• – Toi qui as des connaissances, Pierre, tu peux me dire si cette pièce vaut quelque chose.

    – Sois gentil, Marcélou, et cesse d’imaginer que je suis au fait de tout, il s’en faut de beaucoup pour que ce soit le cas ! Cependant, ce que tu me montres, sans jeu de mots, c’est de l’or !

    – De l’or ?

    – Oui, tu as bien compris. Elle est très estimée, puisqu’elle est cotée. Je ne saurai pas te dire combien, mais tu as en mains une petite fortune. Enfin, soyons raisonnables ; si tu en détenais plusieurs, tu serais sans doute possible à la tête d’un beau capital !

    – Bon, je vais te le dire. En effet, j’en ai beaucoup. Pas une brouette, mais une sacoche moyenne en cuir.

    – Et tu as cela depuis longtemps ?

    – En vérité, elles ne sont pas à moi. Elles sont à ma mère, avant tout, puisqu’elles appartenaient à mon père. Par le biais de l’héritage, elles me reviennent, mais autant que tu le saches, ce n’est pas moi qui les ai gagnées.

    – Peu importe, elles sont à la famille. Ta maman veut-elle s’en séparer ?

    – Non, du moins, elle ne m’en a pas parlé. D’ailleurs, je ne crois pas qu’elle se souvienne que nous avons cet argent.

    – De l’or, mon ami !

    – Oui enfin, depuis tout ce temps, peut-être qu’elle l’a oublié.

    – Vous ne discutez donc jamais des affaires qui vous sont personnelles ?

    – Très rarement ; pour te dire la vérité, le tour de notre histoire est vite fait. Mon père parlait peu et ma mère l’imitait. Et moi, au milieu d’eux, je ne pouvais rien faire ni m’exprimer. D’ailleurs de quoi aurais-je bien pu les entretenir ? De notre temps, vois-tu, les enfants n’avaient pas droit au chapitre. Comme tant d’autres, j’avais ma tête dans mon assiette de soupe, et quand elle était avalée, je filais me coucher.

    – Cependant, tu devais bien saisir quelques paroles, intercepter certains signes de connivences, et je ne sais quoi de plus ?

    – Tu as bien dû t’apercevoir que je ne suis pas d’un naturel curieux. Je ne m’intéresse qu’à ce qui me touche de près, et encore, très modestement. À ce sujet, tu en connais quelque chose, puisque c’est à toi que je demande toujours tout.

    – C’est vrai, et je te remercie pour cette confiance que tu mets en nous. Mais tu sais, s’ouvrir sur le monde n’est pas un péché. Souvent, c’est en regardant au-dehors que l’on trouve ce qui ne va chez nous, car les gens ne sont pas si différents que nous le supposons.

    – Oui, je comprends ce que tu veux dire, Pierre. Cependant, moi, ça me fatigue toutes les histoires qui se passent ou qui se murmurent de-ci de-là. J’aime ma tranquillité.

    – Pourtant, avec nous, tu parles, tu te renseignes et tu partages ; alors, pourquoi ne pas le faire avec les autres ?

    – La vérité, je peux bien te le dire. Autour de moi, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de voraces. Ils sont comme les corbeaux qui viennent l’après-midi, déterrer les graines que tu as plantées l’instant précédent. Ils sont à l’affût de tout. Quand je pars le matin, comme par hasard les rideaux se lèvent. Pour aussi discret qu’ils veulent se faire, j’ai quand même le temps de les surprendre. Et le soir, lorsque je reviens, c’est le même manège.

    – Sans doute le font-ils plus par habitude que par curiosité. Et puis, c’est presque rassurant, non ?

    – Je ne vois pas comment.

    – Imagine que pendant un jour ou deux tu ne sors pas. Ils vont s’inquiéter à ton sujet ; j’en suis persuadé. Il ne s’écoulera pas une heure avant que tu entendes frapper à ta porte, car ils connaissent trop bien tes coutumes.

    – Tu penses sérieusement à ce que tu dis ?

    – Évidemment, Marcélou. Sinon, je ne prendrais pas la peine de te l’expliquer. Chez eux, soulever le rideau de la fenêtre est un réflexe, rien que cela. Ce n’est rien d’autre qu’une forme particulière de vie. Au contraire de toi, ils aiment savoir ce qui se passe au village, et qui y rentre ou en sort. Et puis, comme tu résides au fond de l’impasse et qu’après toi il n’y a que les champs si un étranger venait à s’égarer par là serait sacrément curieux, tu ne crois pas ?

    – Cela n’empêche ; je n’apprécie pas ces façons.

    – Donc, j’en déduis que tu ne regardes jamais chez tes voisins pas plus que tu t’informes de leurs santés ?

    – Le village est petit, Pierre. Quoi qu’il s’y passe, on finit toujours par l’apprendre. Si quelque chose m’échappait, le soir, entre deux parties de belotes, je serai vite mis au courant. Mais, si tu le veux bien, revenons à ma pièce ; sérieusement, tu crois qu’elle a une réelle valeur ? Elle est si vieille !

    – Le marché des affaires est en perpétuel mouvement, Marcélou. Quand l’une monte, c’est que l’autre y laisse des plumes. Mais de toutes, l’or sera toujours un refuge pour les grosses fortunes. Je vais me renseigner, et te tiendrais informé. (À suivre)

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  • – Dis-moi, beau papillon, qui vient voler le meilleur de mon nectar, n’es-tu jamais lassé d’aller de cœur en fleur, sans jamais te poser une bonne fois pour toutes ? Pourquoi ne pas m’épouser, plutôt que de m’épuiser ? Si tu le voulais, nous pourrions unir nos destins, et ainsi éloigner de nous les incertitudes des jours.

    – Ma chère, puis-je te révéler un secret, que je n’ai encore jamais confié à aucune d’entre vous ?

    – Si tel est ton souhait, je t’écoute. Sans doute me demanderas-tu de ne pas le colporter ; donc, sois sans crainte. Quand je le désire, je ne laisse rien filtrer de mes informations. J’ouvre en grand mon calice, mais c’est pour mieux faire prisonnières les paroles que l’on ne doit pas divulguer. J’attends tes mots, merveilleux mâle velouté.

    – Si tu continues ainsi, je ne sais pas si je vais pouvoir parler. Je sens déjà mes moyens m’abandonner.

    – Cesse donc de faire celui qui ne reçut jamais un compliment. Sur notre bonne vieille Terre, il est parfaitement inutile de nous le cacher. Tout ce qui est beau s’attire, et les parfums volatiles sont dispersés par le vent pour les déposer aux pieds de ceux qui sont à la recherche de grandes émotions. Cela est si difficile à dire, que je reste sur ma faim, tandis que toi, tu te régales de mon nectar ?

    – Rien ne me paraît compliqué, jeune élégante, qui n’en est qu’au début de sa saison. Tu me demandais si nous ne pouvions pas unir nos destinées. Mais sais-tu que cette formule, je l’entends du matin au soir ? Tes sœurs et tes cousines voudraient toutes que je devienne leur compagnon pour toujours. La question que je me pose est la suivante : pourquoi céderais-je à l’une plus qu’aux autres ?

    – Parce qu’avec mes voisines, j’ai remarqué que tu n’es pas le même qu’avec moi. Il me semble que tu passes plus de temps sur mes pétales, comme si tu savais que je vais te livrer un produit extraordinaire. Donc, je me suis mise à rêver ; oui, j’ai imaginé que je détenais quelque chose de plus que mes amies. Tu es là dès que les premiers rayons ont séché tes ailes. Tu attends que la perle de rosée emprisonne mes fragrances avant de la consommer. Mais ce n’est pas tout. J’ai également noté que tu apprécies longuement lorsque tu dégustes ce divin nectar qui est le fruit d’une alchimie tenue secrète. Il est le résultat très compliqué obtenu avec l’aide du temps, celle du sol, et de la précieuse, du Roi-Soleil. J’aime l’instant où tu te décides, car tu ne le fais jamais comme un personnage sans éducation.

    – Ah ! En voilà des compliments ! Cependant, je n’ai pas mes yeux sous les ailes, tu sais ! Je ne suis pas sans avoir remarqué que je ne suis pas le seul à venir butiner. Quelques membres de ma famille rôdent aussi autour de toi, et je n’ai pas compté les abeilles et les bourdons voraces !

    – Certes, les insectes sont nombreux à ce point, que souvent, la prairie n’est qu’un bruyant vrombissement qui va jusqu’à faire trembler nos pauvres pétales. Parfois, j’en ai la nausée. Quant aux besogneuses, elles sont comme des affamées. Tant que le soleil brille, elles n’arrêtent jamais. On jurerait qu’elles cherchent à nous épuiser. Et tout cela pourquoi ? Pour engraisser une reine de gelée due à son rang, alors qu’elle ne voit jamais le jour. Tandis que toi, avec mille précautions, tu te nourris, appréciant au plus haut point ce dont je confectionne à ton intention. Si j’osais, je te dirais que tu es de la famille des seigneurs.

    – Tu ne crois pas si bien dire, chère amie de la prairie ! Je suis en effet un monarque ! Cependant, il n’y a pas de quoi sans glorifier. Je me nomme ainsi comme toi tu es une fleur parmi tant d’autres. Ce sont les hommes qui tiennent à nous affubler de tous ces patronymes. Ils aiment se compliquer la vie. Pour nous, éléments naturels, savoir que nous existons est suffisant. Nous concernant, vos couleurs et vos parfums nous attirent, et c’est cela qui construit notre bonheur. Cela dit, il est vrai que je ne suis pas insensible à ta beauté. C’est probablement la raison pour laquelle je passe l’été en ton jardin. À l’automne, en compagnie des miens, nous migrons vers nos forêts d’hiver.

    – Ce doit être une épreuve terrible ! Pourquoi aller si loin ? Nos contrées ne pourraient-elles pas suffirent ? Sans compter que le temps vous semblerait moins long, nous sachant à quelque distance de vous ?

    – Seul votre souvenir, mon amie, resterait en nos mémoires puisque de votre splendeur, ne subsisterait que de pâles feuilles attendant un vent violent pour vous emporter en un lieu inconnu.

    – Dois-je comprendre que nos cœurs brisés vous sont indifférents ?

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  • LES OUTILS, POUR VOIR LE TEMPS.   3/3

     

     

    – Mes amis, je vous demande de méditer ces quelques paroles : jusqu’à ce jour dans lequel grandit votre mécontentement, n’avez-vous jamais senti l’une de vos jambes s’élancer avec courage vers le jour prochain tandis que la seconde essaie de retourner inventorier l’histoire ? Il leur rappela encore que le confort de l’existence réside dans le pouvoir de l’esprit des êtres qui en possèdent un. Certes, il est l’élément primordial des gens, mais il n’outrepasse jamais ses fonctions. L’homme reste son pourvoyeur d’énergies de toutes sortes. Leur sort est intimement mêlé. Nous n’allons jamais l’un sans l’autre, comme la main droite ne saurait se passer de la gauche ! À ce titre, notre cerveau doit comme nous le faisons nous-mêmes, se plier aux aléas de la vie, et il le fait dans tous les instants. Pareil à nous, il doit accepter les murmures de la nature.

    Quelqu’un peut-il me dire franchement qu’il ne s’est jamais habitué aux appels des fauves, se cherchant ou se bagarrant ? Lequel d’entre vous sursaute encore lorsqu’un arbre, s’effondre entraînant à sa suite des dizaines de ses amis ? Contrairement à ce que vous imaginez, notre pouvoir est sans limites. Nos lacunes résident dans le fait que nous n’en utilisons qu’une infime partie. Si nous le voulions, nous pourrions devenir les maîtres du monde, si nous pouvions profiter de l’immense richesse de notre esprit ! Tenez ; de tous les sons que nous avons déjà répertoriés, notre mémoire les a sagement rangés dans un coin de son armoire à souvenirs, et nous les fait entendre quand elle s’aperçoit que nous les oublions. Reconnu, chaque bruit fait partie de notre environnement et nous finissons par ne plus y faire attention. Ce que nous ignorions, nous l’avons identifié et de ce fait, nous n’y pensons plus. Alors je vous pose à nouveau la question : 

    – Pourquoi ne ferions-nous pas de même avec le maître du temps, d’autant que c’est vous qui l’avez réclamé, puisqu’il était la seule chose qui échappait encore à votre compréhension ? À ce stade de nos tentatives d’éclaircissements, je ne puis vous donner que cette ultime recommandation : faites en sorte de l’écouter quand il vous plaît de savoir qu’il est votre compagnon de route et arrangez-vous pour ne plus l’entendre lorsque vous jugez qu’il vous gêne ! Quelqu’un ici peut-il me dire sans rougir qu’il reste attentif aux dires de son voisin qui lui raconte des choses que lui, estime être sans importance ? Lequel d’entre nous n’a jamais fait la sourde oreille à quelques appels auxquels nous ne voulions pas répondre ?

    Le maître du temps, passant à cet instant précis de la conversation, fut ravi de surprendre de telles paroles à son sujet. Il se laissa même envahir par une bouffée de fierté alors que les humains étaient à s’assurer si lui, le Tout-Puissant, avait une prédisposition aux souvenirs. Après un instant d’hésitation, il reconnut qu’il ne s’était jamais posé la question en ces termes. Oui ou non, en possédait-il une ? Avait-il une raison impérieuse de s’encombrer de choses inutiles qui risqueraient de ralentir sa marche ? En réalité, il se demanda, si en fait, il n’était pas qu’une immense mémoire travestie en un élément qu’il n’avait pas lui-même inventé, n’ayant jamais eu l’occasion de songer à sa condition.

    Cependant, avec leurs réflexions, les résidants des lieux venaient de le déstabiliser et pour la première fois, il admit que ce que ressentaient les gens lorsqu’ils se disaient angoissés. Certes, les termes employés étaient plutôt élogieux, mais il comprit que s’il désirait en apprendre davantage, il n’avait qu’une façon de le faire ; celle de ralentir sa marche, voir s’arrêter quelque temps. Il eut beau fouiller en son esprit, il ne se souvint pas de s’être posé, serait-ce un seul jour.

    – Je sais maintenant la raison pour laquelle les hommes m’en veulent tant ! Ils ne me devinent pas, mais en plus ils me regardent des heures courir sur un cadran pour ne pas me perdre une seconde fois. Cependant, ils doivent aussi aller à mon rythme et à compter de cet instant, je pense qu’ils vont s’épuiser ! 

    À l’instant où le carillon de l’horloge sonna les douze coups de midi, le maître du temps se sentit grandir encore.

    – Dire que cette musique a été créée à mon intention ! Je suis obligé de reconnaître que lorsqu’ils s’en donnent la peine, les hommes, à leur manière, sont également exceptionnels ! Qui aurait songé un jour que l’on invente un son que pour moi ? Parmi ces gens, il y a des génies ! Ils ne me voient pas ? Qu’à cela ne tienne ! Ils font en sorte de m’entendre ! J’avoue que je n’y ai jamais pensé !

    Observant l’immense forêt qui s’étendait à perte de vue, le maître du temps se dit qu’il pourrait bien prendre un peu de repos sous son couvert à écouter les palabres des uns et les réponses des autres. C’est alors que sa mémoire lui rappela que si les hommes se posaient tant de questions à son sujet, et s’ils vivaient dans une angoisse perpétuelle c’était quand même de sa faute. C’est bien lui, qui un jour, les égara par des sentiers inconnus, et, non content de son imposture, il avait profité de cet instant où ils cherchèrent leur chemin, pour également brouiller leur esprit. Je le reconnais ; je ne suis pas étranger à cette situation, se dit le maître de temps ! Mais de cela, il y a tant de lunes ! En fait, à cette époque, je voulais seulement les punir de m’ignorer et de me critiquer ! Je pensais que comme moi ils avaient fini par oublier ! Il est vrai que mes agissements les ont bien perturbés, mais, s’excusa-t-il une nouvelle fois, je leur ai rendu un immense service ! Grâce à moi, ils devinrent malgré eux des inventeurs. Maintenant qu’ils croient me voir, que vont-ils encore trouver pour me magnifier ? Il n’eut pas à attendre, car le calendrier suivit le cadran solaire et surtout, ils étaient fiers de pouvoir écrire sur le temps, enfin maîtrisé.

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    LES OUTILS, POUR VOIR LE TEMPS.   2/3

     

    – Tous se rapprochèrent, non sans une certaine méfiance, et écoutèrent les explications des sages.

    – Le plus simple de ces outils est le modeste piquet. Nous ne comprenons pas pourquoi nous n’y avons pas songé plus tôt. Toutefois, le comparant à ses concurrents, son emploi est plus compliqué. Laissons-le de côté pour l’instant.

    Voici ce que nous avons imaginé pour les autres objets. Le cadran comporte douze segments. Ils divisent la durée du jour en deux parties identiques, chacune d’elle en comptant le même nombre. Ce sont les heures. Ceci, montra le vieil homme, ce sont les aiguilles. Elles avancent selon un rythme bien étudié.

    – Pourquoi cette petite, court-elle plus vite que les grandes, s’étonnèrent les gens ?

    – Parce qu’elle est la trotteuse, répondit le sage. Quand elle a fait un parcours plein, une minute vient de s’écouler. Dès que soixante de ces minutes sont comptabilisées, c’est une heure de la journée qui a défilé sous vos yeux ! Alors que l’ensemble a fait une révolution complète, le jour dont vous connaissez maintenant l’existence est épuisé. Comme nous ne pouvions pas faire la chose plus grande, nous avons convenu que les maîtresses devaient faire un second tour pour ajouter douze nouvelles heures aux précédentes. Mes amis, conclut-il : nous tenons le fugitif dans nos mains ! En fixant la petite aiguille, vous le voyez même courir après lui-même comme un enfant le fait après son ombre !

    Soudain, tous se reculèrent, effrayés par une étrange musique.

    – Qu’est-ce donc encore, questionnèrent-ils d’une seule voix ?

    – Ce n’est que le temps qui vous rappelle qu’il s’écoule, lorsque vous lui tournez le dos ! Nous devinons que nous ne pouvons pas avoir les yeux rivés aux cadrans toute la journée. C’est la raison pour laquelle, chaque heure, il se manifestera à notre bon souvenir, mais aussi toutes les demi-heures et même les quarts d’heure, vous indiquant que quinze minutes viennent de se passer et qu’il est l’heure de retourner au travail !

    – Ainsi est-ce donc vraiment le temps ?

    – Parfaitement, mes amis. Il ne cesse de courir. C’est pourquoi nous ne le voyions pas. Il suffit que nous levions les yeux, il était déjà sous la forêt, sans que nous l’ayons surpris à fuir. Maintenant, vous savez qu’il existe bien et qu’il suit son chemin sans nous regarder, car il ne s’arrête jamais ! Aujourd’hui que vous êtes avertis qu’il accompagne chacun de nous, il n’est plus seul à courir, puisqu’à son image, nous allons faire de même derrière lui. Surtout, n’essayez jamais de vous mesurer à lui. Vous aurez également la bonne idée de ne pas vouloir le rattraper ; et nous vous recommandons de ne pas chercher à le dépasser. Pour vous être agréables, nous avons domestiqué le temps sans toucher à sa liberté. Depuis le coffre dans lequel le balancier va et vient, le tic-tac agrémente son mouvement et vous ne serez pas long à comprendre que le maître est identique à nos cœurs ; même réfugié dans une boîte, il ne cesse de battre, surtout lorsqu’il est heureux.

    Et la légende devint conte.

    En ce temps-là, que savait-on de lui, précisément ? Rien ; ou si peu que nul ne songeât jamais à consigner ses informations en un lieu secret de sa mémoire, plus connue alors, sous le nom de bibliothèque ? Certes, on devinait que parfois, il lui venait l’envie de paresser. Les gens redoutaient ces moments, car c’était durant ces périodes que les choses considérées comme néfastes abondaient en leur milieu. D’autres fois, il lui arrivait d’aller si vite, que même les plus courageux se plaignaient de ne plus pouvoir en savourer les meilleures heures. En d’autres occasions, on le pensait perdu en quelque endroit du monde, la morosité s’attardant auprès des hommes. Une question revenait souvent sur les lèvres des plus inquiets :

    – Le temps possède-t-il une mémoire identique à celle des éléments vivant à la surface de la Terre ?

    – Se contente-t-il de passer sans jamais rien retenir des évènements qu’il a lui-même générés ?

     Les plus érudits osèrent même prétendre qu’en son nom, il fallait certainement inventer des prières particulières, des chants et sans doute lui apporter, de temps à autre, des offrandes de toutes sortes. À ce point des questionnements prouvant combien était grande l’inquiétude des plus faibles, ils étaient persuadés qu’en aucune manière ils ne pouvaient vivre sans lui. Les malheureux paysans, on ne le cachait plus, sont d’un naturel anxieux quand ils ne peuvent revisiter le passé ou simplement deviner ce que leur réserve le futur. L’angoisse étreint les poitrines si fortement, que parfois elle entraîne les sujets fragiles dans les affres de la mort, à moins qu’il ne se trouve quelque sage pouvant éclairer les ténèbres tenaces investissant les esprits encombrés. Bien sûr qu’ils avaient eu connaissance que le temps existait, puisqu’ils l’avaient pratiquement maîtrisé. Ils le voyaient filer inlassablement sur les différents cadrans et son carillon ne manquait jamais de rappeler les habitants à son bon souvenir. À ce sujet, certains commencèrent à se plaindre que la nuit il pouvait se dispenser de faire savoir qu’il ne prenait jamais de repos, contrairement aux hommes.

    – Personne ne conteste sa présence, dirent quelques-uns ! Alors, puisque nous lui faisons une large place dans nos vies, en retour, il pourrait se montrer discret dans les heures où nos pauvres carcasses fourbues ont besoin de retrouver leurs esprits !

    Concernant ces musiques intempestives, il y eut de nombreux conciliabules. Pouvait-on ou devait-on couper la marche au maître du temps ? Après lui avoir donné la parole, pouvait-on en toute impunité la lui supprimer en le réduisant au silence ?

    – Parce que messieurs, leur rappelèrent les érudits, c’est tout de même bien vous qui le réclamiez à corps et à cris ? Après l’avoir souhaité de toute votre espérance, aujourd’hui vous ne pouvez le renier !

    On demanda donc aux hommes d’être plus cohérents dans leur façon de vivre et surtout de faire un grand ménage dans leur esprit. Le plus vieux des sages, leur dit : (à suivre).

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    Image glanée sur le net.

     


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  • LES OUTILS POUR VOIR LE TEMPS  1/3

     

    – Avec l’expérience des saisons précédentes, bien que réunis devant une immense cheminée où agonisaient d’énormes bûches, les gens décidèrent de mener une rébellion.

    – C’est le moment pour nous, de réclamer au responsable du temps, des comptes et des explications qui tardent à venir, dirent-ils en chœur !

    – Certes, les sages avaient prétendu l’avoir enfermé dans un cercle, puis l’avaient divisé. Mais après avoir traversé une année entière, rien n’avait véritablement changé. C’est alors que le plus ancien qui était aussi un peu chaman se leva et entonna une prière qu’il conservait secrète depuis des lunes.

    – Maître du temps, commença-t-il ; voilà des lustres que tu te moques de nous, faisant à ta guise naître l’espoir et les désillusions. Jusqu’à ce jour, tu gardes par-devers toi le lieu où tu résides et jamais tu ne nous adresses le moindre signe. Afin qu’en nos esprits les soupçons s’effacent, et pour que nous puissions vérifier que tu n’es pas qu’une chimère, nous t’implorons de te manifester, serait-ce une seule fois ; nous avons besoin de comprendre que c’est bien toi qui te tiens à nos côtés, et ainsi nous prouver que ton existence n’est pas qu’une légende. Pour afficher notre bonne volonté, nous sommes prêts à accepter que tu passes ta main dans nos cheveux pour les ébouriffer, comme le fait un jeune premier dans ceux de sa promise. Cependant, puisque tu restes sourd à nos demandes sans cesse répétées, nous avons décidé après de multiples palabres de créer des outils précis qui nous permettent d’avoir de meilleurs repères. Pour autant, nous avons compris que nous ne pouvions pas te garder prisonnier parmi nous. Malgré tes erreurs, tu nous as enseigné la liberté, et en son nom, nous ne saurions t’en priver. Aussi, dans l’attente de trouver un autre moyen plus efficace pour te faire enfin cohabiter avec nous, nous faisons le choix de te libérer en rompant le cercle au milieu duquel nous t’avions enfermé.

    Tu le vois, nous ne te tenons aucune rigueur pour nous avoir imposé tant de froid ; pas plus que tu ne nous gratifias des pluies et des orages qui effrayèrent les âmes les plus sensibles, car nous avons compris que lorsque tu le voulais, tu pouvais inventer le printemps ainsi que les jours les plus beaux et les plus longs de l’année. Nous avons nommé chacune de ces périodes. La première n’est autre que le renouveau, puisqu’il nous semble revivre depuis le gouffre dans lequel nous étions plongés, quand il te plaît de nous y précipiter. Lui succède l’été, qui représente la confirmation de la renaissance, en lui accordant plus d’attraits. Puis, vient le prélude à la saison oublieuse. C’est l’automne de notre vie. Il précède les souffrances et les pleurs du trop long hiver qui cache aux cieux le malheur des hommes. Oui, ce sont là les noms que nous ayons donné aux diverses époques qui, à leur façon, pèsent sur nos épaules ou ragaillardissent nos cœurs.

    Cependant, si nous subissons tes conséquences et tes caprices, hélas, nous ne te devinons toujours pas. Concernant la pluie, nous la voyons tomber ou courir en même temps que le ruisseau et aussi rouler sur notre peau. La neige, nous l’apercevons encore, bien qu’elle soit si discrète que nous ne l’entendons pas. Elle demeure des mois dans nos campagnes, afin que nos esprits ne l’oublient pas. Il est vrai que nous ne le matérialisions pas à proprement parler, mais nous savons que l’air existe, puisqu’il lui prend le caprice de figer le torrent qui un moment eut la prétention de lui résister. Nous n’ignorons pas le soleil, car il brunit notre peau. Le jour n’est pas une chose abstraite ; en effet, il nous fait la grâce de se lever pour que nous le contemplions et nous comprenons que la nuit est le refuge de nos rêves. Mais de toi, nous n’avons aucune information visuelle ou solide. Tu restes figé sur le seuil de notre maison sans jamais y pénétrer !

    C’est alors que les hommes prirent une décision radicale. Après avoir longuement observé le cycle lunaire, ils inventèrent les mois, bien qu’ils eurent beaucoup de mal à les mettre dans le bon ordre. Puis ils réussirent à les fractionner en semaines et même en jours. Hélas, ils ne voyaient toujours pas, le maître du temps ! Mécontents, ils firent appel à leurs amis parmi les plus puissants et les plus instruits. Ils leur demandèrent de réfléchir à la conception d’une réalisation ou de n’importe lequel de tous les objets, pourvu que sur lui ou en lui on puisse une fois pour toutes, apercevoir celui qui se dissimule depuis le commencement. Les érudits se retirèrent sous les grands bois, munis de leurs outils les plus perfectionnés. Combien de lunes dura leur absence ? Nul ne le sut.

    Enfin, le jour tant désiré arriva. Les sages s’en revinrent, avec, chacun sous le bras, un engin particulier.

    – Qu’est-ce donc ces objets, leur demanda-t-on ?

    – Vous cherchiez à voir la chose invisible ? Nous vous l’offrons sous des formes différentes.

    – Comment donc se nomment ces choses ?

    – Des Horloges ou des pendules, selon leur taille. Toutefois, chacune d’entre elles vous montre celui que vous poursuivez ! Mais approchez-vous, si vous désirez découvrir et toucher ce qu’est le temps et ce qu’il représente ! (A suivre)

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

    Académie du Pont du Gard

    Image du gnomon au cadran solaire adapté à la région du pont du Gard

     


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