• — Regardant autour de nous, trop souvent l’on aperçoit d’autres gens qui errent sans voir que d’autres se pressent parmi eux.

    Il est vrai qu’aucun de ces passants n’esquisse le geste d’amitié qui ferait sourire celui qui semble avoir le regard perdu dans le ciel, à la recherche, dont on ne sait quoi. À cet instant, personne n’imaginerait qu’il vient de croiser un déshérité de la vie. Alors, fouillant dans notre mémoire, soudain, on se souvient d’un autre temps qui ressemblait étrangement à ce moment. Ce sont des images tenaces qui toujours vous hantent et dont vous savez qu’elles ne vous lâcheront jamais la main. Sans qu’on les sollicite, les paroles montent seules sur le rebord de vos lèvres pour que s’extirpe ce sentiment qui sommeille toujours au fond de vous.

    Ô qu’il fût difficile d’être un homme, lorsque la vie pressée vous a oublié au milieu du chemin, refusant de vous vêtir d’habits à votre taille ! Ignorant les raisons pour lesquelles le destin vous a choisi, le tourbillon vous entraîne et vous précipite trop tôt dans le cercle infernal des grands. Tout comme pour vous, la plupart d’entre eux n’ont pas le souvenir d’avoir été de ces enfants dont l’innocence faisait dire les mots les plus beaux et dont les yeux ne voyaient du monde que les couleurs les plus douces.

    C’est bien longtemps après que vous comprîtes que l’on vous a volontairement tenu éloigné du pays des songes, ces lieux aux multiples facettes qui nous font croire que le bonheur est grand comme le ciel, que les évènements s’y enchaînent sans répit, laissant défiler les choses de l’existence si vite que l’on a à peine le temps de goûter aux friandises qu’il offre ni se délecter des parfums qui nous enivrent. Elles passent si rapidement que c’est tout juste si nous pouvons en deviner les contours pour les inscrire en notre mémoire, que sur leurs talons, se présentent d’autres choses merveilleuses. Pour vous, hélas, les jours s’enchaînent et vous dirigent vers ceux dont l’échine est déjà courbée depuis leur plus jeune âge. Inutile de leur demander la raison pour laquelle on vous a mis si tôt dans la tourmente de l’existence, que vous voilà parmi eux sans avoir compris comment s’est déroulé le voyage. Rassurez-vous, eux non plus ne savent plus pourquoi ils sont au milieu de nulle part. C’est à l’instant où ils vous découvrent à leurs côtés qu’ils devinent qu’ils doivent être nés directement dans le même monde de labeur, et qu’en conséquence ils ne vous seront d’aucuns secours. Sur la pente rude qui n’en finit jamais de grimper, ils n’ont croisé aucun mot qui remplace le baume qui apaise les douleurs. Ils sont plus habiles dans les gestes instinctifs que dans la construction de phrases qui font se pâmer de plaisir les belles dames. Ce qu’ils ont retenu de la vie, c’est que les paroles, quelles qu’elles puissent être, ne remplissent jamais un ventre criant famine ; osent-ils avouer, presque en s’excusant.

    Alors, l’enfance s’enfuit sans que la grisaille se soit dispersée de cette époque qui parut sans fin, comme si la nuit ne s’était jamais couchée sur votre journée, invitant l’adolescence à ne pas traîner en chemin. C’est que dans les pays où la misère est reine, le temps efface les désirs qui ont eu l’audace de vouloir faire sourire les enfants, les guidant même vers le cercle infernal de l’utilitaire. Ils n’ont pas encore appris à labourer ni à semer, qu’on leur demande déjà de récolter ! Comment pourraient-ils croire celui qui leur dit que le bonheur est parfois caché au détour d’un sentier alors qu’ils n’y ont vu aucune fleur s’y épanouir ? Pourront-ils un jour dire à leurs propres enfants qu’il existe un pays où les jeunes filles attendent le prince charmant caracolant sur des chevaux de légendes, alors que du livre offert, on a arraché les plus belles pages, les remplaçant par d’autres qui prétendent que la souffrance est le pain quotidien des malchanceux ?

    Ainsi, au spectacle de la vie, le miséreux n’aura jamais passé la main sur le revêtement moelleux des fauteuils du premier rang. Il sera dirigé d’autorité au fond de la salle, vers le siège bancal que tout le monde refusait, d’où il ne verra rien des scènes se déroulant sur celle des théâtres de quartier. Mal lui en prend s’il se penche en faisant grincer sa chaise. Oh ! Ce n’était pas pour ennuyer les gens, c’est seulement parce qu’il voulait fixer à jamais au fond de ses yeux, quelque chose qui ressemblait à ce qu’il voyait dans ses rêves.

    Puis, un jour, les chaussures devinrent trop petites, le pantalon trop court. C’est que le temps, lui, ne s’était pas arrêté en chemin. On prétend même que celui qui est perdu ne se rattrape plus, de même que les illusions ne se réalisent jamais ou que l’on essaie de faire croire à celui qui reste au bord de la route qu’il suffit d’un peu d’amour, pour imaginer que le soleil brille toujours, même quand le ciel pleure tous ses nuages sur l’infortune des déshérités.

     

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  • — Dès que les outils informatiques ont fini d’éponger le trop-plein d’humidité et si durant la nuit un phénomène quelconque n’a pas endommagé la ligne, j’ai le plaisir de découvrir quelques courriers électroniques, des messages et des signes d’amitié par le biais des réseaux que l’on s’évertue à nommer « sociaux ». Vous dirai-je à nouveau la joie qui est la mienne à la découverte des mots qui prennent bien vite l’apparence de ceux qui les écrivent, qu’ils soient à quelques kilomètres de chez nous ou sur d’autres continents ? Lorsque j’ouvre la « boîte » aux secrets, généralement le jour n’a pas encore choisi la couleur de son habit. Bien que sous notre latitude il ne soit jamais très long à se décider, il passe cependant par de nombreuses hésitations et autant de teintes, avant qu’il ne finisse par se présenter. On croirait même qu’il attend l’instant où vos signes discrets posent vos sourires sur mon écran. Vous dirai-je qu’il m’arrive d’imaginer que dans l’herbe qui recouvre le chemin conduisant à la case, dans la rosée qui rince les végétaux des cauchemars des ténèbres, me penchant discrètement, il se pourrait qu’un beau jour je reconnaisse les traces laissées par les empreintes de mes amis (es) qui ont fait un détour par la forêt.  

    Du fond de mon âme, je ne puis que vous dire un immense merci pour cette fidélité qui fait si chaud au cœur, même si parfois les éléments m’empêchent d’accéder à vos sites avant un ou plusieurs jours. Nous voudrions ignorer les évènements et pouvoir passer par-dessus eux, mais ils nous rappellent sans cesse qu’ils sont et seront toujours plus puissants que nos simples désirs. Pour nous prouver que nous devons compter avec eux, il arrive souvent que le pylône, véritable cordon ombilical par lequel passe le courrier et autre commodité, soit foudroyé, nous isolant un peu plus du monde. Alors, rangeant mon impatience au fond de mes poches, je parcours mon petit morceau d’Amazonie. Je pénètre sous les bois, m’enfonçant plus avant sous la forêt à la recherche d’un layon que la nature se plaît à refermer dès que je lui tourne le dos ; j’escalade les collines qui bordent le fond du terrain, dans l’espoir de retrouver la chose qui, à mes yeux, revêt la plus grande importance ; je veux dire le temps.

    C’est lors d’une de ces escapades que je m’aperçus que mon allure n’était plus aussi vaillante que par le passé. Au détour de l’un de ces sentiers, je compris que l’existence se lassait de m’accompagner. Je la devinais pressée de me doubler, ne prenant même pas la peine de me pousser. Pour la première fois de ma modeste histoire, il me fallait admettre qu’elle n’était plus la merveilleuse guide que j’aimais qu’elle soit à mes côtés. Elle me laissait gérer ma vie à ma façon, à mon rythme, comme une musique dont on prend soin de la jouer à la manière d’une berceuse.

    Ce soir-là, de retour de mon escapade forestière, entre deux appréciations, je levais la tête vers le ciel alors que la lune était encore endormie de l’autre côté de la terre, et je n’en crus pas mes yeux !  

    Était-ce un signe qui m’était adressé ? Les étoiles s’étaient réunies formant un cœur parfait, dans lequel elles semblaient scintiller plus intensément que de coutume. Alors, dans ma poitrine, le mien s’émut plus que de raison. Je ne pouvais pas ne pas associer ce phénomène merveilleux à autre chose qu’à un signe que sans nul doute il était le nouveau message que vous m’adressiez.  

    Je sais depuis toujours l’importance que revêtent les mots et les sentiments à l’instant où les lèvres n’osent plus prononcer les paroles attendues depuis longtemps. Il est si difficile de dire « je t’aime » à un ou une amie, à qui pourtant l’on confie tous ses secrets !

    Cependant, nous savons qu’une fleur paraît moins éclatante si elle n’est pas accompagnée par un parfum subtil et qu’une eau claire recueillie dans le creux d’une main souillée devient impropre. Sans leurs chants et leurs appels, les ballets que mènent les oiseaux soudain, sont sans intérêt, presque tristes, et que les meilleures douceurs de la vie se transforment rapidement en breuvages amers, faisant frémir la peau alors que les larmes sourdent sous les paupières.

    C’est alors que nous réalisons que rien n’est plus beau que la chose, l’image ou le panorama si nous ne pouvons le partager avec ceux que l’on aime. Le constat que des âmes peuvent manquer à des âmes sœurs me remplit d’émoi, de même que les sourires ne seraient rien si sur les visages de nos amis nul autre ne s’affichait. Alors, si vous me le permettez, ce cœur scintillant dans ma nuit, je me fais un devoir de vous l’offrir, car les sentiments qui s’accrochent à nos regards ne le font que dans l’espoir d’être partagés.   

     

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  • — Aujourd’hui, avec votre permission, j’aimerais vous emmener sur un marché aux bestiaux original. Celui d’Ambalavao à Madagascar. Vous n’avez pas tort de me le faire remarquer ; ce n’est pas la porte à côté, mais je vous assure que la raison mérite le détour.

    Ne cherchez aucune comparaison avec les foirails de chez nous ; certes, il y a si longtemps que je n’y suis plus retourné, que je me demande s’ils existent encore ! Toutefois, en ma mémoire, le souvenir de bêtes qui rivalisaient de muscles et de robes impeccables pour attirer les regards des maquignons se disputant les plus beaux animaux, demeure toujours intacte. Depuis ces temps anciens, j’ai connu bien d’autres types de marchés sur lesquels les bestiaux semblaient s’ennuyer sous les regards d’hommes qui n’étaient pas moins tristes. L’une de ces manifestations hors du commun a retenu mon attention plus que d’autres. C’était celle où les troupeaux étaient convoyés depuis les contrées les plus reculées pour une occasion bien particulière. Il s’agissait de la fête du retournement des défunts.

    Sur le marché, ce n’était pas les bêtes les plus grasses que l’on recherchait, car la manifestation allait durer plusieurs jours tandis qu’aux familles elle était coûteuse, et générait de gros sacrifices. Mais en ce beau pays, l’attachement aux disparus est si grand, que l’on ne saurait leur montrer combien on est toujours respectueux de leur souvenir.  

    À bien observer les animaux, on se demande si les zébus n’ont pas deviné les raisons qui les ont conduits jusqu’ici. On croirait même qu’il n’est pas innocent si les monts que les bêtes regardent avec nostalgie ne sont pas recouverts d’une épaisse et grasse pâture. C’est sans doute pour qu’ils ne regrettent pas les temps d’hivernage qui faisaient reverdir les prairies et ainsi, suivre le nouveau propriétaire qui le mène au sacrifice. Le pauvre zébu avait bien raison de se faire du souci. Dans peu de temps, il sera transformé en un gigantesque festin qu’accompagneront force légumes et autres friandises.  

    Pour l’occasion que l’on ne manquerait pour rien au monde, la famille et les amis seront venus de loin, parfois même eurent-ils besoin de marcher plusieurs jours. Au fur et à mesure que le jour fatidique se précise, la fièvre monte dans le village et autour des tombeaux. Un orchestre et des chanteurs seront conviés pour que la fête soit complète. Avant d’entamer les agapes, on aura ouvert les sépultures des défunts. Avec respect, les proches des familles disparues s’emploient à réunir les dépouilles des anciens dans les vieux linceuls, afin de les transporter ensuite vers les invités qui chantent et dansent, passant de mains en mains, de bras en bras, et même sur les épaules. Après un méticuleux nettoyage des restes, ceux-ci sont enfin disposés dans un lamba neuf (très beau tissu) généralement en lin de couleur blanche, de bonne qualité et précieusement brodé, où l’on aura pris soin de réunir les membres d’une même famille. Les chants, les rires et les mots choisis n’auront cessé de créer l’ambiance, jusqu’au moment où le cortège composé des vivants et des défunts s’ébranle en direction du village et de ses environs. La joie est immense de pouvoir renouer le temps passé avec le moderne. Le bourg est parcouru jusqu’à l’emplacement supposé des anciennes demeures. On fait un détour par les champs et les lieux qui connurent les pas des disparus.

    Au fil des heures et des jours, l’ambiance ne retombera pas. La musique enchaînera les airs, les danses se succéderont et les lambas contenant les ossements n’en finiront pas de tourner autour des invités qui iront jusqu’à l’enivrement complet, communiquant leur plaisir aux ancêtres. Tout au long des jours où le festin se poursuit, on n’oublie pas de prier et de demander aux anciens d’intercéder avec ferveur le Très-Haut afin qu’il veille avec indulgence sur la famille souvent éparpillée, et sur tous ceux que l’on aime, qu’ils soient près du cœur ou loin des yeux. Avant que la fête ne se termine, on remet les restes des défunts dans leurs sépultures où enfin ils retrouvent un repos bien mérité. Ils y attendront parfois très longtemps pour certains, le prochain retournement, car pour les familles, ce sont des années d’économies et de privations qu’il va falloir à nouveau faire, pour espérer retrouver cette ambiance qui n’existe que ce jour-là.  

    La réunion est maintenant arrivée à son terme et de l’avis général, elle fut belle, même si pour de nombreuses familles déjà au bord de la misère, l’endettement est très important. Mais il est une certitude qui ne disparaîtra jamais ; l’amour et la considération des siens ne méritent-ils pas que nous souffrions un peu ?

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  • — À notre sujet, il s’est toujours murmuré des histoires dont on ne sut jamais si elles étaient la réalité ou si elles étaient nées de légendes qui courraient sous les grands bois. Je ne prétendrai pas que la nôtre est exempte de fautes ; mais quel peuple sur cette terre si malmenée pourrait se targuer de vouloir nous faire la morale ? Où sont-ils, les hommes qui n’eurent pas à lutter pour obtenir le droit d’exister ? En regardant dans l’immense forêt qui fut toujours notre maison et notre modèle de vie, n’y trouve-t-on pas les meilleures références ? Le jaguar n’use-t-il pas de sa force pour conserver l’exclusivité de son territoire ? Et avec quelles armes autres que ses dents et ses griffes dissuade-t-il ses adversaires d’investir son garde-manger ?

    Certes, dans le passé nous eûmes à défendre les nôtres avec la vigueur des félins, mais pas seulement. Il nous fallut également lutter pied à pied pour sauvegarder nos traditions et le droit de vivre comme nos ancêtres : en toute liberté ; ce grand sentiment qui fleurissait sur chaque branche, embellissant les ramures formant le toit de la forêt, pour qu’elle fût visible par les âmes habitant au ciel, afin qu’elles se rassurent, de n’avoir pas combattu leur vie durant inutilement.  

    Sans aucun doute, sont-ce probablement de pareilles émotions qui animaient les pensées de cette jeune épouse lorsque, regardant son ami au fond des yeux, elle était certaine que même s’il était dissimulé sous des couleurs de terres différentes, il n’en serait pas moins le plus brave, le plus fort guerrier combattant avec des armes inégales comparées à celles des envahisseurs, afin de défendre le seul bien qui leur reste : la forêt. Chez eux depuis des millénaires, aujourd’hui sans cesse ils sont obligés de reculer, sous les assauts incessants des hommes avides d’argent.  

    — Je ne trouve rien d’autre que mon admiration pour te dire combien je suis fière de toi, mon guerrier courageux. Tu es le plus beau représentant de notre tribu. Je ne suis pas sans savoir que certains ricanent derrière ton dos. J’en ai même surpris qui te montraient de leur doigt accusateur, sans se priver d’y rajouter des gestes dédaigneux. Qu’importe leurs avis. Toi, au caractère si fort, tu ne te laisses pas détourner de ton chemin à la simple vue d’un mirage. Qui sont-ils donc, pour avoir déjà oublié les leçons dispensées par nos aînés, alors qu’ils tombent à peine du nid ? Comment ont-ils pu perdre le goût du lait maternel, dans lequel étaient réunis les effluves de la sylve, la vérité de la vie et l’histoire de notre peuple ?  

    Quelques visites en ville ont suffi pour polluer leur esprit et les détourner du layon que les ancêtres avaient tracé à notre attention afin que nous ne nous égarions pas. Alors, les larmes devinant le chemin des yeux, je me demande parfois, comment des hommes en parfaite santé, peuvent-ils bien perdre la mémoire ? Est-il possible d’oublier la saveur si fine du coumarou (poisson des fleuves), la galette de cassave tout juste retirée de la platine et finissant de sécher au soleil, ou celui des parépous (fruits de certains palmiers, encore nommés poupougnes par les Amérindiens du Brésil) ? Mon ami, qu’arrive-t-il à notre peuple qui est à se perdre dans le dédale des ruelles des grandes cités, alors que les pistes de la forêt leur étaient parfaitement connues ? Ils ressemblaient à ces fils qui se tendent dans la vie et qui sont là pour nous servir de guides.

    Il ne nous est pas indispensable d’être instruits plus qu’il est nécessaire pour comprendre que certains des nôtres sont en train de négocier leur âme contre celle du diable. Voilà qu’ils s’abandonnent à la drogue, à l’alcool qui dilue leurs pensées jusqu’au moment où, noyées, elles disparaissent de leur mémoire. J’ai honte ; oui, pardon de vous confier ma grande tristesse au moment où je sais que d’autres peuples, eux aussi, autour du monde, tournent le dos à leurs origines. Je ne suis pas dupe. J’ai parfaitement compris comment certains personnages nous mentent et nous trompent.  

    Soit sans crainte mon bel ami. Je t’aime comme tu es, car tu es mon autre et je te suivrai au bout de la forêt si tu me le demandes. Tu incarnes la vérité, celle qui n’a besoin d’aucun artifice pour exister. Elle est ainsi depuis que le jour fut vainqueur de la nuit, et il nous revient le devoir de la faire vivre et vibrer au-delà de toutes les lunes. Le temps n’appartient à personne pas plus que nous devons être ou devenir les objets d’aucun personnage. Si la liberté ne devait être que la seule chose restante dans ce monde à cultiver, alors il nous revient d’en semer d’immenses parcelles afin que les récoltes se succèdent au long des jours.  

    Entre chaque rang, nous planterons aussi des rameaux de bonheur, afin qu’à maturité, nous puissions le confier à l’alizé qui le distribuera à travers le monde, sans oublier ceux des nôtres qui courent derrière les chimères dont les rires roulent sur la canopée.

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  • — Le comportement des hommes nous donne souvent le sentiment que notre monde est devenu trop petit. En tous points du globe, ils s’imaginent qu’ils n’ont plus suffisamment de place pour installer et faire fructifier leurs existences.

    Par tous les moyens, ils essaient de repousser les murs de leurs demeures et refouler toujours plus loin les limites des banlieues, comme s’ils voulaient construire les villes à la campagne, alors que dans le même temps, cette dernière s’épuise chaque jour davantage, en cherchant à contenir les assauts de toutes natures à son égard. En fait, il semblerait que cela soit la suite logique du désir de l’homme de conquérir de plus grands territoires, d’asservir de nouvelles populations et de réduire les espaces naturels à leur plus simple expression.

    Beaucoup sont pareils à des enfants qui ne se satisfont jamais des jouets mis à leur disposition ; si tôt le dernier cadeau offert, que déjà les regards se tournent vers le prochain.

    Les aînés montrent le chemin aux plus jeunes en lorgnant vers les étoiles et l’univers tout entier, à la conquête d’extraordinaires paradis.

    Depuis longtemps, les mers et océans n’ont plus guère de secrets pour ces terriens assoiffés de nouveautés. Les plus hauts sommets n’ont désormais plus rien à cacher et le sous-sol est sondé, prospecté, estimé afin d’y prélever toujours plus de profits. Au grand étonnement de la plupart des gens, dans le même temps d’autres populations font le chemin inverse. Les espaces immenses, elles les connaissent jusque dans les moindres buissons. La terre, pensent-ils, n’a pas tenu ses promesses. De vastes étendues n’ont plus rien à offrir que la misère qui avance à la vitesse d’un cheval au galop. Ils étaient des gens simples qui n’avaient jamais demandé à la nature plus qu’elle ne pouvait donner, mais de mauvais conseillers les ont poussé à employer des produits qui rendirent stériles des sols qui avaient depuis toujours nourri les enfants qui vivaient à leur surface.  

    Alors, en même temps qu’ils laissèrent derrière eux leurs illusions, prenant leurs maigres bagages, ils sont venus grossir, les rangs de ceux qui s’en remettent entre les bras de la destinée. Ils se sont joints à la cohorte de ceux qui n’ont plus rêvé ni espéré depuis longtemps. Pour eux, les frontières comme l’horizon n’existent plus. Ils sont à portée de mains et quelques pas suffisent pour aller d’un monde à son suivant, comme on le fait en traversant une avenue.  

    La vie qu’ils avaient imaginée immense et douce est transformée en une ruelle étroite qui sépare les baraquements. Elle jette les passants les uns contre les autres, comme si elle cherchait à les identifier et les immatriculer en leur qualité de miséreux. Dans ces quartiers souvent loin du soleil qui ne fait que le survoler rapidement, on a compris depuis longtemps qu’il ne fallait rien attendre de la providence. Elle est fière et orgueilleuse et elle s’offre à qui sait la provoquer à défaut de pouvoir la séduire.  

    Alors le hasard eut son mot à dire. Puisque le train empruntait le même chemin que les hommes, pourquoi ne pas leur permettre de s’associer ?

    Oh ! Ce ne fut pas sans moult palabres et autant de divergences, car la place pour avoir la chance d’attraper un peu de la vie ne se gagne pas seulement au moral. Des coudes il fallut souvent en jouer et l’audace dut toujours précéder les initiatives. Le long des rails qui conduisent les trains et leurs milliers de voyageurs vers le ventre des villes, un marché s’est installé dont on ne sait pas où il commence ni où il ne s’arrête. Au milieu de ce fragile équilibre, les rames sont souvent obligées de ralentir et parfois de s’immobiliser. Les passagers n’ont qu’à tendre la main ; elle se remplit bien vite de marchandises diverses, alors que dans le même temps, d’autres se referment sur une maigre monnaie qui s’en va rejoindre une autre tout aussi menue dans le fond d’une poche dont on sait parfaitement qu’elle ne sera jamais pleine. Elle aura le mérite de permettre à l’heure du bilan d’apporter un peu de réconfort pour la journée à venir. Quand la vie est rigoureuse et économe, on se contente de quelques miettes, sachant qu’il en faut pour tout le monde. En ce lieu où l’on a que très rarement la tête dans les étoiles, l’existence, on la connaît bien. Il ne se passe pas une journée sans qu’on l’écorche du bout des doigts ; mais on aime lorsqu’elle se décide à sourire et l’on adore l’écouter chanter.

    Avec impatience, on attend la rame suivante qui traversera le marché en caressant les étals et les gens sans jamais rien déplacer. Les uns et les autres se respectent et les boggies ont depuis longtemps appris à reconnaître les parfums des épices et des fruits qui semblent avoir été récoltés le long de la voie le matin même, alors que les champs où ils se sont épanouis paraissent aussi loin que les étoiles. Comme il faisait vivre le petit peuple, on ne trouva rien de plus beau que de nommer le train celui du bonheur, parce qu’il était le seul à faire son marché chez ceux qui avaient tout laissé derrière eux, sauf le sourire, indispensable à la vie.

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