraordinaire, avec ses forêts parées de mille couleurs et autant de parfums enivrants. La campagne, penserait-on, se dépêche de traverser les derniers beaux jours avant que la saison oublieuse la fasse prisonnière. En quelque endroit où le regard se pose, ce n’est que féérie, tel le bouquet final de feu d’artifice. Cependant, à ce décor hors du commun nous laissant imaginer que la nature est bien ce tableau vivant dont nous prenions plaisir à chanter la magnificence, aujourd’hui, il lui manque un élément ; toi, l’ami de tant d’années, que nous avions refusé de les compter.

    Je me souviens, lorsque tu me disais en baissant la voix :

    – Tu vois, quand il sera temps que je parte, je souhaite que cela soit au printemps, afin de ne pas donner aux feuilles d’automne l’impression que je désire les accompagner. Nous devons aller chacun de notre côté, car nous avons des ciels différents où remiser nos images de notre passage sur la terre.

    Depuis toujours, nous ne prétendions pas être plus croyants que les autres. Cependant, quelqu’un a entendu tes prières. Les frimas de l’hiver venaient à peine de quitter nos chères montagnes, quand un beau matin tu dis :

    – Ce que nous redoutions depuis si longtemps, mon frère, n’est qu’à quelques pas sur le chemin forestier qui conduit à ma demeure. Nous aimions trop cette vie merveilleuse qui nous prêta ses jambes pour nous permettre chaque jour de courir vers le lac de notre enfance. Je me souviens aussi de notre appréhension de voir qu’un jour ce bonheur put nous être enlevé.

    – Je te répondais que sans doute ce lac disparaîtrait de notre regard, mais de par le monde, les étendues d’eau ne manquent pas, et qu’avec ton imagination, tu reconstruirais un pareil décor. Je n’en ai pas le cœur, mais je souris encore, en écoutant tes mots. Tu m’affirmais qu’ailleurs était trop loin, et que de toute façon, les poissons y seraient certainement différents.

    – Tu comprends, ceux-ci me connaissent, ils sont un peu de ma famille, car c’est moi qui aie ensemencé cet étang. Ils ne sont pas qu’à moi, je suis à eux également ; ne le crois-tu pas ? Depuis le temps que je les nourris, de moi, ils ont tout appris, tout retenu. Ils n’ont pas seulement reconnu mes gestes ; ils les devinent et les devancent. Lorsque je viens sans bruit, pensant les surprendre, ils sont déjà là, frétillants et impatients. Ils se positionnent de chaque côté du banc, jamais en face, attendant les friandises qu’ils savent que je vais leur distribuer. Vois-tu, cela, je n’en ai jamais compris la signification. Pourquoi se mettent-ils ainsi de part et d’autre de moi, et non pas sur une rangée face à moi ?

    – En effet, c’est un mystère, te répondais-je. Cependant, il y avait forcément une raison, mais eux seuls en détenaient la clef. Ce devait être le petit quelque chose qui faisait la différence entre l’homme et le poisson, que l’un et l’autre avaient des secrets qui n’étaient pas partagés.

    Mon ami, ce matin où ton épouse m’appela pour m’annoncer ton départ, étrangement, dans sa voix, j’ai deviné un sentiment particulier. Certes, elle était abattue ; comment ne le serait-on pas, en de telles situations ? Mais entre les sanglots, j’ai ressenti comme une fierté à laquelle s’invitait une part de délivrance. En cette veille de Toussaint, je puis bien te dire ce qu’elle me rapporta, prenant une longue respiration avant de me dire :

    – Ton ami avait espéré si fort partir dans une aube de printemps, que le ciel l’a exaucé. Je le découvris sur son banc, sans ses cannes à pêche, qui, d’ailleurs, ne lui servaient jamais. Le poisson, il ne l’aimait que dans son élément naturel. Sur son visage était affiché cet air heureux qui ressemble à celui des enfants un matin de Noël. Je compris, l’observant discrètement comme si je voulais voler cette image au temps, que les hôtes du lac ni celui-ci n’étaient en rien dans son désir de nous abandonner. Il avait baptisé depuis toujours notre petit coin : l’éden. Il n’était bien que lorsqu’il se fondait en lui. Parfois, il murmurait afin de ne pas troubler la nature, qu’elle jouait pour lui seul,  sa plus belle mélodie. J’aimais l’entendre dire que pour atteindre le nirvana nul besoin n’est d’escalader les sommets les plus hauts. Le firmament, je m’y baigne en sa douceur quand je m’immerge dans notre lac. Notre étang est à ce moment le ciel, la Terre et ses promesses fécondes. Tant d’hommes sur notre planète sont à la recherche de la félicité, qu’ici, disait-il en souriant, nous la touchons du doigt, la caressons du regard en gambadant dans nos songes. Il ne manque à notre bonheur que les anges et leur musique céleste…

    – Mon ami ; te voici maintenant parmi eux, et je ne doute pas un instant que de là-haut tu admires ton petit paradis. Comme tu peux t’en rendre compte, ton éden n’a pas changé. Je suis à présent beaucoup trop loin pour l’entendre ; néanmoins, je ne serais pas étonné si, près du banc, par des matins embrumés comme tu les adorais, on surprenait  les trompettes de la Renommée jouer l’hymne à la joie, ton air préféré.  

    Cependant, mon ami, je ne puis m’empêcher de penser en ce jour de fête que là où tu te tiens, il y a beaucoup trop de ceux que j’ai connus et aimés et qu’autour de nous, le vide ne cesse de s’agrandir.

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    – Mes amis, nous vivons dans un monde devenu bien singulier, qui ne nous accorde que trop peu de temps pour observer ce qui se passe autour de nous. Et pourtant, il y a beaucoup mieux que les systèmes que nous avons créés et qui ne s’expriment qu’en devises ou monnaies de plus en plus trébuchantes. Celle dont je désire vous entretenir, sans jamais rien exiger de nous, n’a de cesse de nous protéger. Elle nous nourrit, alors que nous la voyons à peine et ne la remercions jamais. Vous l’aviez deviné, je veux parler de la nature une fois encore. Elle est notre principale alliée tout au long de notre vie, mais nous ne lui accordons pas toute l’attention qu’elle mérite, absorbés que nous sommes, par les incertitudes de l’existence qui nous invitent à leur  bal masqué quotidien.

    Cependant, nous avons l’obligation de sensibiliser nos enfants, depuis leurs premières années, et même le rappeler aux adultes si cela est nécessaire que sur la Terre, nous ne sommes pas les seuls à occuper l’espace, aimer et parfois, souffrir à cause de multiples raisons. Convenons une fois pour toutes que tout ce qui vit ici bas a un cœur pareil à cet arbre. Comme tous les sujets de sa famille, le sien est énorme et grossit  chaque saison, ajoutant un cerne à ceux qui se serrent depuis des décennies, pour n’en former qu’un. Lui aussi est protégé par une forteresse paraissant imprenable. Cependant sous son armure il est également vulnérable comme tout un chacun.

    N’avez-vous jamais imaginé ses douleurs, lorsque sur le tronc de l’arbre, le fiancé grave à l’aide de la pointe de son couteau un cœur transpercé d’une flèche, dans lequel il inscrira les initiales de sa belle aux côtés des siennes ?

    Certes, c’est touchant, mais loin d’être très original, car voyez-vous, c’est précisément cette forme de l’amour qui fait mal quand en plus de son propre chagrin il faut supporter celui des autres. Mais la blessure n’est pas superficielle. Elle demeura incrustée et saignante des saisons durant, jusqu’à ce que l’écorce finisse par la recouvrir, alors que parfois les promesses affichées sur l’aubier mis à nu se sont évaporées à l’orée du bois. Mais à l’intérieur du tronc, la cicatrice est imprimée à tout jamais.  

    Depuis tous ces siècles au long desquels les hommes sont sur la Terre, comment n’ont-ils pas appris à vivre leurs sentiments pour eux ? Est-il si difficile de les conserver en leur cœur et leur âme ? Pour quelles raisons se sentent-ils obligés d’impliquer le monde entier dans leurs affaires personnelles, qu’elles fussent du tourment ou de la joie ? Les arbres se plaignent-ils, gémissent-ils, lorsqu’un beau matin le temps a décidé de changer les règles des saisons en pressant le feuillage de quitter les rameaux auxquels elles étaient accrochées, et d’où elles ne distribuaient rien d’autre que l’existence ? Qui s’inquiète de son désarroi tandis qu’à son pied, le bûcheron l’attaque, sûr de lui et de sa hache, n’ayant en son cœur que de l’indifférence ? Qui entend les prières du végétal, dominées par le han de l’homme  ignorant les souffrances subies à l’instant où le tranchant de l’outil coupe une nouvelle artère et des dizaines de vaisseaux par lesquelles s’écoulait la vie, transformée depuis les frondaisons avec l’aide de la lumière, imaginant une photosynthèse parfaite, jamais égalée par aucun laboratoire ? Qui s’émeut lorsque l’oiseau se croyant en sécurité dans la ramure, soudain s’enfuit abandonnant sa nichée ? Il n’y aura pas eu de combat. Notre arbre sera vaincu sans qu’on lui ait accordé la moindre chance. Il saigne de toutes parts, il se retient toujours, mais devine que ses derniers instants sont comptés, et même s’il adresse une supplique au ciel par l’intermédiaire de ses branches tremblantes, rien ne fera reculer l’artisan.

    Voici encore un han, l’ultime coup. Il craque, frémis ; non de plaisir, mais de souffrance. Puis c’est l’effondrement de toute une vie, la fin d’une belle histoire. Il gît sur le sol qui essaya en vain de se faire doux pour l’accueillir. Il est désarticulé et allongé, ses membres brisés, écrasant les oisillons qui n’auront aperçu du jour que la cruauté du bûcheron. L’homme n’a pas achevé sa tâche. Il doit maintenant le trancher, le débiter, et le transformer. Cependant, dans l’intimité des nuits, son cœur continuera de vous interpeller, quand la vieille armoire de votre chambre gémira.

    Voyez-vous, celui des arbres ne sait pas battre la chamade ; leur bonheur ne s’exprime qu’au printemps lorsque les bourgeons éclatent à nouveau, indiquant avec tendresse à l’hôte endormi,  qu’il est temps d’aimer.

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    ÉLOGE À LA NATURE

    - Je ne peux pas renier les inventions des hommes, car la plupart nous ont rendu la vie beaucoup plus facile. Certaines ont enchanté nos jours, illustré notre quotidien, et pourquoi ne pas le reconnaître nous ont fait rêver, encore et toujours. Cependant, malgré tout le bien que je pense des innovations et de ceux qui les ont créées, ma préférence ira sans cesse vers quelque chose à la fois de simple et d’une complexité extraordinaire ; je veux dire par ces mots, celle qui nous entoure, et au sein de laquelle j’ai vécu. Certains l’ont déjà compris, car  je parle souvent d’elle. Comment ne pas le faire, alors que chaque jour depuis mon avènement, si je puis dire, je baigne véritablement dedans ?

    Oui, c’est vrai ; probablement que je me répète. Mais c’est bien de notre mère Nature que je désire faire l’éloge en quelques lignes. N’est-elle pas la fille unique de la Terre, au passé si admiratif dont l’homme par son égoïsme et son perpétuel entêtement salit et piétine le nom et l’habit ? Pour elle, j’ai écrit, dis-je ; mais j’ai aussi composé et chanté. Je l’ai honoré de mes sentiments, l’ai aimé passionnément, l’ai entretenue et défendu, sachant que mes actions n’étaient qu’une goutte d’eau dans l’océan. Toutefois, je pensais que si chacun de nous faisait un geste identique à ceux qui sauvent des vies humaines, mère nature pourrait survivre. Ai-je eu tort de l’imaginer ?

    Chaque matin, guettant le jour qui se hisse sur la forêt, je me dis que tout le monde devrait avoir la chance de pouvoir admirer celui qui nous accompagne jusqu’au moment où la nuit va étendre son voile délicat des ténèbres pour lui succéder. Mais elles sont obscures et discrètes à ce point, que pour les retenir, elles font appel aux étoiles pour que nous nous souvenions, et qu’en insistant, elles finissent elles aussi par nous envoûter. Cependant, de tout temps, c’est la lumière que je préfère. Au cours des heures, elles sont changeantes dans le seul but de nous séduire et de nous rendre heureux. Dès l’aurore, le ciel nous envoie un voilage tout de fine dentelle faite. À mesure que le soleil s’installe, le rideau transparent et vaporeux me trouble à ce point, que je ne sais plus s’il monte ou s’il descend. Il pare ma chère nature comme les femmes d’antan se recouvraient la tête avant de rentrer dans l’église à l’heure de la prière matinale. C’est l’instant où la forêt prend l’aspect d’une peau satinée qu’on ne se lasse jamais de la caresser. De minute en minute, le merveilleux cède la place à la féérie. Le firmament s’éclaircit, les rayons du soleil lancent leurs premiers avertissements, tels des projecteurs qui se fixent sur les acteurs et les suivent dans leurs évolutions sur la scène.  

    Humblement, je l’avoue, il m’arrive de me laisser posséder par la jalousie quand l’astre lumineux s’attarde trop longtemps sur ses feuilles encore humides de rosée. J’aurais tant voulu être à sa place, pour déposer un baiser de bienvenue sur chacune d’elle ! Souriant comme un enfant devant la vitrine d’un magasin exposant des jouets, j’applaudis presque dès que le vent s’introduit  dans les houppiers, berçant les jeunes rameaux comme des balançoires à la fête foraine. Mais, j’ai aussi tremblé les jours de  tempête, alors qu’elle tourmente les cimes, les faisant se rencontrer afin que les arbres prétentieux souffrent pour une fois de leur orgueil, tandis que le bois des uns écorche ceux des autres, occasionnant des blessures par lesquelles s’installent les parasites. C’est vrai ; il m’arrive parfois de regarder avec envie la lumière enserrer la nature à la façon que l’on a, d’étreindre celle ou celui que l’on aime, sans prononcer la moindre parole pour ne pas troubler l’instant qui inscrit dans les cœurs plus de bonheur que le mot lui-même ne peut d’écrire.

    Vous avouerai-je que je souhaiterais être la pluie bienfaisante qui pénètre jusqu’au tréfonds de l’âme de la Terre, afin d’y fabriquer dans le plus grand secret les milliers de parfums qui sans cesse nous enivrent ?

    À la découverte de ces mots qui n’en sont plus, puisqu’ils se transforment au fil des lignes en de véritables sentiments, sans doute direz-vous de moi que je perds la raison. Peu importe ; il faut aussi que je vous confie qu’il m’arrive de rêver d’être une fois dans ma vie, le temps. Oui, vous lisez bien, le temps, pour épouser parfaitement ses formes et la garder un moment dans mes bras, comme on le fait quand on berce l’enfant dernier né. Alors, je pense qu’il doit être bon d’être l’alizé pour jouer dans les fines feuilles comme un jeune effronté dans les cheveux de sa fiancée.

    Je sais de par le monde des hommes qui se prosternent pour saluer le jour qui se lève. Mais c’est d’abord pour toi belle et douce amie verte qu’il éclaire l’univers. J’ai souvent observé dans les matins naissants la joie des fleurs recevant l’offrande de la brume, comme autant de baisers déposés sur les pétales, que l’on aurait désiré voler. Ma chère nature, il me semblait te connaître mieux que quiconque tant je t’aurai adoré, mais mon amour fut solitaire, jamais tu ne m’auras dévoilé tes secrets.

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  • – Parfois, on pourrait me reprocher de revisiter trop souvent le passé. Vous n’auriez pas tort, car c’est la vérité. Cependant, savez-vous que celui-ci peut être encore sur le seuil de votre maison, puisque ne datant que de la veille ? Il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans le temps pour retrouver des images succulentes de notre vie. Tenez, en parlant de choses agréables, ne se passe-t-il pas la même chose lorsque nous sommes réunis autour d’une bonne table et que chacun y va de ses souvenirs de banquets extraordinaires ? Il n’y a rien comme ces festivités au cours desquelles s’échange un nombre considérable de recettes. Bref, là n’est pas mon propos, tout juste une excuse pour vous rapporter une journée pas si lointaine.

    Notre voisin s’apprêtait à vendre sa propriété, mais pour ce faire, il avait besoin de retrouver ses limites, car sans entretien depuis des années, la forêt avait reconquis sa place et fait disparaître les layons et les bornes. Au soir de cette journée, j’écrivais qu’il était trop tard pour inventer une histoire de personnages de légende évoluant sous les bois. Nous étions rentrés avec la nuit sur les talons, n’ayant pas attendu que nous soyons ressortis de sous les couverts pour s’installer. S’il se trouve quelqu’un pour imaginer que ce fut une belle promenade, qu’il se détrompe. L’expression « chercher une aiguille sans une botte de foin » revêt ici sa véritable signification. Il nous fallut d’abord nous assurer de celles du voisinage en bordure de la piste. Puis, à l’aide de la boussole, prendre la direction et nous guider en plantant les premiers piquets. Il n’était pas recommandé de perdre le nord, si vous me permettez cette réflexion. Les premiers cent mètres furent aisés, puisque régulièrement entretenus. Les choses se compliquèrent lorsque nous sommes arrivés sur les berges d’une belle crique qui nous barrait le passage. Là, pas question d’hésiter. Ne trouvant aucun gué, il nous fallut la traverser, cherchant l’endroit où le lit serait le moins profond. Il est vrai que nous ne sommes pas de géants, et l’eau montait déjà aux épaules. Heureusement, nous avions pris soin d’enfermer notre outillage sensible dans des sacs étanches, ce qui se justifie pleinement quand nous progressons sous la forêt, à l’aveuglette. Une chaleur étouffante vous accueille, bien que le soleil soit interdit de pénétrer sous la sylve. Rapidement, la moiteur vous enserre, et l’on croit véritablement nous déplacer dans un immense sauna. Qu’importe, nous devons continuer.

    À l’arrière, mon épouse assure le rôle de boussolière. Elle trace pour nous une ligne imaginaire que nous nous empressons de matérialiser à grand renfort de coupe-coupe ou de hache. Petit à petit, le layon se dessine et telle une récompense qui nous est accordée, nous sommes fiers, en nous retournant, de découvrir l’alignement parfait de nos piquets surmontés de fanions rouges afin de les distinguer de loin. Pendant ce temps, vexé de n’être pas invité, le soleil pose ses rayons sur la canopée, la transformant en une véritable serre. Les outils se lèvent et s’abaissent sans relâche, à l’écoute des ordres de celle qui repère le futur chemin. Un mètre de gagné, puis un second, et les repères s’enfoncent dans l’humus. La progression est lente, car la végétation forme un mur difficilement franchissable.

    Quand on parle de notre belle forêt, nous ne pouvons pas en dissocier ses hôtes. Oh ! ne pensez pas à son roi, en créole, l’incomparable compère tig, (jaguar) ou son cousin le puma ainsi que tous les autres félins. À cette heure de la journée et par cette chaleur étouffante, il n’y a guère que les hommes pour y inventer quelque chose. Les oiseaux, les singes ou même les reptiles se font très discrets. Alors quelles sont ces bêtes qui se manifestent et se rebellent sur notre chemin ? N’allez pas chercher loin. Ce sont les guêpes et toutes les mouches à feu qui existent et qui se sont donné rendez-vous exprès, croirait-on, sur votre passage. Certains nids sont visibles, tandis que d’autres sont intelligemment dissimulés sous de larges feuilles. La punition est immédiate ; pour un logement anéanti, plusieurs piqûres cuisantes ! Heureusement, pour apaiser la brûlure, le vinaigre n’a pas été oublié dans les accessoires indispensables. On ne peut pas leur en tenir rigueur, car notre réaction serait sans doute la même si des individus s’en prenaient à nos demeures. Néanmoins, nous devons progresser, peu importe les boursouflures sur la peau et les yeux qui ont la fâcheuse tendance à vouloir se fermer. Le layon s’ouvre, même si parfois, nous devons contourner des arbres hauts perchés sur leurs contreforts. Les angles s’étudient, les reports se font, les degrés se corrigent et la direction est parfaite tandis que les bras et les mains continuent de gagner en volume.

    Comble de bonheur, soudain, devant nous, un marécage ! Tant pis, nous allons encore faire don de nos personnes à une multitude d’insectes. Il faut bien que tout le monde vive, n’est-ce pas !

    Faisant suite au marais, c’est un énorme chablis que nous devons contourner. Comme de bien entendu, sous la montagne de débris végétaux, se trouve une borne ! Parfois, c’est décourageant, surtout que juste après, ce sont des herbes coupantes telles de rasoirs qui vous barrent le chemin ! Évidemment, dès que le sang perle, des dizaines d’insectes voraces sont alertés. Bref, notre voisin est aussi notre ami, et nous ne pouvions pas lui refuser ce service. Le jour est strict et ne déroge jamais à son heure de repli. Il nous souffle même, pour nous démontrer que demain, il reviendra, et que nous aurons encore du travail, afin de partager notre place avec celle de dame nature et mettre un terme à nos recherches.

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  •  – Dans une région comme la nôtre, où l’eau est un élément essentiel à la vie, je vous avoue qu’il est difficile de maîtriser ses rêves lorsque nous sommes riverains, et que nous résidons sur les berges d’une rivière. Chez nous, les fleuves sont majestueux. Ils sont de véritables pénétrantes naturelles qui vous conduisent sous la haute forêt mystérieuse. De part et d’autre des rubans argentés se pressent les arbres de toutes variétés, heureux de se mirer dans l’onde frémissante, leur faisant croire qu’elle leur sourit. Quand la rivière n’est pas trop large, certains végétaux se penchent jusqu’à toucher ceux d’en face, et là, entremêlant leurs ramures, avec la complicité du vent, les charpentières se frottent les unes contre les autres, laissant penser à celui qui navigue sous ce couvert de verdure, à des gémissements de contentement.

    Si nous sommes sensibles à ce qui se passe autour de nous, on comprend vite que la nature est fière de nous offrir ce spectacle qu’elle ne produit nulle part ailleurs. Il est facile d’en deviner les raisons. En aucun endroit au monde, l’humus ne dégage autant d’effluves répandant la vie. Sous le couvert des grands bois court une rumeur perpétuelle. C’est alors que l’on réalise qu’elle est bien ce poumon dont on parle depuis toujours, puisqu’il respire et vous le fait savoir.

    Entre deux sauts ou cascades barrant le flux, les fleuves ont appris à dompter leurs élans. À perte de vue, les troncs s’alignent comme d’immenses crayons plantés là. Les cimes hautes accordent au sous-bois l’autorisation d’y développer une végétation plus modeste, telles les fougères qui vous caressent sur votre passage. Si vous avez la chance que la terrasse de votre carbet surplombe la rivière, alors n’hésitez plus ! Accrochez votre hamac ; sans tarder, laissez-vous bercer par le vent d’est, et surtout confiez à votre imagination le soin de faire le reste du voyage, s’il ne l’invente pas de lui-même dans l’instant. Vous êtes tentés de clore les yeux, afin de mieux reconnaître les bruits qui vous parviennent ainsi que ceux plus lointains. Je suis certain que comme moi, vous saurez distinguer les gémissements des murmures heureux, les appels discrets de certains oiseaux ainsi que les stridulations des milliers d’insectes que vous ne voyez pas, alors qu’ils sont tout proche de vous. La brise légère remontant entre les murs végétaux, entraîne à sa suite des fragrances prélevées sur les rives ou dans les villages en amont ou en aval. Toujours confortablement installés, nos songes vagabondent sur l’eau. Tantôt, elle semble musarder entre les racines des palétuviers, véritable nursery pour beaucoup de volatiles, de papillons et de libellules, tantôt, elle file comme si elle était poursuivie par le flux rageur provoqué par le dernier orage.

    Cependant, quand la marée a pénétré loin dans le fleuve, elle met les berges de niveau et surtout, dans le jusant, se pressent une grande quantité de poissons quittant l’océan jusqu’à l’heure du perdant. Aux bruits ambiants, s’ajoute celui du clapot sur votre pirogue amarrée, comme si les éléments scandaient le temps qui passe. C’est alors que je ne puis m’empêcher de penser à ces peuples premiers, seuls vrais locataires des lieux. L’eau en ce temps était l’unique voie par laquelle circulait la vie. L’homme vouait un profond respect pour cette force magique dont il ignorait la provenance. On lui avait dit qu’elle descendait par delà les collines et il avait hoché la tête tout simplement, comme si cela lui était indifférent. Erreur ! Rien de ce qui entoure les primohabitants ne leur est étranger. Ils forment un tout avec la nature. Ils lui murmurent parfois des contes et des chansons pour lui rappeler sa reconnaissance.

    Dans des canots creusés directement dans les troncs, l’homme faisait corps avec la rivière ; que les embarcations soient longues et lourdes ou fines comme les fileuses pour la chasse et la pêche, toutes sont comme les épouses des fleuves. La pagaie ne frappe pas l’eau, mais la fend pour la repousser avec respect. Dans sa barque, il essaye de lire à la surface défilant de part et d’autre, l’histoire des siens. Ils sont venus de si loin dans le temps que nul ne sait où est le commencement, et que personne n’avait songé à en créer des mots pour l’expliquer.

    Courez mes rêves, sur ce ruban brillant qui les conduit vers l’océan, afin d’être présents pour les lendemains qui se succéderont, mais aussi à la rencontre du passé ayant sa mémoire sur un continent différent, ne se lassant jamais d’exister.

    Enfin,  je ne vous aurais rien dit si je ne révèle pas le dicton qui se colporte sous la sylve, comme à la ville. Les fleuves et les rivières ne sont rien d’autre que « des chemins qui marchent », prétendent les anciens. N’est-ce pas une belle image ?

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