• – Le jour s’était levé d’une humeur exécrable, ou plus sûrement du mauvais côté du ciel. Il ne m’encourageait pas à me projeter hors du lit rapidement, et j’imaginais qu’il devait bien avoir quelques couleurs de rechanges pour illustrer et habiller ce firmament monotone. Je me disais que rien n’est plus déprimant que de rentrer dans une matinée qui semble venir à reculons. Je quémandais, sans espoir d’avoir été entendu par le responsable, un rayon de soleil, pour laisser croire à mes vieux os, que l’on avait du respect pour eux.

    L’an ne cachait plus que lui aussi avait pris de l’âge, et il regardait non sans une certaine hantise se profiler les mois annonçant son déclin. Me tirant de mes pensées vagabondes, la cafetière me rappela à l’ordre. Je m’étais promis de terminer le roman dont les pages s’impatientaient de la venue de la plume. Elles aimaient la sentir gratter sur les lignes et se plaisaient à imaginer ce que ressentait l’auteur, lorsque son âme sœur passait sa main sur sa peau. Le breuvage matinal, censé me donner l’élan nécessaire pour affronter la journée, emplissait l’espace de son parfum, dans lequel il était facile de reconnaître l’un de ces pays du sud, qui lui, n’a pas à se soucier des rigueurs hivernales. Je posais la tasse près de mon écritoire, comme si je cherchais à imprégner les feuilles qui me tendaient leurs traits, des fragrances dont mon esprit s’était déjà enivré. C’est alors que mon regard se porta vers la fenêtre. Pour moi, qui faisais le plus souvent de merveilleux voyages immobiles, elle en était l’ouverture sur le monde, une sorte de permis de flâner. À travers les vitres parfois embuées, mes pensées s’évadaient, tandis que, quand il était d’humeur joyeuse, le soleil illuminait les mots qui en profitaient pour courir sur les lignes. Après un dernier regard vers l’extérieur, je pris place sur la chaise sans âge. Je l’ai toujours connu à cet endroit, à croire que mon père avant moi et le sien avant lui l’avait fixée une fois pour toutes à cet emplacement. C’est alors qu’avec un certain plaisir, je les découvris, tour à tour, assis à cette même place, l’esprit perdu vers la campagne, à musarder derrière quelques idées s’enfuyant parmi les fleurs de la prairie.

    Décidément, dis-je à haute voix, comme si j’attendais une réponse, il n’y a pas que dans la maison, où rien n’avait changé. Dehors, la nature, sans pour autant être figée, a modestement profité du temps pour s’embellir et prospérer. Je pensais alors qu’elle était la seule dans les environs à avoir vu les gens se succéder dans la demeure, dont certains, je le sus par hasard, avaient contribué à son enrichissement. À travers les massifs sagement alignés et ordonnés, on devinait le caractère calme de la main qui avait œuvré pour le choix des variétés, veillant à ce qu’elles éclosent tout le long de l’année, fournissant à la maîtresse de maison de quoi installer des couleurs dans l’intimité du logis. Bordant les champs, un second personnage avait laissé faire son imagination un peu débordante, dans laquelle la géométrie n’avait jamais été admise. Des buissons croissaient parmi des tapis de fleurs et d’autres végétaux rampants. Cependant, cet agencement avait un charme et rompait avec la monotonie des lignes du jardin à la française. Je me surpris à réaliser que de toute la famille, je suis celui qui n’aura rien modifié à ce décor. Je me serai contenté de faire confiance au professionnel, qui en ce domaine a plus de talent que moi.

    Plongé dans mes pensées, bien que la plume soit à sa place entre les doigts, je n’avais pas encore formé la moindre lettre qui put donner naissance à quelques mots construisant une phrase. Qu’à cela ne tienne, me dis-je, la journée n’en est qu’à ses premières heures, je ferai en sorte que les suivantes soient fécondes. Le moment était trop important pour le troubler. Le jour avait enfin trouvé son rythme. À l’extérieur, la brume qui emprisonnait le paysage se dissipait, accrochant quelques lambeaux aux rameaux qui s’enorgueillirent d’accueillir la robe de mousseline abandonnée par l’aurore. Sur la façade, un lierre hors d’âge finissait d’occuper les interstices laissés par les pierres qui faisaient des efforts pour se désunir. Un instant je crus, à moins que je l’eusse désiré si fort que mon esprit le créa afin de me plaire, que le temps frappait au carreau, me faisant de grands signes, insistant pour que je le rejoigne. Je ne pus retenir un sourire, imaginant que ce put être un ami qui m’invitait à un jeu d’enfance. Mais intérieurement, je refusais de le suivre, car je ne pouvais lui avouer qu’en ce jour particulier, il était le héros de mon histoire. Certes, elle était loin d’être achevée. D’ailleurs, comment pourrait-elle l’être, quand on a eu l’audace de l’intituler « le roman d’une vie » ? C’est si long, une existence d’écrivain, que l’on est en droit de se demander si c’est bien lui qui prendra le temps d’apposer le mot « fin » au bas de la dernière page. Et puis, entre nous, au cours de sa carrière, il aura fait disparaître tant de héros, qu’il n’a certainement pas le désir de finir comme quelques-uns d’entre eux.

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  •  

    – Je garde en ma mémoire tous les qualificatifs que l’on m’adressait alors que je n’étais pas encore en mesure d’en saisir toute la signification. Je retenais les citations qui éveillaient en moi quelque chose de douloureux ou de joyeux, de présent ou d’absent, de proche ou de lointain. Souvent, l’on me reprochait que je brûlais d’envies, et mon esprit se faisant médisant, me faisait comprendre, que c’était lui qui se détruisait par ma faute, et que je n’avais qu’à me contenter de ce que j’avais ? Combien de fois n’ai-je pas entendu faire feu des quatre fers ! À cet énoncé, je vagabondais par les prairies et les montagnes, tel le cheval nouvellement ferré par le maréchal du village, chez qui j’allais rôder. Puis vint le feu sacré, celui dont j’imaginais qu’il était inaccessible, puisque réservé aux érudits. Je me souviens aussi qu’en me regardant, on prétendait qu’en moi il couvait sous les cendres, et qu’il fallait s’attendre à ce que de grandes flammes sortent soudain de mon corps, pour expliquer que je complotais certainement quelques bêtises. Bref, les litanies dans lesquelles il était question d’étincelles, j’en ai tant écouté, que très vite il me plut de jouer le rôle du pompier afin que le village entier finisse dans le foyer. Pourtant il en est un qui fût toujours hors de ma portée, alors qu’il était si proche. Entendez par là celui qui avait pris naissance en moi dès les premières que la vie m’envoya. Je ne sus pourquoi ni comment il était entretenu, car jamais il ne s’éteignait. À mesure que je prenais de l’âge, les flammes me consumaient. C’est à cette époque qu’une petite voix me fit comprendre que si je désirais que mon brasier baisse en intensité, je devais le partager si je ne voulais pas que mon cœur finisse par remplacer les bûches qui l’alimentaient.

    Ce fut l’un de mes plus grands combats. Avais-je le droit de communiquer le feu à quelqu’un d’autre sans craindre que l’incendie m’échappe et embrase toute une région ? N’allait-on pas dire de moi que j’étais le diable en personne, sinon l’un de ses envoyés ? À cet instant de mes réflexions, une citation se présenta au balcon de ma mémoire. « Brûler la chandelle par les deux bouts » ! Voilà le risque que je prenais. Accélérer le cours de mon histoire, écrire les pages deux par deux, sauter des chapitres et apposer le mot « fin » au milieu d’un chemin à peine débroussaillé. Je retardais donc le jour d’une éventuelle rencontre, empruntais des routes nouvelles, m’égarais par les sentiers qui s’enfoncent dans les forêts. J’ai enjambé la mer, puis les océans, pensant naïvement que l’eau pourrait atténuer mes braises et ainsi me soulager. Certes, en mon cœur la chaleur disparut. Cependant, le feu n’était pas éteint pour autant, car sur ma peau roulait sans que je ne puisse l’empêcher une sueur tenace.

    C’est maintenant ; m’informa avec autorité la petite voix qui venait à nouveau de se réveiller, qu’il te faut aller à la rencontre de celle qui aura le pouvoir d’apaiser ton brasier, puisque tu ne sus le faire seul. Accepte la main tendue et ensemble, allez déposer les braises dans un foyer réservé pour cet effet. Pour la première fois de ma modeste existence, j’étais obligé de reconnaître que si j’étais un parfait incendiaire, en revanche, j’étais un piètre pompier. Je devais donc oublier certaines règles que je m’étais fixées, sans chercher à comprendre si elles me convenaient ou au contraire, si elles étaient inadaptées. Je ne sais pas, comment les uns et les autres traversent les épreuves qui leur sont proposées, mais me concernant, ce fut un moment parmi les plus désagréables. Abandonner a toujours été un mot douloureux pour moi, et je ne me voyais pas défaire mes bagages en chemin, pour trier les éléments qui ne m’étaient plus et conserver ceux qui m’étaient indispensables. Je me trouvais au cœur de la tourmente, malmené par les vents soufflant de partout. J’étais comme la feuille au bout du rameau, redoutant que, lassé d’être ainsi agité, celui-ci ne finisse par la détacher.

    C’est alors au cours du naufrage que la bouée me fut lancée. Elle était belle, discrète et m’avoua sans détour qu’elle m’attendait depuis toujours.

    – Si tu le désires, me dit-elle, cherchons un abri dans lequel nous pourrons faire un vrai foyer.

    – Je lui expliquais qu’il serait facile à allumer, car cela faisait des années qu’il brûlait en moi. À propos de feux de bois au cours de notre histoire, nous en avons fait naître des centaines, tous plus joyeux les uns que les autres. Parfois, nous avons sauté par-dessus, alors qu’à certaines occasions nous avons dansé autour.

    Depuis le jour de notre rencontre, en nous, le foyer ne s’est jamais éteint, car l’amour ne saurait se passer des flammes que le cœur lui transmet, afin de faire que les baisers et les regards soient toujours de braises.

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  • – Je suis d’un caractère optimiste, c’est-à-dire que j’estime que rien ne peut plus aller plus mal que cette première dizaine du nouveau siècle. Oui, je pense que ma réflexion a de quoi surprendre. Cependant, quand autour de nous plus rien ne s’améliore, qu’il vous semble que notre marche en avant a tendance à s’enrayer et que le tunnel s’allonge de jour en jour pour nous cacher le bout par lequel nous devrions découvrir la lumière, malgré moi, en mon esprit, le doute s’installe. Cette matinée, dis-je, apporta (sans jeu de mots, puisque le ciel déverse sur la forêt, tout ce qui lui reste d’averses tropicales), de l’eau à mon moulin.

    D’abord, je crus que le jour refusait de se lever. Ne soyez pas surpris, car cela lui arrive quelquefois. J’imaginais qu’il était retenu prisonnier par les racines aériennes de la mangrove qui borde le continent, où, à la défaveur d’une brume trop épaisse, il s’était échoué. C’est que la traversée de l’océan est longue et incertaine, alors que la lumière demeure emmitouflée dans les nuages venus de pays lointains. Ils ont souvent la mauvaise habitude de s’empiler les uns au-dessus des autres, faisant une couette digne des meilleures que les montagnards n’ont encore jamais réalisées. Certes, il n’en est pas à sa première aurore, me direz-vous, mais pour éviter une monotonie qui aurait pour conséquence de blaser les inconditionnels des aubes, chacune d’elle est différente, faisant que la petite dernière ne fait que découvrir les obstacles qu’elle devra vaincre pour s’affirmer au regard des éléments, et s’imposer face à la toute-puissance du ciel. Au fur et à mesure que le temps s’écoule, sur la palette qui ne la quitte jamais, elle doit choisir les nuances qui vont l’accompagner, et les modifier dès qu’elle s’aperçoit que les peintres cherchent à les reproduire. Puis, la tasse de café à la main, je vais sur la terrasse orientée vers l’Est, où j’ai coutume d’assister au lever du roi Soleil. Mais je dus me rendre à l’évidence. Le Sir ne serait pas à l’heure souhaitée, il était probablement englué dans les échasses des palétuviers. Il devait donc attendre que la mer, retirée sur les rivages d’un autre continent, consente à revenir, afin d’élever son niveau, et ainsi libérer les rayons pris au piège.

    Mais contrairement à ce que nous imaginons, dans la nature, rien n’est simple. Chaque instant est un combat, un véritable défi à relever pour sa survie. Il n’est pas un moment de répit durant lequel elle pourrait songer à autre chose qu’à sa manière d’être. Pour continuer d’exister, elle doit sans cesse créer, se renouveler, ajouter de la couleur, des saveurs, des fragrances, et surtout de la douceur pour plaire à ceux qui chaque jour, la prient et la remercient.

    Toujours est-il, qu’en cette matinée, alors que la déception faisait son chemin en mon esprit, soudain, le miracle s’accomplit. Une fracture se fit dans le ciel. Oh ! Elle était à peine apparente, et il me fallut le fixer pour comprendre qu’il s’agissait bien d’une fissure par laquelle, à n’en plus douter, la clarté enfin s’introduirait. En effet, je ne fus pas long à deviner qu’une force invisible repoussait, non sans mal, la masse nuageuse pourfendue, de part et d’autre d’un rai de lumière. Celui-ci se mit en travers, tel un humain qui tenterait de séparer deux entités, s’aidant de ses jambes et de ses bras. La lutte fut intense aucune des deux parties en présence ne voulant céder. Tantôt, la fracture s’élargissait, tantôt elle se rétrécissait. On pouvait imaginer que deux colosses s’affrontaient, et qu’il ne pouvait y avoir qu’un vainqueur. Il me sembla que j’assistais à une des rencontres d’un autre temps alors que, dans l’arène, les gladiateurs se mesuraient avant de se livrer combat.

    Cependant, sous mes yeux ébahis, une victoire se dessinait. La cassure était maintenant trop large pour qu’elle espère à un revirement de situation. La porte du ciel était devenue grande ouverte, et la lumière pouvait enfin s’y engouffrer sans plus attendre. Absorbé par l’émerveillement de ce qui se déroulait, je ne fis pas attention qu’un nouveau fait s’ajoutait au tableau du spectacle qui m’était offert. C’est en levant les yeux que je découvris que si notre monde ne tournait pas rond, sans aucun doute possible, je venais d’en connaître l’une des raisons. D’ordinaire, à cet instant précis de la journée, le soleil me regarde en face. Oh ! Je vous rassure, pas avec l’intention de nous mesurer. Non, devant lui, en signe de soumission, j’ai toujours pris soin de ne pas le provoquer. Mais là, je ne pouvais plus douter. L’astre brillant était à ce point égaré, qu’il était comme les ressortissants de la planète ; il cherchait le ciel ! J’en déduis donc que s’il en est arrivé à cet extrême, c’est à force de nous regarder évoluer, nous qui ne savons plus marcher droit, et qui avons perdu la notion du temps. Alors dans un élan de solidarité, je lui adressais quelques mots de réconfort. Encore un effort, merveilleux roi d’entre tous. Maintenant que tu éclaires ton chemin, suis-le. Le ciel n’est plus qu’à quelques rayons !

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  • – À voir vos expressions joyeuses, je comprends qu’une fois de plus, je vous dérange. Mais autant vous le dire dès à présent, désormais, vous allez devoir me supporter comme je suis, car je ne suis pas prête à changer. Toutefois, si cela peut arrondir les angles, je vous dirai que votre tour viendra de ne pas être à l’aise au milieu des autres.

    – Voyons, belle-maman, pourquoi nous dites-vous de pareilles sottises. Nous sommes heureux de vous accueillir, et vous le savez bien. Si ce n’était pas le cas, nous ne vous aurions pas priée de vous joindre à nous. N’êtes-vous pas bien, au milieu de votre famille ? Avec beau papa, nous avons jugé que la solitude de la campagne devait vous peser. Et puis, avec ces saisons qui ont perdu leurs repères, vous n’étiez pas à l’abri d’un mauvais mal.

    – Ne vous mettez pas les sangs à l’envers, ma petite. Avec le père, nous avons traversé des époques bien plus sévères que celles-ci ! Et nous n’en sommes pas morts. Nous savions nous préserver, voilà tout.

    – Nous n’en doutons pas ; cependant, tous ces travaux en prévisions du mauvais temps, ne me dites pas qu’ils ne vous ont pas épuisés. N’est-il pas, Pierre ?

    – Tu n’as pas tort, ma chérie. Cependant, au long de toutes années qui m’ont vu grandir et m’épanouir à la ferme, je ne crois pas pouvoir dire que j’en garde de profondes cicatrices. À ce sujet, lorsque nous nous sommes découverts, je ne pense pas que tu m’as trouvé couvert de blessures ?

    – Il n’aurait plus manqué qu’il vous dise que chez nous il a souffert ou je ne sais quelles autres bêtises. Il est vrai que nous n’étions pas riches, mais je mets au défi quiconque prétendrait qu’il nous manquait l’essentiel. D’ailleurs, à ce sujet, je ne conserve pas le souvenir que vous m’ayez adressé des reproches concernant son éducation. Nous étions modestes, certes, mais jamais nous ne fûmes pauvres. Sur la table, il y a toujours le pain, qui, soit dit en passant était le nôtre. Dis-le, Albert, que c’est toi qui le pétrissais ! Le froment était aussi celui de nos récoltes. C’est que nous, nous n’achetions rien, ou su peu !

    – C’est vrai, dans ce domaine, nous ne parlons pas la même langue. Mais jusqu’à la preuve du contraire, ils n’ont pas encore installé les fermes à la ville. En conséquence, nous sommes bien obligés de travailler pour nourrir notre famille. Je vous ferai remarquer, tout à fait entre nous, que les méthodes n’ont guères de différences ; sauf une qui me semble être de taille. Nos entreprises ne nous obligent pas à demeurer en permanence sur nos lieux de travail. Nous pouvons aller et venir à notre guise, nous détendre, assister à des spectacles, et tant d’autres choses !

    – Je le vois, qu’à la ville vous êtes plus souvent dehors que dedans. Je devine même que certains en profitent pour vivre une existence de débauche. Ah ! Oui, il est loin le temps où les gens avaient encore de l’éducation !

    – Là, maman, permets-moi d’intervenir. Tu ne peux pas prétendre que les gens des cités urbaines n’ont pas de savoir-vivre. Je dois porter à ta connaissance que les plus grandes écoles ne sont pas à la campagne.

    – Pour ce qu’ils y apprennent, dans ces établissements !

    – On y enseigne tout ce que la campagne ne peut pas nous inculquer. Je ne disconviens pas que les images y soient belles et authentiques, que les saisons déposent sur les gens comme sur les choses le meilleur d’elles-mêmes. Toutefois, à quoi cela servirait-il d’être aveuglé par toute cette magnificence, si sur chaque élément nous ne pouvons y mettre un nom, un symbole, une explication qui force le spectateur à chercher en profondeur ce que la nature veut nous dire ?

    – Là, mon garçon, je t’arrête. Chez nous, si ta mémoire ne te fait pas défaut, tu devrais savoir ce que disaient les anciens.

    – Plus tu remues la bouse de vache sur le chemin, et plus nombreuses seront les mouches à s’en repaître !

    – Je suis heureuse que tu t’en souviennes !

    – Tu sais, ce qui me ferait plaisir, maman ?

    – Je n’en sais rien, il est vrai. Tu nous as si souvent surpris !

    – Voilà ; j’aimerais que nous mettions fin à nos disputes dès que nos pieds sont sous la table. Nous comprenons que vous n’avez pas oublié la ferme et son modèle de vie. Mais cela nous ferait plaisir que vous passiez un coup de torchon sur ce passé qui fut plus une contrainte qu’un modèle d’existence. Si tu veux nous reprocher de vous avoir forcé à vendre votre bien, dites-le-nous franchement. Mais pour l’amour de Dieu, cessons de nous invectiver à l’heure, où précisément on doit se réconcilier.

    – Laisse ton dieu où il est, mon fils. Il n’a jamais rien compris aux hommes de la terre. Il ne faisait jamais pleuvoir au bon moment, l’été il l’envoyait souvent trop tard, ou il le faisait trop court. Quant aux hivers, n’en parlons pas !

    – Voyez-vous, belle maman, ce que j’aimerais, c’est que petit à petit vous preniez plaisir à notre mode de vie. Nous ne sommes pas guetter le ciel pour savoir ce qu’il nous réserve. Nous prenons le temps de vivre, car vous écoutant, j’ai le sentiment que vous avez traversé le désert et que le sable dans vos chaussures vous incommode. Laissez-vous dorloter par votre famille. Chez nous, l’amour est assez grand et fort pour être partagé. Prenez la part qui vous revient et surtout, souriez-nous. Nous n’en demandons pas plus. Votre visage éclairé par la bonne humeur, pour nous, sera notre plus belle saison.

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  • PLUS TARD…

    – Vous trouvez probablement étrange cet intitulé. Pourtant, qui n’a pas, au moins une fois dans son enfance, et longtemps après cette période plus ou moins heureuse, prononcé ses mots : plus tard ! Je crois que l’on peut même continuer la phrase, commencée par ces deux modestes mots, qui n’ont cependant pas la prétention de vouloir écrire une histoire. Toutefois, elles débutent souvent par une expression anodine, provoquée par un songe, une image, un son, ou plus simplement un personnage typique ou hors du commun.

    Qui n’a pas prononcé, au cours de réflexions « je ferai, je dirai, j’irai, j’aimerais ? Et qu’en fut-il, des années après, de ces affirmations prises dans des moments d’intimes convictions ou de partages d’opinions avec les amis d’alors ? En ces périodes heureuses où toutes les audaces nous semblent possibles, nous campions sur nos positions, refusant toutes formes de reculades ou de reniements. Nous étions sincères, persuadés que l’avenir nous donnerait raison et que nous pourrions changer les événements se trouvant à notre portée, à défaut de pouvoir transformer le monde ou ceux qui l’occupent.

    Mais les jours naissent et s’éteignent, les semaines ajoutent du temps, les mois engrangent les décisions et les ans s’accordent entre eux pour confirmer les espoirs ou les désillusions. Soudain, en nos esprits, s’éloignent les souvenirs et les affirmations. Les prétentions ne sont plus certaines d’être réalisables. D’autres mots se créent et les images d’antan sont remplacées par de plus belles. Les paysages se transforment en panoramas, les sons trouvent refuge sur des partitions et les modestes mélodies se traduisent en de merveilleuses symphonies. Sans que nous nous en rendions compte, l’horizon s’est reculé nous invitant à le suivre, du moins à nous en rapprocher. Il existe donc un ailleurs, pensions-nous naïvement ? Alors, commence une interminable marche. Du simple sentier naît un chemin fleuri, celui-ci se fait une belle et longue route bordée d’arbres pour protéger les promeneurs des chaleurs estivales. Dans les ramures, les songes s’accrochent pour ne pas disparaître avec la lueur du jour repoussant les ténèbres. Des silhouettes se dessinent loin devant nous et se précisent à mesure que nos pas se rapprochent. C’est le temps des sourires timides échangés avec quelques jeunes filles dont on ne s’était pas aperçu qu’elles étaient devenues des demoiselles.

    C’est lors de ces rencontres que souvent les rêves d’antan basculèrent dans le néant. Nous n’étions plus certains de vouloir ni de pouvoir changer quoi que ce soit, sinon, l’allure de notre propre personnage. Certes, nous essayions bien de nous accrocher aux quelques lambeaux de décisions anciennes, de maintenir que l’heure était venue de choisir la voie qui nous mènerait vers la réussite, sans que nous ayons à nous retourner fréquemment pour vérifier l’exactitude de nos prétentions. De toute façon, les parcours qui se présentent à nous ne sont pas légion, tandis que nous pensions le contraire. À notre insu, le destin démêle l’écheveau de notre existence, tirant les fils qui nous manipulent comme si nous étions de simples marionnettes. Bien que nous rencontrions de nombreuses demoiselles, il nous destine à une unique âme sœur, même si parfois notre regard s’égare de l’une à l’autre, et que notre cœur, las de souffrir, nous commande de jeter notre dévolu sur une seule.

    C’est le temps des tourments, des remises en causes, de multiples questionnements, et des incontournables “si j’avais su”, ou pourquoi ai-je fait ceci plutôt que cela, des critiques sur les routes choisies, des étapes hasardeuses et des bivouacs incertains. Bref, nous prenons soudain conscience que sur le métier nous devons y déposer à nouveau notre œuvre pour la modifier. Il ne s’agit plus de gloire, mais de survie. L’heure est venue de fonder un foyer et de lui assurer un confort serein. Nous nous lançons à corps perdu dans le monde professionnel. C’est le grand chambardement dans nos cœurs, nos esprits et espérances. Nous ne comprenions pas toujours pourquoi nos aînés nous pressaient d’avancer, de nous décider, de nous affirmer, lorsqu’ils nous parlaient de l’avenir. Il est une chose importante que vous semblez ignorer, nous disaient-ils encore. Le temps ne vous attend pas. Ce que vous rejetez en permanence doit cependant se réaliser au plus vite, car ce que vous nommez plus tard, un matin, vous vous réveillez et il est sur le seuil de votre porte. Le jour où vous découvrez que celui que vous désiriez repousser au-delà l’horizon s’est joué de vous et que lors de votre marche en avant, il n’a jamais cessé de vous dépasser. Il était à vos côtés à chacune de vos étapes, vous précédez dans les ascensions, il se séchait sous les palmes, après avoir chahuté avec les flots, tandis que vous étiez encore au bain dans une mer sans cesse en mouvement. Quelque part autour du monde, un banc vous attend, sur lequel, en compagnie de votre âme sœur, vous aurez tout le temps de vous remémorer le passé, en vous disant que plus tard c’est toujours le présent.

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