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    A la source de la vie

    — Quand on va par les chemins, il ne faut pas s’étonner si au bout de l’un d’eux, parfois, un sentiment de tristesse essaie de prendre le dessus sur les autres, plus discrets, confinés tout au fond du cœur.

    Notre comportement est quelquefois ambigu, alliant le bon et le moins bon, s’arrêtant devant la beauté alors qu’en d’autres occasions il l’ignore. Mais nul ne peut rester insensible à la chaleur humaine, celle qui fait se créer des amitiés qui jamais ne se défont, sauf lorsque la vie vint à manquer.

    Ainsi, le jeune homme avait-il le cœur serré lorsqu’il avoua à ses amis qu’il lui fallait partir vers d’autres horizons, où l’attendaient de nouvelles aventures.

    À cet instant, chacun savait pertinemment qu’une expérience n’a de sens que si elle est reliée par des fils qui prendront un malin plaisir à tourmenter les esprits des uns et des autres au moment où de nouvelles décisions se feront jour.

    Toutefois, le jeune homme ne fut pas surpris de n’entendre aucune réflexion lorsqu’il annonça sa décision. Il eut même l’impression qu’il était le seul à en être bouleversé.

    Réunis sous l’arbre à palabres, c’est à peine s’ils avaient hoché la tête.

    Après un moment passé à s’observer, comme si les uns et les autres attendaient d’autres paroles, les sages dirent d’une voix calme comme l’eau claire qui traverse la plaine :

    — Il est écrit quelque part que ton chemin est long et que tu dois le suivre jusqu’à son terme. Nul n’échappe à sa destinée. Elle est notre meilleure compagne, même si parfois elle nous parait bien ingrate.

    Les chemins de la vie ne sont pas égaux, jeune ami. Certains sont doux à notre pas, d’autres sont parsemés d’embûches, alors que d’autres encore sont glissants et incertains.

    En fait, nous, humbles gens de la brousse qui sont parfois oubliés par nos propres frères, nous nous demandons toujours pourquoi les blancs, tes frères, se tourmentent autant pour courir derrière quelque chose qu’ils ne parviennent jamais à rattraper.

    Chez nous, avait souvent confié Touré à son ami étranger, l’existence est beaucoup plus simple quand elle n’est pas carrément sereine. Le Très-Haut ne nous demande pas de nous surpasser pour le servir. Il n’est pas égoïste à ce point pour ignorer que nous avons besoin d’aise pour évoluer. C’est pourquoi il mit à notre disposition des rivières plus à même de nous accueillir pour le bain que nos marmites et nos bassines.

    Nous avons l’habitude de faire confiance au temps qui règle les existences de chacun. Pour le reste, le ciel nous fait don du jour pour accorder nos sourires et de la nuit pour laisser vagabonder nos pensées.

    Vois-tu, l’ami, continuèrent les anciens, aucun évènement n’empêche les saisons de se succéder. Nous labourerons, ensemencerons, récolterons si le ciel en a décidé ; la chasse et la pêche pourvoiront à compléter notre maigre subsistance.

    Chez nous, il est écrit que lorsque le temps est venu pour que nous devenions des hommes, une femme il nous faudra prendre.

    Si nos bras sont assez forts pour nourrir enfants et famille, si le troupeau est en nombre suffisant, alors nous pourrons prendre une seconde épouse. Les enfants seront élevés dans le respect des traditions, afin que la mémoire des nôtres survive aux différentes épreuves qui se présenteront.

    L’instant le plus beau de la journée se passe à l’heure où la lune illumine le ciel. Autour du feu, la nuit devient magique quand les femmes entament les danses au rythme des tambours. Sous les étoiles attentives, nous écoutons les griots qui chantent autant pour l’âme de notre pays que pour celles de nos ancêtres.

    Les conteurs se joignent aux musiciens pour ajouter quelques lignes à nos contes et légendes. Ils savent imiter le mauvais esprit afin de l’attirer et de le faire prisonnier. Leur pouvoir est si grand, qu’ils parviennent même à faire éclore des fleurs dans les flammes pour les offrir aux déesses disparues.

    Les sages, imaginait le futur voyageur, disent-ils sans doute ces choses, non pour rendre mélancoliques les jours que je m’apprête à vivre, mais pour éclairer le chemin que je fixais déjà comme si j’étais dans le lendemain. Ils étaient plutôt comme une offrande en signe d’une amitié que l’on ne prenait pas la peine de dire qu’elle était sincère. Elle l’était par définition.

     

    Le jeune savait d’ores et déjà que des lambeaux de cette vie si naturelle resteraient accrochés à lui comme des oripeaux ne pouvant plus se séparer de la peau du voyageur, ne tourmentant jamais son corps ni son esprit. Il savait aussi qu’une part importante de son être allait rester gambader dans ces savanes, non loin de la source de la vie exquise qu’il avait tardé à découvrir et au-dessus de laquelle il s’était penché pour étancher sa soif. 

    Amazone Solitude


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  • Là ou Ailleurs

    Dialogue entre un jeune  garçon et un adulte

     

     

    — Alors, mon ami, on m’a rapporté que vous vous apprêtez à nous abandonner ? C’est pour cette raison que votre échoppe est fermée depuis quelques jours ? Trouveriez-vous notre village trop petit ? Pourtant, vous y avez passé une vie, ce n’est pas rien !

    Je pense même qu’après tout ce temps, nous laissons plus de nos empreintes aux autres qu’à nous-mêmes.

     Pour nous, nous avons les souvenirs de nos parents et de nos amis et il serait juste que nous allions les retrouver lorsque notre heure a sonné au clocher.

    Aux autres, nous laissons nos mots et notre courage, notre compréhension et parfois aussi nos sourires qui ont effacé leur peine.

    Notre vie reste une sorte de long cortège, traînant derrière lui une suite heureuse d’évènements que nous avons créés ou subis. On ne peut logiquement renier le temps qui nous a accordé ses faveurs !

    À moins que vous trouviez notre cimetière trop petit. Dans ce cas, je comprends que vous désiriez reposer dans un plus grand, plus beau, mieux aménagé et qui sait, mieux orienté aussi.

     — Sais-tu, jeune homme, ce qui va surtout me manquer ?

    Ta curiosité !

    Quant au reste, le cimetière dont tu parles n’est pas le mien. Il est celui de mes parents et aussi ceux pour qui j’ai eu de l’affection qui s’y trouvent réunis.

    Depuis longtemps, j’ai décidé qu’il ne serait pas mon lieu de repos éternel. Je ne m’y suis pas rendu aussi souvent que je l’aurais souhaité. Sans doute que mes visites faisaient suite à quelques mystérieux appels, car souvent je ne pouvais expliquer les raisons de ma présence en ce lieu, à part les dates anniversaires et autres fêtes religieuses.

    Je crois que cet endroit où le silence est de mise n’appartient qu’à ceux qui l’occupent. Il ne sera pas celui qui me verra m’y allonger à jamais.

     — Pardonnez mon insolence, mais la réalité n’est-elle pas, qu’en fait vous redoutiez d’en devenir un locataire comme tous les autres ?

    Le fait de vous éloigner de lui, en votre esprit, ferait-il qu’il n’existe plus ?

    Il est vrai qu’à vos yeux je suis encore bien jeune, néanmoins, j’ai compris que là où nous allions, il y en aura toujours un qui nous attend, à défaut de nous avoir suivis.

    Vous le voyez, il nous devance. Quel que soit le village ou la ville où nous nous trouvons, partout nous sommes attendus.

     — Je n’ai aucune raison de ne pas te faire plaisir, mon garçon. Sans doute dis-tu vrai ; mais je possède un avantage sur les autres hommes. Dans ma nouvelle ville, j’ignorerai où se trouve le cimetière, n’y ayant jamais accompagné quiconque.

     — Veuillez excuser mon insistance ; celui du village vous effraie à ce point que vous ne désiriez pas l’occuper ?

     — Tu te trouves à mille lieues de la vérité, mon jeune ami.

    Tu n’es pas sans savoir que pour tout le monde j’ai toujours été le simple, presque l’idiot du village, s’il n’avait pas, Dieu merci, existé avant moi.

    Tu comprendras que je ne tiens pas à retrouver ces gens qui n’auront jamais cessé de m’humilier toute la vie, caquetant et riant derrière moi une dernière fois.

     — Si cela peut vous rassurer, je puis vous dire que tous les hommes, sans exception, lorsqu’ils nous ont quittés, finissent par manquer à ceux qui restent. Tous à un moment ou à un autre se souviennent d’un trait qu’il leur avait échappé, ou d’un sentiment le plus beau qu’ils feignaient de ne pas voir, le plus souvent caché au fond de nous.

    Mais le plus difficile ne réside pas dans les réflexions des autres.

    Ne craigniez-vous pas que l’éternité vous semble triste, si jamais personne ne vous rend visite, une fleur à la main, un mot suspendu aux lèvres et une larme perlant à la paupière ?

     — Mais tu oublies l’essentiel, fiston ! Je n’entendrai pas non plus les prières hypocrites et encore moins je reconnaitrai les pas traînants de ceux qui viendraient ironiser sur le lieu de mon repos éternel.

    Vois-tu, jeune homme, le monde t’appartient, alors que tu l’ignores encore ; si tu veux bien aller le découvrir. À travers lui chaque jour des gens disparaissent dans l’indifférence de ceux qui les entourent, parce que loin de leurs villages ou méconnus du plus grand nombre.

    La planète ne s’en trouve pas affectée pour autant. Alors, là ou ailleurs, quelle importance ?

    C’est à l’ombre de nos pensées et de notre esprit que continue à vivre l’amour que nous portions aux nôtres.

    À l’instant où nous cessons d’être, les souvenirs s’estompent et le corps, lui, ne voit aucun inconvénient à reposer ici où là, pourvu qu’il s’y repose en paix.

     

     

    Amazone Solitude  


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  • La tolérance Fragile— Sans doute vous ai-je déjà dit que le temps est une chose relative. On dit souvent qu’il est infini, et qu’il n’a aucune possibilité visuelle pour nous situer dans l’histoire de l’humanité, alors qu’il est à quelques pas de nous, qu’il nous frôle sans jamais se manifester et qu’en définitive, nous baignons littéralement dedans, frétillant même, comme les poissons dans l’eau claire.

    Drôle d’introduction ! Me direz-vous que celle qui se réfère au temps qui semble nous échapper ! Cependant, je ne pouvais pas ne pas y faire référence, car la modeste histoire que je vous propose semble être née il y a quelques jours seulement, alors que sur ses lignes, plus d’un demi-siècle pèse sur les mots, qui ne semblent pas avoir pris une seule ride.

    J’en conclus donc que le temps, les hommes qui le traversent et les mots qui le chantent ont un passé commun qui n’est pas près de se dissoudre.

    Que nous l’aimions ou le haïssions, que nous croyions en lui ou que nous l’ignorions, Dieu ressort invaincu de toutes les querelles que les hommes ont menées à son intention.

    Parfois, il m’arrive même d’imaginer que s’il s’adressait directement à nous, nous serions probablement surpris par ses propos.

    Il me plait même de penser qu’il nous dirait en souriant qu’il n’en demande pas autant.

    Mon village ronronnait dans la vallée et sur les flancs que formaient deux collines. Sur la première, l’église pointait son clocher en direction du ciel, à l’emplacement précis où devait se trouver son propriétaire.

    Sur la seconde, lui faisant face comme si les hommes avaient délibérément choisi cette situation afin que leurs regards s’affrontent, plus modestement se tenait l’école communale.

    L’une et l’autre passaient leurs temps à s’observer, comme si elles guettaient pour le sanctionner, le premier faux pas qui serait commis.

    Cette situation m’intriguait et m’amusait en même temps. Un jour curieux comme une vieille chouette disaient les gens de moi, je fis cette remarque au curé :

    — Finalement, entre vous et l’instituteur il n’y a guère de différence ! Je crois même que beaucoup de points communs vous rapprochent. N’êtes-vous pas les deux hommes les mieux placés du village, pour enseigner aux hommes ?

    En toutes occasions, on vient vous consulter et cela doit faire naitre au fond de vous un peu de fierté…

    — Il ne me laissa pas finir ma phrase, s’engouffrant par la porte que je venais de lui ouvrir.

    — Détrompe-toi ! répondit-il avec autorité.

    Moi je rassemble, lui il divise ! Demain, lorsque tu retourneras en classe observe et retiens ce que tu verras. Tu comprendras qu’il y a les bons, aux meilleures places, les moyens sont juste derrière et les cancres, au fond de la classe, regardent le dos des autres.

    Au fil du temps, les distinctions se font plus grandes, le fossé se creuse ; la société éclate et la misère s’installe confortablement.

    N’as-tu donc pas remarqué que chez nous il n’y a pas de différence, tous sont semblables ! Nous n’avons qu’un discours construit avec les mêmes mots depuis le premier jour !

    Ils ne sont pas nombreux, il est vrai, mais la foi n’a besoin d’aucun artifice pour se construire et habiter le cœur des gens. Le partage se suffit à lui-même pour faire comprendre à ceux qui ont quelques richesses qu’ils ne doivent pas oublier les nécessiteux et l’amour doit être identique pour tous.

    Chez nous, on vient pour se recueillir et pour s’alléger des peines que l’on a faites aux autres et prier dans un élan qui conduit les âmes vers une même direction.

    Mais on nous demande aussi d’intercéder auprès de Dieu pour ceux qui sont en grandes difficultés.

    — Pour cela, on est bien obligé, dis-je en toute innocence, il ne nous répond jamais ! Je pense que si nous pouvions le faire, nous n’aurions sans doute pas besoin des prêtres.

     — Effronté ! me répondit-il. C’est tout ce dont tu retiens des leçons que je t’apprends ?

    — Dans mon esprit à l’instinct querelleur, je venais de comprendre que lui aussi se réfugiait derrière les mots et que nous pouvions échanger aussi longtemps que nous l’aurions voulu, le mystère demeurerait entier.

    Je vous le disais en préambule. Les années ont passé sur ce fait divers qui, cependant, semble toujours être d’actualité. Notre petit monde s’agite toujours autant à propos des problèmes récurant des religions et les hommes butent toujours sur les nouvelles résolutions qu’ils prétendent adopter au matin d’une nouvelle année.

    La tolérance pourtant souhaitée n’est pas pour demain. Les mots et les pensées sont pareils à des forteresses imprenables et Dieu, le pauvre, n’est qu’un homme de paille que les hommes brandissent pour mieux fuir leurs responsabilités.

    Je constate que les intégristes de toutes confessions ont encore de beaux jours devant eux, surtout depuis que le pape a mis le préservatif à l’index ! Je sais, ce n’est pas la meilleure place !

    Par contre, il est parfaitement inutile de me prier pour que je vous accorde mon amitié. Sans passer par aucune institution, elle vous revient de droit.

     

     

    Amazone Solitude  


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  • L'arbre de la sagesse

    — La vie est ainsi faite, que lorsque l’on se donne la peine d’observer avec attention le monde qui nous entoure, on y découvre des trésors que personne n’avait remarqués auparavant. Il suffit d’un regard pour que naisse immédiatement une histoire empreinte d’humanité et de sagesse, un conte dans lequel se mêlent l’homme et le temps, ainsi que les choses de la vie avec leur cortège de sentiments.

    Ainsi, découvrant la scène des hommes se reposant sous un arbre, j’ai laissé vagabonder mon imagination et sans attendre un instant de plus, j’ai tenu à me rapprocher d’eux pour écouter leur conversation. Non par pur esprit de curiosité, mais parce que j’aime les relations s’établissant entre le végétal et l’homme lorsqu’ils ont admis une fois pour toutes qu’ils étaient devenus inséparables, parce que proches parents.

    C’est alors que je compris que lorsqu’une histoire nous touche au plus près de notre cœur, elle n’en est plus une. Elle se transforme en une amie fidèle, presque une parente qui marcherait à votre rencontre. Je m’arrêtais à peu de distance des personnages et prêtais une oreille attentive aux échanges qui allaient bon train.

    Un homme d’âge raisonnable disait à un plus jeune qui buvait ses paroles :

    — Tu vois, mon fils, cet arbre généreux qui nous offre le réconfort ; c’est moi qui l’ai planté. Je devais avoir ton âge.

    En compagnie de mon père, nous gardions le troupeau qui allait d’une touffe herbeuse à une autre à travers la savane. La saison sèche était à son apogée, faisant se raréfier les pâtures et chuter les feuilles des grands acacias. Pour me rafraîchir, je sortis une mangue de ma poche, puis, la pulpe terminée, je jetais le noyau loin devant nous. Mon père me gronda et me pria d’aller le ramasser au plus vite. Il m’expliqua que s’il avait été un bon fruit, il méritait que l’on s’en souvienne. Pour le remercier, tu dois semer sa graine, elle ne sera pas ingrate en devenant un jour un bel arbre donnant des fruits parfumés et savoureux.

    De retour au village, je fis un mélange de terre et d’herbe sèche et disposa le mélange dans une demi-calebasse dont personne n’avait l’utilisation. En son centre, j’y déposai le noyau et je le couvris de son épaisseur de terre. Chaque jour, je venais l’arroser, jusqu’au matin où je vis une tige fine s’élevait au-dessus de la surface craquelée.

    J’étais émerveillé. J’assistais pour la première fois à la naissance d’un arbre. À l’extrémité de la tige, deux petites feuilles brunes, presque rouges, semblaient applaudir à la lumière. Il grandit en s’assurant chaque jour davantage. En quelque endroit où je me trouvais, il me tardait de rentrer au village pour voir mon manguier grandir. Sans doute le comprit-il, car d’une pousse modeste il devint rapidement un bel arbuste.

    Mon père ne disait presque rien. Mais dans son silence, je devinais que tout comme moi il suivait l’évolution de ma plantation et c’est à cette occasion que je découvris ce que d’autres appelaient de la fierté. Alors que la saison des pluies approchait faisant frémir les nuages d’impatience, tandis que nous partions vers les plantations, ce matin-là, mon père me dit de ne pas laisser mon arbre tout seul.

    — Il est assez grand pour connaître les grands espaces, me dit-il. Prends la nouvelle houe que j’ai fabriquée pour toi. Elle devra toujours te suivre et c’est elle qui aura le privilège d’ouvrir le trou de ta première plantation.

    — Sur ses conseils, je plantais mon arbre non loin d’un autre afin qu’il ne soit pas isolé, afin qu’entre eux se tissent des liens d’amitié. Le père m’expliqua encore que lorsqu’ils fleuriront, les abeilles iront de l’un à l’autre, mélangeant les pollens pour améliorer la qualité des fruits. Mais si tu veux qu’il soit heureux, chaque fois que tu lui rendras visite, tu partageras avec lui ta ration d’eau. Il te la rendra au centuple.

    Le temps passa. Mon manguier s’élevait, pressé, semblait-il, de devenir adulte. Mon père me dit alors de tailler ici, de pincer là, car un arbre est comme un enfant ! C’est lorsqu’il est jeune qu’il faut lui donner une forme qu’il conservera toute sa vie. J’avais bien mal au cœur de le mutiler, mais je dus admettre que cela lui faisait du bien, car il grandissait bien, ajoutant de nouvelles branches et de nouveaux rameaux aux fourches déjà en place.

    En fait, avec mon manguier, nous nous élevions au même rythme, comme des frères partageant une même destinée. Mon père me disait souvent d’écouter la vie qui circule en lui.

    — Il n’y a que chez les sujets heureux que l’on puisse entendre la musique du bonheur, auquel celle du vent vient mêler la sienne à travers la ramure, me dit-il.

    C’est à ce stade de la narration, que le père se tournant vers l’enfant lui dit :

    — Ceci est mon histoire, mais demain elle peut être tienne si à ton tour, tu prends la peine de planter d’autres arbres qui deviendront tes arbres dont il te reviendra de les élever comme s’ils étaient de nouveaux membres de ta famille. Nous ne devons jamais oublier ce que disaient nos ancêtres lorsqu’ils parlaient d’eux :

    — Jeune, tu plantes un arbre, vieux, tu te reposes sous son ombre. 

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


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  • Histoire d'anges


    — Je peux te poser une question, papa ?

    — Autant qu’il te plaira, ma chérie.

    — Je voudrais savoir pourquoi le ciel vient si près de la Terre de temps en temps.

    — C’est sans doute pour permettre aux anges de venir nous rendre visite, mon enfant.

    — Si ce que tu dis est vrai, tu crois que parmi eux maman les accompagnera ?

    — Sans doute, bien chère âme innocente, sans doute ; mais elle ne sera pas seule.

    — Avec qui pourrait-elle bien venir ? Je n’avais qu’une maman !

    — À ton âge, ma chérie, il est encore trop tôt pour que tu comprennes certaines choses. Du jour que le ciel nous envoie, tu en es l’aurore ; du temps il lui faudra pour atteindre le soir et avec lui les ténèbres. Cependant, je puis te dire ma tendre enfant, qu’il arrive souvent aux hommes de cette Terre de s’imaginer qu’ils sont seuls, errant dans la lumière du jour.

    — Si tu me dis ça, c’est que sans doute ce n’est pas vrai ?

    — Tu as raison, les hommes ne sont jamais seuls. Ils l’ignorent où ils font semblant de le sous-estimer, mais quelque part dans l’immensité du ciel, il s’y trouve quelqu’un qui veille sur eux. Sans qu’ils s’en doutent, ils leur prennent la main et ils les aident à traverser la vie.

    — Comme toi lorsque tu me fais traverser la rue ?

    — Oui, c’est un peu cela, chère enfant.

    — Alors, tu vois que je suis plus grande que tu le dis, puisque je te comprends !

    — Certainement, que tu comprends plus de choses que je le suppose, car je devine que ton esprit déjà éveillé, en cachette te raconte des histoires pour te préparer aux choses de la vie.

    — Je ne sais pas ce que tu veux dire, papa ; cependant, à l’instant, nous parlions des anges et de maman qui se trouve en leur compagnie. Pourquoi ne viendrait-elle pas seule ? Et puis, c’est vrai ce que disait mon grand frère, l’autre jour ?

    — Que t’a-t-il dit qui a forcé ton esprit à douter ?

    — Il m’a dit que tous les anges se ressemblent et que s’ils venaient à nous rendre visite, je ne saurais reconnaître notre maman.

    — C’est à la fois vrai et faux, ma chérie.

    — Ou c’est l’un ou c’est l’autre, papa ; c’est à toi de choisir maintenant.

    — Ma chère petite fille, la réponse est vraie en ce qui concerne la tenue des anges, mais elle fausse quand on dit qu’on ne peut reconnaître ceux qui ont appartenu à notre famille.

    — Ils sont habillés autrement, c’est cela ? Si maman vient, je saurai que c’est elle puisqu’elle aura toujours le bel habit rouge qu’elle mettait les dimanches.

    — Non, ma chérie, elle est revêtue de blanc, comme tous les anges !

    — Voyons, ne pleure pas, je ne t’ai pas dit que nous ne la verrions pas ! D’ailleurs pour t’en convaincre, je t’affirme, que de tous, elle sera la seule qui viendra vers nous.

    — J’aime mieux que cela se passe ainsi, papa.

    — Tout à l’heure, je te disais que tous les hommes ont quelqu’un qui veille sur eux, tu te souviens ?

    — Bien sûr que je ne l’ai pas oublié ; même que je me demandais comment tout ce monde peut habiter ensemble. Tu crois qu’ils sont aussi sur la lune et que c’est pour cette raison qu’elle se rapproche parfois si près de la Terre qu’elle pourrait s’y poser ?

    — Ma chérie ; le ciel est vaste, si vaste que nul ne sait où il commence et où il s’arrête. Il faut que tu saches aussi que toutes les personnes ont un ange gardien.

    — Là, je crois que tu fais une erreur, mon papa. Maman n’en avait pas, puisqu’elle est déjà un des leurs !

    — Non, ma chérie, je crois plutôt que c’est nous qui n’en avions pas et que le ciel l’a choisi pour veiller sur nous.

    — Ce n’est pas juste ! Je sais que je ne suis pas grande, mais je crois qu’avec le temps j’aurais pu être assez forte pour veiller sur elle.

    — Hélas ! Ma chère enfant, chacun de nous doit suivre sa destinée et nul ne peut ou ne doit tenter de la détourner. Quant à ce qui est juste ou injuste, tu apprendras plus tard que c’est un débat qui ne sera jamais clos !

    — Dis-moi, mon papa ; je regardais les pas que nous avons laissés derrière nous. Tu crois que maman les voit et qu’elle peut les suivre pour nous retrouver ?

    — Je ne le sais pas, ma chérie. Cependant, je ne crois pas qu’elle viendrait nous rejoindre en suivant ces traces, alors que la lumière est devant nous. C’est donc vers elle que nos regards doivent se tourner.

    — Je suis d’accord, papa, mais avec l’océan qui s’étend devant nous, ne risque-t-elle pas de s’y perdre ?

    — Non, ma chérie, pour les anges l’océan n’est pas un danger. Ils l’utilisent pour envoyer de l’eau à notre vie.

    — Papa, si maman ne vient pas ce soir, pourquoi ne rentrons-nous pas ? Tu crois qu’elle serait fâchée de ne pas nous trouver à son rendez-vous ?

    — Un ange ne se fâche pas, ma chérie. S’il ne te trouve ici, il ira, comme chaque soir veiller sur ton sommeil.

    — Tu crois qu’ils sont capables d’effleurer notre visage, quand on dort ?

    — Je le crois, oui, ils en sont bien capables.

    — Alors je sais que maman nous rend souvent visite ; rentrons, car elle doit être à la maison et elle nous y attend.

    Amazone Solitude.

     

     


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