• Quand le songe n'est point mensonge— Vous dirai-je mère, les rêves qui s’installent en mon esprit, à l’instant où dans la nuit tiède mes yeux se referment sur nos mornes journées ?

    Las de vous regarder vous épuiser du matin au soir pour nous offrir quelques menues choses dont les reliefs nous aident tout juste à survivre, chaque nuit, comme un désir qui ne demande qu’à vivre, le songe se fait de plus en plus insistant, comme s’il me pressait de grandir afin que je mette à exécution ses commandements. J’essaie de lui résister, mais sans cesse il me répète, tel un commandement, que je ne puis rester en ce pays qui perd son âme et que déjà, il me faut me mettre en chemin, quoi que puissent coûter les larmes qu’elles généreront. En mon esprit résonnent toujours les mêmes paroles : connais-tu un oiseau qui rejoigne le pays du bonheur sans donner un seul coup d’aile ? Chaque nuit, il en va des mêmes angoisses et finalement, je finis toujours par partir à l’heure où les ténèbres cernent encore notre case. Discrètement, je pousse le canot dans le fil de l’eau et me hisse en silence à son bord, décidé à partir vers le bonheur.

    Oh ! Rassurez-vous mère, pas dans l’espoir de le garder pour moi seul ; non, pour vous le ramener afin qu’un jour dans votre vie vous puissiez à votre tour en découvrir la saveur. Vous le méritez tant, vous, dont les autres membres de la famille ont abandonné dans les moments où vous aviez besoin de sentir leur présence à vos côtés ! Me retournant une dernière fois vers le village endormi, c’est alors que je vous vois soudain accourir. Sur la berge vous m’adressez de grands gestes et vous vous lamentez, me criant, que notre famille est maudite, puisqu’un autre de ses enfants la quitte sans espoir de retour, car des nouvelles de ceux qui m’ont précédé, vous n’en eûtes jamais.

    Cependant, vous aviez raison, lorsque vous leur disiez qu’il n’est aucun pays où le sourire remplace le soleil dès les brumes matinales dissoutes. Ils ne voulurent pas entendre raison et ils s’en sont allés vers ces contrées que ne fréquentent que les chimères et où les lendemains sont toujours incertains.  

    Alors, pour vous rassurer et ne pas ajouter à votre peine, je vous crie que je ne suis pas de ceux qui s’enfuient en tournant le dos à celle qui les avait nourris. Conscient de votre chagrin, j’essaie de vous convaincre en vous disant que j’allais pour vous, chercher un peu de réconfort, afin qu’il chasse de sous notre toit la misère qui tente chaque matin de nous jeter dans la brousse, à la merci des mauvais esprits.

    Pour vous consoler, je vous disais encore qu’aux abords de notre savane, nous n’avions encore jamais vu un arbre ne gardant pas auprès de lui une seule de ses nombreuses graines. Germant puis grandissant, elle sera sa garantie pour le remplacer lorsqu’il déciderait de s’en aller.

    Je vous disais, alors que la pirogue avait pris le courant, que chaque village me voyant passer, me prêterait ses berges pour m’y amarrer, et que j’y trouverais toujours la case pour l’homme de passage avec en bonne place la calebasse remplie de millet ou de manioc. C’est qu’au long des fleuves qui arrosent notre pays, la solidarité et la générosité n’ont jamais disparu et qu’il s’y trouve toujours des âmes pour aider le voyageur et montrer le meilleur chemin aux audacieux aventuriers.  

    Mon voyage, vous dis-je encore, fera de moi un homme, celui qui dès son retour sera les bras sur lesquels vous pourrez vous reposer. À votre place, ils retourneront la terre avant de l’ensemencer en gardant un œil sur le troupeau pâturant dans la savane. À peine serai-je revenu qu’autour de notre village et de notre amour retrouvé, j’élèverai des haies si hautes que plus aucun membre de nos familles n’osera les franchir.  

    Mais ce n’est pas tout. Écoutez plutôt mère : à mon bras s’accrochera celle que j’aurai choisie pour compagne. Je devine déjà votre étonnement quand vous découvrirez qu’elle vous ressemble, car c’est ainsi que je la désire. Belle, aimante et forte, avec des yeux qui ressemblent à des caresses dans lesquels ne s’attardent jamais le brouillard des larmes autres que celles de la joie.

    Voilà, mère, le songe qui hante mes nuits et rôde autour de mes journées.  

    C’est vrai ; je suis sans aucun doute bien jeune encore pour habiter ce rêve à l’instant qu’il choisira pour devenir réalité ; mais pareil à la graine de l’arbre, voici que les pensées grandissent en mon esprit où l’aventure réclame à vivre. Je sais qu’un jour, sur les branches devenues hautes et fortes, je finirai par grimper pour de là-haut, m’envoler vers l’inconnue.

    Mais ne soyez pas triste mère ; en mes rêves, vous dis-je, j’ai aussi vu mon retour ; il sera comme je vous le confie, car il n’est pas de songe qui insiste tant pour vivre, qui saurait être mensonge.

       

     

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  • — Nous voici donc à la fin d’une époque que beaucoup d’entre nous aimeraient qu’elle ne nous quittât jamais. Il aura fallu si longtemps pour poser le pied dans cette saison, tant d’espoir et de rêves, mais aussi tant de sacrifices !

    Il est juste que dans les esprits les vacances soient forcément synonymes de soleil, de douceur et d’abandon.

    Alors pour nous punir d’avoir de telles pensées, souvent le temps n’en fait qu’à sa tête, histoire de dresser sur notre route des obstacles en cascades.

    C’est que ce mois, qui en fait, au regard du temps se résume à quelques jours seulement, nous aimerions tant qu’ils s’écoulent dans une ambiance qui ressemblerait à celle que l’on doit rencontrer sur d’autres planètes !

    Comme nulle autre personne que nous-mêmes ne détient notre destin entre ses mains, nous décidons longtemps avant le jour fatal de la longueur du chemin à parcourir qui nous permettra d’abandonner pour un temps notre personnalité, que nous jugeons parfois trop conciliante avec les évènements ou les vicissitudes de l’existence.  

    Non pas que nous ayons besoin de suivre une thérapie qui nous préparerait à retrouver le personnage qui est en nous et qui prend trop souvent l’habitude de se faire discret ; cependant, on devrait nous obliger de suspendre à un vieux clou, l’enveloppe qui nous isole faisant mine de nous protéger de la vie trépidante, alors que sournoisement, elle nous mêle à ses tourments.  

    Il nous sera facile de nous rendre compte du changement, à l’instant même où nous allons rencontrer des inconnus avec lesquels nous allons nous lier d’amitié, alors qu’en d’autres temps, pris dans la spirale de l’existence, nous ignorons ceux qui nous entourent et qui parfois sont si proches qu’il nous suffirait de tendre la main pour les effleurer.  

    Mais il en va ainsi de l’esprit lorsqu’il est libre, qu’il se tient à la disposition de notre cœur enfin libéré. Les paysages sont soudain aussi beaux que ceux offerts sur les cartes postales, la mer est d’un bleu qui la fait confondre avec le ciel et le sable fin est plus doux à nos pieds. Nous ne voyons pas seulement les gens, mais nous les entendons s’exclamer joyeusement même pour de petits riens que nous trouverions futiles en d’autres circonstances. Nous aimons croiser les regards qui scintillent du même éclat que celui qui retrouve soudain la couleur du jour, après en avoir été privé trop longtemps.

     

    Il nous arrive parfois de succomber au charme des yeux qui nous invitent à nous plonger dans leur profondeur, à la découverte d’une merveilleuse histoire.

    Qu’une main vienne à frôler la nôtre, que de longs frissons s’emparent de nous, nous invitant à la serrer et à la suivre pour une aventure qui se dessine d’un pas à l’autre, sans qu’il ne soit besoin d’en tracer les lignes ni les contours.

    La montagne est si belle en cette saison, qu’il est difficile de résister à son appel. Nous mêlant aux troupeaux pâturant paisiblement sur les estives, nous avons alors l’impression d’être au cœur d’un extraordinaire concert où s’unissent les sons des différentes cloches tintant au cou des bestiaux qui prêtent leurs mélodies au vent, qui les emporte dans la vallée après que les montagnes les aient répétés en d’infinis échos ressemblants à l’avènement du renouveau.

    Dans le courant de la vie ordinaire, à ceux qui sont proches de nous, bien souvent nous tenons nos peines secrètes afin de ne pas ajouter aux leurs, alors que dans l’enchantement de la liberté retrouvée, les confidences des états d’âme ne tardent pas à s’échanger avec ceux que l’on aurait qualifiés d’étrangers en d’autres occasions.  

    Le temps des vacances est donc bien celui des miracles. La parole est libre ; le sourire prend l’habitude de rester accroché sur les visages d’où les marques soulignant les soucis se font discrètes avant de disparaître complètement.

    C’est le temps où les interdits sont repoussés si loin qu’ils s’égarent dans les gouffres et les ravins. Les corps libérés s’essaient à des amours interdits en d’autres circonstances et les promesses de toutes sortes s’enchaînent les unes après les autres.

    La vie nous fait signe qu’elle ne connait aucun répit en nous montrant ostensiblement le chemin du retour.

    Les nuits s’allongent et fraîchissent et le ciel qui ne veut pas être en reste se charge de nuages aussi gris que l’horizon qui semble nous faire des signes. Les sourires s’effacent, les yeux s’humidifient alors que les souvenirs se bousculent pour occuper les meilleures places en nos pensées.

    Les dernières étreintes marquent des traces sur les corps et les esprits, tandis que les calepins se remplissent d’adresses nouvelles en même temps que des photos changent d’albums. Afin de ne rien oublier de chaque instant de bonheur volé au destin, on se recueille une ultime journée dans l’antre de la douceur ; on se regarde sans dire un mot et les gestes d’adieu sont moins enthousiastes que ceux qui nous souhaitaient la bienvenue.

    L’été s’enfuit même si dans son grand sablier il lui reste encore de beaux jours à vivre. C’est sans doute sa façon de nous montrer qu’il ne fut pas indifférent à nos émotions et qu’il met tout en œuvre pour que ne disparaisse pas trop vite la saison qui rend les cœurs joyeux.

     

     

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    Tant de choses nous avions à nous dire !— Je devine qu’à la lecture de ce billet certains me diront qu’il est impensable d’entendre un tel dialogue avec aucune partie de notre corps, fût-elle notre cœur avec lequel cependant, nous entretenons d’étroites relations.

    Pourtant, si nous l’écoutions avec attention, nous pourrions entendre ses plaintes et ses souffrances que nous pourrions traduire par de multiples avertissements dont il nous laisse le soin de les interpréter. Ainsi, pourrai-je rapporter ce qu’un organe comme le mien aurait à me dire alors qu’il comprend que le temps imparti à ma vive arrive à échéance.

     — Mon ami, mon frère ou mon autre moi ; oserai-je en ce triste matin te dire la grande douleur qui dépouille mes espoirs ? Voilà si longtemps que nous faisons la route ensemble qu’elle nous rendit indissociables, que je puis à l’instant te révéler sans pudeur mes angoisses connues tout au long de notre vie. Je savais depuis toujours qu’en ta compagnie l’existence que nous allions mener ne serait pas un long fleuve tranquille, encore moins, un beau sentier fleurit au long duquel de nombreux bancs s’offrent à ceux qui aiment à s’y reposer, respirant le doux parfum du temps. J’espérais en silence après chaque virage trouver ce genre de meuble, mais de banc sur lequel enfin nous aurions pu prendre le temps de nous reposer un moment en éprouvant du plaisir à voir défiler le vent et ses fragrances, je l’avoue humblement, il n’y en eut guère.

    Puis-je te le dire franchement, sans que tu t’emportes ? Mon ami, tu fus un sacré caractériel, un battant, comme aimaient à te le répéter tes amis. Tu peux te vanter de m’en avoir fait voir de toutes couleurs ! Tu sais, nous, simples petits moteurs, nous ne sommes pas faits pour subir toute une vie les caprices de notre propriétaire ! Tu ne te lassais jamais de tenir le même discours :  

    — Nous ne devons pas laisser la vie venir à nous ; nous avons le devoir d’aller à sa rencontre.

    — D’elle, tu étais insatiable.

    Des horizons nouveaux, de l’air plein les poumons, des amis, de la lumière et des émotions nouvelles, il te les fallait tous !

    À ma grande surprise, tu les eus presque tous, en effet, parce que l’on prétend que l’on ne prête qu’aux audacieux. On ne te refusa rien, parce que tu n’attendis jamais que le jour s’étire sur l’horizon pour aller voir ce qui se cachait derrière lui. C’est lui qui te trouvait debout, le fixant droit dans les yeux, impatient qu’il dévoile ses intentions, avec des mots de bienvenue qui le forçaient à te sourire.

    Si souvent, mon ami, j’aurais aimé que ta course ralentisse afin qu’à l’unisson nos pas décomptent la longueur du chemin parcouru et celle qui s’étendait devant nous, se raccourcissant à vive allure. Mais de moi et de mes états d’âme, tu ne t’es guère soucié. Je me suis si souvent demandé si tu savais que j’existais !  

    Pourtant, j’étais là, blotti tout contre toi, me laissant même aller sur le rebord de tes lèvres, avec l’infime espoir qu’enfin tu te reposerais.

    — La vie est trop courte, clamais-tu ! Le chemin qui la traverse est sinueux et sur chaque pierre qui le construit, il est gravé que nous ne devions perdre aucun des précieux instants qui nous sont accordés.

    — Résigné, je te suivais à ma modeste allure, m’essoufflant toujours plus. Il suffisait que je me laisse aller à verser quelques larmes pour que l’on dise de moi que j’étais gros, sans que l’on se demande si elles étaient d’amour ou de souffrance. T’avouerai-je les douleurs que tu m’imposais, lorsque dans d’autres regards tu découvrais une histoire qui aurait pu se terminer en un conte ou une légende et qui malgré moi, m’obligeait à battre plus fort ?

    Jusqu’à ce légendaire matin où je compris que celle dont tu rêvais t’attendait sur le seuil de sa demeure. La mort dans l’âme, je me résolus à te partager, car je savais par expérience que tu ne reprendrais ton chemin qu’avec l’élue solidement accrochée à ton bras, espérant qu’à deux, la vie allait enfin trouver un rythme plus mesuré et que la trotteuse de l’horloge du temps allait ralentir sa course.

    Quelle erreur d’appréciation je fis ! Nous allâmes au contraire d’émotion en émotion, parfois, jusqu’à friser la rupture.

    Oh ! Comme je te haïssais dans ces moments où les sentiments t’éloignaient de moi ! Combien de fois l’envie me vint de te faire des croques en jambes pour qu’enfin tu retrouves la raison ! Réfugié dans ma solitude, seuls les jours savent le nombre de fois que j’ai désiré sentir ta main m’étreindre, même si l’instant était furtif, le temps que je goute enfin au plaisir que procure et laisse une caresse.  

    L’âge frappant à ta porte, je pensais que le moment était venu pour moi de recommencer à vivre, sinon commencer une nouvelle existence. Une seconde fois, je fis la même erreur. Une barrière avait bien été abaissée pour essayer de te ralentir, mais tu l’ignoras et tu l’enjambas, la méprisant comme tu les fis de tous les obstacles qui jalonnèrent ta route.

    C’est alors que je pris la décision que j’estimais être la meilleure afin que tu n’entraînes pas à ta suite la perte de tous les tiens.  

    Ami, dis-je, qui fis tant autour de toi, pour les autres et pour toi-même, qui construis ici et là et en de multiples endroits, voici mon dernier avertissement :

    Je prends la responsabilité de mon geste, sachant le mal que l’on dira de moi.  

    Un instant, un seul, je vais m’arrêter. Crois-moi, cela me fait autant mal qu’à toi, mais je n’ai trouvé aucun autre moyen pour que tu me prennes en considération.

    Je ne suis que ton cœur, mais me voilà bien essoufflé, car pour moi seul, tu m’offris la vie de plusieurs. Je sens venir l’heure de te laisser là, au bout de tes aventures, alors que j’entends tes suppliques enfin se joindre aux miennes. Pour la première fois, je sens ton pas faiblir, désireux de prendre son temps. Il se pose aussi légèrement que l’oiseau sur la branche en fin de vol, et enfin je perçois de toi de faibles paroles :

    — Reste encore un peu, gentil cœur, j’ai tant besoin de toi pour finir la tâche entreprise !  

    — Je veux bien voler au temps une part de bonheur, répondis-je ; mais s’il me l’accorde, promets-moi de le partager avec moi. Pour l’heure, ne songe à rien d’autre que de laisser ta main sur moi ; tu la retireras à l’instant où je ferais mine de sortir de ma cage.

    Ce fut le jour le plus merveilleux qui me vit enfin en paix avec celui qu’en secret j’ai aimé toute une vie.

     

     

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    Reflets de mémoireL’envie d’exister, tout simplement

     

    — À la page des souvenirs que je pourrai traduire à mes petits enfants si un jour ils m’en font la demande, je crois que sans hésitation je leur parlerai de cette image qui berce encore mes rêves, alors qu’en ce temps-là ils n’en étaient pas.

    Chaque reproduction n’était que le reflet de la réalité de la vie, et celle-ci suffisait amplement à ma gourmandise.

    L’image que je me complus à enjoliver par la suite était celle d’un lieu qui m’aura enseigné les premières notions de la liberté et allumé au fond de mon être un feu qui depuis ne cessa jamais de brûler et qui s’appelait désir d’aventures.

    Du haut de mes jeunes années encore incertaines sur de frêles jambes, je contemplais alors la rivière et je voulais, quel qu’en soit le prix à payer, devenir aussi libre qu’elle. Je désirais aller voir plus loin et toujours plus encore et au-delà s’il existait. Lorsque je me penchais sur son onde, celui qui me ressemblait semblait me dire :

    — Prends le temps de la regarder. Elle passe pour nous être agréable, mais ne s’attarde jamais sur les berges. Elle y prélève seulement quelques souvenirs, qu’elle confiera un jour à l’océan, comme des présents que l’on offre aux divinités.

    — Cette belle époque de mon existence me fit comprendre pour la première fois que la liberté était semblable à l’oiseau, aussi fragile que lui malgré ses ailes paraissant infatigables et comme lui ne supporte pas d’être mis en cage ; fût-elle garnie de barreaux dorés.

    Plus qu’en tout autre lieu, je sais que pour moi, c’est ici que la graine de la connaissance a levé, en cette campagne qui semblait faire le tour de la terre.

    Déjà, en moi, une petite voix me disait que cette plantule ne demandait qu’à grandir et fleurir, et elle serait ravie si cela pouvait se faire sous d’autres cieux.

    C’est alors que je compris qu’il me fallait être comme le vent qui agite les feuillages, évitant soigneusement de ne se poser sur aucun d’eux.

    Sans doute qu’à ce stade de la conversation mes petits enfants me demanderaient-ils si j’étais un nomade ou est-ce que je le devins au gré de ma vie ? Il est probable que je le fus un peu ; n’ai-je jamais fui, tantôt ici, tantôt ailleurs, un jour plus loin un autre plus éloigné encore ?

    Sans tout à fait en comprendre la signification, je ne voulais pas ressembler à ces choses et ces êtres qui à cause de leur inertie paraissent morts ou souffrants, certaines étouffées par les remords.

    On pourra m’opposer toutes les définitions que l’on voudra, mais au fond de moi je compris très tôt que la vie n’était rien d’autre qu’un élément vivant et qu’à ce titre, elle ne supportait pas d’être figée.

    À quoi ressemble une marionnette si aucun personnage ne lui prête sa voix et ses gestes pour chez les enfants engendrer les rires ou la colère ?

    La vie à laquelle j’aspirais, je la voyais comme un mouvement perpétuel escaladant les monts à la recherche d’images nouvelles, de parfums enivrants et même de musiques venues de pays inconnus, dont les notes, pareils à des papillons venant se poser sur l’épaule afin de murmurer à l’oreille les douceurs d’autres cieux. La petite voix ne se lassait pas de me séduire par ses démonstrations.

    À la vie, me disait-elle, tu ne peux lui refuser sa main tendue. Elle ne désire rien d’autre que de te conduire vers le bonheur qui t’attend sur des continents que jusque-là tu ne vois que dans les rêves. Ton esprit, me disait-elle encore, doit s’enrichir à l’instar de tes poumons qui ne se suffisent pas de quelques inspirations. Les yeux ne sauraient être privés du spectacle de la nature qui donne sans jamais rien demander et ils doivent toujours être à la recherche des sourires qui fleurissent sur les visages à travers le monde.

    Chaque jour, cette chère petite voix, lorsque j’arrivais sur les berges de la rivière qui se divisait à cet endroit pour donner vie à un moulin, me répétait que la vie, en pénétrant en nous, provoque une exaltation permanente pareille à un feu d’artifice.

    — Tu es alors à la porte de la divine jouissance, murmurait-elle avec malice. Tu retrouves alors le même plaisir que celui que tu éprouves à cet instant où le poisson titille ton appât. Il ne fait pas que le gouter. Il te teste ; c’est alors que tu l’éprouves. Il t’amuse en s’offrant le luxe d’aller voir ailleurs ; c’est alors que tu le ferres.

    — Ces émotions, je les ai ressenties alors que je n’étais qu’un gamin qui s’enfuyait à travers champs et bois. Je voulais que mes jours ressemblent à des frissons qui n’en finissaient jamais de parcourir mon corps, dès lors mes pieds sentaient sous eux la douceur de la terre. Comme j’étais un enfant obéissant, j’ai écouté la petite voix qui me disait que la lumière n’était que le reflet de la vie.

    Alors, je suis parti à sa rencontre et depuis ce jour là, je ne suis plus jamais revenu vers la rivière qui me laissa embarquer sur son onde. Mais je ne l’ai jamais oubliée.

    Était-ce trop demander que de vouloir épouser le bonheur et ignorer la souffrance et les saisons qui font pleurer les cœurs ?

     

     

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  • La voie du bonheur

    — C’était il y a bien longtemps ; si longtemps, qu’il semble que cela ne pouvait qu’être dans une autre vie. Il y faisait beau, il y faisait bon, la rumeur des jours se confondait en une musique légère qui retombait en pluie fine sur le monde attentif au moindre changement. C’est dans ce climat où se mélangeaient intimement les sentiments que je fus déposé sur la terre, dans la plus grande discrétion, car en ce temps-là, on ne perdait pas de temps en discours inutiles.

    Une chose pouvait être belle et une autre délicate parfois laide ; peu importe, l’émotion ne se lisait sur aucun visage, dont seul le temps froissait sur son passage. Les mains étaient occupées de l’aube au coucher du soleil, avec la tentation d’étouffer la bougie avant qu’il en soit l’heure.

    Comme on avait quelques difficultés pour exprimer ses émotions, on se contenta de me dire le minimum. C’était quelques mots brefs, suivis de gestes qui traduisaient les pensées.

    Il fallait être bien attentif si nous ne voulions pas perdre le fil de la conversation qui se réduisait le plus souvent à un court et triste monologue.

    Quand on jugea que mes jambes étaient assez longues, un beau matin on me montra une superbe voie ferrée et l’on me dit sur un ton grave :

     — Voilà ta voie ! Elle est la seule qu’il te faudra suivre à l’instant où tu éprouveras le besoin d’aller à la rencontre du monde. Aucune autre voie ne devra attirer ton attention. Celle-ci est tienne et jusqu’à son terminus il te faudra la suivre, sans t’arrêter dans les gares qui ne pourraient t’apporter aucun enrichissement.

    Comprends par là que nous ne dénigrons personne, dans le sens où les gens en eux-mêmes sont souvent très intéressants. C’est seulement qu’il ne te faudra pas stationner dans les endroits où les personnes ne recherchent que la facilité qui conduit au dévoiement.

    À l’heure dite, j’ai mis un pied devant l’autre et je me suis aventuré sur ma voie.

    Au début, ce fut amusant. Plus j’avançais et plus le bout de ma voie reculait. J’ai donc beaucoup de temps devant moi, me surpris-je à penser.

    Comme elle était rectiligne et avant que la monotonie se glisse dans mes bagages, je commençais à zigzaguer, allant d’un rail à un autre.

    Puis le temps vint où il me fallut occuper mes journées, car l’esprit laissé à lui-même n’apporte jamais rien de bon. Alors, pour le distraire, je me suis mis à compter les traverses comme on le fait des jours, puis des semaines et enfin des années. Ce fut à cette époque que je me rendis compte que le temps filait vite, bien trop vite à mon goût sur ce drôle de chemin que rien n’encombrait.

    Je me souvins des paroles dont on m’abreuvait alors, autant que des soupes épaisses dans lesquelles se serraient les tranches de pain.

    — Le long de ta voie, tu rencontreras beaucoup de gens. Certains, tu reconnaitras comme étant des amis. Il ne te faudra jamais les décevoir. Rarement, ils te demanderont un conseil, ce sera à toi de deviner ce dont ils souffrent et de trouver le moyen de les soulager.

    Il y aura d’autres personnes qui seront peu recommandables. Il t’appartiendra d’être vigilant, car sur aucun visage le vice n’est inscrit. Tu dois le deviner et faire en sorte de passer ton chemin sans t’y attarder.

    — Dans les gares de triage, loin de m’y arrêter, je fixais ma voie, afin de ne pas me laisser orienter sur l’une ou l’autre qui m’aurait fait changer de direction.

    Continuant mon voyage, un matin je fus surpris de découvrir qu’au loin, le soleil était posé sur ma voie qui réunissait les deux rails. Serait-ce que j’arrive déjà au bout, m’exclamais-je avec quelques inquiétudes dans la gorge ?

    En fait, je vous avouerai que je fus déçu, car si j’ai bien rencontré des hommes, ils ne furent jamais très nombreux. Certes, il y en eut, mais ceux que j’ai croisés m’apercevaient à peine, occupés qu’ils étaient à compter leurs traverses sur des voies parallèles. Certains avançaient soliloquant, d’autres ratiocinaient et d’autres encore semblaient parler aux étoiles.

    En fait, j’aurai aussi bien pu traverser le désert, me demandais-je surpris. Je suis passé sans que l’on me pose la moindre question. Moi ou un autre, quelle importance, me suis-je dit ? J’aurai aussi bien pu avoir une famille nombreuse accrochée derrière moi, qu’il en aurait été de même.

    Alors, me suis-je encore questionné, pourquoi avoir fait une voie si longue si elle ne conduit nulle part, à moins qu’elle ne soit celle d’un garage ?

    Si tel est le cas, que j’y arrive vite, criai-je, reprenant ma voie et accélérant. Au moins peut-être que là-bas on me demandera d’où je viens et où je veux aller après ma remise en forme.

    Qu’importe la direction que prendra ma nouvelle voie ; pourvu qu’elle me conduise vers les sourires, l’amitié et le bonheur !

     

     

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