• LA NAISSANCE DES SAISONS 

     

     

    L’AUTOMNE

     

    – Il ne restait plus qu’à effectuer les vendanges et après elles, le cycle de la vie aura été complet. C’est une époque merveilleuse, où, dans la rosée du matin, le genou en terre, la personne saisit délicatement la grappe ventrue aux grains revêtus de la couleur d’une espérance généreuse et goûteuse. Sectionnée, elle va rejoindre les nombreuses autres dans la hotte solidement suspendue aux épaules des hommes les plus costauds. Tristes d’avoir été séparées du cep sur les sarments desquels elles s’étaient laissé vivre et gonflées sous les caresses du temps, elles découvrent le pressoir, qui, sans état d’âme, impitoyablement les presse jusqu’à obtenir leur dernière goutte de vie. Bientôt, le jus tiré se transformera en un délicieux breuvage rappelant les meilleurs nectars. Il dépoussiérera les gosiers assoiffés et fera naître dans les gorges des hommes heureux, des chants dont ils ne se souvenaient plus qui en avait écrit les paroles. Qu’importe ; l’heure était à la gaieté et à l’insouciance. Le temps des lamentations pouvait bien attendre !

    Si les cœurs nageaient dans le bonheur, il n’en était pas de même pour les esprits, car ces derniers détiennent la mémoire dans laquelle sont imprimés les sentiments et les images. C’est alors que l’âme indique aux yeux que ce qu’ils voient présentement ne saurait durer. L’heure des grands rassemblements d’oiseaux migrateurs a sonné. Ils se réunissent d’abord pour convenir d’un itinéraire qui les conduira vers le pays où le printemps est éternel. Puis, viendra l’instant des ultimes vérifications et apprentissages des voyages si longs qu’il ne faudra pas songer à trouver le repos avant d’avoir regagné la terre promise. Sur les fils, ils s’alignent telles de parfaites chorales afin d’exprimer en chansons leurs satisfactions et leurs remerciements à la nature pour les avoir si gentiment accueillis et nourris. D’un dernier coup d’aile, survolant ceux qui restent au pays, les migrants adressent un salut, et disparaissent très vite derrière un rideau de brume.

    Pour qui la regarde avec intérêt, le monde semble exulter, se parant de mille couleurs. Le camaïeu des verts cède la place à la palette du peintre. Il dépose ici une touche de brun, là une de rouge. Ailleurs, ce sont les ocres qui ont sa préférence, tandis que le jaune se trouve en première ligne. Coquin, le soleil se mêle aux jeux de la lumière transformant ainsi la campagne en un nuancier géant où les tons changent à chaque instant. Les clochettes des bêtes ayant passé la belle saison dans les estives sonnent maintenant sur les chemins du retour. Le silence pèse sur les montagnes qui s’étaient habituées à la musique et aux appels des pâtres.

    Cependant, chacune des feuilles suspendues à son rameau sait que son destin veille et l’attend dissimulé dans une aurore tardant de plus en plus à s’extraire des ténèbres. Ah ! Qu’il était loin le solstice, tandis que le soleil, prétentieux, prétendait, qu’avec ses rayons déployés il pouvait caresser les limites de son amie et voisine la Terre ! Avec les premiers jours d’automne qu’accompagne un vent triste venu du Nord, les arbres sont soudain agités de longs frissons. Si les humains se désespèrent des temps joyeux, les végétaux, eux, abandonnent à regret leurs feuilles comme autant de larmes. Elles comprennent qu’elles ne reviendront plus. Timidement, elles se décrochent en s’excusant presque de s’enfuir sans se retourner, se laissant porter vers leur dernier rendez-vous. Elles ne savent pas en quel lieu du monde elles se trouveront quand le jour aura décidé de les confondre avec le crépuscule. Sans doute les bourrasques les auront-elles entassées pêle-mêle, les unes par-dessus les autres, ignorant les variétés et les formes, les entraînant sur un sentier secret de la forêt par lequel ne s’aventure jamais personne. Mélangées et souffrantes, elles tenteront d’échanger dans un ultime murmure, des souvenirs intimes afin d’en faire une histoire simple. Si elle commença dans la discrétion d’un bourgeon, hélas, elle se terminera dans l’indifférence des choses et des hommes. Oubliée, la chaleur du sein protecteur du bouton ; disparus encore les beaux jours de l’innocence du premier regard vers le soleil moqueur ! Abandonnées aussi les douleurs ressenties à l’instant où il leur fallut produire un effort hors du commun pour permettre aux limbes ourlés de dentelles de se défroisser, comme la robe de la jeune fille se rendant à son premier bal. Pressées de vivre les bienfaits offerts par la lumière, elles s’élargissent dans un orgueil à peine contenu, suspendant jusqu’à l’extrémité des rameaux, quelque chose ressemblant à des milliers de sourires. Elles sont alors très fières de participer à la prospérité, et plus encore depuis le jour où un inconnu leur avoua que sans elles, la planète se mourrait ! Ce qu’elles savent de la vie, elles le tiennent du vent qui chante sans répit en passant à travers elles. À sa manière, il dépose sur elles les secrets récoltés ailleurs, ceux du temps et de l’espace et même ceux des hommes devenus un moment pareils à des cigales.

    Les passants, précisément, elles ont appris à les reconnaître, lorsque sous leur couvert ils viennent se réfugier au plus fort de l’été. Ils sont aussi différents qu’ils sont nombreux, disent insolemment les plus effrontées ! Cependant, d’entre tous, il en est un vers qui va leur préférence, et certaines prétendent qu’il est un poète. Le plus souvent, il s’installe à l’écart des autres personnes, estimant qu’elles mènent un grand bruit en ce lieu où pareil à l’intimité d’une cathédrale, on ne prononce les mots qu’à voix basse. Elles aiment la façon particulière qu’a cet homme de les regarder, comme s’il venait à l’instant de les découvrir. Puis, après les avoir longuement observées, il n’hésite pas à les fixer avec une telle puissance, qu’il force les yeux des plus insolentes à se baisser et aux teints de s’empourprer. Quel intense plaisir elles ressentent alors, quand ses paupières semblent déposer à leur surface les caresses les plus douces ! Quelle fierté de le voir sortir de sa poche un cahier sur les lignes duquel elles savent, qu’après leur avoir adressé un dernier regard, elles découvrent les premières lettres d’un ver qui en promet de nombreux autres ainsi qu’une quantité de strophes ou de refrains à la gloire de celles qui, sans retenue, se pâment sur les ailes de la brise ! Il connaît les mots qui font frémir d’impatience et naître le désir. L’émotion est à son comble au moment où il se baisse, tendant la main vers celles qui gisent à terre. C’est le moment où elles aimeraient toutes se précipiter vers lui, car elles ne rêvent que d’une chose : être choisies pour qu’après mille précautions et autant de gestes de tendresse et de douceur, il la glisse entre les pages de son ouvrage, où, leur semble-t-il, une seconde vie les attend. L’extase sera proche quand il refermera avec une infinie prudence son recueil, afin de ne blesser aucun des sentiments délicats. C’est l’instant précis où le végétal va rejoindre les mots écrits pour lui. Chacun d’entre eux se mêlera à la texture de la fibre, et grâce au miracle de l’union sacrée, ils donneront à la feuille une mémoire éternelle. Elle avait tellement craint de la perdre au moment où le vent dans un souffle d’humeur vint la cueillir avant l’âge, alors qu’elle tentait de se retenir avec la force du désespoir à la branche qui lui avait permis de naître.

     Avec l’automne, installé durablement, ce sont aussi les labours qui offrent au sous-sol une dernière chance de voir le ciel. Dans les chaumières, on prétend que les suppliques mystérieuses sont adressées aux anges, dans l’intention les faire pleurer, car c’est ainsi que se prépare la mauvaise saison.

    Dans la forêt maintenant dépouillée de ses plus beaux atours, le chant des « han » des bûcherons s’échinant sur les haches et les cognées ont remplacé celui du rossignol. Ils se joignent aux plaintes et gémissements des arbres s’affalant en éraflant de leurs branches leurs amis et voisins à la façon qu’ont les hommes de se dire au revoir lorsque l’un d’eux les quitte pour longtemps. Après avoir tiré les charrues, puis les divers outils de coupe, les charrettes remplies d’herbe sèche ou de gerbes de blé puis les tombereaux de raisins, voilà que les chevaux s’arcboutant sur leurs jambes, conduisent les fardiers auxquels étaient suspendus les troncs, tels des corps démembrés.

    La saison qui vole sans vergogne les souvenirs de tout ce qui vit, trépigne derrière les nuages qui s’amoncellent en un lieu secret du ciel. De jour en jour, elle s’installe dans une terre qu’elle sait avoir vaincue. Il ne lui reste plus qu’à isoler chaque élément et les punir, pour avoir eu l’outrecuidance d’avoir, comme « la cigale, chanté tout l’été ». Mais elle se trompait quand elle prétendait avoir mis le monde à genou.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     


    votre commentaire
  • LA NAISSANCE DES SAISONS 

     

     

    L’ÉTÉ

     

    – Puis, l’été accourut prendre la suite de celui qui lui avait préparé le chemin. Il ne perdit pas de temps quand il vit que le printemps donnait des signes de faiblesse. Les premiers fruits tinrent leurs promesses et ravirent à ce point les papilles, que la mémoire gustative n’eut pas à se forcer pour en retenir les particularités. Dans les champs, sous les yeux des paysans, les récoltes s’annoncèrent généreuses, et il en fut de même dans les prairies, où l’herbe devint haute et grasse.

    Aux clochers des villages adossés aux flancs des montagnes, l’heure des fenaisons carillonna. Ce fut un autre moment délicieux dans le cœur des gens de la campagne ; mais pas seulement. En effet, le crissement de la lame des faux rabattant la coupe sur le côté formait de longs andains que les femmes démontaient afin de les éparpiller pour l’offrir aux rayons d’un soleil se faisant brûlant. Un parfum nouveau venait de naître ; il se répandait dans l’air, comme s’il cherchait à enivrer les servants de la terre, tandis que les rires et les chansons cascadaient tels les torrents aux eaux vives, sautant de rocher en rocher. Les jeunes s’interpellaient, criaient à gorge déployée. Même le vent n’hésitait pas à prêter son concours pour accélérer le brunissement du produit de la fenaison, réclamant de l’aide à son complice l’astre brillant, qui la rendait tiède et craquante. Toujours dans la bonne humeur, les charrettes tirées par des attelages mixtes, chevaux et bœufs transportaient le foin qui laissait par les chemins une odeur que nul ne saurait oublier ; celle de l’herbe sèche ! Comme si, l’existence, ayant conscience qu’elle reste invisible à qui espère un jour la découvrir, pour se faire pardonner exhale des senteurs, qui pénètrent au plus profond des maisons et des mémoires afin que tous la garde présente en son esprit. Mais comment serait-ce possible, car elle est remisée dans les fenils et les granges où elle attend patiemment la saison des frimas pour servir de repas aux animaux de la ferme.

    Ah ! Cette saison aux jours les plus longs, qu’elle est belle, utilisant chaque jour pour répandre généreusement ses fragrances à travers le monde ! Qu’il est agréable alors de venir, aux heures chaudes, chercher la fraîcheur sous le couvert des grands arbres, ou flânant le long des rivières, écoutant le clapotis de l’eau qui dépose sur les berges, les nouvelles des villages traversés en amont ! C’est l’époque où la nature déverse sans discontinuer ses bienfaits et ses délices de toutes sortes dans le cœur des hommes. Même les plus rustres, les plus bourrus ont retrouvé leur joie de vivre et cèdent aux caprices d’une existence heureuse. Il leur vient l’envie de se fiancer avec le ciel tant il est généreux, et se laisser corrompre par quelques fantaisies !

    Dans les champs, les blés mûris ondulent sous les caresses du vent. Pour un temps, il les fait ressembler à des vagues de l’océan, égarées dans la campagne. Ils deviennent si blonds, qu’un instant on se demande si ce n’est pas le soleil en personne qui s’est installé sur la terre, afin de la parer d’une fine couverture d’or ! Dans les alpages, les clochettes accrochées au cou des bestiaux résonnent en échos sur les flancs des montagnes qui trouvent un malin plaisir à se les renvoyer, laissant croire au visiteur que la nature est en fête.

    Dans la plaine, les épis maintenant gonflés d’un froment de qualité réclamèrent d’être moissonnés sans plus attendre. Alors, telle une armée en campagne avide de nouvelles conquêtes, on vit les paysans et leurs machines investir les champs. Pareils à des fourmis, les hommes reprirent les faux. Au pas quelque peu chaloupé et déhanché des servants, le blé se couchait volontiers et dans les cours des fermes les gerbiers s’élevèrent. Puis ce fut le temps des battages, ce moment extraordinaire dont les poètes aiment à en écrire l’une de ses plus belles pages afin de la joindre à l’histoire commencée il y a déjà des siècles. Non sans douleur, les grains furent extraits de leurs épis, tandis que les meuniers vérifiaient les poulies et leurs engrenages. Les meules se mirent à tourner, écrasant le grain qui abandonnait sans combattre sa farine qui remplissait les sacs. Dieu qu’elle était fine cette farine aussi blanche que les neiges d’antan ! Un regard suffisait pour comprendre qu’elle aiderait à confectionner les meilleurs pains. Ah ! Que les mémoires furent heureuses de retrouver l’odeur des couronnes et des baguettes dorant dans les fours de chaque village, ayant repris du service pour l’occasion. Ailleurs, c’étaient de nouvelles senteurs qui emplissaient l’espace. Elles provenaient de fleurs hautes perchées sur leur hampe, afin de s’assurer qu’on les voyait de loin et que nul n’ait à se pencher pour en respirer leur parfum.

    Dans le ciel, ce fut aussi le temps où les oiseaux, tels les gamins dans la cour de l’école, se poursuivaient en dessinant de belles arabesques. De l’union des parents étaient nés des petits qui s’essayaient à voler alors que d’autres, encore au nid, piaffaient d’impatience et de faim, estimant qu’entre deux récoltes d’insectes, les aînés s’attardaient un peu trop. Partout dans les campagnes s’égayaient les enfants, heureux d’avoir oublié les leçons et les devoirs. Ils étaient fiers de se retrouver à l’école de la vie, celle où l’on apprend en souriant. Dans les collines et les sous-bois, les quimboiseurs et autres guérisseurs cueillaient les plantes destinées à endormir les souffrances.

    Maintenant que l’herbe sèche reposait à l’abri, dans les prairies, le regain attendait la faux ou le retour des bêtes redescendues des pâturages alpestres. Elles se montraient impatientes, car en elle, les prémices d’un changement de saison les titillaient. Elles ne se contentaient plus d’une nourriture rase et pauvre, alors qu’en bas, elles savaient trouver celle dont elles conservaient la saveur. Les chaumes réclamaient la charrue du paysan pour rendre à la terre ce qu’elle avait si généreusement offert. Les jours raccourcissaient et les nuits étaient déjà plus fraîches. Les hommes scrutaient le ciel et devenaient soucieux.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     

    Demain, nous pénétrerons dans l’automne, aux couleurs chatoyantes.

     


    votre commentaire
  • LA NAISSANCE DES SAISONS 

     

     

    LE PRINTEMPS

     

    – Le grand maître de l’Univers ayant accompli son tour de la Terre, s’attardant ici et là, un beau jour s’en revint, mettant du baume dans les cœurs se trouvant au bord du précipice. Alors que dans les chaumières enfumées plus personne n’y croyait, le renouveau frappa à la porte. Il était temps, car beaucoup ne pensaient plus qu’ils reverraient la verte feuille, comme l’avait si bien dit l’aîné de la famille en fermant les yeux au soir d’un jour qui lui parut une éternité.

    Honteuse de constater sa faiblesse, la bise s’en était retournée dans les étendues froides du grand-nord, cédant à contrecœur la place à un vent tiède venu du Sud. La neige se sachant impuissante à résister aux nouveaux éléments n’a d’autres ressources que de se laisser fondre. On aurait pu croire ainsi que les arbres étaient soudain victimes de graves hémorragies, tandis que s’écoulait l’eau glacée, endormie sur les branches. Le givre lui aussi se transforme en de grosses gouttes ressemblant à des larmes de joie que versent les êtres emprisonnés trop longtemps, à l’instant où ils retrouvent la liberté et la belle teinte bleue d’un ciel devenu clément. Le lourd manteau de l’hiver disparaît au profit d’une pelisse plus légère, aux couleurs du sourire.

    C’est alors que les premiers bourgeons se gonflent, gorgés d’une sève qui reprend son ascension vers les ramures. C’est le signe qu’ils adressent aux hommes, leur faisant comprendre que dans la vie, il est inutile de se laisser dominer par le désespoir. Bientôt, sous l’action des rayons d’un soleil ragaillardi, les boutons n’en pouvant plus d’attendre, dans un ensemble presque parfait éclatent dans la lumière discrète d’une aurore rosissant. Les bractées, étonnées et fragiles, se déploient de leurs logements devenus trop étroits, où elles avaient passées l’hiver à méditer. On eut dit alors des milliers de papillons s’extrayant à grand-peine de leur chrysalide. L’air tiède encourage et aide les jeunes feuilles à croître rapidement, leur faisant comprendre qu’il n’y a aucun instant à perdre. La vie est de retour et il faut y plonger sans tarder. Elles grandissent si vite, que dans la rivière libérée des glaces, elles s’émerveillent de s’y voir si belles. Elles s’étonnent de leur couleur d’un vert tendre et de la bonne tenue de leurs limbes presque parfaits. C’est la campagne dans son ensemble qui semble se parer d’habits neufs ! Des maisons, la fumée monte directement vers le ciel qu’elle pensait disparu, emporté par les nuages épais de la saison hivernale.

    Dans les champs, on entend les cris, les appels et les rires des paysans, les mains solidement accrochées aux mancherons des charrues tirées par des chevaux heureux de retrouver leur place. En compagnie du maître, ils éventrent la terre, alignant les sillons les uns à la suite des autres, l’un s’accoudant sur le précédent. Bientôt, ils recevront le grain précieux ; lorsqu’il germera, les jeunes plantules s’élèveront vers le ciel en écartant leurs fragiles feuilles, comme si elles adressaient une prière de remerciement vers le firmament, implorant sa protection. Les hommes, eux, se contenteront de modestes suppliques pour que la récolte soit belle. Pour l’heure, l’alouette suit le laboureur sans oublier le moindre pas, duquel s’extraient les vers et insectes désolés d’avoir été réveillés si brutalement. La mésange retrouve son trou entre les pierres des murailles disloquées, tandis que la messagère de retour des pays du soleil effectue un vol de reconnaissance afin de repérer le nid abandonné à l’automne. Avec sa venue, elle confirme aux hommes que le renouveau s’installe durablement, même si d’aucuns maugréent que la première hirondelle ne fait pas le printemps.

    Qu’importe les médisances. Pour le moment, elles rendent visite à leurs voisins restés dans les frimas. Elles s’inquiètent des bouvreuils, des moineaux et d’autres amis encore. Elles compatissent à la disparition des plus fragiles pendant la saison maudite. C’est alors qu’un immense bourdonnement se fait entendre. Sans que personne n’ait eu besoin de les en informer, les abeilles et leurs cousins butineurs partent à l’assaut des premières fleurs toujours prêtes à offrir leur cœur à ces ramasseuses de nectar. Dans les prairies, elles éclosent dans un parfait ensemble, et les fruitiers prennent plaisir à faire des îlots de couleurs à travers la campagne à nouveau heureuse. On ne peut plus se méprendre. Nous sommes bien au temps béni des pervenches, des narcisses, des jonquilles et des iris sauvages, tandis que dans les jardins les tulipes et les jacinthes illuminent les plates-bandes.

    Étrangement, bien qu’un vent se fasse effronté, il ne se trouva personne pour se plaindre quand il déshabilla les rameaux de leurs derniers pétales. Chacun sait que les fleurs ne sont que les prémices du bonheur. À leur suite viendront les fruits, dont les gens disent d’eux qu’ils sont la récompense des Dieux qui eux aussi en sont friands. Ce fut alors le temps du ravissement.

    Il n’était plus que les vrombissements dans les vergers. Il y avait également les hommes qui, discrètement, passaient leurs mains rugueuses d’ordinaire, mais se faisant douces pour l’occasion, pour juger de la qualité de la nouaison en formation. Alors que les doigts caressaient les peaux veloutées, sur les visages, s’incrustaient des sourires, les mêmes que ceux que le nouveau-né adresse à l’existence quand il paraît parmi les siens. Ces sourires dont les fermiers ne font rien pour les retenir effacent les rides profondes qui avaient profité de l’hiver pour s’installer. Nous sommes au temps des miracles, celui de l’embellissement de la vie, ainsi que celui qui génère les émotions. La nature exulte, entraînant dans sa folie des hommes redevenus enfants.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

    Si tel est votre souhait, demain, avec l’été, nous chercherons un peu de fraîcheur.

     

     


    votre commentaire
  • LA NAISSANCE DES SAISONS 

    CONTES ET LÉGENDES DU POIS SUCRE

    L’HIVER

     

    – Dans l’âtre noirci des cheminées de pierres disjointes construites à la hâte, les flammes des bûches éprouvent la plus grande difficulté à éclairer l’espace fermé sur le monde extérieur. Mais pas seulement. Malgré ses efforts, le feu ne parvient pas à chauffer la pièce enfumée, faisant maugréer les habitants. Les plus audacieux disent qu’ils se brûlent devant, mais se gèlent le derrière. Mille fois, ils avaient prétendu apporter des modifications, mais ces dernières étaient toujours reportées au jour suivant. Déjà, les anciens, sages par définition, leur avaient fait la remarque, que ce qu’ils décrivent comme appartenant aux lendemains, est juste à côté, à trépigner sur le seuil de la chaumière. Alors, haussant les épaules, les plus jeunes remettaient du bois sur les braises.

    – Pas celui-ci, disait l’aîné ! Tu vois bien qu’il ressemble à de la paille ; il se consume trop vite. Va chercher celui qui a un grain fin, mais très serré et de couleur rouge. C’est le plus dur que nous ayons par chez nous, avec celui que l’on dit être du bois serpent.

    Traînant les pieds, l’enfant concerné se met en quête des bûches énumérées. Lorsque celles-ci rejoignent le foyer, d’abord, elles font savoir leur désaccord dans de grands crépitements. Comme pour se venger d’avoir été choisit, elles lancent des étincelles dans tous les sens, obligeant ceux qui se tenaient devant de se reculer. Toutefois, c’était une mince consolation, tandis que les flammes, déjà, entamaient l’écorce séchée. Quant aux hommes, leur peau étant si rêche que c’est à peine s’ils sursautaient quand les escarbilles se précipitaient sur eux comme un soldat sur son ennemi.

    C’était aussi l’époque des grands vents venus dont on ne savait où. Ils étaient si violents qu’ils jetaient à terre les ramures qui tentaient de leur résister. La bise glacée s’en prenait à la porte, comme pour l’enfoncer. Elle rageait et sifflait sans discontinuer. À force d’acharnement, elle finissait par trouver le trou de la serrure en émettant une stridulation si forte, qu’elle faisait frémir les résidants, qui, d’instinct, cachaient leurs mains dans la profondeur des poches de pantalon. Fier, le souffle faisait le tour de la maison, se posait sur les choses et les gens, s’infiltrant dans les habits mal assemblés.

    Dehors, plus par vengeance que par nécessité, le froid étreint tout ce qu’il touche. Bientôt, la glace s’empare des flaques que le vent a oublié d’assécher. La rivière elle-même qui pourtant coulait des jours tranquilles se retrouva prisonnière. La nuit prenait possession du monde beaucoup plus tôt et daignait céder sa place au jour qu’après de longues hésitations. Jusqu’à ce matin où les hommes stupéfaits virent que la neige recouvrait tout. Elle était si épaisse, qu’ils ne purent sortir qu’après avoir déblayé un chemin. Ils pensèrent que la planète devenue folle s’était égarée dans l’univers, car aucun bruit ne troublait le silence profond dans lequel ils ne se reconnaissaient plus. Ils imaginèrent que la vie avait disparu. Tout ce qui existait et qu’ils connaissaient parfaitement était absent. Dans la forêt, les arbres, surpris, en laissaient choir leurs branches comme des vaincus abaissent leurs armes. On eut cru qu’ils étaient trop vieux pour supporter le poids des ans. Certains troncs éclatent de désespoirs. D’autres, ne sachant pleurer, s’endorment à la façon qu’ont les anciens trop épuisés. Ils ferment les yeux pour l’éternité. Plus rien ne subsiste ; que l’oubli des choses, du temps et des événements.

    Alors, face à l’étonnement des gens, les érudits y vont de leur science.

    – Ne vous avions-nous pas prédit à maintes reprises que tout ce qui naît connaît sa fin ? Ce qui existe aujourd’hui se meurt demain. Parce que vous êtes ignorants, vous n’avez pas su déchiffrer les messages que le ciel vous a envoyés ! Si vous n’y prenez garde, vous allez bientôt rejoindre les oiseaux qui n’ont pas retenu les leçons que leur avaient enseignées les plus rusés. Ne croyant pas qu’ailleurs le bonheur pût être plus grand que chez eux, ils tombent des branches sur lesquelles ils espéraient trouver un insecte. Hélas ! Eux non plus n’ont pas su interpréter le changement qui se préparait. Seuls ceux qui ont anticipé en s’enfouissant profondément dans le sol ou dans le bois ont une chance de survivre.

    – Si vous connaissez tant de choses, pourquoi ne pas les avoir divulguées, reprocha-t-on aux devins ?

    – Nous l’avons fait, répondirent-ils en soupirants. Mais vous n’écoutiez pas, ou ne compreniez pas. Vous étiez encore à vous dorer dans les rayons faiblissants d’un soleil qui lui aussi, déclinait de jour en jour. Vous imaginiez que la félicité dans laquelle vous vous baigniez du matin au soir vous était acquise pour l’éternité. Sachez une bonne fois pour toutes que ce que l’on nous accorde trop facilement quand vous tendez la main droite, vous est repris de même de la gauche.

    Demain, je vous invite à découvrir le printemps.

     

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


    votre commentaire
  • LA NAISSANCE DES SAISONS 

     

    – Le temps s’étant égaré en quelque chemin nouveau oublia, par les sentiers de l’existence certains de ses enfants. Par son ingratitude, il fit de ces oubliés, des petits orphelins. En fait, ni les uns ni les autres n’étaient réellement coupables de ce fait particulier. Certes, le responsable incontesté avait bien détourné son regard pour contempler longuement ce que l’on disait être alors l’éternelle nuit étoilée. Toutefois, des garnements, comme tous ceux de leur âge, un instant avaient lâché leurs mains et ce geste fut suffisant pour qu’ils se perdent de vue. Oui, dans la forêt, la moindre inattention peut être fatale. C’est précisément à cet instant que le maître du temps prit conscience de cette division et en profita pour les conduire sur des layons de sa connaissance où il prit un malin plaisir de les égarer. Constatant l’œuvre démoniaque qu’il venait de commettre, il pouffa de rire dans sa barbe, dont personne ne sut si elle était blanche ni si elle était longue ou courte, puisqu’aucune âme qui vit ne l’aperçut jamais. Il détourna donc son regard de la Terre, estimant qu’il avait bien d’autres étoiles à fouetter que de s’occuper de chacun des individus peuplant le monde.

    Cependant, bien que prétendant être le maître tout puissant de l’existence, il ignorait qu’à leurs heures, les hommes peuvent être eux aussi des disciples de Machiavel, inventant le mal, le créant et même l’amplifiant à volonté. Le temps se moquait d’eux ? Qu’à cela ne tienne. Ils décidèrent de se passer de lui, et firent tout ce qui était en leur pouvoir pour le transformer. Pour ce faire, ils commencèrent par le diviser, afin de pouvoir le quantifier plus commodément. Ainsi, de leur imaginaire naquit ce qu’ils dénommèrent la toute première fois, sans toutefois savoir exactement ce que signifiait ce terme. Qu’importe, ils jugèrent que pour avancer il était nécessaire de faire un premier pas, donc ce qu’ils venaient de créer devait les satisfaire.

    Eh ! Bien, contre toute attente, ils constatèrent vite que leur initiative était loin de leur apporter les éclaircissements recherchés ; le temps n’était pas matérialisé ! Les gens les plus expérimentés se retirèrent dans la forêt afin de ne pas être dérangés dans leurs réflexions. Combien de jours et de mois restèrent-ils dans leur monde ? Nul ne le sut vraiment, car hors la notion de l’an premier, ils n’avaient aucun autre repère sur lequel leurs yeux et leur entendement pussent se poser.

    Un matin, à l’heure où le jour peine à s’extraire des ténèbres, le groupe des érudits, comme on les nommait, revinrent au village. C’est alors que ceux qui les attendaient leur reprochèrent, que du temps, précisément, il en leur en avait fallut beaucoup, puisque leur barbe, s’était bien allongée. Mais chacun s’accorda à reconnaître que ce n’était pas sur ce point, si délicat fût-il, que résidait le problème. Les questions fusèrent donc de toutes parts. Une grande surface au milieu du village fut prestement nettoyée, aplanie et ratissée avec une application telle qu’elle se transforma en une page sur laquelle les premiers mots et croquis d’une nouvelle histoire s’ébauchèrent.

    Les savants tracèrent un cercle immense dont ils prétendirent qu’il était le temps, comme ils l’imaginaient présentement. Enfin, l’avaient-ils délimité pour décider qu’il serait la toute première fois, c’est-à-dire le départ, puisqu’il en faut un ! Parvenu à ce résultat, il ne restait plus qu’à organiser à nouveau ce temps pour l’instant abstrait, en d’autres fractions. Des noms circulaient afin que chacune des divisions ainsi obtenues puisse être reconnue et désignée par un mot différent. C’est de cette réflexion que le qualificatif de saison vit le jour.

    Contrairement à ce que l’on peut imaginer, on ne referma pas le grand livre de la vie. On se contenta d’effacer la première page après s’être assuré que les mieux nantis en mémoire se souviendraient des premières écritures afin de les traduire oralement lorsque le moment sera venu de les rappeler aux plus distraits.

    C’est alors que l’on découvrit que les saisons étaient trop longues, pour comprendre les agissements du temps et ensuite le matérialiser. Ce le fut d’autant plus, que la première de ce cycle ne fut autre que celle qu’ils s’empressèrent de nommer l’oublieuse. Sous sa gouvernance, l’homme se replie sur lui-même, son esprit n’est plus fécond, son teint devient terne et chaque matin voit sur son visage se dessiner une ride nouvelle, comme pour souligner l’intensité du désespoir prenant possession de son corps tout entier. La porte de sa demeure reste close, alors que celle de son cœur ne tarde pas à l’imiter.

    Oh ! Rassurez-vous. Ce n’est pas pour interdire à l’amour d’y pénétrer, mais surtout pour éviter à celui qui fut récolté précédemment, qu’il cherche à s’enfuir.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     

    Demain, si vous le désirez, nous visiterons l’hiver.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique