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    — Je ne sais plus depuis combien de temps je suis planté là, dressé vers le ciel qui passe sans même m’adresser un signe d’amitié.

    Ce dont j’ai inscrit dans ma mémoire, c’est la douceur de l’homme qui me mit en terre, en murmurant des mots gentils pour que je devienne digne des autres représentants de la forêt.

    Le temps s’est incrusté en moi afin qu’un jour l’on sache combien de lunes ont joué dans ma ramure et je garde en mon écorce les signes tracés par des mains innocentes qui ne pensaient qu’à elles, sans imaginer un seul instant que les cœurs qu’elles gravaient faisaient saigner le mien.

    Il fut une époque où j’étais fier que l’on vienne de loin pour m’admirer et me complimenter. Je ne vous apprendrai rien si je vous dis que nous, les sujets du règne végétal, nous sommes comme tous les êtres vivants qui prospèrent sur notre si belle planète. Mieux, je vous le confie, mais ne le répétez pas ; si nous sommes sensibles aux émotions et compliments que l’on nous dit, nous sommes aussi tristes des critiques souvent infondées que l’on nous adresse, lorsque des inconnus nous toisent du haut de leurs regards indifférents nous reprochant la position que nous occupons dans le règne végétal.

    Qu’importe que je fusse orgueilleux traduisant mes sentiments par une débauche de fleurs odorantes pour enivrer les âmes sensibles et attirer les regards et les abeilles ! Qu’importent les médisances puisque c’est encore moi qui profitais de la présence des oiseaux m’ayant choisi pour y construire leurs nids et me laisser écouter les plus belles histoires d’amour traduites en de merveilleuses mélodies et autres sérénades.

    Je me souviens encore de cette saison qui avait posé sur moi tant de fleurs, que les insectes étaient si nombreux à butiner, que, vu de loin, leur ballet faisait comme une aura blonde dans les rayons du soleil.

    Hélas, cette satisfaction qui est comme l’arbre qui cache la forêt masque souvent un profond désarroi.

    Souvent, il m’arrive, dans la discrétion oppressante des soirs d’été, de me demander à quoi il me sert d’être si beau et si haut, si je ne puis mettre cette puissance au service des plus faibles et des souffrants. Pourquoi me parer de tant de feuilles au dessin compliqué si elles ne peuvent recueillir les larmes ni assécher les yeux ? Pourquoi aller si loin dans les entrailles de la Terre y puiser l’essence même de la vie, où, après moult efforts, je la dirige aux confins de ma ramure pour l’exposer à la lumière d’où elle devient une seconde existence ? À quoi me sert-il donc d’emmagasiner autant d’énergie si je ne puis la transmettre à personne ?

    J’aurais tant aimé protéger les hommes les plus vulnérables ! De mes rameaux, j’aimerais enlacer les corps fragiles qui ne croient plus en la parole de leurs semblables !

    Je sais que mon cœur est assez gros et fort pour qu’il soit partagé en des milliers d’éclats d’espoir et de sourires. J’aurais tant désiré les traduire en autant de mots de réconfort que de feuilles qui ornent mon houppier ! J’ai eu la faiblesse de croire que cette vie que je transporte pouvait être transmise dans les veines de ceux qui viennent délicatement poser leurs mains tremblantes sur mon tronc, afin de nourrir les corps et les esprits fatigués, abandonnés par tous à leur souffrance, alors que leurs yeux sourient encore à la vie.

    Parfois, dans ma solitude amazonienne, j’ai envie de crier et demander pardon à tous ceux à qui je ne sus pas dire « je t’aime ».

    Pardon pour tous ces jours au long desquels je ne pus prendre leurs mains pour les tranquilliser et à travers elles, apaiser des cœurs qui n’en pouvaient plus de battre inutilement.

    Sur les charpentes qui construisent mon squelette forestier, des milliers d’oiseaux sont venus me dire leur joie ; mais ceux qu’il ne me fallait pas abandonner, je les ai laissés s’envoler sans un regard, sans même faire le geste qui s’imposait pour les retenir. Au soir de ma vie, je voudrai vous crier que je suis assez grand et assez fort maintenant pour comprendre toute la misère qui vous accable. Je suis aujourd’hui prêt à recueillir votre douleur et surtout la comprendre, afin de mieux la soulager.

    Ne craignez rien, enfants de la solitude.

    Venez auprès de moi que je vous insuffle la vie que l’on me confia pour la donner aux plus nécessiteux. Ne croyez pas que ce soit l’âge et la solitude qui m’effraie. C’est seulement un immense désir qui m’assaille ; celui de vous savoir à l’ombre de mon feuillage, afin que vous y couliez les jours heureux qui jusqu’alors vous fuyaient, alors que vous les méritiez et qu’ils vous revenaient de droit.

       

     

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  • Le grand livre de la nature

    — Par curiosité d’abord, puis parce qu’elle m’a convaincu que ce que je cherchais à travers le monde sans jamais l’avoir trouvé, elle le détenait à l’abri des regards, j’ai succombé au charme de l’immense forêt.

    Pareil à des bras qu’une mère tend vers son enfant fragile sur ses jambes tremblantes, j’ai cru voir qu’elle me tendait ses rameaux pour m’attirer non pas dans son giron, mais sous son couvert, où je découvris un livre merveilleux, ouvert à la première page.

    Oh ! Ne croyez pas qu’il m’appartenait d’en écrire quelques lignes ! Pour cela devais-je connaître les secrets qui sommeillent sous les grands bois, car ces derniers ne se révèlent qu’après de longues observations, beaucoup de patience et de nombreuses autres recherches afin de relier les résultats entre eux.

    En somme, l’Amazonie venait de me faire comprendre que la vie n’est rien d’autre qu’un immense puzzle dont il nous revient le privilège d’en assembler les éléments.

    Heureusement pour moi, dans mon sac se trouvaient déjà des théories trouvées sur d’autres continents, ce qui me permit de rendre la tâche plus simple.

    Comme elle me fit comprendre qu’elle acceptait que je m’établisse auprès d’elle, je ne pris pas garde à ses sentiments égoïstes qui petit à petit se resserrèrent autour de moi. À mon insu, elle m’isolait du reste du monde.

    Afin de me garder auprès d’elle, elle ne me refusa pas certains de ses secrets. Sans démonstration d’aucune sorte, elle me permit d’avancer dans mes recherches, et à mesure que je pénétrais sous son couvert, le ciel me parut soudain encore plus éloigné de nous.

    Était-ce le prix à payer pour demeurer dans cet immense paradis ?

    Pour me séduire davantage, les végétaux faisaient presque des révérences, les fleurs devenaient plus éclatantes, les orchidées dès les brumes matinales dissipées, libéraient leurs fragrances à faire pâlir de jalousie les meilleurs nez que compte notre planète.

    Les oiseaux inventaient chaque jour de nouveaux chants qu’accompagnaient de merveilleux ballets et d’inégalables symphonies.

    Comment un esprit peut-il oublier un tel spectacle, pensais-je ? Ce bien-être permanent qui m’entourait et qui ressemblait à une enveloppe dans laquelle je devinais présent l’esprit de la forêt, est-ce cela que l’on nomme la plénitude, instants privilégiés propices à la méditation ? La nature le pensait si fort, que je crus qu’elle s’adressait à moi.

    Elle me faisait comprendre qu’il était inutile que je me retourne, l’horizon qui barrait ma vie autant que le ciel n’existait plus.

    J’essayais toutefois de m’excuser en expliquant qu’avant ce matin, j’avais déjà gouté à une autre vie, et même à plusieurs et j’étais heureux de tous les principes qu’elles m’avaient offerts.

    Je crois qu’elle me répondit qu’elle n’était pas jalouse, mais qu’elle s’efforcerait de me servir sur mon balcon personnel de l’existence, les plus beaux matins, nimbés des brumes qu’accompagne le lever du jour et qui s’élèvent dans les ramures avec les premiers rayons du soleil.

    Contrairement au monde ancien qui n’apportait plus guère que des rêves ou des fantasmes irréalisables, ici, à chaque pas, je pourrais reprendre autant de fois qu’il me plaira, de la délicieuse liberté qui rayonne du sol à la canopée.

    C’est alors que je découvris ce que la volupté voulait dire à l’instant où l’on dit oui à la nature ; elle se fait épouse, amante ou compagne pour la vie.

    En son sein, chaque jour se fait mélodie, même quand la mousson déverse sur son toit ses pluies violentes. Pas rancuniers, les végétaux se prêtent aux caprices du temps, sachant depuis l’aube des temps que l’eau est source de vie.

    S’égouttant, les feuilles profitent du moment pour confier à leurs voisines leurs émotions, qu’elles traduisent ensuite en de merveilleuses complaintes musicales. Pour exciter notre curiosité, l’humus dégage son odeur acide, nous rappelant qu’il est le terreau d’une autre existence dans lequel les rêves les plus fous prennent racine avant de voir le jour.

    C’est alors que je comprends qu’il est notre encyclopédie et que nous passons notre temps à la piétiner plutôt que de nous pencher sur chacune des pages qui nous disent qu’elles sont la mémoire de l’humanité.

    Je souris en parcourant les layons, à la pensée qu’en notre forêt il n’y a pas de mornes saisons. Pour nous être agréable, l’Amazonie nous offre un printemps perpétuel, ressemblant à des éclats de rire qui rappellent aux hommes que sans Dame nature ils ne seraient rien.

    Si elle pouvait réellement parler à ses bourreaux, elle leur demanderait que s’ils ne devaient faire qu’une seule chose dans leur modeste vie, mais que cette dernière est pour sa protection, sans nul doute, cette action serait la plus belle des tâches qu’ils n’aient jamais réalisées. Chaque homme deviendrait alors pareil à une mère veillant sur son enfant, car ce noble sentiment qui émane de son regard à l’instant où elle se penche sur le berceau dure toute une vie.

     

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    Peuples premiers mais peuples oubliés— Au rang des peuples oubliés, il en est un pour qui j’ai toujours eu le plus profond respect. Je veux parler des Amérindiens, ces hommes venus de si loin que l’on a même perdu de vue les sentiers qu’ils fréquentèrent dès l’aube des jours nouveaux.

    Derrière eux, les layons s’étaient aussitôt refermés ; sans doute, dame nature l’avait-elle voulu ainsi, afin que nul autre peuple ne puisse suivre le chemin des hommes heureux.

    Certains d’entre eux s’étaient installés sur le plateau des Guyanes. Ils étaient les Arawaks, peuple tranquille et sédentaire, non violent, venu probablement des Antilles.

    Emboîtant leurs pas, vinrent les Caraïbes, descendus du bassin de l’Orénoque, tandis que les Wayanas, pêcheurs, s’établirent sur les rives du fleuve Maroni, de part et d’autre de l’embouchure. 

    Les Kalinas demeurèrent près de l’océan, le long de plages si belles que la mer venait y déverser ses vagues afin de bercer le bonheur des hommes.

    C’était il y a bien longtemps, environ dix mille ans avant l’ère chrétienne. Certains peuples premiers étaient des semi-nomades, pratiquant une agriculture sur brûlis. La pauvreté du sol de l’Amazonie ne date pas d’hier, arrosé et lessivé en permanence, s’épuisant rapidement dès l’instant où il est bousculé.

    Il n’est que l’humus recouvrant la surface du sol forestier qui permet aux arbres de s’élever, nous laissant croire qu’ils se tiennent par les ramures, bras dessus bras dessous, comme s’ils partaient en voyage, alors que les racines enchevêtrées maintiennent les géants verts dans la tourmente.

    Nos amis vivaient dans ce havre de paix en parfaite harmonie avec le monde qui les entourait et dont on pouvait prétendre qu’ils en étaient issus tant ils lui ressemblaient.

    Leur société était parfaite. Elle s’articulait autour du savoir du parlement des anciens, de celui des chamans, des sorciers et autres savants.

    Leur richesse première était la connaissance sans faille du milieu, à la feuille près, comme peut l’être le religieux de sa bible, à la virgule proche.

    L’observation du système dans lequel ils évoluaient, leur permis de découvrir jusqu’au moindre secret de dame nature, prenant garde de ne jamais rien détruire du trésor, qu’ils savaient être fragile.

    Nous ne sommes jamais obligés de dévaliser le magasin qui nous offre si généreusement ses produits indispensables à notre survie ! Ils prenaient donc, sans excès, pourvoyant seulement à leurs besoins immédiats. La pêche, la chasse et la cueillette se faisaient aussi parcimonieusement que si elle devait être la dernière.

    C’était l’époque où l’on ne parlait pas de survie, seulement de vivre l’instant, le jour, la saison ou les lunes. Ils connurent des siècles d’un bonheur intense, qui se voulait presque parfait, très proche de celui dont les individus de nos jours frôlent lorsqu’ils marchent leurs rêves. Les peuples premiers étaient si heureux, qu’ils ne songèrent même pas à inventer des mots pour décrire la béatitude.

    Ils estimaient que la vivre suffisait grandement à leurs émotions et qu’il n’était nul besoin de chercher des phrases pour exprimer ce qu’était le nirvana. Ils le possédaient ; mieux, il était en chacun d’eux !

    Jusqu’à ce triste matin où l’irréparable se produisit.

    Ce fut une aube que beaucoup auraient préféré qu’elle ne se levât jamais. Alors qu’elle aurait dû être enrichissante pour les uns et pour les autres, la rencontre des peuples venus du Nord fut un véritable désastre.

    Si les conquérants qualifiaient les pays nouvellement découverts de terres vierges, c’était bien la preuve que depuis la nuit des temps, les primohabitants n’avaient rien bousculé de l’ordre établi depuis toujours ! Après des siècles de quiétude, la fièvre s’était emparée de la forêt. Nous n’étions qu’au début du cauchemar. Du grand livre de la vie que représentait la cathédrale verte, chaque jour voyait la perte d’une nouvelle page. De la fécondation permanente de la vie, on en venait à la disparition de la mémoire. La lumière des esprits s’éteignit comme on le fait d’une chandelle, en pinçant la flamme entre deux doigts. Le bien enfanta alors du mal dans d’infinies douleurs.

    Peuples premiers ; aujourd’hui, peuples oubliés ; trouvez à travers ces modestes lignes toute mon amitié et mon respect. Je voudrais que vous sachiez que tout comme vous, je redoute le jour où pourrait se tourner la dernière page de votre fabuleuse histoire.

    Alors, en silence, je prie afin que l’irréparable ne se produise, et que l’un de vos éminents représentants s’empresse d’écrire un nouvel ouvrage à travers lequel vous pourrez enfin crier à la face du monde la vérité à longueur de lignes, cette réalité empreinte de sagesse que tant de peuples ignorent, errant à travers le monde à son éternelle recherche.

     

     

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    — Le jour qui se levait, s’il avait pu s’exprimer à voix haute, m’aurait sans aucune hésitation, dit qu’il serait plus long et plus triste que ceux déjà remisés dans la case à souvenirs. Il y a des signes qui ne trompent pas en ce qui concerne la vie des hommes, ainsi que tous les éléments qui gravitent autour de lui.

    Le premier message délivré fut cette aurore que l’on devina incertaine. Elle s’attardait plus que de raison de l’autre côté de la forêt, comme si elle avait de la difficulté à s’extirper des ramures emmêlées, peut-être même retenue par quelques épineux belliqueux et revanchards. Le soleil nous donnait l’impression d’être sans entrain, voir même déprimé, se demandant s’il parviendrait au milieu du jour à son zénith.

    Vaquant à mes occupations, peu pressé d’aller rejoindre les rizières, je m’attardais plus qu’il n’en fut besoin autour du zébu qui allait tirer la maigre charrue tout le jour durant.

    Était-ce l’intuition qui me commandait de tourner en rond encore une fois avant de partir rejoindre les miens qui avaient déjà dépoussiéré la piste de leurs pieds nus ?

    Je ne le sus pas et ne me posais pas la question, mais à l’instant où je me décidais, un homme essoufflé pénétra dans le village, demanda si j’étais bien celui à qui il devait remettre un message.

    L’un de mes parents venait d’être rattrapé par la maladie, et il réclamait ma présence avant qu’il parte pour le grand voyage.

    Il avait été plus qu’un parent pour moi qui m’étais retrouvé seul, à l’heure où dans la vie, les parents sont indispensables. Je ne refuserais donc pas un ultime regard de reconnaissance à celui qui m’avait tant appris avant que je décide de voler de mes propres ailes.

    Je réunis quelques effets dans un sac enfilé sur un bâton. Mon maigre balluchon représentant ma fortune sur l’épaule, sabre en main, je partis dans l’instant vers la côte.

    Je compris que le voyage serait long de plusieurs jours, par des pistes peu sûres et épuisantes. J’espérais sur les pensées en vers celui pour qui je nourrissais une grande reconnaissance, pour me donner du courage.

    N’avait-il pas lui aussi parcouru ces pistes incertaines avant de trouver l’âme sœur qui devint sa compagne pour toujours ?

    Il avait été l’exemple qui illuminait ma vie, éclairait mon chemin et à sa manière il s’était fait maître d’école pour m’enseigner la vie.

    Il m’avait tout appris, employant des mots simples. Il aimait à me rappeler que dans le monde qui nous entoure, rien n’est vraiment compliqué pour qui veut bien se donner la peine de regarder. Je l’entends encore me dire :

    — Approche-toi, petit, afin de mieux regarder les gestes qui donnent la vie à toutes choses. Je vieillis et je ne suis pas certain de connaître les mots justes pour expliquer. Regarde bien les mains, ce sont elles qui savent ce qui est bien !

    Ce que tu vois, tu dois le ranger précieusement dans la tête, jamais bien loin pour le jour où tu auras besoin de ressortir ta leçon, pour à ton tour, transformer la chose en un être vivant.

    Marchant en regardant plus souvent le sol que les cieux, je me souvenais des mots mesurés qu’il employait pour imager l’instant où je devais installer ma halte pour la nuit, à l’abri des grands arbres.

    J’imitais ses gestes pour écorcher le bois en minces copeaux qui ne tarderaient pas à se transformer en flammes dansantes. Elles allaient éclairer la nuit, réchauffant le repas frugal, et surtout, tiendraient éloignés tous les hôtes de la forêt, les curieux et les envieux.

    — Ton espace doit être propre et ta tête devra être à l’abri sous les palmes. On n’a jamais vu un corps trempé se donner la peine de rêver !

    — Je marchais donc, ajoutant des jours et des nuits à mon voyage.

    C’est au début de la soirée, en sortant de la forêt, que je vis, planté devant moi un établissement qui invitait à y faire une halte.

    Oh ! Il n’était pas de grand luxe, mais après des jours dans les bois, il était vraiment le bienvenu, même si le banc pour se reposer nous invitait à le faire rapidement tant il penchait dangereusement. Lui aussi était fatigué et avait hâte de retrouver des planches plus anciennes couchées sur le sol.

    Face à lui, la table n’attendait qu’un signe de son vis-à-vis pour rejoindre la terre sans doute gorgée de sauces débordantes d’assiettes bien remplies.

    Quant au sakafo (repas), il ne serait sans doute pas différent de ceux pris les jours précédents.

    Peu m’importe, mes pieds me commandaient de rester pour la nuit, mon ventre habitué aux rigueurs me fit comprendre qu’il ne s’y opposait pas et ma tête hocha tout seule quand elle s’éprit de la véritable construction.

    Je me rangeais donc à l’avis de mon corps et rentrais dérouler ma natte.

    Oubliés, les fatigues, les pieds écorchés et le ventre affamé. À peine allongé, le rêve me visita.

    J’y découvris des étoiles qui n’étaient pas celles de l’hôtel, mais le sourire des miens, laissés au village.

    Je compris que demain serait vite éveillé, car mon corps reposé, s’apprêtait déjà à écouter le vieil homme qui devait espérer me retrouver enfin à ses côtés.

     

     

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    La légende de la lumière


    — Dans notre coin de forêt, il se murmure une légende que l’on ne peut entendre que lorsque l’alizé suspend son souffle à la cime de l’angélique, afin d’y prendre un repos bien mérité. Il n’y a guère que les initiés qui peuvent surprendre les chuchotements qui se transmettent de rameau en rameau. Mais écoutons ces murmures que nous relatent les sages, dans l’intimité des ténèbres.

    — Alors que notre terre n’était que des poussières malmenées par les vents solaires, une nuit profonde régnait dans l’univers où les constellations se heurtaient, projetant les unes et les autres, toujours plus loin vers la périphérie de l’espace, dont nul érudit ne savait où il commençait et où il finissait.

    C’est le moment que choisit le créateur pour réunir les éléments les plus résistants pour les élever au rang de planète à part entière. Il y faisait sombre et froid. La nuit vint trouver celui qui avait tant de puissance et se lamenta auprès de lui afin qu’il éclaire cette surface nue sur laquelle se désolaient de ne pouvoir naître les premières graines tombées d’autres planètes.

    Conscient que l’œuvre réalisée n’était qu’à ses premières ébauches, il demanda aux vents célestes de la pousser hors de l’univers de la nuit. Il ne fallut guère de temps à la lumière pour devenir d’abord un rayon, puis, dans un ultime effort, il plaça le soleil dans l’axe de celle qui n’allait pas tarder à devenir la plus belle du système solaire : celle, que plus tard on nommerait « la planète bleue ».

    Après un repos bien mérité, le créateur comprit qu’il ne pouvait laisser un tel espace sans ornement. Les premières semailles terminées, suivirent les plantations et le partage de la surface en jardins merveilleux dans lesquels se firent entendre les premiers oiseaux.

    Contemplant longuement le travail accompli, le promoteur de tant de beauté se dit qu’il manquait dans ce décor un élément essentiel. À quoi pourrait bien servir la richesse si personne ne peut l’admirer ni même la partager ?

    Il créa la femme et la couvrit de fleurs délicates qu’il présenta à l’homme qui vint immédiatement après. Constatant que les deux nouveaux arrivants semblaient s’entendre, le créateur se dit qu’il pouvait se retirer, car la terre était maintenant entre de bonnes mains. Effectivement, ils vécurent heureux des années qui leur parurent une éternité, s’entourant d’une nombreuse famille.

    C’est alors que les choses commencèrent à se gâter. D’abord, ce fut la lassitude de l’environnement trop parfait qui les incommoda. Les disputes étaient fréquentes et ils décidèrent que le temps de se séparer était venu. Ils devaient aller plus loin, explorer les jardins et à leur tour inventer quelque chose de nouveau.

    Les uns créèrent les sentiments, mais ils ne leur suffisaient pas. Ils se réunirent donc et réfléchirent quelque temps. Hélas ! De ces réflexions naquit le malheur, qu’ils s’empressèrent d’aller distribuer aux quatre coins de ce qu’ils appelaient leur royaume.

    Pendant que les uns semaient les calamités, les autres donnèrent forme et vie à un sentiment beaucoup plus noble. Ils l’appelèrent le bonheur. Ils partirent rapidement par les chemins qui s’élargissaient sur leur passage, car il fallait sans tarder l’installer dans les cœurs des nouveaux occupants. Ce ne fut pas une mince affaire, car s’il est facile de répandre le désastre et la méchanceté, il est plus difficile de persuader les hommes d’accueillir la félicité.

    Il fallut du temps et de la patience pour convaincre ceux qui étaient devenus méfiants après le passage des semeurs de discordes. Chaque matin, il fallait les réunir sur le rivage de l’océan avant que le soleil vienne de ses rayons chasser les ténèbres et réchauffer les esprits.

    Depuis ce temps lointain, rien n’a vraiment changé. Nous devons sans cesse persuader ceux qui nous entourent que la lumière nous est indispensable. Elle seule pénètre au fond de nos cœurs et nous protège des mauvais esprits qui fomentent la terreur dans la noirceur des ténèbres.

    Aujourd’hui, c’est à nous que revient le privilège de faire lever le jour dans les cœurs de ceux chez qui elle tarde à paraître ou qui trouvent refuge dans l’ombre de la solitude, car si nous devons trouver des réponses à nos difficultés, c’est dans la lumière qu’elles résident, attendant notre venue. 

    Amazone. Solitude.  

     

     


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