• Les larmes de ma fleur

    — C’était un matin comme il en existe tant. D’aucuns penseraient qu’il devait être assurément plus beau, puisqu’il était nouveau. Cependant, je maintiens qu’il fut comme les autres, chargés d’émotions et d’instants remplis de couleurs changeantes, s’accrochant à la brise qui attend toujours, posée sur les branches, le temps de se remettre de sa nuit pour prendre son envol.

    Je flânais donc à travers la prairie qui longe les grands bois, car il m’a toujours semblé que c’était en son sein que la vie renaissait chaque jour à l’instant où la lumière sonne le réveil.

    Soudain, mes sens en éveil, comme toujours lorsque je m’invite dans la nature, je devinais plus que je l’entendis, un appel qui ressemblait à un message de détresse, lancé depuis le fond d’une gorge encombrée de sanglots.

    Je stoppais net. Inspectant les environs, je me désolais de ne pas y trouver la plaignante, jusqu’à cet instant où mon regard rencontra celui d’une fleur qui se désespérait parmi les herbes folles qui revenaient de leurs rêves, rajustant leurs tenues après une nuit agitée.

    Ah ! Mes amis, quelle émotion ! Je restais un long moment immobile, pour m’imprégner de cette rencontre privilégiée. Il n’est pas si souvent que nous surprenions de tels instants de bonheur ; alors vous imaginez que celui-ci, je voulus l’imprimer au fond de mes yeux afin que ma mémoire en fasse une copie qu’elle remise ensuite dans l’un de ses tiroirs secrets.

    Réalisant que la fleur désirait s’adresser à moi, je réalisais que je devais lui paraitre distant, debout tel un vieil arbre n’attirant plus les oiseaux.

    Me penchant sur la corolle offerte, délicatement je frôlais les pétales du bout de mes doigts tremblants d’émotions. Je n’en revins pas, lorsque je recueillis dans le creux de la main une perle qui ressemblait à une larme, puis une autre et encore d’autres.

    Ainsi, c’est donc vrai, me dis-je ! La nature aussi connait la tristesse et plus encore puisqu’elle engendre le chagrin.

    Je venais de réaliser que du cœur qui me dévisageait, se dégageaient mille sentiments. Alors, n’y tenant plus, je m’allongeais à ses côtés afin de ne perdre aucune de ses paroles.

    Me confierais-tu ta peine, petite fleur au cœur débordant de chagrin alors que le jour se lève à peine ?

    Sais-tu ? Lui dis-je encore qu’une petite fleur ne saurait pleurer, car elle est la beauté que la main du temps a dessinée !

    Les hommes ont inventé quantité de mots et qualificatifs pour décrire la beauté, sans jamais y parvenir. Regarde autour de toi, tes amies habillées de teintes différentes, pourrais-tu dire avec des termes précis qu’elles soient merveilleuses ? Je ne le pense pas, car vous êtes la beauté matérialisée.

     — Détrompe-toi, me répondit-elle. C’est pour mieux cacher notre immense détresse que le jour installe sur nous ses couleurs. Entre ses mains, nous ne sommes que des objets pour que les hommes chantent la gloire de l’aurore nouvelle. Mais il n’est pas que cela.

    Nous passons notre saison d’existence dans la crainte perpétuelle d’être coupée et déposée dans un vase où nos couleurs pâlissent d’ennui sous le regard de gens ne nous comprenant pas. Nous vivons dans l’angoisse constante d’être piétinées et aussi que l’on passe près de nous sans même nous apercevoir. Nul ne peut imaginer ce qu’est une existence vécue dans le doute, à trembler au moindre souffle changeant du vent.

    Pourrais-tu vivre ainsi, toi, homme qui n’a qu’à tendre la main pour qu’on y dépose l’objet de tes convoitises ?

     — Console-toi, mon amie, lui murmurais-je. Chez nous, la vie est certes belle, mais elle ne nous fait aucun cadeau. Nous aussi nous avons d’affreux bourdons qui sondent nos cœurs et nos esprits pour nous dépouiller des plus belles images que nous voudrions cacher au monde.

    Au contraire de vous, nous ignorons les subtilités et la magie dont la nature vous a revêtues.

    Nous ne créons que peu de choses, les parfums les plus agréables sont copiés de vos fragrances volatiles qui s’accrochent aux visiteurs afin qu’ils les emmènent en leurs foyers.

    Tu devrais être heureuse petite fleur, insistais-je encore, car c’est votre parfum qui rehausse la beauté des femmes. Lorsqu’elles s’en imprègnent, c’est vous, chères petites fleurs craintives et délicates, qui faites le tour du monde.

    C’est encore vous que l’on enserre lorsque de nos bras, nous ceinturons la taille de nos aimées et nous laissons enivrer de vos fragrances.

    À travers les effluves, n’entendez-vous pas les mots doux qui sont alors prononcés ? Ils vous sont adressés comme ils le sont à l’intention de la femme. C’est à cet instant précis que le bonheur se réveille du silence des ténèbres.

     — Oui, je comprends bien ce dont tu cherches à me persuader. Mais toi, me dit-elle avec un accent de sincérité que je n’oublierais jamais. Supporterais-tu de vivre un jour sans amour ?

     — Des milliers d’hommes nous quittent chaque jour en ignorant que l’amour n’était qu’à un baiser de leurs lèvres, répondis-je en essayant de m’excuser.

    Et puis, maintenant, rien ne peut plus être comme avant. Je suis auprès de toi ma douce et belle petite fleur. Je sais bien que je ne puis remplacer le papillon. Cependant, je voudrais que tu saches que je t’aime davantage qu’il ne saurait le faire lui-même, puisqu’entre nous, d’intérêts, il ne pourrait être question, si ce n’est de ton cœur, me faire aimer.

    Sans doute ne sont-ce que des mots. Mais je crois savoir que lorsqu’ils parlent d’amour, ils aident nos cœurs à vivre et espérer.

    Auprès de ma fleur, j’ai passé la journée. J’ai attendu que le calice se referme pour m’éloigner. Je savais ma fleur heureuse, distillant son bonheur dans l’intimité du soir descendant, à l’abri des regards indiscrets du monde.

     

    Amazone. Solitude 


    votre commentaire
  •  

    La différence, mère de la solitude— Tout au long de notre existence, nous rencontrons beaucoup de gens qui ont des histoires particulières. Certaines sont aussi belles que les sourires sur les lèvres des jeunes filles. D’autres histoires s’écoutent, ou se lisent avec dans le regard une multitude de questions, alors qu’il en est d’autres encore que l’on aimerait qu’elles ne fussent jamais écrites, et encore moins vécues.

    Tenez, pour moi, que vous apercevez au premier rang, imagineriez-vous un roman qui prêterait à sourire ?

    Vous avez bien vu, je suis différent.

    Ho ! Je vous rassure tout de suite, mon allure n’a pas muté en cours d’existence, je suis bien né comme vous me voyez et croyez bien que j’en ai longtemps souffert. Il n’est pas simple d’être différent, car où que vous soyez, il y aura toujours un regard en forme de point d’interrogation qui se posera sur vous. Il insistera tant, que c’est vous qui baisserez les yeux en premier.

    Cette situation a engendré des jours sombres que mon esprit, malgré mes efforts, ne put jamais oublier. Ce qui me rassure, c’est que je ne suis pas un spécimen unique en son genre. Il y en a beaucoup qui peuplent la planète. Mais savoir que nous sommes nombreux n’allège cependant pas ma solitude. Au contraire, cela apporte du grain à moudre à chacun d’entre-nous qui attendons toujours que l’on prenne en compte nos particularités. Mais pas seulement.

    La question des gènes n’est pas un obstacle insurmontable. Finalement, il introduit en nous un caractère bien spécifique qui n’est pas si déplaisant, comparé à tout ce dont nous entendons autour de nous. Tant de gens se plaignent que les uns ou les autres perdent leur particularité ou qu’ils l’ont vendu en même temps que leur âme, au plus offrant.

    Les discriminations à notre égard sont un peu comme les douleurs. Nous finissons par les accepter et nous vivons ensemble, sans parler bien entendu, de parfaite harmonie.

    Par contre, en parlant de famille, on ne peut s’empêcher de regarder celle qui se dresse derrière moi.

    Jusqu’au jour de mon avènement, elle était fière, avec dans les pensées un avenir tout tracé pour le jeune et élégant héritier que je ne manquerais sans doute pas d’être. Leur bonheur, étrangement, s’éteint quand je vis la lumière.

    Dans la famille, j’étais le seul cas épineux qui pourtant n’était pas recouvert de ces fameuses épines. Je n’avais que quelques heures, mais déjà elles étaient suffisantes pour que la solitude s’installe en toute quiétude. Je ne me posais encore aucune question, ce sont eux, les parents, qui se déchiraient. Avant de devenir l’un des leurs, j’étais une erreur, prétendaient-ils. Il devenait indispensable de savoir de qui venait « l’erreur », car il fallait à tout prix trouver un coupable.

    Toi ou moi, pouvait-on entendre à longueur de journée !

    Des milliers de questions étaient passées en revues, telle la check-list du pilote avant le décollage. Ils se cherchaient des excuses, ils inventaient des situations qui auraient pu mettre leur conscience en paix. Ils passèrent tout en revue ou presque ; allant même à se donner des noms d’oiseaux.

    Dans leurs débats, ils ont oublié l’élément le plus important ; je veux dire, moi !

    J’étais à peine arrivé, voilà qu’ils faisaient déjà l’impasse sur mon personnage !

    La nature redoutant le vide, la solitude en a profité pour prendre ses aises. Elle leva le voile sur l’existence d’un autre univers dans lequel une litanie de mots est créée pour désigner comme une maladie honteuse ou orpheline un seul d’entre tous les autres mots :

    Différence !

    Alors la solitude entraîne avec elle l’angoisse ; le repli sur soi-même fait courir le temps si vite que l’on devient vieux avant d’avoir été jeune.

    L’horizon restant prudemment hors de portée, l’enfant va devoir s’installer dans une autre vie, loin du monde de ceux qui l’entourent. Il aura ses couleurs, ses odeurs et ses bruits.  

    Étrangement, les personnages qu’il dessinera n’auront en eux aucun cœur battant la chamade. Les maisons en dessin n’auront aucune fenêtre ouvrant sur les beautés de la nature. Il ne dessinera jamais de ciels étoilés, car personne ne lui apprendra à rêver. Le plus triste, c’est qu’il n’esquissera pas non plus des mains serrées, n’en découvrant aucune dans le monde où il s’est retranché, à moins que ce ne soit celui vers où on l’aura poussé. De son milieu sera exclu l’amour, ce sentiment qui fait chavirer les cœurs et prononcer des mots si doux qu’on ose à peine les répéter par crainte de les blesser.

    La solitude devient une route parallèle, une bulle dans laquelle on s’enferme, mais sur laquelle aucun reflet ne se dessine.

    La solitude est pour celui qui la subit, le monde du silence. Il est sans lumière, n’existant qu’à travers les larmes où le soleil lui-même refuse d’imprimer les couleurs de l’arc-en-ciel.

     

     

    Amazone. Solitude 


    votre commentaire
  •  L'exil— Croyez bien que ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons décidé de partir. Connaissez-vous des oiseaux qui, las d’une région qui ne leur procure aucun fruit et où de la terre ne sort jamais le moindre ver, insisteraient pour rester en un lieu où la feuille tombée n’est jamais remplacée ?

    Certes, ils partent ; mais au contraire de nous, ils ne vont jamais très loin. Ils volent de branche en branche comme pour signifier que malgré tout, il restera toujours un petit quelque chose dans le lieu qui les vit naitre. De nous, il ne restera rien, pas même l’écho des rires du dernier né emporté par les fièvres.

    Ainsi, avons-nous décidé de partir, loin, le plus loin possible et au mépris de toutes recommandations. Pareil à notre environnement, notre vie s’étiole dans nos régions oubliées des dieux. Lors d’un conseil des anciens, il y a fort longtemps, quelqu’un avait lu le message d’un homme important. Il prétendait alors qu’il ne pouvait y avoir de problèmes, auxquels ne serait apportée aucune réponse. Il avait insisté sur le fait que l’homme avait demandé le jour, mais qu’il lui appartenait de le meubler et de la peupler de bras vigoureux et ambitieux.

    Nous avons joint nos efforts et mis les ambitions de chacun dans la même corbeille. Sans doute était-elle trop profonde, que nos sentiments se sont perdus comme s’ils étaient tombés dans un gouffre. Le temps a passé, nos terres se sont appauvries jusqu’à devenir stériles. Pour paraitre plus grand et sans doute nous impressionner, le ciel s’est vidé de nuages gonflés d’humidité. Les années passent sans que la moindre goutte de pluie vienne emprisonner les graines destinées à nos récoltes. Les puits pareils que nos rivières s’assèchent, nous obligeant à parcourir toujours plus de chemin, pour aller chercher cette eau se retirant dans les entrailles de la Terre.

    Nos vies ne sont même plus miséreuses, la misère ayant choisi des peuples chez qui elle trouve de quoi se nourrir. Sur nos épaules, elle a délégué le désespoir, seul baume pour accompagner les souffrances. C’est pour toutes ces raisons que nous partons, avec le maigre espoir de laisser en chemin celle qui s’acharne sur notre peuple. Nous ne sommes pas les premiers, depuis longtemps déjà d’autres nous ont montré le chemin. Un jour, l’un de nos fils affirmait que le destin aime à être provoqué. Pourquoi lui refuserions-nous ce plaisir ? Dans notre village, aucun des nôtres n’est revenu. Devons-nous comprendre qu’il existe un ailleurs, de l’autre côté des océans, où le bonheur a élu domicile ?

    Si tel est le cas, à quoi nous servirait-il de rester plus longtemps en un lieu où la vie et la mort font cause commune ? Il est vrai qu’il y a la mémoire de nos ancêtres, mais où que nous allions sur la terre, elle nous suivra, car l’âme de nos ainés réside depuis toujours dans nos cœurs. Le passeur nous a indiqué que la route sera longue et périlleuse. Mais rester chez nous n’est-il pas tout aussi dangereux, puisque chaque jour la mort vient prendre son obole parmi les plus innocents ?

    Il est possible que vous ne mangiez pas chaque matin, nous a-t-on dit avec la plus grande assurance. Quelle différence avec notre quotidien lui avons-nous répondue ? Nous ne connaissons aucun matin dans le ciel duquel il est fait mention d’un festin ! Il vous faudra aussi marcher, marcher très longtemps avant que vos yeux se posent sur l’océan, là-bas, derrière l’horizon. Marcher ; c’est ce que nous faisons chaque jour. Nous marchons pour tout, pour trouver une eau qui se refuse à nous, ainsi que du gibier qui n’a plus guère d’espérance que nous sous leurs vieilles peaux usées ayant le plus grand mal à contenir leur maigreur famélique.

    Après tous ces conseils, le passeur s’empressa de prendre le peu d’argent que nous possédions. Mais en avions-nous vraiment besoin, puisque depuis longtemps, plus aucun colporteur n’avait visité notre village ? Pour nous, le temps est venu d’emprunter la seule chose dont tout homme à espérer une fois dans sa vie. La route qui conduit vers le rêve.

    Ce fut dans l’aube naissante que nous avons osé tourner le dos à notre village. Nous ne nous sommes pas retournés pour n’avoir rien à regretter. Nos regards portaient loin, à la recherche d’un signe qui nous indiquerait la voie.

    Si nous ne parvenons pas à destination, au moins aurons-nous laissé derrière nous quelques traces, pour expliquer à ceux qui restent, que si les autres pays ressemblent à un mirage, du nôtre, la vie a disparu depuis bien longtemps.

    Chez nous, le temps a toujours passé trop rapidement, car là où réside le malheur, il ne lui vient pas à l’esprit de s’arrêter pour s’y reposer, ne serait-ce qu’un instant.

     

    Amazone Solitude


    votre commentaire
  • Regards de Femmes — Il y avait longtemps que l’enfant espérait apercevoir la photo qui ornait l’intérieur du couvercle de la montre de son ami le menuisier. C’était un superbe oignon qui ne sortait que très rarement de son gousset, à l’abri des regards indiscrets. Ce jour-là, s’attardant plus qu’à l’accoutumée, sa patience fut récompensée. L’homme venait de tirer la montre de son gousset en dévisageant le gamin.

    — Tu n’es pas sorti plus tôt que les autres jours ?

    — Non, répondit le jeune homme, c’est comme d’habitude.

    L’homme ouvrit le couvercle pour vérifier l’heure ; l’enfant s’approcha vivement.

    — Te voilà bien curieux soudain, s’exclama l’homme, avec un sourire ironique.

    — C’est que votre montre est si belle, que je me demande pourquoi vous la tenez cachée.

    — Est-ce la montre qui t’intéresse tant ou la femme qui dort près des aiguilles ?

    La femme, affichait un sourire discret, mais dans son regard flottait comme un malaise, une souffrance qui n’aura sans doute jamais voulu déserter le personnage chez qui elle avait élu domicile. L’or et les ciselures du boîtier lui allaient à merveille et faisaient oublier que derrière le beau visage se cachait une histoire triste.

    — Voyant l’âge de la dame, je devine qu’elle doit être votre mère, demanda le jeune effronté.

    — Oui, c’est bien elle, répondit l’adulte. Cela t’étonne donc que nous puissions conserver la photo de notre mère près de nous ?

    — Non, au contraire, je trouve très bien que vous soyez ensemble partout et tout au long de la journée. Ce qui me surprend, c’est le fait que vous ne soyez pas marié, car ce serait celle avec qui vous partageriez votre vie qui serait à la place de votre maman. Vous êtes resté longtemps loin du village, n’avez vous donc jamais rencontré une femme qui vous ait convenu ?

    — Alors là répondit en souriant le menuisier, tu te trompes sur toute la ligne. Il est vrai que je suis parti un bon bout de temps, et des femmes, j’en ai rencontré beaucoup. Je peux même te dire qu’elles étaient toutes désirables et que je n’avais que l’embarras du choix.

    — Pourquoi ne pas l’avoir arrêté sur l’une d’elles et la ramener au village ?

    — Dis donc, tu deviens de plus en plus curieux toi ! Je ne sais pas si tu es en mesure de comprendre les décisions des adultes au long de leur vie. Tu sais, il arrive parfois que nous soyons comme des petits enfants devant ce qui est beau et ce qui est bon. Nous ne parvenons pas à nous décider de la part que nous voulons et en même temps on sait très bien qu’au moment où l’on aura fait son choix, il faudra fermer les yeux sur les autres.

    — En fait répondit le jeune, vous n’auriez pas refusé si vous aviez pu toutes les avoir.

    — Tu ne peux imaginer une pareille chose, répondit l’homme avec une certaine nostalgie dans le regard. Je ne me suis pas marié, car je pensais constamment à ma mère. J’ai eu peur de réveiller en elle des souffrances qu’elle mit toute une vie à guérir.

    — Je ne comprends pas le rapport, s’excusa l’enfant.

    — C’est que mon père avait trompé ma mère avec l’une de ces filles des îles où je suis allé des années plus tard. Je ne pouvais imaginer revenir au pays, avec à mon bras celle qui ressemblait à son malheur. Et puis, il n’est pas que cela. Je ne voulais pas non plus opposer deux mondes sous un même toit, ni la jeunesse et la vieillesse. J’ai refusé que la finesse des traits d’un visage exotique rentre en lutte permanente avec la rudesse des rides, accentuées par le chagrin et par le temps qui s’acharnaient sur le parchemin, le plissant de mille rides.  

    Pour préserver la paix et la sérénité, j’ai refusé que se côtoient le passé et le présent, afin que ne se rouvrent pas de vieilles cicatrices qui firent saigner trop longtemps un cœur usé. Tu vois, petit, quand on regarde les gens, on est parfois loin d’imaginer l’histoire que fut leur vie. Cela explique pourquoi on fait tant d’erreurs lorsque l’on se permet de porter un jugement sur telle ou telle personne.

    Si un jour quelqu’un te dit que la douleur est silencieuse, ne le crois pas. Elle est seulement pudique et discrète. C’est la nuit, quand plus aucun regard ne se pose sur elle qu’elle s’exprime. Je peux dire que dans l’intimité des nuits, il n’en ait aucune où je n’ai pas entendu ma mère pleurer.

    — Alors, si je comprends bien osa le jeune homme, vous fûtes deux à souffrir !

    Pas forcément pour moi, répondit l’homme amoureux du bois. Il y a un temps pour tout dans l’existence. Il y a celui d’aimer, qui dure presque toute une vie quand il s’agit de sa mère. Et celui-ci, il faut l’entretenir comme on le fait avec la cire sur les beaux meubles pour qu’ils conservent leur éclat et leur jeunesse. C’est qu’une mère, nous n’en avons qu’une et c’est la seule qui sait nous consoler quand il fait sombre dans notre cœur. Je crois que pour de nombreux hommes, elle est le modèle qu’ils souhaitent rencontrer, quand, à leurs pendules, l’heure de partir à la recherche d’une épouse a sonné.

    — Peut-être, conclut le jeune ; on dirait que les hommes ont la curieuse manie d’aller chercher au loin ce qu’ils ont sous les yeux, mais qu’ils ne voient pas !

     Extrait du « Le village maudit »

     

    Amazone. Solitude 


    votre commentaire
  •  

    L'allée de l'éternité— Le voyage fut sans contestation possible le plus beau de tous ceux que nous avions effectués jusqu’à lors. Comment ne l’eut-il pas été, quand le vent gonfla les voiles et que notre embarcation, qui n’attendait qu’un geste, un ordre de son capitaine, cingla vers les îles du sud ? On devinait qu’un rendez-vous les attendait, car l’embarcation ne se contenta pas d’épouser les flots, mais vola au-dessus, poussée par un vent complice.

    Personne ne nous avait menti. Elles furent les plus belles, annonçant leur présence longtemps avant de se laisser apercevoir, en dispersant dans l’alizé, à notre intention, des parfums sucrés et ensoleillés. Nul ne sut pourquoi nous avions choisi celle-ci, pour y déposer notre jeune bonheur. L’amour est ainsi fait qu’il dicte aux hommes ses exigences, en leur laissant croire que ce sont eux qui prennent les décisions.

    Il nous fallut attendre la marée de l’aube pour amener le bateau jusque sur le sable. Il était encore humide et frais de la nuit, parfaitement lissé par la dernière vague. Fallait-il y voir un signe du destin désirant que nos pieds touchent le sol comme si nous arrivions dans une seconde vie qu’il voulut la plus douce possible ?

    Avançant prudemment, nous nous rapprochâmes de la végétation qui s’élevait en suivant les courbes du terrain. C’est alors que nous vîmes une allée, nous invitant à la suivre sous le couvert des palmiers et autres cocotiers. Elle commençait au pied des premiers arbres et les palmes se surpassaient pour nous faire entendre leur musique, celle qui par la suite berça notre amour tout au long des jours et des ans qui suivirent cette aurore magique.

    Nous ne rêvions pas ; nous étions dans le rêve. Nos pas, légers et peu pressés, allaient à la reconnaissance des roches déposées par d’autres gens qui avaient dû, eux aussi, mettre leur amour en sécurité sur cette île, comme les pirates le faisaient de leur trésor. Parfois, une pierre disjointe nous obligeait à nous rapprocher jusqu’à nous enlacer en riant. La nature n’en perdait pas un instant. Sans doute, le rapportait-elle aux végétaux trop loin plantés pour suivre les nouveaux arrivants.

    Chaque feuille, chaque fleur soupiraient de tendresse, en nous regardant échanger à pleines lèvres gourmandes des baisers qui ne voulaient jamais cesser. Reprenant notre chemin sous un ciel clément, nous étions comme des enfants découvrant le pays des fées et des lutins. Nous étions certains que notre amour avait trouvé sa voie et que sous le ciel bleu, jamais il ne pourrait prendre fin.

    Nous savions que notre vie ressemblerait à cette allée, belle et ombragée, s’élevant chaque jour de quelques pas et de beaucoup d’amour. Des jours heureux, il est vrai qu’il y en eut beaucoup, autant que de pavés existants et de ceux que nous dûmes rajouter pour que notre route ne cesse de s’élever. Ils nous invitaient à nous serrer l’un contre l’autre, dès le matin sortant de l’océan, jusqu’au soir où le jour se réfugiait sous la verdure pour s’endormir du sommeil du juste.

    La voûte que s’appliquaient à construire les palmiers gardait nos mots et nos sourires prisonniers, afin que Dame nature y trouve aussi son compte, car il est bien connu, que l’amour rend plus beau chaque élément sur lequel il se pose.

    Les oiseaux accompagnèrent tous nos jours, avec sans doute une pointe de jalousie, car certains chants nous font comprendre qu’ils se désolent de n’avoir pas le cœur plus gros pour y renfermer davantage d’amour. Oui, ce bel amour qui retient nos cœurs enchaînés comme la mousse enserre la pierre depuis des années, pour adoucir nos pas vieillissants, accompagnant notre montée vers l’éternité.

    Nos regards plongés dans celui de l’autre, nous n’avons jamais vu arriver le crépuscule de notre vie. Ne vivant que pour notre bonheur, nous pensions que chaque jour retenait l’automne de notre amour attaché au premier arbre de l’allée et qu’il finirait par nous oublier.

    Mais voilà que j’aperçois là-bas la dernière rangée de pavés dessinant le bonheur de notre allée. Déjà, sur eux je vois les nuages les frôler avant de s’y poser. Je sais que bientôt, ma belle, nous devrons desserrer nos mains pour que l’un de nous parte à la recherche d’une nouvelle île qui nous accueillera sur une pareille allée, où nous serons heureux et où nous dirons aux anges rencontrés que sur Terre il existe bien un chemin qui conduit à l’éternel.

    C’est une allée bordée de plantes dans lesquelles la vie y dissimule ses secrets, accompagnant les amoureux dont les pas ne vont jamais plus vite que les battements des cœurs.

     

     

    Amazone. Solitude    


    votre commentaire