•  LE CRI DU CŒUR    1/4– Bonjour, monsieur Pierre. Je ne croyais pas que vous seriez monté, ce matin ; il est tombé tant de neige cette nuit, que vous ne pourrez sans doute pas vaquer à vos occupations aujourd’hui.

    – Il est vrai qu’il en est tombé beaucoup, même plus bas. Néanmoins, je vais voir si je peux finir les limites le long de la route forestière. Je le pensais bien, que je ne pourrais pas rejoindre les sommets ; c’est pourquoi je me gardais du travail du côté de la pépinière.

    – Venez donc prendre un petit quelque chose ; il ne sera pas de trop, avec ce temps !

    Pierre devinait de quoi Alberte parlait quand elle disait cela. Ce n’était pas un simple café qui attendait  au chaud sur le coin de la cuisinière à bois, que quelqu’un passe, et soit invité à rentrer. Avant, il fallait accepter une belle tranche de jambon, des œufs sur le plat accompagné de lard, et un morceau de fromage. C’est que dans ces pays de montagne, si manger est une nécessité, cela ne saurait être aussi autre chose qu’un chaleureux instant de vie et de plaisir. Et puis, entre deux bouchées, il serait passé en revue les potins de moment, les visites des uns chez leurs voisins étaient avant tout le colportage de nouvelles qui couraient dans la plaine, vraies ou fausses ; de toute façon, personne ne vérifiait la véracité des dires. À leurs connaissances, on s’estimait soudain, moins à plaindre, les douleurs des autres étant toujours plus vives que les nôtres.

    – Bon, ce n’est pas le tout, monsieur Pierre. Je bavarde, mais je dois aller traire les vaches, car elles s’impatientent. Vous savez, les bêtes aussi trouvent l’hiver trop long.

    – Je le comprends, surtout celles qui sont habituées aux alpages.

    – Je vous laisse en compagnie de Juliette. Elle a ordre d’être aux petits soins avec vous.

    – C’est trop gentil, Alberte. Vous me donnez plus que je ne puis vous apporter moi-même.

    – Je vous en prie, monsieur Pierre. En montagne, l’hospitalité n’est pas un droit ; c’est une règle et nous ne saurions nous y dérober. Une seconde, j’appelle la Juliette. Elle est à finir le ménage des chambres.

    – Oh ! Quelle heureuse surprise, s’exclama la jeune femme en rentrant dans la salle ! Nous disions justement avec maman que nous ne vous verrions pas de quelques jours, à cause de ce mauvais temps, et vous êtes là ! Vous avez dû souffrir au contour de la montagne. Je déteste cet endroit, tant le vent y est violent.

    – Vous avez raison de le redouter. Ce matin, il y avait d’énormes congères qu’il me fallût me détourner par la forêt, et celle-ci n’est pas pratique à traverser. Ses pentes y sont raides !

    – Quand même, monsieur Pierre, ils ne devraient pas vous obliger à venir travailler par un temps pareil ; sortent-ils de leurs bureaux, eux ?

    – Je vous rassure, personne ne me contraint. C’est moi qui le veux. D’ailleurs, je me suis suffisamment battu pour avoir la permission de continuer les choses convenues durant tout l’hiver que je ne saurai apporter de l’eau à leur moulin, en ne remplissant pas la tâche pour laquelle je les aie tellement ennuyés. C’est que dans le secteur, je suis le seul à être à mon poste. Les autres ouvriers ne reprendront leur emploi qu’à la fonte des neiges.

    – Je vais vous sembler un peu naïve, mais pourquoi êtes-vous l’unique personne à monter ? Si vous le faites, c’est que d’autres peuvent également vous imiter ?

     – Vous n’êtes pas innocente, Juliette. D’abord, pour ceux qui m’ont donné ce travail, c’est avant tout une question de budget. Habituellement, ils ne prévoient pas de dépenses pour cette saison. Ensuite, de tous les gens qui œuvrent sur le massif forestier de cette circonscription, je suis le plus jeune et en charge de famille. Comment pourrais-je nourrir ceux dont j’ai la responsabilité, si je ne viens pas ?

    – Quand même, je trouve cela injuste, monsieur Pierre. Est-ce qu’ils sont là, eux, constater vos travaux ? Je suis certaine qu’ils restent bien au chaud dans leurs bureaux.

    – Je vous l’ai dit, je suis le seul qui a décidé de ma condition. Personne ne m’oblige à être ici. Cependant, je reconnais que les tâches ne manquent pas pour qui a la volonté de se donner la peine de les effectuer. Et puis, voulez-vous que je vous dise ? Quand j’en aurai plein le dos de cette situation, je chercherai autre chose à faire dans la plaine.

    – Et ainsi, je ne vous verrai plus, monsieur Pierre. Enfin, quand je dis moi, en vérité, c’est nous, qu’il me faut préciser. Je peux bien vous l’avouer ; même sans venir chaque jour nous rendre visite, nous sommes si heureuses de vous savoir à quelque distance de nous. Nous écoutons, observons et sommes rassurés lorsqu’à ces quelques indices nous comprenons que vous êtes sur notre territoire.

    – Vous êtes gentille, Juliette. Ce que vous me confiez me touche profondément. Mais cessez de me donner du « monsieur ». Appelez-moi Pierre, tout simplement.

    – C’est que je n’osais pas. Vous êtes tellement différent de nous ! (À suivre)

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  •  

    — Feuilletant l’album de mes souvenirs, soudain, mon cœur accéléra sa course. J’ai eu du mal à lui expliquer qu’il devait se calmer, que ce n’était pas la première fois que je tombais en arrêt sur une page spéciale de ma mémoire et qu’il devait, à son âge, restreindre ses émotions s’il voulait continuer d’admirer le grand livre de notre passé. Malgré mes recommandations, les battements se prolongèrent, me laissant quelque peu désemparé, jusqu’au moment où je compris les raisons qui le faisaient palpiter si fort. Il insistait pour sortir de sa cage, pour comme il y avait bien longtemps, se réfugier dans la ramure du chêne qu’il croyait sien. C’est que le cœur n’est qu’un immense sentiment, n’ayant pas le pouvoir du souvenir des ans écoulés. Il traverse les jours comme s’ils étaient toujours qu’un seul et unique exemplaire, sous un ciel différent, certes, mais n’est-il pas le privilège du firmament que de changer ses couleurs au fil des heures ? L’arbre qu’il venait de voir ressemblait étrangement à celui dans lequel il avait vécu les plus belles heures de sa modeste existence, en compagnie du jeune homme qui, il est vrai, ne l’épargnait guère. Notre chêne qui était plus que centenaire était solidement accroché au pied d’une colline qu’il avait fini par dépasser d’un bon houppier. Il faut reconnaître qu’il en imposait avec sa ramure importante, son tronc strié de profondes cicatrices que l’on comparait à autant de rides que d’ans traversés, avec lesquels il se mesurait.

    À la belle saison, la prairie se couvrait d’une herbe grasse et verte qui ondulait sous les caresses du vent, et qui pour le plaisir des yeux, s’habillait d’un parterre de fleurs délicatement déposées par une main de fée. C’est du moins ce que le garçon pensait, tant elles étaient parfumées et colorées. L’arbre était fier alors de parader au milieu de ce massif qui conservait son allure jusqu’à l’automne. C’est l’époque où le chêne tenait sa revanche sur les autres végétaux, car dans les environs, il était le seul à garder sa parure, même si celle-ci avait terni, prenant une teinte rouille. Sans impatience, il attendait le renouveau, moment de l’existence ô ! combien délicieux, tandis que les nouvelles feuilles poussent délicatement les anciennes en direction de la sortie et donc, l’oubli. Qu’importe les couleurs et les mésaventures, les saisons et les considérations. C’est dans cette prairie, dans cet arbre, que j’entendis pour la première fois l’appel de la nature. Mon jeune âge ne m’interdisait pas de tomber amoureux de cette exubérance verte, et sans tarder, j’en fis ma meilleure compagne. Notre idylle fut si grande que je ne résistais pas à en faire ma maîtresse.

    Ce magnifique chêne devint rapidement ma seconde maison. En fait, j’y demeurais presque plus de temps que dans celle où je passais les nuits. Je jugeais alors cette durée largement suffisante. À la première occasion, j’allais vite retrouver mon arbre, mon bateau comme je l’avais surnommé, car c’est depuis une fourche confortable et généreuse de sa charpente que je fis mes premiers tours du monde en solitaire, bien avant que ne s’élancent d’autres coureurs des mers. Je peux vous dire que j’en ai traversé  des océans, affronté des tempêtes et des ouragans, mais heureusement, je m’en sortais indemne, ramenant mon navire à son port. Chaque escale me voyait aller, non sans émotions, au-devant de nouvelles populations toujours aussi accueillantes. Déjà, à cette époque je redoutais les eaux froides et leurs cortèges de glaces menaçant de garder l’embarcation prisonnière et où soufflaient des vents qui sculptaient des personnages et des paysages étranges et diaboliques. Alors que ces côtes étaient annoncées, je virais de bord pour cingler vers des milieux plus calmes et plus chauds, celles qui caressent les plages de sable fin, se dorant sous le soleil des tropiques et où les palmiers font des signes de bienvenue de leurs grandes feuilles, avec la complicité des alizés.

    Était-ce une coïncidence ou une marque du destin que mon regard se porta désormais du côté du sud-ouest où mon inconscient me conduisit des années plus tard ? Toujours est-il qu’à cette époque heureuse, mes longs voyages se terminaient toujours au pied de mon chêne, confectionnant avec l’aide des glands mûris, des centaines d’animaux à l’image de ceux rencontrés lors de mes aventures, les allumettes faisant les relations entre les membres. Il ne me restait plus qu’à fermer les yeux pour les voir évoluer dans la prairie.

    Aujourd’hui, dans ma forêt amazonienne lointaine et mystérieuse, j’ai retrouvé quelques espèces de mon imagination d’antan, à l’exclusion de la girafe. Sans doute que sa haute taille n’était pas adaptée à la densité végétale, elle se serait probablement rompu le cou à travers les entrelacs des branches désordonnées. Tant qu’il restera des arbres, les enfants feront de beaux rêves. Et si cela doit leur permettre d’être heureux, alors n’hésitons pas, sauvons tous les chênes de la planète.

     

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  • – Mes amis, je vous ai si souvent parlé du bonheur que j’éprouve d’être en votre compagnie que je ne voudrai pas vous abreuver de paroles que vous connaissez déjà. Toutefois, il est vrai que sans vous je ne serai pas là à me confier dès l’aube d’une journée que certains nous prédisent difficile, le ciel n’étant pas notre cousin ces jours derniers. Qu’importe le temps et ses caprices, il est de saison et il nous appartient de l’accueillir comme un nouveau bienfait. Puis-je me permettre de vous révéler un secret ? Depuis toutes ces années qui m’ont accordé que je traverse l’existence, en fait, je crois bien que chaque lever me parut pénible, parfois même ingrat. Cependant, comme il n’est pas dans mes habitudes de demander à celui qui se noie si l’eau est bonne avant de plonger pour le sauver, je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet.

    Ce matin, outre les préoccupations quotidiennes, j’ai éprouvé soudain le brûlant désir de vous dire combien vos visites sont de réelles récompenses, sans cesse renouvelées. Mieux, je ne peux plus tenir secrets que j’aime vos sourires et les signes de la main qui les accompagnent. J’apprécie les mots discrets qui trouvent naturellement le rebord de mon cœur, où ils cherchent refuge. L’amitié sincère est celle qui émane des grandes émotions. En nous, elle devine sans peine où se cache notre corde sensible pour la faire vibrer, jusqu’à lui permettre de jouer une musique, qui, au fil des jours se fait mélodie. Chacun, il est vrai, a sa manière d’exprimer son attachement et sa sympathie. Sans pour autant être des érudits, certains connaissent les mots qui rassurent et apaisent les âmes troublées. Quelques-uns s’adressent à nous à travers des images et des photos qui vous laissent sans voix. Nous aimerions alors les porter à l’oreille pour écouter les messages de la vie qui nous sont confiés.

    D’autres, sans doute les plus timides, posent seulement leur main sur la vôtre. Sans tarder, elle provoque en nous une telle chaleur, que nous comprenons que les mots sont inutiles. De toute façon, nous n’avons pas pour habitude de rajouter une bûche à une flambée qui occupe déjà tout l’âtre de la cheminée. Je ne peux pas ne pas évoquer les traces de ceux qui sont passés sans laisser de signes de reconnaissance. Je les devine à la larme qui exprime une douleur lancinante ; plus elle est longue, et davantage le cœur se serre, en communion avec celui qui à cet instant est comme un navire à la dérive.

    Certes, les réseaux qui abritent nos sentiments nous ressemblent quelques fois. Je pense qu’ils sont nos propres reflets, comme si nous nous regardions dans un miroir. Dans ce dernier, il est vrai que nous ne pouvons pas nous abuser, puisque c’est bien notre image qui nous est renvoyée, alors que derrière les mots, on peut dissimuler notre histoire, et même la travestir. Pourtant, la supercherie ne saurait durer très longtemps, car il y a des accents qui ne trompent pas. Nos pages ressemblent étrangement aux rues de nos villes ou villages. Tout le monde les emprunte sans pour cela saluer ou sourire aux personnes que nous rencontrons. Jusqu’au jour, où parce que les éléments favorables sont réunis, nous finissons par nous aborder sur le seuil de notre propre porte. Ils vous disent avec sincérité qu’ils étaient sur leur planète, mais découvrant que celle-ci les tenait hors de la réalité, ils se sont empressés de reprendre le cours de la vie dont ils n’auraient jamais dû lui tourner le dos. Qu’à cela ne tienne. L’essentiel est que le fil est renoué et que chacun ait compris que nous ne sommes pas que les spectateurs de notre existence, mais bien les acteurs, et qu’à ce titre, nous devons jouer le rôle qui nous a été attribué.

    Que c’est bon, alors d’apprendre que les anonymes ne le sont plus ! Ils nous démontrent l’espace d’un regard qu’ils savent sourire comme tout le monde, qu’ils connaissent les instants de la vie comme tout un chacun, et parfois, mieux, car quelques-uns ont la sensibilité à fleur de peau. Soudain, les mains se tendent, les visages s’éclairent comme le jour retrouvant la clarté. Dans les yeux des nouveaux compagnons,  bien que le soleil soit au zénith, des étoiles scintillent aussi fort que dans une nuit d’été. C’est alors que nous apprenons la raison de la longueur des années. Elles le sont pour que dans chaque matin qui représente le sourire de la vie, nous rencontrions une âme isolée, et qu’elle grandisse jusqu’à s’épanouir. Le jour lui prête son temps afin qu’elle découvre des amitiés, des vraies, de celles qui savent si bien nourrir les cœurs.

    Hélas ! Si j’affectionne particulièrement les sympathies qui naissent avec l’aube, je ne puis oublier celles qui s’éteignent discrètement dans l’intimité des soirs, car elles aussi, m’avaient apporté beaucoup de bonheur.

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  • Dans la continuité des histoires de Noël

     

     

    LA JOURNÉE DU HOUX 2/2– Avant toute chose, tu vas monter au grenier. Ne fais pas attention au désordre, car il y a longtemps que je n’y vais plus. Mes vieilles jambes refusent l’ascension des marches grinçantes. On dirait qu’elles me reprochent ma désertion.

    – À moins que ce qu’il y a là-haut vous cause quelques chagrins ?

    – Ah ! Toi, tu sais que parfois tu me surprends dans tes réflexions et ta manière de voir les choses. En fait, je vais te faire plaisir. Il est vrai que je me demande souvent si ce que renferment les malles, autres que de beaux souvenirs, ne sont pas des images, que j’aimerais oublier. Je pense que lorsque nous vieillissons, notre mémoire se fait plus sélective. Elle ressemble à un voyageur allégeant son bagage devenu trop lourd au bout du bras fatigué. Bon, ne nous égarons pas. Je t’explique dans qu’elle malle tu trouveras les garnitures pour la décoration de l’arbre. Quand tu redescendras, si tu le veux bien, tu iras me chercher une branche de sapin et du houx. J’aime beaucoup cette plante qui nous offre si généreusement des boules rouges sur une feuille que l’on croirait être vernie par la main de l’homme.

    Le grenier fut une surprenante découverte pour Robert. Il n’estima pas qu’il soit en désordre, mais au contraire bien rangé. Les malles en osier se trouvaient d’un côté, celles en bois leur faisaient face et au fond, entassés les uns sur les autres, de nombreux cartons étaient empilés. Il fut bien tenté d’en inventorier quelques-uns, mais le temps passait et s’il désirait avoir celui d’aller dénicher le sapin et le houx, s’il voulait être de retour avant la nuit.

    – Je suis contente, lui dit-elle, tu n’as pas fouillé « dans ma vie », si je puis dire ; c’est bien. Ne serais-tu donc pas si curieux que je le pensais ?

    – Vous êtes dans l’erreur, mademoiselle ; je le suis, je l’avoue. J’ai été à deux doigts de le faire, mais partir à la recherche de ce que vous attendez m’a forcé à ne poser que les yeux sur vos trésors. Et puis, comme vous le dites, c’est avant tout votre passé qui dort là-haut et vous seule avez le droit de lui demander de revivre quand il vous plaira.

    – Merci, tu es gentil. Quand nous n’aurons plus d’obligations, je te ferai descendre « les choses » de la vie. Nous occuperons ainsi quelques après-midi. Au fait, as-tu une idée de l’endroit où trouver le houx et de ce qui l’accompagne ?

    – Oui, ne vous inquiétez pas. Je sais une colline derrière chez le cantonnier qui regorge de toutes ces merveilleuses plantes. Elles sont mélangées aux fougères sous les hêtres.

    – Alors, ne tarde pas. Couvre-toi et file pendant qu’il ne tombe pas trop de neige.

    Pas trop, se dit-il une fois dehors ? Si elle sortait, elle verrait que je m’y enfonce déjà jusqu’aux chevilles, maugréa-t-il.

    Tandis qu’il essayait de casser une branche de sapin, il sursauta quand dans le silence une voix sévère claqua tel un coup de fusil.

    – Hé ! Que fais-tu là, voyou ? Ne sais-tu pas que tu te trouves dans ma propriété ? Je vais être obligé de t’arrêter et de te conduire à la gendarmerie. Comment te nommes-tu ?

    – Robert Bonaventure ; monsieur.

    – Me connais-tu ?

    – Bien sûr, vous êtes monsieur Gauthier, le garde champêtre.

    – Et cela ne te gêne pas de dévaliser mon bien ? Tu commences bien jeune. Jamais personne n’a tenté de me voler ; tu es le premier et cela va te coûter très cher, garnement !

    – Ce n’est pas pour moi, fit-il.

    – Pour qui alors ?

    – Pour mademoiselle Valadon. Elle m’a envoyé chercher un rameau de sapin et du houx pour le décorer, ainsi que la crèche. Je ne savais pas où en trouver, et vu l’heure, je me suis arrêté ici, ignorant que ce fût chez vous.

    – Pour l’ancienne institutrice ? Mais pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ? Pour elle, ce n’est pas une branche que tu vas lui porter, mais un joli petit arbre de Noël. Je vais chercher une scie ; pendant ce temps, va de ce côté, tu découvriras le houx et surtout de la mousse. Il en faut pour mettre au pied du sapin. Allez, ne perds pas de temps.

    Quand il fut seul, Robert, bien que fâché par les propos qu’il lui avait adressés, fut néanmoins fier de fréquenter une personne qui forçait au respect à ce point, que le garde lui-même tira un trait sur ses mauvaises paroles et les menaces proférées à son endroit.

    – Eh ! Bien, dis donc, dit-il à voix haute ; ce n’est pas n’importe qui la demoiselle !

    – Tu as trouvé ce qu’il te fallait ? Tu n’as pas oublié la mousse ?

    Robert se retourna et s’exclama en découvrant l’arbre qu’il portait sur son épaule.

    Je ne vais pas pouvoir l’emmener, monsieur, il est trop gros ! Et puis, elle ne m’a pas demandé un entier, mais une branche.

    – Ne t’inquiète pas pour cela. C’est moi qui vais le transporter. Tu comprendras qu’elle sera heureuse de m’accueillir avec le sapin.

    – Et comme cela, vous vous assurez que c’est bien pour elle, n’est-ce pas ?

    – Tu as de la suite dans les idées, toi. En vérité, je n’y pensais pas réellement. Mais je suis content de faire plaisir à mademoiselle Valadon. Vois-tu, c’est à elle que je dois ma place à la mairie. En conséquence de quoi rien ne sera jamais trop beau pour elle !

    Cela s’appelle de la reconnaissance, je crois, dit Robert ?

    – C’est exact. Il faut toujours rendre les bienfaits que l’on nous a faits. Bien sûr, dans les limites de nos moyens. Mais le faire entretient l’amitié.

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    Photo glanée sur le net.


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  • Dans la continuité des histoires de Noël

     

    La marâtre à l’enfant :

    – Avec le temps qu’il fait, où vas-tu donc encore courir ?

    – Chez mademoiselle Valadon.

    – Ce n’est pas une journée à jardiner.

    – Ce n’est pas pour travailler la terre, mais pour finir de tailler la haie.

    – Je vais lui dire deux mots à cette vieille. Je ne comprends pas que tu sois toujours fourré chez elle !

    – Tu n’en feras rien !

    – Et pourquoi, je m’en priverais ?

    – Parce que si tu m’interdis de me rendre chez elle, j’irai ailleurs, et que tu ne t’y opposeras pas, étant donné qu’ils m’offrent souvent quelque chose pour la famille.

    – Précisément ; elle ne te donne jamais rien.

    – Ça, c’est toi qui le prétends, car en fait elle m’accorde dix fois plus que tous les gens.

    – Et pourquoi ne le voyons-nous jamais chez nous ?

    – Parce que ce qu’elle me confie n’est pas transportable.

    – On peut savoir, ce qui ne peut être déplacé, mais qui semble tant te plaire ?

    – C’est un peu compliqué à comprendre, je pense.

    – Dis-moi que je suis une imbécile, pendant que tu y es !

    – Je n’ai rien prétendu de semblable. Je voulais seulement dire qu’elle m’offre de l’amitié, et ce sentiment me réchauffe le cœur autant qu’un feu de cheminée. Voilà ; tu vois, ce n’est rien que je puisse ramener à la maison. Mais il n’y a pas que cela. Elle m’apprend beaucoup de choses et j’aime l’écouter quand elle me raconte la vie d’avant. Bon, j’y vais, car elle doit m’attendre.

    Le jeune Robert n’eut pas le temps de refermer la porte sur lui, qu’il saisit au vol les dernières phrases prononcées :

    – Ah ! Celui-là, je ne sais pas ce que nous en ferons ! En tout cas, si le toit de la maison s’effondre, ce ne sera sûrement pas sur sa tête !

    Chez mademoiselle Valadon.

    – Tu as bien tardé, mon garçon ?

    – C’est la faute de la Françoise ; elle ne voulait pas que je vienne.

    – Et pourquoi cela ? Ne suis-je pas une dame fréquentable ? Tu sais, à mon âge, je ne pense pas être une personne de mauvais conseils. De plus, et c’est loin d’être un reproche que je lui adresse, mais une sorte d’explication à son inimitié à mon égard, elle est l’une des rares à qui je n’ai pas fait la classe. Elle et sa mère n’ayant découvert le village que durant l’époque douloureuse de la guerre. Ici, tout le monde me connaît et me salue, sans compter ceux qui viennent encore me trouver afin que je débrouille quelques affaires dont ils ne savent pas démêler les tenants ni les aboutissants. En souriant, je peux me vanter de les avoir vus user leurs fonds de culotte sur les bancs de leurs pupitres.

    – J’ai entendu parler de leur existence avant et au début de l’occupation. Il est vrai qu’elles ont souffert, mais je ne pense pas que ce soit une raison pour m’en vouloir. Après tout, elle n’avait qu’à me laisser où j’étais, si aujourd’hui je les encombre. Enfin, comme elle le fait pour d’autres, elle ne fait que me rendre la monnaie de ma pièce, puisque je ne l’aime pas, moi non plus.

    – Écoute-moi ; cessons d’alimenter le feu de la haine. Je vais te dire une bonne chose. Il est vrai que mère et fille ont connu une période bien compliquée et surtout qu’elles ont dû souffrir énormément. Mais nos propres blessures ne doivent pas être douloureuses pour les autres. Il est bien suffisant qu’ils voient nos cicatrices que nous ne pouvons pas toujours cacher. Pour le reste, ma philosophie est toute simple. Je prétends que la vie n’est  que la source des larmes ; chaque aurore naît de l’une d’elles qu’il nous plaît de nommer perle de rosée. C’est une façon comme une autre d’adoucir le jour qui suit.

    – C’est très beau, ce que vous venez de dire, mademoiselle. J’essaierai de le retenir.

    – Je vais te parler comme une ancienne institutrice que je suis. Si tu veux te souvenir des mots entendus, dès que possible, écris-les ; même cent fois, si cela te semble nécessaire. Mais pour revenir à ce qui nous intéresse, je suppose que tu n’as rien à faire dans le jardin aujourd’hui. Enfin, quand je dis rien, je me comprends. Il n’y a pas d’urgence dans les travaux. L’hiver n’en est qu’à ses débuts, et tu auras toute la saison pour ramasser le bois mort et le brûler, tailler les haies et quelques autres menues occupations. Par contre, ce qui me ferait plaisir, c’est que tu m’aides à préparer le sapin. Nous sommes bientôt à Noël, tu n’as pas oublié ?

    – Comment le pourrais-je, quand les filles de la Françoise n’ont que ce mot à la bouche !

    – As-tu une idée de ce qu’elles t’offriront ?

    – Vous n’y songez pas ! Déjà qu’à longueur de temps elles me répètent que je ne suis pas chez moi ! Pour le cadeau, ce sera, je pense, comme pour les autres années ; il n’y en aura pas. Toutefois, pour moi, ce n’est pas un gros souci. J’en reçois un tous les jours à l’instant où je mets le pied à terre.

    – Et quel est-il ?

    – La vie, cette offrande dont vous venez me dire tant de belles choses il y a quelques instants. Vous voyez, je n’ai pas encore fait les lignes auxquelles vous faisiez allusion, que déjà ma mémoire m’en restitue quelques mots.

    – Très bien, Robert. Et si nous parlions de décorations, maintenant ?

    Je ne demande pas mieux, mademoiselle. (À suivre)

     

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