• — Dans la vie des hommes, il y a toujours un événement particulier qui lorsque l’on se souvient de lui, évoque quelque chose de précis. Cela peut être un mot, une situation, un personnage, une date ou mille autres petits détails qui paraissaient anodins et qui pourtant prouvent le contraire en insistant pour que l’on se souvienne d’eux. À peine, la chose est-elle entrevue en nos mémoires, que le grand livre des souvenirs s’ouvre à une page précise et notre esprit est prié de faire le reste. Alors, selon l’histoire, c’est avec joie ou angoisse que nous nous replongeons dans le passé.

    Cette petite chose particulière chez moi, n’est autre qu’une innocente cloche qui résonnait dans la cour de l’école à heure fixe, mais qui étrangement n’a jamais éveillé en moi de souvenir mélancolique.  Tout juste était-elle une parenthèse dans notre journée de petits journaliers studieux ou distraits. Je vous avouerai que, cour pour cour, je lui préférais celle de la ferme qui ne connaissait que de rares moments d’accalmie.

    Sur son aire, les charrettes étaient toujours en instance de départ ; les tombereaux avaient toujours le ventre plein rentrant des champs ou allant y déposer les tas d’un fumier qui enrichissait la terre plutôt que de la rendre stérile. Les charrues dès la sortie de l’hiver semblaient pressées d’éventrer la terre et d’y aligner parfaitement les sillons, les uns à la suite des autres. Faisant face aux brabants aux versoirs aussi luisants qu’un miroir, la vieille moissonneuse lieuse semblait impatiente que les blés soient mûrs afin de parcourir les champs sous le ciel bleu de l’été.  

    La cour de l’école en mon esprit n’évoque aucun souvenir heureux. D’abord, elle était exigüe et ne résonnait que de cris d’enfants qui, eut-on cru, avaient le verbe plus haut en ce lieu que dans la classe à l’heure de la grammaire. Pas de souvenirs qui laissèrent de la joie en ma mémoire, car c’est là que les instituteurs d’alors voyaient les coups que je rendais aux autres enfants alors qu’ils ignoraient ceux que je recevais. Le préau était bas et gris alors que celle de la ferme avait le ciel pour toiture et sous lui, c’était la vie qui s’installait de l’aurore au couchant. La cour de l’école communale était séparée de celle des filles par un mur si haut qu’il décourageait les candidats à l’escalade.

    Celle de la ferme était immense et sur son pourtour s’ouvraient les bâtiments. On pouvait y voir transiter les bestiaux en partance pour les pâtures et à leur retour, les regarder piétiner devant les abreuvoirs.

    Les volailles n’avaient jamais fini d’y trouver un ver ou un grain déposé par le sabot d’un cheval ou d’un bœuf. En ce haut lieu où l’existence était prioritaire et s’offrait à tous, sous l’œil vigilant des hommes on pouvait voir les animaux transmettre la vie mieux que n’importe lequel des manuels scolaires.

    La cloche du grand Pavlov réveillait, paraît-il, le « système supérieur ». Celle de l’école en moi n’a jamais suscité ni réveillé un quelconque intérêt. Tout juste faisait-elle retentir en mon corps comme un signal d’alarme, à l’instant même où je venais d’y pénétrer après un long parcours à travers la campagne qui dès le matin prenait des allures de leçons de sciences naturelles. Elle venait tout juste de carillonner, que je savais la liberté prisonnière derrière la porte. C’est comme si j’avais abandonné une partie de moi-même aux ténèbres.

    Il était heureux qu’ils aient pensé à installer de hautes fenêtres dans les salles de classe. Je pensais alors qu’ils les avaient conçues pour moi, afin qu’à travers leurs petits carreaux je puisse voir les nuages se disputer les couleurs du ciel.

    À la belle saison, elles laissaient entrer le grincement d’une girouette qui trônait dans un jardin voisin, à la recherche du moindre souffle de vent. Nul n’avait songé à lui mettre une goutte d’huile et le bruit qu’elle faisait avait le pouvoir de m’endormir. On eut dit alors que l’instituteur n’attendait que ce moment pour m’envoyer terminer mes rêves dans le coin le plus obscur de la classe.

    En fait, la cloche qui déchirait l’air de la cour d’école, malgré elle me ramenait toujours dans celle de la ferme où l’on disait de moi en me montrant du doigt le travail qui m’attendait, que pour l’accomplir, j’en saurai bien toujours assez !

    Et bien pour une fois, laissez-moi démonter cette vieille théorie. N’en déplaise à tous les devins de l’époque, je ne sus jamais assez, même si depuis j’ai refait une partie de mon handicap, je serai toujours en retard d’une leçon, car chaque jour la nature invente un livre nouveau dans lequel les images et les histoires se disputent les pages.

     

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  • — Connaissez-vous des instants plus doux que ceux que laisse la main de l’enfant lorsqu’elles vont l’une à la rencontre de l’autre, tel un oisillon cherchant le duvet de sa mère pour y abriter son bonheur ?

    Attendris, nous n’avons alors qu’un sentiment qui domine en nos pensées, à la manière qu’ont les grands évènements de s’imposer à nous, afin que nous ne les oubliions jamais.

    Au-delà de la raison, l’envie nous prend alors, de dire à l’enfant qui par son geste nous prouve son attachement familial qu’il laisse sa main dans la nôtre, afin que le temps, ému par une telle émotion, suspende pour un instant son vol vers l’éternité.

    Qu’il laisse sa main et qu’il serre la nôtre encore plus fort. Non que nous craignions de le perdre, mais pour que notre amour pour lui prenne son temps pour le pénétrer et ainsi trouver le chemin de son cœur.

    C’est alors que nos personnages ne font plus qu’un, que le désir de lui avouer nos sentiments se fait jour.

    Sans doute un peu maladroitement tenterons-nous de lui dire que l’important de l’amour ne réside pas toujours dans la grandeur des mots qui déclament une amitié. Souvent, celle-ci se contente de vivre pleinement dans la chaleur des pensées et le silence des sentiments.

    Nous pouvons rêver à moult situations ; nous pouvons laisser notre imaginaire bâtir tous les châteaux qu’il veut et même des forteresses imprenables, rien ne peut être meilleur qu’un regard sur le monde, main dans la main, à la recherche de la place qui nous est réservée.

    Lorsque les émotions nous étreignent, nous sommes semblables au navire qui épouse le flot, et notre vie doit alors se confondre au milieu de l’univers en

    prenant soin de n’y rien déplacer. C’est l’instant où nous avons envie de dire en laissant le brouillard investir nos yeux :

    Sens-tu mon enfant, mon amour quitter mon corps pour investir le tien ? De même que je ressens la douceur de tes sentiments, me dire ta confiance ?

    Moi, qui fut ; toi, en devenir ! Pourraient chanter mille notes d’une musique venue du fond des âges.

    Conscients de l’importance de la vie qui va crescendo, nous pourrions enchaîner nos destinées en affirmant que si je t’apporte un peu, en revanche, tu me donnes beaucoup plus.

    Plus qu’un rôle, c’est mon devoir de te transmettre mes connaissances qui ressemblent à des pas dans lesquels tu poseras les tiens avant d’en dessiner d’autres qui seront propres à ton personnage. Je te parlerai de cet horizon qui semble se rapprocher et toi, en réponse, tu me montreras les lendemains qui attendent ta venue et les nombreuses histoires que tu ne manqueras pas d’y écrire.

    J’aurais tant aimé mon cher enfant, que le jour jamais ne cesse et qu’il nous trouve sur son long ruban tel la rivière suivant ses berges depuis la source jusqu’à sa rencontre avec l’océan où elle va découvrir d’autres rivages enchanteurs et pleins de promesses. Je sais que demain arrivera et que parce que c’est écrit dans le ciel, tu lâcheras ma main alors que nous serons arrivés sur les rives de l’existence, là où commencera la tienne. Je sais aussi que là-bas attend avec impatience une autre main remplie des promesses d’une vie nouvelle faite de douceur et de fragrances exaltantes.

    Il sera temps alors pour moi de m’effacer afin de ne pas faire d’ombrage indiscret sur ton nouveau chemin. Le temps sera venu pour toi de labourer et de semer les graines que nous avons récoltées ensemble.

    Je devine la qualité et l’abondance de tes récoltes futures, car des grains que nous avons engrangés, je sais que tu en as choisi les plus beaux.

    Qu’importe alors ce que les jours pour moi me réservent. J’ai terminé ma moisson depuis suffisamment longtemps pour savoir que l’on ne sème pas à nouveau sur le chaume.

    J’aimerai seulement que tu gardes en toi le souvenir de nos mains réunies, faisant comme un fil invisible, nous conduisant vers la plénitude de tous les instants. Je devine également qu’il n’est pas indispensable de transporter des braises pour éclairer ton nouveau foyer alors que les allumettes attendent dans le fond de ta poche.

    Sache enfin mon enfant, que mon amour sera toujours discret à tes côtés et qu’il te suffira de tendre à nouveau ta main pour qu’elle rejoigne la mienne, impatiente de soulager ta peine si un jour en ton cœur, elle cherchait à s’installer.

     

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  • — Tout au long de notre existence, il nous arrive de prendre des décisions, dont nous ignorons quelle petite voix nous les souffle à l’oreille. Bien souvent, nous restons sourds à la logique et pensons que nous devions impérativement réaliser le rêve qui occupa notre dernière nuit comme si un désir ardent nous commandait de nous précipiter vers des lieux fréquentés jadis, quel qu’en soit le prix à payer, sentimentalement parlant.

    Cependant, nous ne devrions pas oublier qu’après des décennies passées loin des sentiers qui virent nos premiers pas trébuchants, il n’est pas que ceux-ci qui ont changé, mais l’environnement et toute la région avec lui.

    Alors, n’écoutant que mon inconscient qui me répétait sans cesse qu’avant que je quitte ce monde il me fallait sans plus tarder revoir le pays qui m’avait vu naitre, à la manière du pèlerin qui va se recueillir en un lieu sacré. Mon bâton en main, me voilà donc en route vers d’autres cieux, le cœur serré par l’émotion. Retrouverais-je seulement ma route, me surpris-je à marmonner entre les dents ?

    Pour me rassurer, je me disais que dans la nature, il y avait bien d’autres éléments qui retrouvaient leur chemin, comme les saumons ou les tortues et même les anguilles. Alors pourquoi pas moi ?

    Un pas devant l’autre sans cesse renouvelé, un beau matin je fus au pied de la montagne qui était le dernier souvenir que j’avais emporté, sans y attacher une si grande importance, me semblait-il, alors.

    Mais les paysages d’antan que mes yeux et mon jeune esprit avaient magnifiés sans doute plus que de raison hantaient toujours ma mémoire. Ils s’y accrochaient désespérément, à la manière qu’a un naufragé d’étreindre une bouée, seul élément qui lui rappelle combien la vie est belle à vivre.

    Je ne défaillis point lorsque je découvris la forêt, adossée à la montagne où cohabitaient les sapins, les mélèzes et les hêtres, sous lesquels, à la belle saison, les airelles faisaient un tapis merveilleux sur lequel le bleu dominait, invitant à la dégustation. À ce stade des images, avant d’aller plus loin, je laissais ma mémoire classer les souvenirs, elle en bouillonnait d’impatience.

    Je fermais les yeux et me revis conduisant nos troupeaux aux alpages. Le long des chemins sinueux qui côtoyaient parfois des à pic, les mûres m’offraient leurs pulpes savoureuses, tandis que les framboises sauvages rivalisaient en couleurs et en parfums avec les fraises des bois.

    La ferme et ses servitudes étaient à mi-pente, mais il arrivait souvent que les nuages viennent s’inviter dans la cour, faisant croire à l’enfant que j’étais, que le ciel descendît prendre un moment de repos ou encore que les ancêtres venaient vérifier que les traditions étaient respectées.

    À l’entrée de la cour, un peu en retrait, glougloutait joyeusement une source, alimentant les abreuvoirs autour desquels se réunissait le bétail aux heures chaudes des saisons. Les hivers voyaient la neige recouvrir notre montagne et les bêtes, malgré le foin rentré à la belle saison, s’impatientaient, les fourmis dans les pattes. Au printemps, l’hirondelle retrouvait son nid tel un petit bonheur heureux de retrouver son foyer, alors que les mésanges nichaient entre les pierres disjointes des bâtisses, au plus près des hommes. Revenant à la réalité, je retrouvais l’entrée du chemin qui s’élevait vers les sommets.

    À la végétation qui poussait en désordre tels des cheveux fous jamais coiffés, je compris qu’elle n’avait pas vu un troupeau de moutons depuis longtemps. Mais je n’en étais qu’au début de mes déceptions. Rapidement, le chemin large et parfaitement entretenu se transforma en une sente que l’on pensait se perdre au prochain détour.

    Je compris alors pourquoi il ne faut jamais revenir sur les lieux où le bonheur a séjourné avant de s’enfuir avec le dernier habitant.

    Devant la misère qui tournait en rond dans la cour, visitant une bâtisse, puis une autre, ma déception ne cessait de grandir. La source s’en était retournée sous la terre et plus aucune baie n’ornait les buissons qui s’affalaient de chagrin. J’avais voulu revoir ces lieux où l’amour m’avait visité, où mes espérances s’étaient accrochées sur les ronciers et où mes rêves se perchaient à la cime des grands arbres ; sans doute n’aurais-je pas du faire ce voyage.

    Un matin, j’avais tourné le dos au paradis et je le retrouvais sous la forme du purgatoire, et non loin de là, les premières flammes de l’enfer. Pareil à ma joie, les maisons et autres étables s’écroulaient, aucun cœur ne semblait caché entre les pierres. Le silence était impressionnant ; presque trop fort, qu’il en faisait mal aux oreilles et au cœur !

    Il n’y avait plus de cri, plus de bruit, plus de vie !

    Seule une pierre se détachait de temps en temps et finissait au pied du mur, où elle se joignait aux autres, afin de recouvrir les heures heureuses qu’elles ne voulaient pas laisser s’échapper.

    Un instant, j’ai eu envie de m’allonger auprès de mes songes, en compagnie de mes sourires d’enfant. Je n’en fis rien, réalisant soudain que la vie n’était qu’une succession d’étapes au long desquelles nous semons sans cesse de nouveaux souvenirs qui imprègnent les chemins de notre histoire, mais qu’ils ne sont pas pour nous. Il appartiendra à ceux qui nous suivent de les découvrir et de les faire revivre en collant les images qui conviennent à chaque instant.

     

     

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    — La longue nuit sous l’équateur avait été tiède comme elles le sont presque toutes. Par les fenêtres ouvertes, la rumeur des ténèbres ne se privait pas de coller ses oreilles à la moustiquaire, pour colporter sous la forêt les bruits de la maison et peut-être les images des plus beaux rêves, en même temps que les sourires dédiés aux anges que l’enfant dernier né ignorait qu’ils leur étaient destinés.

    Outre les chants des grenouilles débattant les dernières nouveautés, le parfum des fleurs écloses sur les arbres de la lisière laissait croire que le lit flottait dans un flacon d’essences rares, mais jamais entêtantes.

    Sont-ce ces fragrances qui influençaient mes rêves et oserai-je vous en parler ?

    Il était tellement beau que je me croyais en chemin pour le paradis. Regardant entre deux nuages avec lesquels jouaient la lune et les étoiles, je crus un instant que le monde s’était arrêté de respirer. La nature entière était figée. Plus rien n’existait ; seulement une langueur que l’on n’aurait voulu troubler par aucun geste ou des mots inutiles, incapables de décrire au sentiment près la chose merveilleuse qui faisait palpiter d’aise mon pauvre cœur endormi.

    C’est à peine si j’osais poser le regard autour de moi par crainte que l’effleurement vienne troubler l’instant. L’espace était infini et doux comme le duvet d’un caneton nouveau-né.

    Aucun souffle ne faisait frémir l’onde dans laquelle les arbres n’osaient à peine se refléter, pas même du bout de leurs rameaux tout juste aoutés. La Terre était emprisonnée dans un voile qui soulignait les contours des monts, isolant les hommes et les choses. On aurait cru qu’une main céleste avait suspendu le globe, le temps d’y redessiner la vie.

    Aucun bras ne se tendait pour déchirer la brume. Je croyais être arrivé dans ce monde dont on parle si souvent à voix basse, mais que l’on ne voit jamais. Une musique douce rebondissait de colline en colline, effleurant le lac indifférent. Elle montait à l’assaut des montagnes qui se la renvoyaient en écho, puis revenait avec de nouveaux couplets et des refrains inconnus, dont les griots s’empressaient de les traduire en de nouvelles complaintes.

    Pour ne pas érafler le ciel qui demeurait pur, aucun oiseau ne s’aventurait à y dessiner des arabesques. Chez les hommes aux caractères belliqueux, aucun roulement de canon, aucune odeur de poudre, ni gémissement d’hommes blessés ne venait troubler la quiétude des lieux ; aucune odeur de poussière ne montait à la rencontre du bonheur pour le contrarier. Sans doute avaient-ils signé la trêve qui durerait jusqu’à l’avènement du Nouveau Monde que tous réclament depuis si longtemps. Il régnait seulement autour de moi un grand calme prélude à une vie nouvelle, dans laquelle l’amour sans aucun doute possible aurait droit de cité, à moins qu’il n’en soit le roi incontesté.

    Les couleurs environnantes prenaient la teinte de l’existence. Elles étaient douces et délicates, ne comprenant dans leurs secrets, aucun embryon qui les rendrait agressives afin de ne pas souiller les âmes qui ressemblaient à des étoiles filantes. L’air glissait sans bruit pour ne pas déranger ce décor apaisant, réclamant à vivre dans la plus grande, mais sincère béatitude.

    Comme toujours dans les instants privilégiés, j’éprouvais un immense regret que tu ne fusses pas à mon côté ma bien-aimée, pour admirer ce jour qui, semble-t-il, apparaît une seule fois dans la vie. Quel dommage, mon doux amour, que nos mains ne se soient pas rejointes en cet instant privilégié, où plus rien n’existe, sinon la lumière divine ainsi que les songes, accrochant en nous leurs désirs de vie. Cependant, je n’eus pas à chercher longtemps pour comprendre qu’il te ressemblait. Comment en eut-il été autrement, car il était revêtu de ton parfum préféré, il avait ta douceur et m’inspirait les mots et les pensées qui sont nôtres, lorsque nos corps se désirent ?

    C’était l’heure où le temps avait décidé de se reposer un instant pour faire de la magie, à moins que ce soit le nirvana que l’on atteigne lorsque l’on est en paix avec soi-même et avec le monde. Je sais maintenant, parce que j’y ai gouté, que si en cet instant nous avions échangé un baiser, nul doute ma tendre amie qu’il aurait duré une éternité.

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    — Le ciel se prêtait aux rêves, étirant son bleu par delà l’horizon. On aurait juré qu’il savait que ce jour ne serait pas ordinaire. C’est que, voyez-vous, lorsqu’il y a de l’amour dans l’air, celui-ci n’est plus tout à fait le même. On croirait que la vie elle-même s’arrête pour laisser les sentiments s’imprégner, voir changer carrément de lieu de résidence et cohabiter avec de nouveaux amis.

    Ce jour-là, donc, personne ne marchait le long de la piste poussiéreuse et aucun souffle n’agitait les rameaux. Pensant que c’était le moment idéal pour s’épancher puisque les paroles ne seraient pas emportées au-delà de la savane, le timide jeune baobab se lança comme un désespéré se jetant dans une rivière.

    Oh ! Ce n’était pas la première fois qu’il tentait le dialogue, mais les fois précédentes il y avait toujours des oreilles mal intentionnées qui rôdaient, bien qu’il n’y ait aucun mur dans les environs. Depuis longtemps, discrètement il entrelaçait ses racines à celles d’un autre plus ancien, planté là depuis toujours, semblait-il.

    Sans précipitation, mais fermement, chaque jour plus intensément il enlaçait son aîné, faisant croire que la puissance du tronc de son voisin n’était là que pour le protéger, un peu comme un refuge. Un curieux passant par là et collant son oreille sur le tronc aurait pu entendre un conciliabule inhabituel.

    — Alors vieille branche ; comment vas-tu ? Tu en as mis du temps pour comprendre que nous étions faits pour nous entendre !

    N’aie aucune crainte, mon jeune ami, viens plus près que je te serre dans mes rameaux.

    — Oh ! Mais dis-moi, est-ce que je ne sentirai pas ton cœur un peu froid, lança le jeune effronté ? Aurait-il cessé de battre ? Est-ce l’âge qui t’a fait perdre toutes tes feuilles ? Dis-moi, ami, depuis combien de lunes es-tu planté là ? Ne me dis pas que c’est moi que tu attendais ?

    — Pour un timide, en voilà des questions ! Je vais te décevoir. Si, précisément, j’attendais un compagnon et comme tu le vois, ici, j’ai fini par prendre racine !

    — Pardonne-moi, répondit le jeune avec un air triste, mais sincère. De là où je viens, le vent ne souffle pas tous les jours. Il m’a fallu attendre le pied douillet du roi des savanes pour faire la route jusqu’à toi. Mais toi, mon ami, dis-moi comment tu es arrivé jusqu’ici.

    — Je ne le sais pas avec exactitude. Tu sais, nous, les anciens, où que nous soyons, nous importe peu. Alors, ignorant les tenants et les aboutissants, je me suis inventé un passé. Certes, il n’est pas glorieux, mais c’est toujours mieux que de rester ignorant toute sa vie. Je te confie mon secret, mais avant, je veux que tu me promettes de ne jamais rien dire à personne.

    — Si cela peut contribuer à ton esprit de demeurer en paix, je suis prêt à te jurer le silence pour l’éternité. Mais rassure-moi, mon ami, tu n’as pas honte de ce que tu as découvert, au moins ?

    — Honte ? Tu crois réellement que l’on peut avoir honte d’où l’on vient, jeune écervelé ? Écoute plutôt. J’ai imaginé qu’un jour, alors que je n’étais encore qu’une graine, je suis tombé du ciel ;

    — Du ciel ? Mais les sujets comme nous n’ont jamais appris à voler !

    — Laisse-moi donc terminer, tu comprendras mieux après. C’est un oiseau qui m’avait transporté dans quelque chose de mou et de chaud qui m’abandonna en plein vol.

    — Ah ! Dis donc, voilà une bien belle histoire ! Tiens, laisse-moi me tordre de rire ! Je n’ose pas te demander si tu étais assis près du hublot.

    — C’est cela, moque-toi, rétorqua l’ancien. Mais, dis-moi, demanda-t-il en se penchant, en voilà des blessures sur ton corps, c’est la vie qui t’a marqué de son empreinte ?

    — Non pas l’existence ! Elle prend soin de nous elle. C’est un écervelé qui voulut tester son nouveau coupe-coupe. Mais à bien y regarder, je vois que l’on ne t’a guère épargné, toi non plus ! Quelle est cette grande cicatrice, là ?

    — Oh ! Une blessure qui ne guérira jamais plus. Je te raconterai plus tard. N’en parlons plus et laissons nos cœurs se dire ce que nos bois ne savent exprimer. J’accepte que tu m’enlaces et si tu le veux, tu peux rester ainsi aussi longtemps que tu le désires. Je regrette seulement que mon épaule soit trop haute pour recevoir ta tête.

    — Dis-moi ami, si nous demeurons ainsi, crois-tu que le temps passera sans nous voir ?

    — Le temps, certainement, car il est de notre côté. Les hommes, j’en suis moins sûr ! Je pense que tant qu’ils auront autre chose pour faire cuire leurs soupes, je crois qu’ils nous laisseront tranquilles ; après ce sera à la grâce de Dieu.

    — Alors, pressons-nous de vivre l’instant sans nous préoccuper de l’avenir. Il viendra assez vite.

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